Jour 1, samedi 25 novembre 2023 : découverte et apprentissage du métier
Le rendez-vous a été fixé au port du Vivier-sur-Mer à 9h45 soit environ une heure avant la marée basse car il faut le temps pour s’équiper puis se rendre aux parcs de tables à huîtres dans la baie qui peuvent être éloignés de plusieurs kilomètres.
Il me faut environ 1h20 à vélo pour parcourir les 25 kms de Dinard au Vivier-sur-Mer et je prévois de la marge pour le premier jour en partant à 8h. Le ciel sort à peine de l’obscurité, le soleil n’est pas encore levé et il fait un froid mordant. Je n’avais pas vérifié les températures en début de matinée et je pensais naïvement que l’exercice physique allait réchauffer mon corps mais, à peine suis-je parti, que je ressens le froid glacial assaillir mes doigts et faire refluer mon sang.
Trop tard, je suis parti donc je continue, je traverse le barrage à marémotrice de la Rance alors qu’une bande orangée colore peu à peu l’horizon et se reflète sur l’eau du fleuve côtier laissant apparaitre les silhouettes des voiliers amarrés. Tout est paisible, je m’arrête pour immortaliser ce moment et j’en profite pour souffler dans mes mains gelées.
Ensuite, je monte une côte puis je contourne l’agglomération de Saint-Malo en longeant une voie rapide qui ne dispose malheureusement pas de piste cyclable, je dois me contenter de la bordure en restant vigilant aux véhicules qui me doublent puis je rejoins une route moins fréquentée avec une succession de petites collines à franchir.
J’ai les doigts et les orteils gelés, moi qui suis sensible à ce type de douleur je souffre le martyr et je me maudis de ne pas avoir pris de bons gants, ce sera pour la prochaine fois. La distance me parait interminable, j’ai à peine fait la moitié du parcours mais, maintenant que je suis parti, il n’est pas question d’abandonner.
Le ciel est sans nuage et le soleil se lève peu à peu puis, soudain, après avoir quitté le village de Saint-Méloir-des-Ondes situé en haut d’un léger plateau, j’aperçois le soleil lumineux immense et rasant puis, à ma gauche, la baie avec la silhouette du Mont Saint-Michel tout au loin : c’est magnifique !
C’est déjà une belle récompense pour ces efforts, je descends sur Saint-Benoit-des-Ondes au bord de la baie et je suis la route côtière jusqu’au Vivier-sur-Mer. Je croise sur la route des tracteurs qui tirent des remorques avec des chalands pour la Marée, cela me rappelle le temps des vendanges en Bourgogne sauf que les bateaux ont remplacé les bennes à raisins.
Je trouve assez facilement le hangar sur le port qui était indiqué comme lieu de rendez-vous, il est déjà ouvert et certaines personnes attendent devant, probablement des intérimaires comme moi. J’attends avec eux en prenant un bon thé chaud de mon thermos et des biscuits mais personne ne vient nous accueillir, certains intérimaires habitués rentrent dans le hangar et je finis par leur emboiter le pas sans trop savoir quoi faire. Ils m’indiquent où récupérer un scaphandre qui est une sorte de grande salopette imperméable terminée par des bottes, on met un élastique autour de la taille pour bien serrer et éviter que de l’eau s’infiltre par le haut en cas de chute. Il faut aussi prendre des gants pour se protéger des coupures contre les coquilles d’huîtres.
Personne ne vient me voir pour vérifier mon identité, tout est en libre-service, je suis assez surpris en comparaison de l’organisation et de l’accueil pour le début des vendanges mais la différence c’est que l’activité de la Marée a lieu toute l’année donc c’est peut-être plus difficile de maintenir cette organisation.
Nous sommes une dizaine d’intérimaires âgés de vingt à quarante ans dont une seule femme. Une fois que nous sommes équipés, nous attendons devant le hangar et les superviseurs viennent à notre rencontre pour constituer des équipes. Ils nous répartissent deux par deux puis nous montons à bord des bateaux remorqués par les tracteurs. Ces embarcations sont plus petites que des chalands et n’ont pas un fond plat bien qu’elles aient quand même un faible tirant d’eau, on les appelle des « yoles ». Elles ont moins de capacité de chargement que les chalands mais elles coûtent moins chères.
