« […] il n’y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d’un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l’extrême infortune est apte à ressentir l’extrême félicité. Il faut avoir voulu mourir, […], pour savoir comme il est bon de vivre.
Vivez donc et soyez heureux, […], et n’oubliez jamais que, jusqu’au jour où Dieu daignera dévoiler l’avenir à l’homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots : attendre et espérer ! »
A l’épreuve du doute
Arrivés à Marseille, Albert embarque à destination du continent africain afin de s’engager dans de rugueuses campagnes militaires dans le but de laver le déshonneur de son père dans le fracas des armes tandis que Mercédès aspire au calme et à la solitude dans son ancienne maison de jeunesse. Edmond l’y retrouve mais le temps et les malheurs les ont malheureusement éloignés, la belle et gracieuse Mercédès a perdu de sa candeur, de sa joie de vivre, elle semble résignée et tournée vers le passé alors que Monte Cristo est encore animé d’une flamme intérieure qui le pousse à continuer son chemin de vie.
Cependant, Monte Cristo est assailli de doutes depuis la mort du jeune Édouard et ceux-ci sont amplifiés par sa visite à Mercédès, triste et mélancolique ; est-il allé trop loin dans sa vengeance, était-ce un acte de légitime justice ? Ses interrogations prouvent qu’il lui reste une part d’humanité malgré les tords qu’il a subi et les changements profonds qui se sont opérés en lui.
C’est alors que se produit un nouvel évènement poignant du récit et jamais mis en scène dans les représentations cinématographiques que j’ai visionnées alors que c’est un des éléments clés de cette œuvre. Le comte de Monte Cristo, alias Edmond Dantès, décide de retourner dans la prison du château d’If, désormais vide depuis la révolution de Juillet, afin d’avoir le cœur net sur la justification de sa vengeance.Ainsi, après avoir brillé pendant dix ans dans l’opulence avec la pleine capacité d’assouvir tous ses désirs, Monte Cristo retourne dans le sombre cachot où Edmond Dantès a croupi pendant quatorze interminables années de sa vie alors qu’il était en pleine force de l’âge.
Ses souvenirs douloureux refont progressivement surface alors qu’il approche des lieux de sa détention et qu’il se remémore ses douloureuses sensations. Le comte est extrêmement ému, Edmond retrouve l’obscurité et la froideur de sa cellule, le silence implacable qui glace le sang ; l’ancien détenu déchiffre sur un mur ses inscriptions désespérés puis il reconnait les traces de la galerie de l’espoir creusée par son maître et sauveur, l’abbé Faria.
Edmond fait alors une prière à son père spirituel afin de l’aider à voir clair dans son esprit et répondre à ses doutes. Dantès trouve sa réponse en relisant un passage du livre écrit par l’érudit pendant sa détention : non, il ne s’est pas égaré et oui, sa vengeance était justifiée après tout ce qu’il a subi, les coupables de sa trahison et de ses souffrances devaient être punis. Edmond est enfin apaisé, ses doutes se dissipent et il pense à son père, à Mercédès puis à Haydé, cette jeune princesse grecque qui fut vendue en esclave par le comte de Morcerf après avoir trahi son père et que Monte Cristo avait retrouvé la trace puis racheté sa liberté afin qu’elle témoigne contre Morcerf. Le comte l’a recueilli chez lui et il s’en est occupé comme de sa propre fille, des liens forts se sont alors tissés entre eux, la tendresse penchant doucement vers l’amour.
Pardonner pour retrouver l’humanité
Après cet épisode marseillais, nous retrouvons Danglars qui a fui ses créanciers pour se réfugier à Rome afin de se faire rembourser le crédit de cinq millions qu’il avait octroyé au comte de Monte Cristo sur la garantie d’une banque romaine qui s’avère fictive.
Alors que le baron sort de l’établissement avec son bon d’échange en poche, Monte Cristo le fait enlever par des bandits à sa solde qui place l’ancien banquier à l’isolement dans une sombre galerie sous-terraine à l’abri des regards. Les truands soumettent alors le baron à une stricte diète : s’il veut boire ou manger il doit payer une somme exorbitante. L’ancien banquier s’offusque de ces procédés honteux et se cramponne à ses richesses mais la faim et la soif le tiraillent, ses besoins vitaux le poussent à se délester du superflu et il finit par céder. Son bon d’échange fond alors à toute vitesse, c’est un retour brutal à la réalité pour l’ancien richissime financier et député qui se targuait de se soucier du peuple du haut de son palais doré.
Monte Cristo arrive au moment où la bourse du baron est quasiment vide, Edmond Dantès le confronte alors à leur passé commun en lui rappelant sa trahison puis il finit par pardonner à Danglars après qu’il se soit repenti. D’une certaine manière, c’est un moyen pour le comte de se racheter lui-même de sa vengeance qui a débordé les limites de l’acceptable en frappant un innocent.
Monte Cristo retrouve ensuite Maximilien sur son île alors que ce dernier aspirait au passage dans l’autre monde depuis que son amour Eugénie était morte empoisonnée mais, heureusement, la fille de Villefort a été secrètement sauvée par le comte qui l’a cachée pour la protéger de sa maléfique belle-mère ; les deux amoureux se retrouvent ainsi avec émotions sur l’île de Monte Cristo sous le regard attendri du comte.
