Author

Hugues B.

Expériences diverses

Association A Bras Ouverts (ABO)

Introduction : la découverte d’un nouveau monde

J’ai découvert l’association A Bras Ouverts (ABO, en prononçant chaque lettre) en 2012 par le biais d’amis rencontrés dans un groupe de jeunes catholiques à Paris alors que nous étions chacun à la recherche d’un moyen de nous engager de différentes manières pour venir en aide à ceux qui en avez besoin. Le principe de ABO est d’organiser des sorties le week-end à la campagne pour des jeunes porteurs de handicaps accompagnés par des bénévoles en logeant dans des maisons prêtées gracieusement par des particuliers.

J’avais déjà été impliqué dans des associations pendant mes études mais, à cette période de ma vie, je venais d’entrer dans la vie active avec un travail de cadre à plein temps et je n’étais pas certain de ma capacité d’engagement, qui plus est dans le monde du handicap que je connaissais peu, donc je décidais de commencer en participant à un week-end par trimestre pendant une année.

A l’issue de cette première expérience, on m’a proposé, à ma grande surprise, de prendre une responsabilité importante dans des circonstances que je vous décrirai plus en détails dans un autre chapitre et, après une longue réflexion, j’ai accepté. Cela a été le début d’une grande aventure de deux années très riches en rencontres, en émotions et en apprentissages divers.

A la fin de cette mission, j’ai participé à l’organisation de la grande fête des 30 ans d’ABO qui fut un évènement majeur et, en quelque sorte, le point d’orgue de mon engagement dans cette association. Ensuite, j’ai continué de participer à quelques week-ends en réduisant progressivement la fréquence puis, finalement, j’ai décidé de quitter ABO après environ cinq années d’engagement tout en me tenant régulièrement informé de son évolution par le biais d’amis encore impliqués.

Cette expérience fut pour moi comme la découverte d’un nouveau monde, elle m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur des aspects variés notamment le fonctionnement interne d’une association, de faire de très belles rencontres et de vivre collectivement des moments forts donc il m’a semblé intéressant et utile de vous la partager. Peut-être que cet article vous donnera envie d’y participer à votre tour ou de soutenir cette association ou tout simplement vous permettra de découvrir ce nouveau monde comme il l’a été pour moi et, éventuellement, vous en inspirer.

Bonne découverte !

Présentation de l’association

Missions et valeurs d’ABO : « être avec, faire avec »

A Bras Ouverts a été créée en 1986 par cinq jeunes hommes et femmes motivés pour venir en aide aux jeunes porteurs de handicaps et à leur famille en constatant qu’ils avaient peu de structures d’accueil adaptées et accessibles afin de sortir de leur quotidien et de s’épanouir.

Le déroulé d’un week-end ABO est assez simple : les jeunes sont accompagnés chacun par un bénévole dans un groupe constitué au maximum de sept binômes et ils partent ensemble en minibus de neuf places appelé « estafette » le samedi matin pour rentrer le dimanche en fin de journée. Le groupe fait tout ensemble à hauteur des capacités des uns et des autres : les courses au supermarché, les repas, les jeux et les dessins à la maison, les balades en extérieur, la boom dansante du samedi soir, la messe du dimanche matin puis le rangement et le nettoyage du logement avant de rentrer.

D’autres évènements sont également organisés par l’association auxquels les familles peuvent être conviées comme par exemples le rassemblement national annuel d’ABO, la fête d’anniversaire de la création d’ABO tous les cinq ans, la participation aux JMJ (Journées Mondiales de la Jeunesse, rassemblement international de jeunes catholiques) ainsi que certains pèlerinages.

L’une des plus importantes règles d’ABO qui résume selon moi son état d’esprit est « être avec, faire avec son jeune », c’est-à-dire de toujours faire en sorte d’inclure le jeune que l’on accompagne dans les activités et dans les discussions du groupe en s’adaptant à sa personnalité et à ses capacités. L’application de cette règle de vie est facilitée du fait que chaque jeune est accompagné par un bénévole, ce qui est un des grands avantages d’ABO, cela limite la capacité d’accueil mais elle augmente grandement la qualité de l’accompagnement.

Chez ABO, on part du principe que chaque jeune peut nous comprendre même s’il ne peut pas toujours parler ou s’exprimer de manière compréhensible donc on essaye au maximum de s’adresser directement à lui en posant des questions, en proposant des activités, on évite de parler de lui en sa présence à la troisième personne du singulier pour qu’il se sente considéré.

Alors, bien entendu, tout n’est pas parfait, on reste des humains parfois fatigués, à bout de patience mais on peut compter sur l’aide de l’ensemble du groupe pour nous seconder quand on finit par manquer de forces ou d’idées. C’est aussi le rôle du responsable du groupe pendant le week-end, appelé RA (Responsable d’Activités), d’être vigilant aux signes de faiblesses ou de lassitude afin de proposer au bénévole un coup de main ou de se changer les idées en aidant à la cuisine ou au rangement.

Une association d’inspiration chrétienne ouverte à tous

ABO est une association qui se dit d’inspiration chrétienne car celle-ci a joué un rôle déterminant dans l’engagement de ses membres fondateurs puis de celles et ceux qui les ont rejoints progressivement. Cette dimension chrétienne se manifeste pendant le week-end à travers un court temps de prière proposé le samedi soir aux bénévoles (non obligatoire) et la messe du dimanche matin à laquelle tout le groupe assiste. Par ailleurs, pour les bénévoles qui ont des responsabilités importantes ou qui souhaitent s’engager durablement dans l’association, il y a un groupe spécifique dénommé l’Assemblée Communautaire (l’Asscom) qui se retrouve régulièrement pour échanger et prier avec l’accompagnement d’un aumônier.

