Dans cette troisième et dernière partie du portrait de mon ami du lycée, Bertrand Servary, président fondateur de la société de partage de fichiers en ligne NetExplorer, Bertrand nous partage ses idées et sa vision sur les études, la souveraineté numérique, l’empreinte carbone, l’équilibre entre vies pro et perso ainsi que ses conseils pour se lancer dans l’aventure de l’entreprenariat.
Réflexions personnelles sur l’environnement extérieur
« Le fait d’avoir essuyé des échecs et des refus dans mes études puis dans ma vie professionnelle m’a beaucoup aidé à me remettre en question en prenant conscience de mes limites et à faire les efforts nécessaires pour devenir meilleur. »
Aurais-tu des suggestions d’innovations éducatives sur la base de ton expérience personnelle ?
Selon moi, il faudrait au maximum alterner entre la théorie et la pratique.
Lorsque j’étais étudiant, il m’était difficile d’apprendre des concepts théoriques sans les appliquer, j’avais besoin de les mettre en pratique pour mieux les comprendre. Je ne conteste absolument pas la nécessité d’acquérir des connaissances théoriques, mais ma motivation pour ces concepts parfois abstraits était plus faible à ce moment de ma vie car je n’en percevais pas l’utilité concrète.
L’avantage qu’offrent les stages ou l’alternance pendant les études supérieures, c’est de se confronter à la réalité de la vie active tout en apprenant la théorie pendant les cours. Ainsi, dans mon école d’informatique, on avait deux jours de stage et trois jours de cours par semaine: c’était très pratique pour assimiler les concepts théoriques tout en alternant avec la mise en pratique.
Un autre point très important selon moi est de confronter au plus tôt les jeunes à la réalité du monde du travail. Personnellement, le fait d’avoir essuyé des échecs et des refus dans mes études puis dans ma vie professionnelle m’a beaucoup aidé à me remettre en question en prenant conscience de mes limites et à faire les efforts nécessaires pour devenir meilleur.
Il faut également arrêter de stigmatiser les personnes sur la base de leur niveau d’étude: un bac + 5 n’est pas toujours synonyme de grandes compétences et, inversement, un bac + 2 dans un domaine pertinent et qui est motivé peut s’avérer être un très bon profil.
Par exemple, dans mon entreprise, j’ai certains collaborateurs de niveau bac + 2 qui sont très performants et qui sont parvenus au fil de leur carrière à un bon niveau de salaire. Il ne faut pas se focaliser sur les diplômes. Au contraire, il faut favoriser les filières professionnalisantes qui alternent la théorie et la pratique.
« Nous avons un vrai problème sur le numérique en Europe car on ne fait pas de protectionnisme, notre marché européen est complètement ouvert alors que les autres marchés extra-européens, notamment américains, ne le sont pas. »
Est-ce que tu souhaiterais des évolutions législatives en France ou en Europe notamment concernant la souveraineté numérique ?
Pour ma part, j’aimerais que l’on sorte de la logique du tout législatif pour résoudre des problèmes afin de faciliter aux entreprises françaises et européennes l’accès à de nouvelles parts de marché. Autrement, on ajoute des complexités administratives sans pour autant être capables d’apporter de réelles solutions.
Nous avons un vrai problème sur le numérique en Europe car on ne fait pas de protectionnisme, notre marché européen est complètement ouvert alors que les autres marchés extra-européens, notamment américains, ne le sont pas. Ainsi, les entreprises françaises et européennes ne jouent pas à armes égales sur le marché européen vis-à-vis des entreprises extra européennes.
L’hégémonie des solutions américaines est d’une telle ampleur que cela ne nous surprend pas que les données de la ville de Paris soient hébergées par Microsoft alors que ce serait très étonnant que la ville de New York fasse appel aux services d’une entreprise française.
Pour contrer ce problème, l’Etat français promulgue des lois à tout va, dans le but de favoriser les entreprises françaises pour retrouver une certaine forme de souveraineté mais il se retrouve confronté à la fois aux règles de libre-échange de l’Union européenne ainsi qu’au protectionnisme américain avec un rapport de force qui nous est largement défavorable. Par exemple, lorsque le gouvernement français a dû renoncer à la taxe sur les GAFAM (les grandes entreprises américaines du numérique) en raison des menaces de taxation plus fortes des produits français aux États-Unis.
