Pourquoi j’ai fait cette expérience

Après un long voyage de plusieurs mois à travers l’Asie et l’Océanie (lien blog), j’étais de retour l’été 2023 en France pour retrouver ma famille et mes amis ainsi que pour chercher un nouveau travail, ayant démissionné du précédent. Les recherches étant assez calmes en cette période, j’avais donc du temps libre et, lors d’une discussion pendant un repas avec un ami de ma famille, celui-ci me raconta avoir fait les vendanges dans sa jeunesse et qu’il en gardait un bon souvenir. Cela résonna en moi, je me souvins également d’un ex collègue qui avait fait les vendanges pendant ses congés alors qu’il occupait un poste à responsabilité et qu’il avait la quarantaine passé, cela m’avait surpris qu’il consacre du temps pendant ses jours de vacances à une activité aussi physique. Mon ami Vincent l’avait également fait quelques jours pendant ses congés et chacun d’entre eux m’en avaient dit du bien donc cela m’intriguait, j’avais envie à mon tour d’en faire l’expérience.

De plus, c’est une activité très typique de notre pays mondialement connu pour ses bons vins et c’était l’occasion pour moi de faire de l’exercice en plein air au milieu de belles vignes tout en étant payé. Donc, je parlais de mon idée à Vincent qui m’encouragea dans cette voie et m’envoya plusieurs annonces pour faire les vendanges dans les environs de la ville de Chablis en Bourgogne où son père habite en m’indiquant qu’il pourrait m’héberger. En consultant les nombreuses annonces, je constatais qu’il y avait une forte demande de main d’œuvre et qu’il n’était pas nécessaire d’avoir de l’expérience dans ce domaine, il suffisait simplement d’être motivé et de fournir les copies d’une pièce d’identité, d’un RIB et d’une carte vitale.

Je ne me sentais pas de faire plusieurs semaines de vendanges car ma priorité était de retrouver un travail rapidement en tant qu’ingénieur donc je filtrais sur les annonces prévoyant une semaine de vendanges. L’une d’entre elles m’intéressa davantage car le repas du midi était offert sur place ainsi que des collations tandis que la plupart demandaient à ramener sa gamelle et son eau. Je trouvais que c’était plus convivial de partager un repas ensemble et je ne faisais pas les vendanges pour l’argent mais plutôt pour découvrir cette activité et rencontrer les gens qui la font.

Il s’agissait du Domaine du Château Grenouilles, un grand crus de Chablis. J’appelais pour avoir plus de renseignements et la personne au bout du fil fut très aimable. De plus, le frère de Vincent avait fait les vendanges dans ce domaine il y a quelques années et il en gardait de très bons souvenirs donc j’optais pour ce choix-là. Mon inscription fut très rapide et ils acceptèrent que je fasse seulement quatre jours sur les sept initialement prévus à cheval sur deux semaines. De toute façon, il n’y aurait pas de fête de fin de vendanges organisée par le domaine, la « peulée » (appelée également « paulée » dans d’autres régions) qui est un grand repas arrosé de vins pour célébrer la fin des vendanges mais, apparemment, ce type de tradition se perd ou alors il faut choisir un domaine plus familial. D’ailleurs, je vous recommande le film de Cédric Klapisch « Ce qui nous lie » qui raconte une belle histoire de famille autour de la vigne en Bourgogne.

Rencontre avec mon hôte et découverte des vendanges

Donc, je fus de retour sur les routes avec ma fidèle moto en direction du village Dannemoine où je rejoignis le père de Vincent qui allait m’héberger pendant les vendanges. Monsieur Morin m’accueillit chaleureusement autour d’un bon apéritif avec du crémant de Bourgogne et des Gougères, ce sont des sortes de gros choux à la crème mais salés, avec du Comté gratiné dessus : c’est excellent ! J’interrogeai mon hôte sur la recette de ces fameuses Gougères qui sont une spécialité locale et il me livra tous les détails avec passion, c’est tout un art et toute une histoire la cuisine française. Il y a de nombreux détails qui font la différence pour la préparation et la cuisson de chaque ingrédient, la chronologie des étapes à suivre, c’est passionnant même si je concède que, lorsque je suis aux fourneaux, j’ai parfois une patience limitée pour suivre à la lettre toutes les indications, préférant parfois me fier à mon instinct et à mon inspiration du moment suivant ce qu’il me reste à disposition.

Après un bon repas où le père de Vincent me raconta l’histoire de sa famille entremêlée à celle de la Bourgogne, je partis me coucher tôt car le rendez-vous pour le premier jour des vendanges était à 7h30 et j’avais une vingtaine de minutes de route à moto. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas levé aussi tôt pour aller travailler !

Au réveil, il faisait encore sombre, je partis un peu en avance pour bien repérer les lieux. On m’accueillit au domaine du Château Grenouilles en me proposant un café et un gâteau. Mon contrat de travail était déjà prêt, je n’avais plus qu’à signer la feuille d’émargement. Nous étions environ trente vendangeurs, un peu moins que les années précédentes apparemment car la main d’œuvre est plus difficile à trouver en ce moment.

