Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. […] J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires.

Prélude

Le récit commence par une rapide présentation du milieu familial dans lequel de Gaule fut éduqué avec une haute idée de la France qu’il a ensuite consolidée en s’orientant vers une carrière militaire dans laquelle il fut rapidement confronté au conflit meurtrier de la Grande Guerre en tant qu’officier. Blessé à plusieurs reprises dans la fureur des combats meurtriers, il fut fait prisonnier lors de la bataille de Verdun et resta en captivité plus de deux années malgré des tentatives d’évasion.

De retour au pays, le lieutenant De Gaulle continua sa carrière militaire où il gravit les échelons et accéda à des postes importants à l’Ecole de Guerre puis au ministère des armées qui lui permirent de développer ses théories militaires et d’acquérir une vision globale du fonctionnement de l’Etat et des armées. Ces promotions furent obtenues avec le soutien de son mentor, le maréchal Pétain, dont il était proche depuis son instruction militaire avant qu’il ne s’en éloigne à la fin des années trente en raison de leurs divergences de points de vue, en particulier concernant la stratégie militaire à adopter face à la menace allemande.

En effet, le désormais colonel De Gaulle avait l’intuition, qui s’avéra juste, que les nouvelles armes développées à la fin de la Première Guerre Mondiale, en particulier les chars, allaient profondément modifier l’ordre des batailles en privilégiant les mouvements rapides et tactiques à la guerre de positions statiques. De Gaulle prônait ainsi la massification des chars blindés dans des divisions spécifiques avec une armée de métier spécialisée, c’était en quelque sorte la cavalerie des temps modernes.

Mais l’état-major français vieillissant resta campé sur ses anciennes stratégies défensives qui firent leurs preuves dans le passé et les politiques approuvèrent ou n’osèrent pas les remettre en question sachant qu’il y avait une grande instabilité politique française dans les années trente, De Gaulle dénombre ainsi pas moins de quatorze changements de gouvernements entre 1932 et 1937 !

Le colonel De Gaulle avait pourtant publié ses théories militaires et il avait essayé de les diffuser le plus largement possible au grand public et dans la sphère politique mais ses supérieurs ne le soutenaient pas, imbus de leur prestige passé et incapables de remettre en cause leurs idées du passé à la lumière des technologies modernes. La France voulait à cette époque se protéger et ne plus jamais revivre l’hécatombe de la Grande Guerre en construisant l’immense ligne de fortification Maginot à l’est tandis que nos voisins allemands se réarmaient massivement après la prise du pouvoir par les nazis en optant pour une stratégie militaire offensive avec la formation de divisions de chars blindés qui seraient déterminantes dans le prochain conflit.

La Débâcle

L’offensive allemande sur le front franco-belge de mai 1940 avec la percée fulgurante de leurs chars dans les Ardennes donna malheureusement raison à de Gaulle. Ses supérieurs reconnurent finalement leurs erreurs face à la réalité et le promurent à la tête d’une division blindée disparate et assemblée à la hâte mais ce fut trop peu et trop tard.

Le colonel De Gaulle parvint néanmoins à stopper une avancée allemande et à mener des contres attaques victorieuses qui démontrèrent que l’armée allemande n’était pas invincible et que l’armée française n’était pas désuète ni démoralisée à condition que la stratégie militaire soit bonne. Mais ce ne furent malheureusement que de modestes points de résistance face à la submersion du pays par l’armée allemande qui provoqua la panique générale dans la population.

Fort de ses résultats encourageants sur le champ de bataille, De Gaulle fut promu au grade de général et entra au gouvernement en tant que conseiller militaire du président du conseil des ministres, Paul Reynaud. Le général De Gaulle nous décrit alors le sentiment de défaitisme qui régnait au sein de l’état-major français et des hauts responsables politiques français, subissant les évènements au lieu de prendre des initiatives énergiques en assumant les conséquences graves mais nécessaires pour défendre le pays.
De Gaule prôna l’embarquement du gouvernement et du gros des troupes grâce à sa marine préservée pour rejoindre les colonies d’Afrique du Nord afin de continuer la guerre. Comme pour ses théories militaires, le Général eut l’esprit visionnaire d’anticiper que cette guerre n’était pas perdue car elle deviendrait mondiale et les colonies françaises pouvaient permettre de résister à l’Allemagne en attendant le renfort du camp des Alliés puis leur servir ensuite de bases à la reconquête des territoires perdus.
Le Général tenta de convaincre par tous les moyens les hauts responsables politiques et militaires français de ne pas abandonner la lutte mais ce fut en vain.