Nous partons vers 10h avec quatre ou cinq bateaux tractés, nous roulons sur l’estran vaseux puis nous rejoignons la mer qui se retire lentement et nous relâchons les bateaux pour naviguer au milieu des parcs d’élevage d’huîtres. Les chefs d’équipes ont chacun une feuille avec les objectifs de la Marée du jour en nombre et en types de poches à prélever, je me demande bien comment ils font pour se repérer dans ce labyrinthe de tables qui se ressemblent toutes et qui sont encore à moitié immergées sans aucuns panneaux d’indication mais apparemment ils ont l’habitude.
Je fais la connaissance de mes compagnons d’équipe qui habitent tous dans le coin, Johan est électricien, Christian travaille dans un bureau d’études, ils s’inscrivent à la Marée quelques jours par mois pour compléter leurs revenus et ils ont l’air de plutôt apprécier cette activité en plein air même si c’est parfois sur leur week-end comme aujourd’hui, au moins ce n’est pas trop long dans la journée (entre 3 et 5h).
Je discute également avec le chef d’équipe, Damien, qui a une dizaine d’années de métier, il songe peut-être un jour à travailler dans un domaine avec un rythme plus stable pour fonder une famille car les horaires et les jours de travail varient en fonction des marées y compris les week-ends et parfois très tôt le matin. Damien me parle aussi de l’importance d’avoir une bonne maintenance du matériel car il y a peu de créneaux de grandes marées pour la pêche aux huîtres et, si un moteur de bateau ou de tracteur tombe en panne, cela peut limiter fortement la capacité donc ils ont leurs propres mécanos dans l’entreprise.
Pour ce premier jour de Marée, lorsque nous arrivons à proximité des tables des lots de poches sélectionnés, les superviseurs coupent le moteur et nous nous jetons à l’eau qui nous arrive au niveau du haut des cuisses pour pousser l’embarcation. Puis, nous enlevons les élastiques en caoutchouc qui maintiennent les poches sur les tables et ensuite nous maintenons la yole bien parallèle à la table tout en avançant doucement pendant que les superviseurs « pêchent », c’est-à-dire que l’un est dans l’eau pour soulever les poches de la table une à une et les placer sur le rebord de la yole tandis que l’autre est dans la yole et pose en tas les poches sur des arceaux en fer appelés « berceaux » en s’assurant de bien tasser les poches qui s’empilent afin qu’elles ne tombent pas et de bien équilibrer le poids dans le bateau pour qu’il ne penche pas trop d’un côté.
Le temps est radieux, désormais il fait bon et je n’ai plus froid même en étant dans l’eau car le scaphandre protège bien. On peut voir le Mont Saint-Michel au loin, je suis très content de découvrir cette activité dans ce lieu si unique et avec cette belle météo, merci Papa !
Lorsque la yole est chargée de poches (entre 200 et 250), nous nous écartons du parc et nous rallumons le moteur pour rejoindre la remorque et le tracteur qui nous permettent d’accéder à des tables plus proches du rivage qui sont complètement à sec pendant la marée basse. Elles servent d’entrepôts pour les poches à huîtres sélectionnées avant d’être triées et conditionnées dans le hangar.
Pour cette tâche, c’est plus physique, le superviseur conduit le tracteur pendant que nous déchargeons les poches sur les tables puis nous les fixons avec des élastiques. Cet effort a duré probablement une vingtaine de minutes mais j’ai déjà des douleurs au niveau du dos car les poches doivent peser une dizaine de kilos pour une taille d’environ un mètre de long et cinquante centimètres de large et les tables sont basses, elles sont situées au niveau de mes genoux.
Après cela, notre mission est terminée, nous rentrons au hangar pour un total de 3h30 de travail en incluant les trajets en tracteur et en bateau donc c’est largement supportable. J’aurais quasiment fait autant de vélo ce jour-là que de mission d’intérim car je repartirai à vélo accompagné de mon père qui m’a rejoint.