Toutefois, et comme son nom l’indique, ABO est une association ouverte à tous et il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour participer à un week-end en tant que bénévole, l’important est que chaque personne soit en phase avec les valeurs et les règles de l’association telles que le respect des jeunes et de leur handicap, la bienveillance, l’entraide et la protection des jeunes. Cette ouverture vaut également pour les familles qui peuvent être de toutes religions ou non croyantes.

Personnellement, je trouve que cela a du sens pour ABO d’exprimer sa foi car c’est un élément essentiel qui est à l’origine de l’engagement d’un grand nombre de ses bénévoles et du moment que ce soit fait de manière relativement discrète et mesurée tout en demeurant ouvert à tous en respectant les convictions de chacun. Ainsi, je tiens à préciser que le but d’ABO n’est pas de faire du prosélytisme, il nous arrivait fréquemment d’accueillir des jeunes porteurs de handicaps issus de familles non croyantes ou d’autres religions (islam notamment) sans chercher à les convertir tout comme pour les bénévoles.

Concernant la dimension sociale, A Bras Ouverts se veut accessible à tous les budgets en demandant aux familles une participation financière dont le montant d’une quinzaine d’euros est très en dessous des coûts réels qui sont eux-mêmes réduits grâce au bénévolat et aux prêts de maisons.

ABO est une association reconnue d’intérêt général qui est financée à 75% par des dons individuels (déduction possible des impôts), ensuite viennent la participation des familles à quasi égalité avec les dons des entreprises (qui financent souvent l’achat de nouvelles estafettes). A Bras Ouverts est également soutenue par des particuliers qui mettent à disposition leur maison secondaire pendant quelques week-ends par an.

Si vous souhaitez apporter votre soutien à cette association par un don financier ou le prêt d’une maison ou tout simplement en savoir plus sur ABO, n’hésitez pas à consulter le site internet : https://www.abrasouverts.fr/

Le groupe, unité de base autonome

L’association ABO est divisée en groupes composés d’environ une trentaine de jeunes et d’une cinquantaine de bénévoles et chacun de ces groupes dispose d’une estafette personnalisée pour se déplacer pendant les week-ends. Il y a une trentaine de groupes répartis dans une dizaine de grandes villes françaises dont une quinzaine de groupes basés à Paris qui est un grand vivier de jeunes adultes étudiants ou actifs. Chaque groupe porte un nom joyeux aux évocations de fêtes et de voyages avec parfois un indice sur leur ville d’origine : « Les Baladins », « La Grande Vadrouille », « La Mélodie du bonheur », « L’île aux Trésors » (groupe lillois) … Le groupe dont je faisais partie se nomme « A La Belle Etoile ».

Chaque groupe est autonome pour recruter des accompagnateurs, accueillir de nouveaux jeunes et organiser des week-ends en fonction de sa capacité tout comme pour prendre des initiatives par exemples en invitant les familles pour des évènements particuliers ou en prévoyant des animations avec les accompagnateurs et leurs amis afin de faire connaitre le groupe et ABO.

Il y a beaucoup d’acronymes qui sont utilisés chez ABO pour faciliter la communication en interne et cela demande un petit temps d’adaptation au début pour en connaitre la signification, comme lorsque l’on arrive dans une nouvelle entreprise. Généralement, ces acronymes désignent des titres de responsabilités au sein d’ABO et des noms de groupes. Ainsi, je fus dans le passé le RG de ALBE et membre de l’Asscom, c’est-à-dire le Responsable de Groupe d’A La Belle Etoile et membre de l’Assemblée communautaire.

Chaque groupe d’ABO est géré par une « petite équipe » (la PE, en prononçant chaque lettre) composée de quatre personnes avec un(e) responsable de groupe (RG) qui a en charge notamment l’animation du groupe ainsi que la relation avec les familles et les jeunes, un(e) responsable des accompagnateurs (RACC) qui s’occupe du recrutement de nouveaux bénévoles et de l’organisation de dîners entre accompagnateurs dans des appartements pour se raconter nos week-ends ABO et maintenir le lien entre nous afin de se motiver à continuer notre engagement, un(e) responsable communication et témoignages (RT) dont le rôle est à la fois d’attirer de nouveaux accompagnateurs à travers des témoignages extérieurs ou apéros tels que les « ramènes tes potes » ainsi que de fidéliser ceux qui font déjà partie du groupe grâce à des supports de communication en tout genre (gazettes, cartes de vœux, soirées témoignages …) et un(e) responsable maisons (RM) qui gère les relations avec les propriétaires mettant à disposition leurs logements et qui en cherche de nouveaux.

A cette équipe s’ajoute les Responsables d’Activités (RA) qui ont la charge du groupe de jeunes et de bénévoles pendant le week-end où ils sont inscrits. Les RAs sont un élément essentiel pour la vitalité du groupe car leur nombre et leur disponibilité déterminent la quantité de week-ends pouvant être proposés aux familles dans l’année. On peut dire qu’ils forment en quelque sorte le noyau dure du groupe avec la PE.