Alors, il dû se résoudre à rejoindre l’Angleterre quasiment seul d’où il lança à la radio de la BBC son célèbre appel du 18 juin 1940, deux jours après la prise du pouvoir par Pétain et quatre jours avant l’Armistice entre la France et l’Allemagne.

Cependant, très peu de français suivirent son appel et on peut s’interroger sur les raisons : pourquoi aucun haut responsable politique ou militaire français n’a défendu, comme lui, la continuation du combat depuis les colonies et a accepté si rapidement la défaite ? Effectivement, la percée des armées allemandes avait été foudroyante et il aurait probablement fallu se résoudre à perdre la Métropole après de lourdes pertes alors que la France était toujours traumatisée par la Grande Guerre qui s’était déroulée sur son sol pendant quatre longues années et pendant laquelle plus d’un million et demi de soldats français périrent ou d’innombrables furent marqués à vie sans compter les dégâts matériels.

Par ailleurs, il est à noter qu’au mois de juin 1940, la France se battait quasiment seule contre l’armée allemande : en effet, les armées anglaises avaient rembarqué depuis Dunkerque et Churchill hésitait à engager de nouvelles forces qui lui seraient vitales dans la bataille d’Angleterre à venir au vu des difficultés sur le front français, l’Union Soviétique avait signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne nazie, les américains s’abstenaient de participer activement au conflit en se bornant à vendre du matériel aux Alliés et tous les autres pays d’Europe étaient neutralisés.

Dans ce contexte, beaucoup de personnes en France souhaitaient donc la paix, à tout prix. Les partisans du maréchal Pétain prétendaient que c’était la seule manière de protéger la France et de lui permettre de se renforcer avant de prendre sa revanche sur l’Allemagne. Difficile de savoir ce que chacun d’entre nous aurait fait dans ce contexte.

Frise chronologique des évènements militaires de 1940 à 1942

Reconstruction

Commença alors pour le Général De Gaulle une longue et pénible épreuve de reconstruction de la France hors des cadres connus avec des moyens initiaux très limités mais il fit preuve d’une grande ténacité pour garder le cap qu’il s’était fixé de la restauration de l’honneur de la France malgré les tempêtes et les naufrages. Ce serait une lutte acharnée et incessante contre les forces de l’Axe et le régime de Vichy mais aussi, parfois, contre des alliés pas complètement désintéressés de tirer profit de la défaite française.

En effet, bien que les anglais mirent à la disposition de la France Libre du Général de Gaulle des locaux, des heures d’antennes à la BBC et le reconnurent comme leur chef légitime, ils ne facilitèrent pas pour autant son accès aux militaires français qui étaient basés en Angleterre après l’évacuation de Dunkerque alors qu’il souhaitait les convaincre de continuer le combat. La priorité des britanniques à ce moment était de se préparer à la Bataille d’Angleterre et ils considéraient alors le régime de Vichy comme le gouvernement officiel de la France ayant seule autorité sur son armée.

De Gaulle ne fut pas non plus consulté pour définir la stratégie militaire et notamment l’attaque surprise de la marine française par la marine anglaise à Mers El Kébir au large d’Oran, le 3 juillet 1940, qui engendra la mort de 1300 marins français et détourna probablement un nombre conséquent de français encore hésitants à s’engager. Le régime de Vichy se servit de cet évènement pour sa propagande et de Gaulle ne comptabilisa en tout que 7000 militaires français dans les rangs de la France libre à l’été 1940.

Bien que très peiné par le drame de Mers El Kébir, le Général ne perdit pas de vue pour autant les enjeux globaux et ses objectifs finaux qui tendaient à maintenir l’alliance avec l’Angleterre face au véritable ennemie de la France : l’Allemagne nazie. Ainsi, il condamna publiquement la forme déloyale de cet acte tout en admettant que l’Angleterre pouvait avoir des craintes légitimes à ce que la flotte française passe entre les mains de ses ennemis en raison de l’attitude conciliante de Vichy et alors que Hitler préparait un plan d’invasion de la Grande Bretagne.