Notre groupe était répartit en cinq équipes de cinq cueilleurs avec un sceau et un sécateur chacun et cinq porteurs avec leur hotte sur le dos. Les porteurs étaient rémunérés un peu plus que les cueilleurs car c’est un travail jugé plus physique (14€ de l’heure versus 12 € pour les cueilleurs) même si l’activité de cueilleur implique des postures qui ne sont pas non plus agréables pour le corps en courbant le dos et en fléchissant les jambes constamment. Il y avait également deux superviseurs qui nous donnaient des instructions, contrôlaient la qualité de notre travail et participaient de temps en temps à la cueillette quand c’était nécessaire. De plus, un agriculteur se chargeait de conduire le tracteur avec une remorque qui supportait la benne dans laquelle les porteurs vidaient leurs hottes remplies de grappes de raisins. Lorsque la benne était pleine, le conducteur la ramenait avec le tracteur au bâtiment du domaine où elle était vidée sur un tapis afin de retirer à la main les feuilles et les raisins malades, le reste étant broyé pour en retirer le précieux jus qui serait stocké dans des cuves ou dans des fûts de chênes pour les meilleurs vins en suivant des procédés que je ne connais pas dans les détails.

J’appris le terme de « treille » qui désigne une rangée de vignes. Nous avions de la chance avec la météo car la canicule était passée et il faisait relativement bon dans la matinée mais, lorsque le soleil était haut en début d’après-midi, on transpirait à grosses gouttes. Allez, il fallait s’y mettre, on arrachait quelques feuilles de vignes afin de pouvoir mieux couper les grappes avec le sécateur puis on les déposait dans notre sceau et on remontait la « treille » progressivement en tâchant de ne pas oublier de grappes car c’est du grand cru, ce serait dommage d’en gâcher ! Chaque cueilleur était généralement assigné à une treille et, lorsqu’il avait fini, il allait aider ceux qui n’avaient pas terminé avant de passer à une autre rangée de vignes. On se rendait aux parcelles à pied car elles n’étaient pas très éloignées, certaines étaient légèrement en hauteur sur les côteaux, offrant une jolie vue sur la plaine de la ville de Chablis avec son beau clocher d’église qui se dresse au centre. Il y a huit hectares en tout sur le domaine du Château Grenouilles, principalement sur les côteaux face à Chablis, orientés sud. Les vendanges pour les grands crus se font obligatoirement à la main pour préserver la qualité du raisin tandis que les autres vignobles, qui représente la majorité, utilisent des machines.

Le début des vendanges

Nous eûmes rapidement nos premiers blessés dans notre groupe mais heureusement rien de grave, c’étaient de légères coupures au doigt avec le sécateur, généralement on mettait un pansement et cela cicatriserait rapidement. Mes mains se noircissaient petit à petit au contact des vignes et mes bras, ainsi que mes jambes, se couvraient de petites boules qui s’accrochaient à mes poils. En retirant des feuilles, on découvrait parfois des araignées ou des lézards tout surpris de notre remue-ménage. En simple amateur, je trouvais que les raisins étaient globalement en bon état même si certains semblaient atteints de maladies ou trop mûrs, on les prenait quand même et le tri serait fait plus tard sur le tapis par des employés qualifiés. Je cherchais constamment une posture la plus confortable possible, m’asseyant par terre quand il y avait beaucoup de grappes à proximité pour reposer mon dos. A certains endroits, il y avait de belles et grosses grappes de raisins faciles d’accès dont il suffisait simplement de couper l’extrémité pour qu’elles tombent directement dans le sceau mais, parfois, il fallait fouiller scrupuleusement et se contorsionner pour récupérer quelques grappes minuscules coincées entre les pieds de vignes et les fils de fer. Certaines portions de treilles n’avaient même pas de raisins, le terrain étant trop accidenté et remplis de cailloux, il faudrait arracher les pieds de vigne et en replanter plus tard pour la prochaine saison. Mais, au global, la récolte semblait plutôt bonne cette année, comme l’année précédente, avec un total d’environ cinq tonnes pour la première journée.

Les profils des vendangeurs que j’ai rencontrés

Il y avait de tous les âges dans notre groupe de vendangeurs, de 18 à … 64 ans ! Oui, oui, Michel était à la retraite après avoir vendu son bistrot alors qu’il travaillait depuis tout jeune mais il faisait quand même les vendanges pour, comme il dit, « mettre du beurre dans les épinards » car une journée de vendanges « cela permet de remplir un Caddie chez Leclerc ». Il y avait d’autres vendangeurs qui avaient également bien passé la cinquantaine et ils n’étaient pas les moins efficaces au travail.

Environ deux tiers des vendangeurs avaient entre 18 et 40 ans, il n’y avait pas de nationalités étrangères dans notre équipe mais on pouvait voir dans les vignes alentours d’autres profils de travailleurs aux conditions qui semblaient plus précaires, faisant parfois de plus longues journées de travail que nous et certains étant rémunérés au poids des récoltes plutôt qu’à l’heure. Nous avions rencontré notamment une famille entière de gens du voyage d’une bonne cinquantaine de personnes avec les jeunes enfants qui regardaient leurs cousins, oncles, tantes et parents qui faisaient les vendanges sous la supervision de quelques ouvriers du domaine.