Il y a également un référent de l’équipe national qui est attitré à chaque groupe pour aider à l’organisation de l’élection du RG ainsi que de son accompagnement pendant toute la durée de sa mission en partageant des conseils tout en suivant l’activité du groupe à distance en lisant les différentes communications ou quelques fois en présentiel. Le référent permet aussi de faire le lien entre le groupe et le bureau national d’ABO en informant ce dernier des actualités du groupe et en le consultant pour certains sujets.

Les responsables de la PE exercent leur mission sur un mandat de deux ans, non renouvelable, ce qui présente les avantages de permettre à d’autres accompagnateurs de prendre la relève mais aussi de pouvoir se projeter dans le temps pour celles et ceux qui acceptent cet engagement important nécessitant parfois des compromis avec leurs objectifs professionnels et personnels. Néanmoins, il est possible, et assez fréquent, pour les membres de la PE qui souhaitent continuer de s’investir après la fin de leur mission d’exercer une nouvelle responsabilité dans le groupe ou au niveau national. A la fin du mandat de la PE, des bénévoles du groupe sont présélectionnés en vue d’élire un(e) nouveau RG via un premier tour de votes par un ensemble de bénévoles engagés et expérimentés de ce même groupe après une présentation de chacun et un temps d’échange. Puis, si les personnes présélectionnées se sentent prêtes à assumer cette responsabilité, il y a un second tour de vote afin d’élire le nouveau ou la nouvelle RG. Ensuite, celui ou celle-ci propose à d’autres bénévoles de le rejoindre dans l’équipe suivant les conseils de l’ancienne PE.

Le bureau national donne le cap et maintient la cohésion

L’organisation d’ABO est à la fois structurée et bien organisée tout en restant flexible pour donner de l’autonomie aux groupes qui la composent et en faisant confiance à ses jeunes bénévoles pour prendre des initiatives en étant accompagnés si nécessaire.

Il y a un réel état d’esprit de bienveillance et de confiance à ABO, ce qui n’empêche pas d’avoir de la rigueur et de la vigilance sur les sujets essentiels en s’assurant que les bénévoles soient bien formés et disposent de documents de référence de qualité, c’est un mélange de souplesse et de robustesse. Le bureau national et ses référents sont tels un tronc d’arbre solide et bien enraciné qui permet aux branches qui sont les groupes de pousser librement dans différentes directions tout en s’appuyant sur leur base commune qui les soutient, les rassemble et leur permet de se nourrir de la même sève : l’état d’esprit d’ABO.

J’ai eu la possibilité de mieux comprendre l’organisation d’ensemble d’ABO lorsque je suis devenu RG du groupe A La Belle Etoile, notamment lors de l’assemblée générale (AG) qui rassemble chaque année le bureau national, les RG de chaque groupe et les référents.

Pour ma première AG, cela faisait à peine quelques semaines que j’étais RG et je connaissais peu de monde chez ABO, j’avais seulement croisé quelques accompagnateurs d’autres groupes parisiens au départ et à l’arrivée d’un week-end et j’avais une vision assez confuse du fonctionnement de cette association au-delà de mon groupe.

Donc ce fut pour moi comme la découverte d’un nouveau monde lorsque chaque membre du bureau national nous présenta de manière détaillée les résultats de l’année pour ABO avec le nombre de sorties et d’évènements organisés, le nombre et le profil (âge, sexe…) des jeunes et de leurs accompagnateurs, les dépenses et les recettes par catégories. Ce fut pour moi l’occasion de découvrir toute l’ossature d’ABO avec ses nombreux groupes et le bureau national qui supervise et coordonne tout cet ensemble.

Le bureau national est dirigé par le président d’ABO qui est élu par les membres de l’AG pour un mandat de quatre ans afin de garantir une certaine stabilité à l’action de l’association. Le bureau national est composé de sept membres : le président, le vice-président en charge des référents, le trésorier, le responsable de l’Asscom, le responsable communication et témoignages national, le responsable accompagnateurs national et le responsable enfant national. Enfin, il y a une salariée à ABO qui aide pour différentes tâches administratives ainsi que pour la gestion d’un local où sont entreposés différents documents et équipements d’ABO à Paris.

Les présentations des différents membres du bureau national pendant l’AG étaient sous formes de fichiers Powerpoint avec des slides détaillés, chiffrés, visuels et synthétiques, ils étaient présentés par des bénévoles du bureau national qui mettaient probablement à profit les compétences en analyses et en communication qu’ils avaient acquises lors de leurs études et pendant leurs activités professionnelles. J’avais l’impression d’être à l’assemblée générale d’une entreprise sauf qu’au lieu de parler de produits, de gains de productivité et de parts de marchés on parlait avant tout d’êtres humains et de relations sociales, la finalité de notre activité me semblait alors davantage porteuse de sens et donc plus motivante que celles de la plupart des entreprises et puis c’était aussi pour moi l’attrait de la nouveauté.

L’idée n’est pas d’opposer le monde de l’entreprise et celui de l’associatif car ils se complètent bien souvent, le premier permettant d’acquérir des compétences techniques pointues, un état d’esprit pragmatique de recherche d’efficacité et d’améliorations, de participer à la production de produits ou de services pouvant être utiles et même nécessaires à la société (c’est là que souvent il peut y avoir une interrogation), une rémunération pour subvenir à ses besoins et à ses envies matérielles ainsi que de financer le monde associatif tandis que le second permet de développer certaines compétences plus axées sur l’humain, le service à la personne, de donner davantage de sens et de sentiment d’accomplissement dans la vie afin d’enrichir humainement ses bénévoles et en faire bénéficier ensuite leurs employeurs privés grâce à une meilleure motivation et une plus grande ouverture d’esprit de leurs salariés engagés.