Nous rinçons les scaphandres puis nous rangeons les équipements avant de nous changer. Au moment de signer la feuille d’émargement, je constate que je m’appelle Yann B. sur la liste, mon contact de l’agence d’intérim ayant sans doute oublié mon prénom et, dans le doute, m’a donné un prénom populaire de la région, il ne me manquait plus qu’un « Ker » ou un « Le » devant mon nom de famille pour devenir un vrai breton 🙂
Jour 2, dimanche 26 novembre 2023 : rodage
Cette fois-ci, je suis mieux équipé que la veille pour le trajet à vélo avec de bonnes moufles et j’avance à un bon rythme, je commence à être rodé, l’heure de rendez-vous est une heure plus tard que le jour précédent pour être en phase avec la marée.
Je retrouve les collègues d’intérim devant le hangar, on discute, certains sont dans la restauration en tant que serveurs ou cuisiniers et ils complètent leurs revenus en attendant la haute saison. Ils m’apprennent que nous aurons ce jour-là une majoration de 20% car c’est dimanche, ce que je trouve peu élevé en comparaison du secteur du tri des colis en zone aéroportuaire dans lequel j’ai travaillé précédemment mais cela restait une activité limitée et exceptionnelle alors que pour la Marée c’est assez fréquent.
J’enfile le scaphandre et les gants qui sont déjà mouillés alors qu’il y a un vent glacial qui souffle à l’extérieur, même avec ces équipements j’ai froid. Au moins il ne pleut pas même si le ciel est couvert.
Nous retournons dans le parc loin du rivage en direction de Cancale, il y en a pour une bonne vingtaine de minutes de trajets avec le tracteur puis la yole. Lors du trajet, je fais la connaissance de mon nouveau binôme, Yann, issu de la grande diaspora bretonne en région parisienne et désormais de retour au pays. Yann a la quarantaine, il travaillait dans la restauration puis il a acheté un bar qu’il a finalement revendu après quelques années pour désormais alterner des missions en intérim avec d’autres activités en partenariat avec sa femme.
Comme la veille, nous tenons et poussons la yole pendant que les superviseurs chargent les poches des lots indiqués. Le temps presse car la marée continue de descendre et nous devons terminer de charger toutes les poches d’une table sur notre yole tout en évitant qu’elle s’enlise dans la vase. L’embarcation devient difficile à déplacer, on a l’impression de pousser dans une mêlée au rugby mais l’avantage c’est que lorsqu’on est en mouvement on a moins froid.
Aujourd’hui, les huîtres sont à amener directement au hangar pour être nettoyées puis triées suivant leurs tailles et il en faut une grande quantité donc, lorsque notre yole est remplie, nous transbordons la cargaison sur un grand navire amphibie à proximité du parc afin de pouvoir plus rapidement retourner à la pêche. Le bateau amphibie peut se déplacer dans l’eau à l’aide de roues, il dispose d’un large pont plat avec un grand bras mécanisé avec des chaines et des crochets à son bout afin de transborder les berceaux contenant les poches d’huîtres.
Pendant qu’une équipe se charge du transbordement sur le navire amphibie, je reste les pieds dans l’eau dans le parc avec d’autres et nous tapons les tables avec des barres de fer pour enlever les huîtres sauvages et le dépôt qui recouvrent l’armature des tables, c’est l’occasion de discuter tout en travaillant et certains me font quelques confidences sur leur vie privée, pas vraiment pour me demander conseil mais plutôt pour évacuer leurs ressentis sachant que l’on ne se reverra probablement pas. Le travail, c’est aussi du social.
Puis, lorsque la yole revient, c’est à mon tour de pêcher alors que la marée remonte donc il ne faut pas traîner car après on ne verra plus les tables. C’est un effort court d’une vingtaine de minutes mais c’est intense, j’ai déjà mal au dos.
Nous terminons la mission de Marée après environ 4h d’activité et Yann me propose gentiment de m’avancer sur le trajet retour en chargeant mon vélo dans son Kangoo ce qui me permet de diviser par deux la distance à parcourir à vélo, c’est un bel exemple de solidarité entre travailleurs.
Jour 3, lundi 27 novembre 2023 : météo et ambiance tempétueuses
Ce lundi, il pleut dès le matin mais je suis bien équipé et en bonne forme donc le trajet en vélo ne me dérange pas, désormais je connais bien l’itinéraire et notamment le nombre exact de côtes à franchir.