Au final, on ajoute des contraintes réglementaires en France aux entreprises françaises qui les rendent moins compétitives auprès des clients français, sans que cela ne s’applique réellement aux entreprises étrangères.
Je suis plutôt favorable à une réelle libre concurrence où chaque entreprise a ses chances de l’emporter si son offre de produit répond aux besoins des clients.
Par exemple, plutôt que de laisser une organisation publique lancer un appel d’offre s’intitulant « aide à l’acquisition de licences Microsoft 365 » qui n’accorde aux entreprises françaises qu’un rôle de distributeurs de solutions de grandes sociétés américaines, il faudrait une annonce plus large qui soit ouverte à tous les logiciels similaires disponibles sur le marché, notamment français.
Enfin, est-ce que l’Etat français et les différents acteurs publics tiennent comptent du retour sur investissement global avec le choix d’entreprises françaises ?
Notre tarif NetExplorer est plus élevé que celui proposé par Microsoft, mais nous employons des salariés en France, nos installations sont en France, nous payons des salaires, des taxes et des impôts en France, donc cela devrait être pris en considération dans le calcul de rentabilité des solutions pour l’Etat français.
Si le sujet intéresse les lecteurs, ils pourront trouver des articles plus détaillés publiés sur notre site NetExplorer et ainsi que sur ce lien ci-dessous.
Et si les GAFAM devenaient souverains ?
« (…) lorsqu’un fichier est envoyé en pièce jointe à une dizaine de destinataires, ce fichier est alors dupliqué et stocké en autant de fois que du nombre de destinataires tandis que la solution NetExplorer permet d’avoir un seul fichier de référence disponible sur le réseau pour tous les utilisateurs qui ont reçu l’accès. »
Le sujet de l’empreinte carbone des entreprises progresse dans le débat public, quels sont vos leviers d’action chez NetExplorer afin de réduire la vôtre ?
L’aspect « green IT » fait partie de notre stratégie et nos entreprises clientes y sont de plus en plus attentives en nous demandant notamment quelle est notre politique RSE. Ainsi, nous avons l’objectif d’être certifié avec le label « NR » (Numérique Responsable) et notre responsable qualité suit une formation en ce sens.
En ce qui concerne la diminution des GES (Gaz à Effets de Serre), il y a plusieurs axes d’amélioration. Concernant le stockage de données qui utilisent des ressources en matériaux et en énergie, nous allons accompagner les entreprises afin de mieux gérer leurs fichiers en faisant régulièrement le tri pour retirer les données dont ils n’ont plus besoin, celles qui sont périmées ou qui doivent être supprimées de par les contraintes réglementaires.
NetExplorer permet également de réduire la consommation de ces ressources physiques et énergétiques en remplaçant l’envoi par mail de fichiers lourds en pièces jointes par un simple lien d’accès.
En effet, lorsqu’un fichier est envoyé en pièce jointe à une dizaine de destinataires, ce fichier est alors dupliqué et stocké en autant de fois que du nombre de destinataires tandis que la solution NetExplorer permet d’avoir un seul fichier de référence disponible sur le réseau pour tous les utilisateurs qui ont reçu l’accès.
Enfin, nos data centers sont alimentés à 50% par de l’énergie bas carbone et l’objectif est d’atteindre 100% d’ici 2030.
Éléments personnels
Quelles sont tes plus grandes satisfactions et fiertés en tant qu’entrepreneur ?
Ma première grande fierté en tant qu’entrepreneur fut l’acquisition de mes premiers locaux puis, l’embauche de mon premier collaborateur. Ces deux événements furent les premiers marqueurs concrets de l’existence de mon entreprise en tant que telle. Aujourd’hui, je suis fier de voir que NetExplorer continue de grandir, et que de plus en plus de personnes adhèrent au projet.
J’ai également du plaisir à rencontrer des clients ou des utilisateurs satisfaits du service lors de salons professionnels, c’est toujours un moment fort pour moi et une fierté de constater que je rends un service utile, que j’apporte ma pierre à l’édifice dans notre société.
Un autre motif de satisfaction est tout récent, il s’agit de l’achat de nouveaux locaux au cœur de Toulouse, la Ville Rose, qui est chère à mon cœur et où j’ai passé la moitié de ma vie. Cela représente quelque chose d’important pour moi.