Dans son ensemble, j’ai trouvé l’organisation et le mode de fonctionnement d’ABO très pertinents et ils pourraient clairement être répliqués avec succès dans d’autres associations ou même en partie dans le secteur privé, je retiens notamment le bénéfice de faire confiance aux jeunes du moment qu’ils sont motivés et bien accompagnés, ils peuvent accomplir ensemble de grandes choses. Par ailleurs, j’ai apprécié cette organisation interne démocratique avec des règles clairement édictées et des membres expérimentés pour éviter l’anarchie et garder le cap.

Vous trouverez ci-dessous un schéma que j’ai réalisé pour présenter le fonctionnement général de ABO.

Schéma de présentation du fonctionnement général de ABO

Les accompagnateurs, l’énergie qui fait tourner la machine ABO

Recrutement par réseaux, participation sans engagement, accompagnement des responsables

Pour recruter des bénévoles qui sont essentiels à son activité, ABO s’appuie principalement sur les réseaux de ses membres sachant qu’à Paris c’est particulièrement efficace car il y a une grande et dynamique communauté de jeunes adultes catholiques en comparaison des autres villes françaises.

Pour ma part, j’ai contribué modestement à l’engagement progressif de mon cousin François lors de l’organisation des 30 ans d’ABO, cette expérience lui a plu et il continua ensuite de faire des week-ends avec son groupe dont il devint plus tard le RG, une belle histoire ! Nos exemples servirent ensuite sans doute d’inspiration à certaines de nos cousines qui participèrent ou participent encore à quelques week-ends avec ABO. J’avais proposé également à des amis proches et à d’autres membres de ma famille mais ce n’est pas forcément une expérience qui attire tout le monde même si elle suscite le respect ou parfois l’admiration, chacun a ses propres envies et capacités.

En effet, le contact avec des personnes porteuses de handicaps peut être redouté car nous n’y sommes généralement pas habitués étant donné que nous ne les côtoyons pas souvent donc on peut parfois être dérouté ou se sentir incompétent pour passer du temps avec ces personnes. Néanmoins, ABO ne demande pas à ses nouveaux accompagnateurs de compétences particulières, de diplômes ni de certifications pour participer à un week-end, c’est plutôt un état d’esprit ouvert et bienveillant qui est nécessaire avant tout. De plus, les nouveaux membres sont sensibilisés à ces aspects en étant accompagnés par des membres plus expérimentés.

Par ailleurs, il n’y a pas de durée minimale d’engagement qui est demandée aux bénévoles lambdas si ce n’est de s’impliquer pleinement sur le week-end auquel ils participent. Certains peuvent faire un seul week-end et ne plus revenir, d’autres deux ou trois week-ends par an. Là aussi, je trouve que c’est un bon moyen d’inciter les jeunes à découvrir cette activité peu connue et parfois redoutée.

Toutefois, pour les personnes volontaires à exercer des responsabilités dans ABO, par exemple dans la PE d’un groupe ou comme RA, il est demandé de s’engager sur une durée et une fréquence minimale afin de bien connaitre les jeunes, les accompagnateurs et l’esprit de l’association. Il y a également des formations spécifiques à leurs missions qui sont dispensées en interne par d’autres membres plus expérimentés.

Un intranet est par ailleurs disponible sur le site en ligne d’ABO avec des droits d’accès en fonction des responsabilités de chacun afin de consulter et télécharger des documents de formation ou des formulaires standards à imprimer comme par exemples des comptes rendus de missions ou des attestations d’autorisation pour les parents.

Des jeunes bénévoles motivés pour aider et prendre des responsabilités

Les accompagnateurs à ABO ont entre 18 et 35 ans avec une moyenne d’âge qui était à mon époque aux alentours de 28 ans, il y a environ deux tiers de jeunes actifs et un tiers d’étudiants et un peu plus de femmes que d’hommes (probablement un ratio de 70% / 30%).

Participer à l’association A Bras Ouverts en tant qu’accompagnateur, c’est rencontrer d’autres bénévoles aux parcours et profils différents mais qui se rejoignent dans leur volonté d’aider et de se rendre utile. Certains sont très investis et y consacrent de nombreux week-ends et soirées en semaine sans être rémunérés et en plus d’une activité professionnelle parfois elle-même très prenante. Néanmoins, ils sont rétribués d’une autre manière car ce n’est pas un « travail » comme les autres, c’est une activité pleine de sens où l’on peut éprouver de manière très concrète le bonheur apporté aux enfants et aux familles auquel chacun contribue et ce n’est pas à sens unique car bien souvent cette joie se partage et les accompagnateurs apprennent aussi beaucoup humainement de la part des jeunes et des autres bénévoles.

A Bras Ouvert, c’est aussi un lieu de rencontres, de sociabilité et, pour les bénévoles plus engagés, l’opportunité d’exercer des responsabilités dans un domaine atypique en faisant partie d’un collectif pour organiser des week-ends à la campagne ou des évènements festifs, préparer des costumes, imaginer des animations et des menus gourmands, décorer une estafette… Il y a beaucoup de place pour la créativité et les initiatives en tous genres !