Monte Cristo semble rechercher la confirmation de ses protégés qu’il a bien agi envers eux en leur apportant du bonheur afin d’avoir la confirmation de la justesse de ses actions. De même pour Haydé, le comte veut être sûr de ses réels sentiments amoureux envers lui en la confrontant à des situations extrêmes, comme sa possible disparition, car il veut être certain de la sincérité de son amour et qu’il ne soit pas entravé ou conditionné à une sorte de reconnaissance docile envers son bienfaiteur.
Haydé prouve la sincérité de son amour inconditionnel à Edmond qui se sent enfin soulagé, apaisé, le bonheur apparait à nouveau dans son champ d’horizon après quasiment vingt-cinq années de turbulences, il n’a plus qu’à tenir la barre vers ce cap avec sa nouvelle équipière. Ainsi, ce roman essentiellement tragique malgré quelques passages plus légers se termine sur une note d’espoir avec la déclaration de Monte Cristo qui est en introduction de cet article ; il tire l’enseignement de ces expériences que nous avons toujours une chance d’être heureux, ou du moins apaisé, malgré les adversités ou les méfaits subis ou commis, il faut pour cela se montrer patient et garder espoir.
Conclusion et retour sur l’œuvre
Il est temps désormais de conclure après avoir parcouru l’ensemble de cette œuvre grandiose, riche en rebondissements et en émotions fortes.
L’originalité de cette histoire romanesque tragique suscite un intérêt à chaque fois renouvelé dans les générations qui se succède, grâce notamment aux représentations télévisuelles de qualité, et probablement aussi en raison des ascensions fulgurantes des personnages suivies de chutes vertigineuses ou inversement comme nous l’écrivions en introduction. Ces montagnes russes des destinées où la Roue de la Fortune s’applique à tous, pauvres ou riches, faibles ou puissants, coupables ou innocents captive notre attention, attise notre curiosité et stimule notre imaginaire car tout semble possible, les réussites comme les échecs.
Ce récit questionne également sur la légitimité de la vengeance et sa proportionnalité par rapport aux préjudices subis. Monte Cristo a parfois des envolées quasi mystiques sur ce sujet en estimant qu’il agit pour la justice de Dieu, qu’il est la main invisible de la divine Providence car il interprète sa rencontre miraculeuse avec l’abbé Faria en prison puis la découverte du trésor comme un signe divin pour lui donner les moyens de sa vengeance.
Certains personnages principaux sont confrontés à des dilemmes avec la question qui sous-tend : les enfants sont-ils redevables des crimes de leur parents ?Ainsi, Monte Cristo doit-il sauver Eugénie, la fille de son ennemi Villefort, par compassion pour Maximilien Morel dont le père l’a tant soutenu ou peut-il la laisser mourir par haine contre son père qui l’a tant fait souffrir ? La même question se pose pour Albert de Morcerf, fils de Fernand qui a trahi son ancien ami Edmond Dantès mais aussi fils de Mercédès, son amour de jeunesse qu’il ne veut pas faire souffrir.
Il en va de même pour Villefort, un personnage complexe et nuancé qui renforce l’intérêt de cette œuvre, ainsi le juge intransigeant se voit confronté à l’opposition de son père contre ses propres intérêts concernant le mariage de sa fille avec Franz d’Epinay mais Villefort accepte la décision de son aîné par le respect dû aux anciens conformément aux lois tacites de la famille. Le procureur est ensuite confronté à un nouveau dilemme bien plus terrible quand la mort frappe son entourage et que les soupçons se portent sur sa fille puis son épouse : fera-t-il appliquer la loi sur un membre de sa famille avec la même sévérité qu’il l’a fait pour des inconnus ?
On peut constater que chaque ennemi de Monte Cristo représente un des principaux pouvoirs régaliens qui sont souvent étroitement liés, à savoir le pouvoir militaire et politique en la personne du comte de Morcerf, le pouvoir financier et politique en la personne du baron Danglars et le pouvoir judiciaire en la personne du procureur Villefort. Ainsi, peut-être que certains lecteurs pourraient interprèter cette vengeance personnelle comme une représentation du combat de l’individu contre les injustices et les abus d’une société ou, du moins, de certains de ses représentants dévoyés.
Enfin, il faut se rappeler que le roman de Dumas a été initialement écrit sous forme d’un feuilleton pour être publié par épisodes dans un journal, c’est sans doute la raison pour laquelle certains passages sont de qualité inégale selon moi avec des changements de rythmes et d’angles de vue de la narration qui peuvent être déroutants.
Ainsi, Edmond Dantès est au cœur du récit dans la première partie du roman, nous avons accès à tous ses sentiments et nous pouvons facilement nous identifiés à lui jusqu’au jour où il devient le comte de Monte Cristo après sa découverte du trésor. Alors, le comte devient plus imperméable à l’expression de ses sentiments, nous le voyons à travers le regard de nouveaux personnages du récit sans avoir accès à son esprit, une certaine prise de distance se crée.
Puis, le masque du comte se fissure peu à peu face à ses anciens ennemis et il finit par tomber complètement devant son amour de toujours, Mercédès, après des dialogues émouvants d’une grande force. Nous avons alors à nouveau accès aux nobles sentiments d’Edmond qui nous ont tant ému, à cette innocence bafouée qui réclame une légitime vengeance après avoir fait le deuil de ses êtres les plus chers.
Edmond Dantès revient alors une dernière fois sur le devant de la scène, entouré de nouvelles personnes qui lui sont devenues chères et renforcé par son expérience de Monte Cristo. Espérons qu’il vécut ensuite heureux avec son nouvel amour, Haydé, et qu’ils eurent ensemble de beaux enfants.
The End
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