En arrivant au hangar, je découvre en pleine activité l’équipe en charge de vider, trier et conditionner les huîtres que nous avons pêchées la veille dans l’estran. Tout d’abord, ils ouvrent les poches puis ils les vident à l’entrée d’un tapis mécanisé qui nettoient les huîtres puis les trient suivant leur gabarit (la taille des huîtres détermine leur catégorie, plus le numéro de la catégorie est faible plus le poids et donc le gabarit de l’huître est élevé) avant de les déposer dans des caisses qui sont ensuite entassées par des opérateurs.
Il y a également des opérateurs en milieu de chaîne de tri qui s’assurent de la qualité en décollant les huîtres agglutinées les unes sur les autres ou en retirant les coques ou autres intrus. C’est une vraie petite usine.
Les caisses d’huîtres seront ensuite stockées dans des bassins avant d’être éventuellement vendues en vrac dans une poissonnerie ou bien elles pourront également être reconditionnées dans des contenants plus petits telles des « bourriches » qui sont des petites caisses en bois pour être vendus aux particuliers.
Aujourd’hui, nous devons prendre une voiture pour nous rendre dans un parc éloigné qui est tout proche de Cancale car nous ne pouvons pas rester dans les remorques sur la route. C’est l’occasion pour moi de faire connaissance avec deux nouveaux collègues, Le premier, Matéo, est étudiant en BTS en cultures marines et le second est un ancien cadre de santé qui s’est reconvertit en gérant de gites tout en gardant une activité partielle de psychomotricien et en complétant avec de l’intérim dont il apprécie la flexibilité et aussi le fait que les types de missions sont simples à effectuer, il suffit de suivre les directives alors que dans son travail précédent de cadre, le stress et les nœuds aux cerveaux le suivaient souvent à la maison. Ce n’est pas le premier à me faire part de ce type de problématiques, on trouve vraiment des profils différents dans les missions de Marée comme pour les vendanges.
Matéo m’explique que cette période est cruciale pour l’activité de l’entreprise car les ventes pendant les fêtes de Noël représentent quasiment un tiers de son chiffre d’affaires annuel. Il faut donc arriver à pêcher la bonne quantité de poches d’huîtres cette semaine car ce n’est pas sûr qu’il y ait une autre grande marée avant les fêtes, les enjeux sont importants. J’apprends également que la société qui nous fait travailler est une entreprise familiale qui a étendu ses activités à l’ensemble de la chaîne de l’ostréiculture depuis la conception de larves dans des écloseries jusqu’aux magasins de ventes aux particuliers en passant par les parcs de pêche et les hangars de tri.
En arrivant au parking, nous enfilons nos scaphandres et nous montons dans les yoles remorquées par les tracteurs qui nous ont suivi sur la route, il y en a six en tout donc cela fait une grosse équipe. Nous attendons un moment sous la pluie en file indienne dans l’estran avant que la marée soit suffisamment basse pour apercevoir les tables et les rejoindre avec les yoles.
Les superviseurs semblent plus tendus que les jours précédents, leurs ordres fusent un peu sèchement, on sent que les objectifs sont élevés et qu’il ne faut pas traîner avec le peu de temps que nous laisse la marée donc j’essaye de suivre le rythme alors que la pluie redouble.
Même la simple tâche d’enlever les élastiques pour libérer les poches des tables peut devenir difficile à cette cadence car souvent des huîtres sauvages sont collées dessus au niveau des piquets et il faut forcer ou taper dessus pour libérer les élastiques mais c’est peu d’efforts par rapport à la pêche effectuée bien souvent par les superviseurs. Je le constaterai en pêchant plus tard une table entière de poches, des douleurs au bas du dos se feront rapidement sentir. Ce n’est pas évident non plus de déplacer la yole au rythme du pêcheur car il faut la garder bien parallèle à la table, ni trop proche ni trop près tout en la déplaçant à la bonne vitesse mais c’est moins physique.