J’ai remarqué de fortes similitudes entre ABO et les associations d’étudiants que j’avais découvertes pendant mon école d’ingénieur. Là aussi, des jeunes s’investissaient à fond en parallèle de leurs études et sans aucune rémunération parce qu’ils étaient motivés par la finalité de leur engagement (un évènement sportif, festif ou culturel bien souvent), par les nouvelles et parfois hautes responsabilités qu’ils pouvaient exercer en grande autonomie, ce qui était rare à leur âge, et aussi pour le côté social : faire partie d’une équipe, rencontrer des gens autour d’un projet commun.

Il peut également y avoir des motivations un peu moins altruistes comme obtenir de la visibilité, acquérir un certain statut social prestigieux ou ajouter une belle ligne sur son CV mais l’action reste tout de même louable et c’est bien aussi de penser à soi car, quand les intérêts des uns convergent avec les siens, la force de motivation en est décuplée. 

Par exemples, je fus très impressionné et même surpris pendant mes études de voir des camarades de promotion faire des petits boulots sur leur temps personnel afin de récolter de l’argent pour animer de grandes fêtes étudiantes ou d’accomplir une tâche un peu ennuyante comme se positionner à une intersection sur le parcours d’un raid sportif pour indiquer le bon chemin mais ils étaient motivés car ils se sentaient faire partie d’un collectif pour l’organisation d’un évènement important.

A ABO, j’ai rencontré beaucoup de personnes dynamiques et très investies dans leurs missions qui m’ont donné de l’inspiration et qui m’ont aussi aidé à supporter l’intensité de mon engagement car, comme j’ai pu le constater lors de ma grande traversée de l’Eurasie (lien blog), on trouve toujours plus audacieux que soit !

Par exemple, je fis la connaissance de Gaëtan qui fut responsable de mon groupe avant moi puis fut élu président de ABO, c’est la plus haute responsabilité de l’association avec de nombreuses réunions et des participations à de multiples évènements tout en partant régulièrement en week-ends ABO. Cela n’a pas empêché Gaëtan d’exercer un travail de cadre à responsabilité, d’organiser son mariage avec sa femme Marion qui était également RT dans ma PE et de s’entraîner intensivement pour une épreuve de triathlon Iron Man très physique tout cela en gardant le sourire et la bonne humeur !

J’ai été également impressionné par Guillemette, notre cheffe d’équipe pour l’organisation des 30 ans d’ABO. Pendant de longs mois, Guillemette a démontré une grande capacité de travail, d’organisation et de prise de décision tout en exerçant son métier de sage-femme. Elle a su insuffler beaucoup d’énergie dans ce projet en s’y investissant pleinement et en nous montrant la voie, « Lead by example » comme on disait dans mon ancienne entreprise américaine.

Il y a beaucoup d’autres exemples de personnes investies et dynamiques comme Gaëtan et Guillemette que j’ai rencontrées à ABO.

Les jeunes, la raison d’être d’ABO

L’accueil de nouveaux jeunes

A Bras Ouverts peut accueillir des jeunes à partir de l’âge de 6 ans et jusqu’à 14 à 18 ans suivant les spécificités locales des groupes puis, dès lors qu’ils font partie d’un groupe, il n’y a plus vraiment de limite d’âge tant que les conditions le permettent. Ainsi, nous avions dans notre groupe des « jeunes historiques » qui partaient depuis longtemps avec A La Belle Etoile et qui approchaient de la quarantaine même si la majorité des jeunes avaient entre 8 et 20 ans.

Lorsque j’étais RG du groupe A La Belle Etoile, j’ai eu notamment pour mission l’accueil de nouveaux jeunes lorsque nous avions une bonne dynamique dans notre groupe avec de nombreux accompagnateurs partant souvent ou lorsque certaines jeunes étaient moins disponibles ou ne partaient plus. Dans ce cas, la responsable au niveau national de la liste d’attente des inscriptions nous transmettait les contacts de la famille d’un jeune avec une fiche de présentation.

Ensuite, je contactais la famille pour me présenter et prendre des nouvelles afin notamment de vérifier si la situation avait évolué car le temps d’attente pour les familles fluctuait en fonction de la dynamique des groupes de chaque ville entre un et deux ans. Puis, un rendez-vous était fixé chez la famille afin de mieux se connaitre et préparer l’accueil du jeune dans les meilleures dispositions. Nous venions à deux accompagnateurs expérimentés du groupe, généralement un après-midi pendant le week-end.

Ce fut pour moi l’occasion d’en apprendre davantage sur les jeunes avec qui nous partions en découvrant leur cadre familial. Nous avons toujours été bien accueillis par les familles qui avaient de nombreuses interrogations sur le fonctionnement de notre association et, même si elles attendaient notre venue depuis longtemps, elles éprouvaient également parfois de l’appréhension à l’idée de nous laisser tout un week-end leur enfant sensible émotionnellement et physiquement.

C’était souvent une première pour leur jeune de quitter la famille pendant le week-end en raison de leur jeune âge et du manque de structures d’accueil adaptées à leur handicap donc le but de notre visite était à la fois de découvrir l’enfant et sa famille mais aussi de présenter plus en détails notre association et de répondre aux éventuelles craintes des parents.