C’est d’ailleurs à peine une semaine plus tard que commença la Bataille d’Angleterre pendant laquelle de Gaulle observa avec admiration la cohésion et l’abnégation du peuple britannique dans cette épreuve qu’ils remportèrent vaillamment après de longs mois de combats principalement aériens.

En anticipation des risques de désaccords avec ses alliés à cause d’intérêts parfois divergents, de Gaulle négocia un accord avec les britanniques dans lequel il insista pour que les territoires vichistes qui seraient reconquis soient administrés par la France Libre dans les frontières existantes, que le matériel militaire français lui soit transféré et que les éventuels crédits contractés par la France Libre auprès des Alliés soient intégralement remboursés dès que la France Libre en aurait les moyens afin d’assurer son indépendance (ce qui fut fait pendant le conflit). Enfin, étant donné le rapport de force largement en faveur des britanniques, il fut entendu que ces derniers dirigeraient les opérations militaires de grandes envergures auxquelles participeraient les unités françaises libres mais le commandement de ces forces armées relèverait en dernier ressort du Général de Gaulle.

Malgré cet accord, il apparaissait crucial pour la France Libre du Général de reconquérir rapidement des territoires français afin de renforcer sa légitimité, accroître ses forces et garantir son indépendance vis-à-vis des Alliés. Les colonies de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) représentaient alors une opportunité car les forces vichistes y étaient en nombre limité et la population semblait favorable aux idées gaullistes.

Reconquêtes et extension du conflit

Ainsi, en août 1940, le colonel Leclerc débarqua avec une poignée d’hommes au Cameroun où il parvint à convaincre les responsables vichistes de les rejoindre puis ils rallièrent le Congo et enfin le Tchad grâce au gouverneur français de ce territoire, Felix Eboué, qui fut le premier officiel français à rejoindre la France libre et permit ainsi de légitimer le pouvoir gaullien : gloire à lui !

Ensuite, une tentative de rallier le Sénégal à la France Libre eut lieu en septembre 1940 avec le blocus de Dakar par la marine anglaise et l’envoie d’émissaires gaullistes pour convaincre les autorités locales mais ces derniers refusèrent les pourparlers et défendirent leur territoire vigoureusement. Les alliés durent cesser le siège et il faudrait attendre l’année 1942 pour que le Sénégal rejoigne enfin la France Libre après le débarquement des Alliés en Afrique du nord tout comme d’autres territoires importants de l’empire français tels que Djibouti et Madagascar.

De Gaulle fut très affecté par cet échec cuisant qui mit à mal sa légitimité de seul représentant de la France vis-à-vis des Alliés et empêcha d’agrandir considérablement les effectifs et les moyens de la France Libre. Cette dernière prit tout de même le contrôle du Gabon en octobre 1940 mais la portée de cette conquête était plus modeste.

Après leur échec de l’invasion de l’Angleterre, les allemands se tournèrent vers l’est en l’année 1941 en chassant les britanniques de la Grèce et en tentant de soulever l’Irak contre le mandat britannique puis ils obtinrent l’autorisation de Vichy pour faire transiter leurs troupes à travers la Syrie sous mandat français afin de pouvoir lancer une offensive vers l’Egypte. L’objectif principal des forces d’Axe étant de prendre le contrôle du canal de Suez qui était crucial pour le ravitaillement des Alliés entre l’Asie et l’Europe.

Il était donc nécessaire pour ces derniers de réagir rapidement en envahissant la Syrie du 8 juin au 11 juillet 1941 avec un grand contingent constitué principalement de soldats australiens ainsi que de quelques milliers de français libres. Ce serait donc une bataille fratricide entre français gaullistes et vichistes que de Gaulle aurait préféré éviter mais il n’y avait pas le choix en raison de la menace allemande et le refus des vichistes de rejoindre le camp des Alliés.