Lorsque la yole est pleine, le superviseur lance le moteur tandis que nous poussons la yole puis il faut se jeter rapidement dedans alors que l’on a peu d’espace avec les tables autour et les berceaux pleins dans la yole. Soudain, le moteur cale et, après plusieurs tentatives infructueuses, il faut se jeter à l’eau pour retenir la yole afin d’éviter de percuter les tables. Nous devons répéter cette opération par trois fois ce qui provoque la fureur de notre chef d’équipe qui nous engueule pour se défouler, ses instructions deviennent confuses mais nous n’osons plus poser de questions, chacun a droit à ses remontrances, on fait le dos rond en attendant que l’orage passe.
Le moteur finit par redémarrer et nous parvenons à rejoindre enfin le bateau amphibie pour décharger notre cargaison puis récupérer des berceaux vides afin de remplir à nouveau notre yole puis nous repartons vers le parc tandis que la pluie alterne régulièrement avec le soleil, un vrai temps breton
C’est alors que le moteur d’une autre yole tombe en panne, c’est la cata dans le groupe, « mais pourquoi ils ont pas vérifié les moteurs, putain ?! », les superviseurs s’engueulent entre eux, nous autres intérimaires faisons profil bas en nous concentrant sur les instructions. Finalement, nous parvenons quand même à charger une yole alors que la marée remonte puis il faut décamper en vitesse.
A ce moment, il y a un magnifique arc en ciel aux couleurs très vives qui part de Cancale et qui rejoint le Mont Saint-Michel en enjambant toute la baie. J’enlève un gant pour prendre une photo afin d’immortaliser ce moment magnifique mais un superviseur me retient, dommage, il vous faudra faire preuve d’imagination.
Nous poussons les yoles remplies de poches à travers les tables en nous rapprochant du rivage pour rejoindre les remorques mais il y a de moins en moins de fond donc nous risquons de nous enliser. Nous redoublons d’efforts pour avancer mètre par mètre puis nous faisons un détour vers le large afin d’avoir plus de fond et faciliter les mouvements.
Tout le monde s’active, les superviseurs hurlent des ordres et se lancent des jurons au milieu des crépitements des moteurs tandis que la pluie se remet à tomber drue, on se croirait dans une bataille en mer. Puis nous finissons par attacher notre yole à la remorque et nous rembarquons, c’est fini. Désormais le silence règne dans l’équipe mais il va sans doute y avoir un débrief tendu entre superviseurs car nous n’avons pas atteint les objectifs à cause des pannes moteurs.
Pour une mission de 4h nous aurons été vraiment actifs un peu plus de la moitié du temps car les trajets sont longs mais, lorsque l’on travaille, c’est intense avec des cadences rapides et dans des conditions parfois difficiles avec la météo.
Cette fois-ci, mon scaphandre n’a pas été parfaitement étanche, j’ai les jambes et les pieds trempés mais je ne m’en suis pas rendu compte pendant l’action. Je suis bien content que Yann puisse me rapprocher en voiture de chez mes parents puis c’est mon père qui vient gentiment me chercher, je n’avais pas la motivation de continuer à vélo avec cette météo.
Jour 4, mardi 28 novembre : on termine en beauté sans le savoir
Pour ce quatrième jour de Marée, le temps est doux et mon trajet en vélo est presque une balade. La silhouette du Mont Saint-Michel que je cherche toujours du regard au loin dans l’horizon m’est devenu familière, cette fois-ci je peux la distinguer nettement car il n’y a pas de brume mais mon téléphone n’est pas assez puissant pour que vous puissiez le voir nettement sur les photos.
En arrivant au hangar, j’ai ma petite routine en commençant par un thé chaud de mon thermos et des biscuits puis je choisis un scaphandre et des gants à ma taille en vérifiant qu’ils ne soient pas troués ni humides à l’intérieur. L’heure du rendez-vous continue d’être décalé en fonction de la marée et aujourd’hui c’est à midi.
Nous retournons en voiture au même endroit que la veille, près de Cancale. On sent que l’ambiance est apaisée, les superviseurs sont calmes, les moteurs tournent, il fait beau et les températures sont douces, tout va bien.
Nous faisons un trinôme avec Yann et Damien, un des superviseurs que nous commençons à bien connaitre avec le temps et cela fonctionne parfaitement entre nous, tout se passe de manière fluide, les instructions sont claires, chacun fait de son mieux pour aider l’équipe en restant concentré et en alternant les tâches difficiles sans que cela nous empêche de nous lancer quelques plaisanteries pour maintenir la bonne humeur.