Le fait d’avoir un accompagnant pour chaque jeune était souvent rassurant pour les familles et nous leurs expliquions le déroulé d’un week-end avec les règles d’attention pour le bien-être et la sécurité des jeunes. Nous remettions également un fascicule de présentation de ABO ainsi qu’un dossier à remplir avec des informations précises sur leur enfant afin de préparer au mieux son accueil dans notre groupe : ses traits de caractère, ce qu’il aime faire ou ce qui lui déplait, ses goûts en tous genres, des conseils pour l’aider à se calmer en cas de crise ou pour aller se coucher, son traitement médical et ses allergies s’il y en a…

Ensuite, le RG en fait une fiche résumée qui est mise à jour après chaque week-end du jeune ou en fonction des nouvelles fournies par la famille afin de briefer l’accompagnateur avec les toutes dernières informations. Bien entendu, ces informations personnelles sont conservées scrupuleusement à l’abris d’éventuels regards indiscrets et n’est communiqué aux accompagnateurs que ce qui est nécessaire en tâchant de respecter au mieux l’intimité des familles et du jeune.

A noter que l’on demande très peu d’informations à ABO sur le diagnostic du handicap du jeune, il est généralement résumé sous un nom technique ou en quelques mots mais sans trop de détails car nous n’avons pas pour but d’apporter des soins médicaux ou spécialisés ni même vocation à éduquer ces jeunes, ces missions revenant à des professionnels du métier ainsi qu’à leurs familles. Ainsi, ABO ne peut accueillir pour ces raisons des jeunes nécessitant des actes médicaux pendant le week-end telle qu’une piqûre. Nous nous intéressons principalement au caractère du jeune, à ses goûts, à ses envies pour que nous puissions adapter au mieux son intégration dans le groupe.

Le profil des jeunes et des familles que j’ai rencontrés

Lors de mon engagement de RG chez ABO, j’ai pu observer différentes situations familiales dans des environnements sociaux variés pour les jeunes. Il y a des familles unies malgré les difficultés, parfois des mères isolées ou qui se dédient quasiment entièrement à leur enfant pour pallier au manque d’établissements adaptés ou trop éloignés, certains parents préférant parfois s’occuper eux-mêmes de l’éducation de leur enfant afin de s’assurer qu’ils soient dans de bonnes conditions.

Suivant différents cas, le jeune peut vivre dans sa famille ou bien il est parfois en internat dans un établissement spécialisé, certains jeunes adultes peuvent aussi avoir une activité professionnelle à laquelle ils se rendent en transport en commun de manière autonome.

Il y a une grande diversité également chez les jeunes avec des handicaps de nature différente à la fois physique et mental, certains peuvent parler distinctement tandis que d’autres s’expriment par une expression du visage, des exclamations ou des gestes. Il y a des jeunes qui comprennent bien ce qu’on leur dit mais peuvent difficilement communiquer donc on s’aide de gestes, de dessins ou on utilise des questions fermées pour qu’ils puissent répondre d’un hochement de tête. Certains jeunes sont autonomes pour manger, faire leur toilette tandis que d’autres ont besoin d’aides, il y a des jeunes qui marchent sans difficultés alors que d’autres se déplacent en fauteuil roulant ou ont besoin qu’on leur tienne la main. ABO essaye de s’adapter à chaque jeune en l’intégrant au sein du groupe dans le respect de sa différence.

Mes expériences de diverses responsabilités chez ABO

Comment je suis devenu Responsable de Groupe (RG)

Lorsque l’on me proposa de devenir le RG du groupe d’A La Belle Etoile, j’avais 26 ans, j’avais fait à peine quatre week-ends ABO et j’avais très peu d’expérience d’encadrement d’un groupe de jeunes comme par exemples chez les scoots ou dans un centre de colonies de vacances, je n’avais même pas le BAFA ! Donc cela me surprit que des personnes pensent à me confier une responsabilité aussi importante et je pensais décliner.

Mais la référente du groupe, Mariane, m’expliqua que je n’étais pas un cas isolé, il y avait déjà eu des RG avec peu d’expérience et ils avaient bien accompli leur mission. Mariane me donna les coordonnées de certains d’entre eux pour en discuter et elle me partagea également des textes de réflexion sur la responsabilité dans le monde associatif en général et à ABO en particulier qui étaient très instructifs. J’avais droit à deux semaines de réflexion et je finis par dire oui car les échanges que j’avais eu avec d’anciens RG et les documents que j’avais lu m’avaient inspiré confiance.

De plus, j’étais à un moment de ma vie où j’avais envie de changements, de relever de nouveaux défis, j’hésitais notamment à partir faire un tour du monde sous l’influence de nombreux voyageurs (je ferai finalement ce grand voyage neuf ans plus tard en traversant l’Eurasie : lien blog). En y réfléchissant, cette proposition me semblait être une opportunité de découvrir un nouveau milieu, une sorte de voyage mais local, et j’étais sensible au fait que des personnes expérimentées aient pensé à moi pour ce poste, qu’ils me fassent confiance.

J’étais désormais curieux de découvrir davantage ABO et je me sentais prêt à relever le défi de cet engagement pendant deux années. Cela me paraissait long mais je comprenais que cela nécessitait du temps pour prendre ses marques et, personnellement, cela me rassurait de savoir que cette responsabilité avait une durée limitée car je pouvais plus facilement me projeter et m’investir pleinement dans cette mission quitte à faire certaines concessions dans ma vie personnelle et professionnelle sachant que ce serait temporaire. Cela me semblait donc une bonne formule et, au final, ces deux années passèrent relativement vite.