C’est tout cela qui m’anime, me fait vibrer et qui est source de ma motivation.
« Lorsque je travaille, je ne trouve pas le temps de faire de pauses car j’ai énormément d’échanges avec mes collaborateurs ou de décisions à prendre sur beaucoup de sujets variés donc j’ai décidé de faire une réelle coupure dans la semaine, tous les mercredis après-midi. «
Quels sont tes centres d’intérêts en dehors du travail et comment fais-tu pour conserver un bon équilibre entre ta vie professionnelle et ta vie personnelle ?
C’est très important dans mon activité de garder un bon équilibre entre vie pro et vie perso, je suis très vigilant à ne pas me faire envahir par le travail.
Le sport est l’une de mes passions et me fait un bien fou, notamment depuis que j’ai décidé il y a deux ans que je ne travaillerai plus le mercredi après-midi pour pouvoir m’y consacrer plus régulièrement.
En effet, je me suis rendu compte que je n’étais pas capable de me limiter une fois que j’étais au travail. Que je commence tôt ou tard le matin, dans tous les cas je fini très tard le soir et j’ai du mal à déconnecter complètement en rentrant. Il y a quelques années, j’ai réalisé que je commençais à saturer et à devenir moins performant, cela n’avait aucun intérêt.
Lorsque je travaille, je ne trouve pas le temps de faire de pauses car j’ai énormément d’échanges avec mes collaborateurs ou de décisions à prendre sur beaucoup de sujets variés donc j’ai décidé de faire une réelle coupure dans la semaine, tous les mercredis après-midi.
Ce nouvel emploi du temps m’a permis de me forcer à faire une pause en milieu de semaine pour consacrer mon temps à d’autres activités afin d’être plus performant de retour au travail. Je commence d’abord par une sieste, puis je fais du sport! Notamment du vélo et de la course à pied. Ces efforts mobilisent mon attention afin de ne plus penser à mes responsabilités et évacuer le stress accumulé dans la semaine.
J’aime aussi beaucoup la cuisine, c’est une activité manuelle tout comme le bricolage, qui équilibre avec l’aspect très intellectuel de mon travail. J’ai besoin de pratiquer une activité physique qui me manque au travail donc je n’apprécie pas forcément les activités « passives » comme la lecture ou même regarder un film car j’ai la sensation de m’ennuyer ou de perdre mon temps, j’ai besoin d’action.
Ouverture sur la suite et conseils
« (…) nous sommes en train de resegmenter notre solution en sous-produits. Pour le moment, nous en voyons deux principaux : l’un pour le partage de fichiers avec des utilisateurs externes, l’autre pour la collaboration entre utilisateurs internes. »
Quelle est ta vision pour l’avenir de NetExplorer ? Dans l’un de tes derniers articles, tu invites les entreprises françaises de ton secteur à garder une expertise locale tout en s’ouvrant à l’international, peux-tu nous en dire plus ?
La notion d’expertise locale qui s’ouvre à l’international, cela signifie pour moi de se conformer aux normes spécifiques du marché français tout en étant capable de s’ouvrir aux défis posés par d’autres pays dans le monde: de ne pas concentrer son développement uniquement sur le marché national.
Avoir une ambition internationale pour notre entreprise, cela permet de voir plus grand, en partant du principe que si des entreprises françaises nous font confiance, alors il y a des chances que ce soit le cas pour des entreprises étrangères.
Ainsi, nous réfléchissons à notre développement international, sur les moyens à employer et de quelle manière (vente en direct ou indirecte). Pour le moment, nous visons le marché européen car c’est plus proche géographiquement et l’écosystème est assez similaire à la France, nous réfléchissons à certains pays mais ce n’est pas encore défini.
Même si la majorité de nos clients sont actuellement basés en France et sont francophones, notre solution NetExplorer est déjà traduite en sept langues. Nous essayons de générer de la valeur pour notre produit, au-delà de la souveraineté numérique qui a du sens en France mais moins à l’étranger, où nous insisterons probablement davantage sur l’aspect fonctionnel.
Nous sommes également en train d’opérer un changement structurel: nous souhaitons sortir de notre offre mono-produit (toutes les fonctionnalités sont incluses, avec seulement quelques options supplémentaires) pour aller vers une offre multi produits.