Certaines poches contiennent des huîtres toutes petites, elles sont sans doute mortes ou atteintes d’une maladie, c’est un cas similaire aux vendanges où l’on pouvait trouver des grappes de raisins rachitiques ou tout noir, l’essentiel est que cela reste une exception. Autre parallèle avec les vendanges, on peut aussi se faire de petites entailles au niveau des doigts même avec les gants car les coquilles d’huîtres sont très coupantes donc il faut faire des gestes prudents et mesurés.
Nous croisons dans le parc des pêcheurs de bouquets (des crevettes sauvages), ils sont vêtus de grands pantalons et de cirés jaunes imperméables et ils remontent à pied les rangées de tables en ouvrant grand devant eux un filet épuisette. Ce sont en général des retraités du coin, ils nous adressent un geste amical de la main et affichent de larges sourires sur leur visage en passant, cela semble une activité plaisante.
Nous parvenons à faire notre quota de poches pour la journée à savoir une yole pleine déchargée sur le bateau amphibie puis une autre yole remplie à moitié que nous ramenons sur la remorque et tout cela sans pluie ni vent, des conditions parfaites.
En tant qu’ingénieur, je ne peux m’empêcher de penser à des moyens plus efficace nécessitant moins d’efforts humains comme par exemple des embarcations avec un bras articulé qui puisse soulever les poches et les ranger à l’intérieur tout en ayant un système de guidage automatique pour se déplacer entre les tables sans les heurter, en tenant compte des marées et de la localisation des lots à prélever mais c’est peut-être trop d’investissements pour un rendement faible et puis, en attendant, cela permet de maintenir de l’emploi local dans un cadre unique !
De plus, comme pour les vignes, je constate que les parcs à huîtres sont heureusement difficilement délocalisables car la qualité de leurs produits dépend de facteurs naturels spécifiques à certaines régions françaises contrairement aux usines donc cela permet de maintenir ces activités ancestrales emblématiques de la France.
En revenant au hangar, je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir travaillé aujourd’hui même si cela a été aussi physique que les jours précédents, les conditions météos étaient tellement bonnes avec une ambiance détendue dans l’équipe et dans un cadre naturel aussi magnifique que je n’ai pas vu le temps passer, cela donne envie de continuer.
Toutefois, sur le chemin du retour en voiture avec Yann, celui-ci reçoit un appel de son agence d’intérim qui lui apprend que la Marée des deux prochains jours est annulée car ils ont fait leur quota. Nous sommes surpris car nous pensions qu’il y avait encore du boulot notamment du fait des objectifs non atteints de la veille et on ne nous avait rien dit en partant. Nous sommes donc un peu déçus d’être prévenus comme cela par téléphone au dernier moment mais c’est comme ça l’intérim, d’un côté la flexibilité et la possibilité de commencer un contrat rapidement mais aussi le risque qu’il s’arrête subitement, on aura quand même terminé notre mission sur une belle journée.
Le lendemain, je pars acheter avec mon père quelques douzaines d’huîtres dans un magasin appartenant à l’entreprise familiale avec laquelle j’ai fait la Marée puis nous dégustons à la maison ces mollusques avec mes parents, accompagnés par du bon vin blanc de Chablis en souvenir de mes vendanges et ils se marient parfaitement ensemble.
Désormais, je peux mieux visualiser les efforts et toute l’organisation nécessaires pour créer, élever, pécher, conditionner et livrer ces produits de la mer afin que nous puissions les déguster chez nous ou au restaurant et j’espère que c’est également plus clair pour vous à la lecture de cet article !
Toujours passionnant tes articles et puis la naration d’une journée de travail c’est vraiment très bien. Les vrais gens passent plus de temps à travailler qu’à se balader et finalement c’est aussi humainement très intéressant avec toujours de belles rencontres. C’est tout l’intérêt de l’intérim et de la multiactivité.
On attend tes prochaines aventures…
Merci Papa! Oui c’est l’occasion de faire de belles découvertes et de belles rencontres.
J’attends ta prochaine Une de journal pour savoir où aller travailler 😉