La seconde étape était de former une nouvelle petite équipe mais je connaissais peu d’accompagnateurs étant donné que je n’avais fait que quatre week-ends donc je fus conseillé par l’ancienne PE.  Chacune des accompagnatrices que j’ai contactées accepta assez rapidement sa mission et nous fûmes rapidement au complet en à peine une quinzaine de jours : Marine serait notre RACC (responsable des accompagnateurs de l’ensemble du groupe), Marion notre RT (responsable communication et témoignages)  et Carol notre RM (responsable maison). On ne se connaissait pas et on avait peu d’expérience à ABO mais on fut bien accompagnés par l’ancienne PE et on s’entendit rapidement ensemble pour mener à bien nos missions dans la bonne humeur.

La mission de RG au sein de la Petite Equipe et du groupe

En termes d’investissement personnel, en acceptant de devenir RG chez ABO, on s’engage sur une durée de deux ans à partir au moins 25 jours par an avec son groupe, ce qui correspond à environ un week-end par mois et un séjour l’été, afin de bien connaitre les jeunes et les accompagnateurs ainsi que d’être pleinement investi dans l’activité du groupe. A cela s’ajoute quelques jours supplémentaires pour de la formation et la participation à l’assemblée générale donc environ une trentaine de jours en tout sur l’année. Il faut ensuite compter environ un soir par semaine pour une réunion d’équipe ou un dîner entre accompagnateurs et environ une heure par jour pour le suivi et l’organisation de l’activité du groupe (contact avec les familles, gestion des inscriptions sur les week-ends, brief et débrief avec les RA…). Bien entendu, cela dépend de l’activité du groupe et de la méthode d’organisation personnelle du RG mais c’était à peu près ce que je faisais.

C’est donc un engagement conséquent mais je trouve que cela a du sens afin de s’investir pleinement dans cette responsabilité car un mandat de deux ans c’est à la fois long et court et c’est une occasion unique d’exercer ce type de mission où l’on reçoit autant en belles rencontres et en moments de joie que ce que l’on donne en temps et en énergie. C’est aussi une responsabilité plus facile à accepter lorsque l’on n’a pas encore fondé une famille ou que l’on n’a pas une autre activité trop prenante.

Pendant ces deux années, avec la PE et l’ensemble de notre groupe, nous avons pu organiser beaucoup de week-ends (environ deux à trois par mois et deux séjours l’été) dont certains spéciaux comme notre week-end de fête dans une immense propriété du nom de La Madeleine qui est située en plein milieu des forêts de Sologne à proximité d’Orléans. C’est une grande maison de particuliers qui est mise à la disposition d’ABO quasiment toute l’année, La Madeleine est très pratique pour les grands rassemblements car elle dispose de plusieurs dortoirs, d’une grande cuisine et d’un vaste jardin autour avec des jeux en plein air dont un trempoline. Nous portions de beaux costumes de fête, il y avait un atelier de décoration de notre toute nouvelle estafette avec des pochoirs en formes d’étoiles, de croissants de lune et du logo de notre groupe, nous avons préparé des repas gargantuesques avec des plats de toutes les couleurs et on s’est déhanchés sur des tubes envoûtants pendant la boom du samedi.

Nous avons également organisé des rassemblements de notre groupe avec la présence des parents en partageant des crêpes à La Chandeleur ou en organisant une sortie de fin d’année sur une journée en visitant un aquarium ou un zoo suivi d’un piquenique collectif.

Parfois, on avait aussi l’opportunité de participer à des évènements assez originaux comme par exemple un rallye auto sur un circuit automobile suite à l’invitation d’une association d’amateurs de vieilles voitures, il ne s’agissait pas d’une course de vitesse mais plutôt d’un défilé d’anciennes voitures dans un style seventies et nous avions eu la chance avec certains jeunes du groupe de pouvoir monter à bord de certains de ces bolides munis d’un casque de protection en faisant quelques tours de pistes à vitesse réduite, c’était très amusant à la fois pour les jeunes et leurs accompagnateurs !

Je me souviens également d’un grand séjour en été dans le Perche où nous avions fait une sortie à la piscine et en calèche tractée par un immense cheval Percheron, c’était très sympa, on avait le temps de se connaitre, de s’habituer aux lieux, on était moins pressé et donc on pouvait se permettre de faire une grasse mat, de laisser le temps couler avec les jeunes comme en vacances alors qu’en week-end c’était un peu plus chronométré.

Je retiendrai également de nombreux moments de complicité entre les jeunes, même sans l’usage de la voix, par un regard, par un geste. Ces jeunes qui pouvaient exprimer leur joie de vivre et leurs talents au sein du groupe l’espace d’un week-end. C’est également le regard brillant et le sourire des parents qui nous remerciaient chaleureusement d’une poignée de main à nos retours de week-ends qui nous remplissaient de joie et du sentiment de se rendre utile.

Nous avons eu la chance que l’activité de notre groupe ALBE soit en progression constante pendant le mandat de notre PE notamment grâce à l’action de Marine notre Racc. Ainsi, nous avons terminé par un week-end du Réveillon du Nouvel An avec une quinzaine de binômes, ce qui fut le plus grand week-end organisé par notre petite équipe et nous y étions tous présents avec les accompagnateurs et les jeunes qui partaient le plus souvent dans notre groupe. Ce fut une très belle manière de clôturer notre mandat en sachant qu’une nouvelle PE prenait la relève et dont les membres étaient présents également à ce week-end avec Carol notre ancienne RM qui devenait la nouvelle RG, c’était comme un passage de flambeau.