Je fis progressivement connaissance avec mes camarades de vendanges aux profils variés : les plus jeunes étaient généralement encore dans les études alors que les plus âgés avaient souvent une autre activité mais qui ne représentaient pas un temps plein ou qu’ils ne faisaient pas toute l’année.

Kevin était cuisinier saisonnier se déplaçant avec son van et son chien dans différentes régions suivant les opportunités, son corps était couvert de tatouages, il avait une barbe bien taillée et les cheveux dressés vers le haut tandis que les côtés étaient rasés de près, un vrai look de musicien de rock punk, il était très sympathique. Mikaël était technico-commercial en congé sabbatique, il ne se ménageait pas pour porter la hotte entre les treilles tout en coupant des grappes avec son sécateur pour aider les cueilleurs, belle solidarité.

Charlotte avait eu une carrière d’acrobate équestre dans des spectacles de cirques puis elle s’était reconvertie en tant que monitrice d’équitation, artiste équestre et elle s’occupait également des chevaux quand leurs maitres n’étaient pas là. Elle avait l’habitude des vendanges, ayant vécu longtemps en Champagne donc elle était très efficace à la cueillette tout en diffusant de la musique avec son enceinte portable pour motiver le groupe. Charlotte avait de la gouaille avec une voix un peu enrouée mais qui portait, elle mettait de la bonne humeur dans le groupe en chambrant gentiment ses camarades à proximité.

Bonne ambiance de groupe

L’ambiance dans notre groupe était bonne, on pouvait se parler tout en travaillant, plaisanter, il y avait quelques grandes gueules qui aimaient bien plaisanter, c’était sympa, une ambiance bon enfant. J’appréciais beaucoup cet environnement de travail en équipe et en plein air, il y avait une vraie convivialité entre nous sans que cela soit au détriment de la qualité de notre travail, cela renforçait même notre motivation, nous étions prêts à nous entraider quand il le fallait. Bien entendu, il y avait quelques tire-au-flanc mais la plupart ne revenaient pas après une ou deux journées de travail et ils étaient généralement gentiment rappelés à l’ordre par les superviseurs ou même par leurs camarades de vendanges car c’est une activité collective.

Quand nous vendangions près de la route, certains touristes s’arrêtaient pour nous prendre en photo ou des vendangeurs d’autres domaines nous klaxonnaient en nous faisant un salut amical de la main auquel nous répondions d’une joyeuse exclamation en levant le bras quand nous en avions l’envie, j’avais l’agréable sensation de me sentir faire partie d’un groupe qui pratiquait une activité utile et reconnue par les gens du coin et au-delà.

Je fus très surpris de voir autant de vendangeurs fumer comme des pompiers quel que soit leur âge, ils faisaient la cueillette ou portaient la hotte tout en ayant la clope au bec pendant plusieurs heures d’affilée. Visiblement, cela les aidaient à passer le temps et puis c’est difficile à arrêter quand on en a pris l’habitude.

Des horaires matinaux pour éviter les fortes chaleurs

Les premiers jours, nous commencions les vendanges à 8h puis nous faisions une pause déjeuner à midi pour reprendre à 13h jusqu’à 16h. Ensuite, avec le retour des fortes chaleurs, nous commencions trente minutes puis une heure plus tôt avec une courte pause vers 11h pour manger rapidement des sandwichs puis reprendre les vendanges jusqu’à 14h.

Sur la route qui me menait aux vendanges à l’heure des aurores, j’assistais à de magnifiques levers de soleil illuminant progressivement les vignes. C’était magnifique et apaisant, loin du tumulte et du vacarme de la région parisienne.

Prise de conscience du coût de la vie avec un SMIC

Pour être franc, je ne faisais pas ce travail pour gagner de l’argent, ayant eu la chance et l’opportunité d’avoir précédemment un travail bien payé qui m’a permis de mettre de côté pour un temps, mais plutôt par curiosité pour cette activité et les gens qui la font, pour la grande majorité d’entre eux, par nécessité. Le fait d’être payé au smic avec une majoration de 10% pour les congés soit 12€ de l’heure me permettait de prendre davantage conscience du coût de la vie quand on a cette paie. Désormais, je convertissais mes dépenses de la vie de tous les jours en nombre d’heures de travail : le péage pour Paris, une heure de travail, un plein d’essence à moto, deux heures trente de travail, une caisse de bons vins de Chablis en souvenirs, deux journées de travail. Dans ce cas, les économies partent rapidement et en plus j’avais la chance pendant ce séjour d’être nourri et logé sur place sinon cela ne serait pas intéressant financièrement à moins de camper.

Voilà, c’est la fin de mon récit sur ma découverte des vendanges, j’espère que cela vous a intéressé et n’hésitez pas à en faire l’expérience par vous-même dans l’une des nombreuses régions viticoles de notre beau pays !

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Hugues B.