En effet, on se rend compte que certains de nos clients ont du mal à identifier tout ce dont notre solution est capable de faire, souvent parce qu’ils n’en ont pas besoin ! De la même manière, des clients potentiels se passeraient bien de certaines de nos fonctionnalités pour un tarif plus avantageux.
Ainsi, nous sommes en train de resegmenter notre solution en sous-produits. Pour le moment, nous en voyons deux principaux : l’un pour le partage de fichiers avec des utilisateurs externes, l’autre pour la collaboration entre utilisateurs internes.
D’un point de vue stratégique, nous évitons de nous disperser dans le développement d’autres outils comme de la messagerie ou des appels en visio car cela rendrait plus complexe notre solution et notre organisation. Je préfère que l’on continue d’être très performants dans nos domaines d’expertise plutôt que de tenter de développer des activités qui ne sont pas notre cœur de métier et que des entreprises font déjà très bien. Je préfère que nous soyons excellents sur peu de sujets plutôt que moyens dans plusieurs.
En ce qui concerne les objectifs de développement de NetExplorer, nous sommes sur un marché où nous sommes obligés de croître pour apporter de nouvelles fonctionnalités et un meilleur service. Ainsi, nous devrions atteindre des effectifs d’une cinquantaine de salariés d’ici trois à quatre ans.
Quels sont les critères selon toi pour se lancer dans l’entreprenariat ?
Il faut avant tout de la motivation, de la détermination ainsi que du temps car ce type d’aventure demande beaucoup de ces trois composantes. Il me semble important également d’avoir une vision et des idées, de fixer un cap, d’être créatif pour identifier des opportunités et les accomplir.
Lors d’une récente formation avec mes managers, on a fait un test de personnalité qui a mis en avant ma capacité à avoir une certaine « originalité de pensée », c’est-à-dire d’être capable de penser en dehors du cadre établi, et ça c’est important pour un entrepreneur! C’est cette capacité à “voir plus loin” qui permet de créer une entreprise, avec un collectif, pour offrir un service ou un produit à des clients.
« Il faut constamment se poser la question de comment déléguer des tâches que l’on effectue afin de se concentrer sur la stratégie et réfléchir à de nouvelles idées. »
Est-ce que tu as des conseils pour les personnes qui hésitent à se lancer dans une initiative similaire ?
N’hésitez pas à vous lancer dans l’entreprenariat, sauf si c’est pour créer un concurrent à NetExplorer !
Plus sérieusement, j’aurais deux conseils clés pour de futurs entrepreneurs sur la base de mon expérience personnelle.
Mon premier conseil, c’est de ne pas négliger l’aspect marketing, communication et ventes. En France, nous avons une culture très orientée sur la technique, qui passe souvent avant le marketing et les ventes, à l’inverse des sociétés américaines qui misent énormément sur ces domaines. Elles se développent fortement grâce à cela sans pour autant avoir les meilleures solutions techniques.
Dans notre pays, nous avons tendance à nous concentrer sur les fonctionnalités techniques en pensant que ce sera suffisant pour convaincre les clients alors que les américains sont très bons pour mettre en valeur leurs produits, les rendre visibles et désirables pour les vendre. Par exemple, WeTransfer est un outil assez simple techniquement mais, au niveau du marketing et de la publicité, ils sont très forts et cela leur a permis d’exploser sur le marché.
Mon deuxième conseil, c’est de déléguer au maximum car le risque pour un entrepreneur ou même un manager d’équipe c’est de se faire accaparer par les tâches opérationnelles et de ne plus prendre de recul pour piloter les équipes en donnant un cap.
Il faut constamment se poser la question de comment déléguer des tâches que l’on effectue afin de se concentrer sur la stratégie et réfléchir à de nouvelles idées, développer une vision pour anticiper les prochaines étapes plutôt que d’être dans la réaction.
Un bon indicateur pour savoir si ce conseil est suivi, c’est le temps passé au travail en comparaison des résultats obtenus, si tu es bien organisé et efficace, alors, selon moi, tu n’es pas sensé travailler soixante heures par semaine sauf évidemment si tu commences ton activité et que tu as tout à organiser mais cela ne peut pas être une situation durable sur le long terme.
Merci Bertrand pour tes conseils, ce seront les mots de la fin pour clôturer cette série de 3 articles en espérant qu’ils seront sources d’inspiration!