Lorsque le territoire syrien fut conquis ainsi que le Liban, également sous mandat français, le Général se heurta aux britanniques qui tentèrent de remettre en cause les autorités françaises contrairement aux accords signés avec la France Libre. Le gros des troupes vichistes vaincues fut même autorisé à partir sans que les gaullistes aient la possibilité de les convaincre de rejoindre leur combat.

En représailles, De Gaulle menaça les britanniques de transférer ses troupes sur le front de l’est qui venait de s’ouvrir avec l’offensive allemande du 22 juin 1941. Malgré les crimes commis par son régime, l’Union Soviétique représentait désormais un allié de poids et même un contrepoids efficace pour défendre les intérêts de la France en utilisant avec pragmatisme les rapports de force entre les Alliés. De Gaulle obtint finalement gain de cause sur l’essentiel même si les britanniques continueraient leur travail de sape de l’influence française dans la région.

En plus de la Syrie et du Liban, vinrent s’ajouter dans la même période aux territoires de la France libre les îles du Pacifique qui acquirent rapidement une grande importance lorsque les américains entrèrent dans la guerre après l’attaque surprise des japonais sur la flotte américaine le 7 décembre 1941. De Gaulle proposa alors aux Alliés de leur mettre à disposition les infrastructures françaises situées dans des zones stratégiques en s’assurant du respect de l’indépendance des autorités françaises et en échange de matériel ainsi que de la participation de la France Libre aux batailles importantes des Alliés.

Carte des batailles d’Afrique et du Moyen Orient entre 1940 et 1942 (source: tome 1 des Mémoires de guerre)

L’espoir renaît

A l’été 1942, l’Afrika Korps du général Rommel et leurs alliés italiens se lancèrent à la conquête de l’Egypte depuis la Libye avec toujours comme objectif la prise de contrôle du canal de Suez. Ce fut alors enfin l’occasion pour les troupes de la France Libre de s’illustrer lors de la bataille de Bir Hakeim où quelques milliers de soldats issus de toutes les colonies françaises libérées résistèrent héroïquement pendant deux semaines aux assauts répétés des armées italiennes et allemandes largement supérieures en nombre et en équipements qui tentaient alors d’encercler l’armée des Alliés.

L’enjeu de cette bataille était immense pour la France Libre car l’essentiel de ses troupes étaient engagées et celles-ci se voyaient désormais menacées d’encerclement après leur résistance acharnée mais l’ordre d’évacuer fut enfin donnée et une grande partie de ses forces parvint à briser l’étau pour rejoindre l’armée britannique.

Pour les quelques centaines de soldats français libres qui furent faits prisonniers, la radio de Berlin diffusa un communiqué honteux indiquant qu’ils seraient exécutés car n’appartenant pas à une armée régulière. Alors, le général De Gaulle répliqua de manière implacable sur les antennes de la BBC : « Si l’armée allemande se déshonorait au point de tuer des soldats français faits prisonniers en combattant pour leur patrie, le général de Gaulle fait connaître qu’à son profond regret il se verrait obligé d’infliger le même sort aux prisonniers allemands tombés aux mains de ses troupes ». Le message fut entendu car, dans la même journée, la radio de Berlin communiqua le message suivant : « À propos des militaires français qui viennent d’être pris au cours des combats de Bir Hakeim, aucun malentendu n’est possible. Les soldats du général de Gaulle seront traités comme des soldats »

La résistance décisive des forces combattantes de la France Libre lors de la bataille de Bir Hakeim permit de démontrer son utilité auprès des Alliés car cette fixation des troupes italo-allemandes permit au gros des troupes britanniques de se replier en bon ordre afin de se préparer à la défense de l’Egypte où ils remporteraient une victoire décisive lors de la bataille d’El Alamein en octobre 1942.

Ainsi, comme le prédisait justement De Gaulle après la débâcle de 1940, la guerre était devenue désormais mondiale et le rapport de force s’était équilibré, les Alliés avaient résisté vaillamment aux offensives des forces de l’Axe et il était temps pour eux de contre attaquer en utilisant notamment les territoires de l’empire français. Le Général avait bien eu raison de ne pas s’avouer vaincu alors que la partie semblait perdue pour la majorité des responsables politiques et militaires français.

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Hugues B.