Nous avions le sentiment du devoir accompli et la satisfaction de savoir que l’activité du groupe allait continuer dans la même dynamique et même l’accélérer. Cette croissance d’activité est en partie dû à un phénomène de cercle vertueux qui fonctionne ainsi : lorsqu’une bonne ambiance se crée dans un groupe avec des accompagnateurs motivés alors cela donne envie aux nouveaux de revenir et de s’investir puis, si certains d’entre eux ont un bon réseau de jeunes amis volontaires et motivés comme c’était le cas avec notre RACC Marine, alors cela fait un effet de levier très important.  

Après tout ce que nous avions vécu ensemble pendant ces deux années, nous avions créé des liens forts entre membres de la PE avec Marine, Carol et Marion et l’on resta en contact pendant un moment, en s’organisant des petites soirées retrouvailles ou en participant aux mariages successifs des unes puis, le temps, la distance et la vie de famille nous éloigna assez logiquement mais les souvenirs demeurent et nous aurons toujours l’occasion de nous retrouver avec plaisir pour nous les remémorer ensemble.

La mission de Responsable d’Activités (RA)

Pour avoir exercé les deux responsabilités de RG et de RA, selon moi c’est celle de RA qui a la charge la plus importante même si c’est sur une durée limitée car c’est cette personne qui s’occupe d’un groupe de jeunes et d’accompagnateurs pendant tout un week-end alors que pour le RG il s’agit davantage de missions d’organisation, de coordination, de communication mais sur une durée plus étendue. De toute façon, étant donné que la responsabilité de RG se cumule généralement avec celle de RA, au final cette combinaison des deux missions demeure la charge la plus élevée du groupe.

Ce sont les RA et la PE du groupe qui identifient lors des week-ends les accompagnateurs avec un potentiel pour devenir RA, il faut qu’ils aient fait au moins plusieurs week-ends avant de leur proposer. S’ils acceptent cette responsabilité, alors ils doivent suivre une formation en interne sur un week-end où on leur remet un classeur très complet avec une présentation détaillée de ABO et de la mission de RA avec notamment les règles de vie et les points de vigilance sur la sécurité des jeunes.

Ensuite, pour valider la formation de RA, l’aspirant RA participe à un week-end avec un RA expérimenté suppléant afin de s’assurer que les fondamentaux sont acquis et de partager quelques conseils. Si tout s’est bien passé et que l’aspirant RA se sent prêt à remplir cette mission, alors il peut participer à un week-end en tant que RA sur une fréquence d’au moins trois week-ends par an afin de rester opérationnel. Il y a également des formations de mises à jour qui sont proposées aux RA environ tous les deux ans.

Être RA, cela demande de la préparation en amont puis une attention constante pendant les deux jours du week-end qui passent relativement vite entre les courses, les repas, les balades, la messe et les trajets. Parfois, les groupes peuvent aller jusqu’à sept binômes (14 personnes) avec certains jeunes qui peuvent avoir des comportements difficiles à gérer ou qui nécessitent de la vigilance et de la patience. C’est pourquoi il est aussi crucial pour les groupes d’avoir des accompagnateurs qui partent assez régulièrement sans être forcément RA car c’est très utile d’avoir le support de membres expérimentés en plus du RA.

En amont du week-end, le RA est briefé par le RG sur les jeunes dont il aura la charge avec les dernières informations les concernant (points d’attention sur certains comportements à maîtriser ou des traitements à suivre par exemples) et il est également briefé par le RACC sur les bénévoles qui participeront (profil, expérience dans ABO) ainsi que par la RM pour le logement si nécessaire (une fiche d’utilisation indique toutes les informations nécessaires).

Les binômes entre jeunes et accompagnateurs sont définis à l’avance par le RG et le RACC mais le RA peut émettre des suggestions. Le RA garde également avec lui une fiche sur chaque jeune qui a été remplis par le RG avec les informations détaillées fournies par les familles dans le cas d’une intervention d’urgence (hospitalisation) ou de doute sur une information pendant le week-end (allergies, prise de médicaments…).

Ensuite, c’est le RA qui détermine la répartition des chambres entre jeunes et accompagnateurs en tenant compte de la configuration du logement et du profil des jeunes (accessibilité pour les personnes en fauteuil par exemple) et en s’assurant de ne jamais laisser un jeune seul dans une chambre avec un accompagnateur car ABO est très vigilant pour éviter tous risques de pédophilie et forme ses RA en conséquence. Sur ce point, le RA passe également pendant la toilette du jeune si elle nécessite l’aide d’un accompagnateur (dans ce cas les binômes sont non mixtes) afin de s’assurer que tout va bien et évite qu’un binôme s’isole du groupe.

A la fin du week-end, il y a un compte rendu à faire par le RA pour résumer les activités du week-end, la configuration des chambres et partager quelques informations utiles sur les jeunes et les bénévoles qui serviront au RG et au RACC afin d’en tenir compte dans l’organisation des prochains week-ends ainsi que pour partager ces informations aux autres RA. Le référent reçoit également une copie du compte rendu du week-end.

Personnellement, cela me prenait quasiment un week-end entier du vendredi soir pour me préparer jusqu’au dimanche soir pour faire le compte-rendu avec une concentration en continue pendant le week-end pour garder la maîtrise des évènements tout en essayant quand même de garder une ambiance détendue. A la fin, j’étais rincé mais content de ce que l’on avait vécu, j’avais le sentiment de m’être rendu utile et d’avoir également beaucoup reçu en échange de la part des jeunes et des accompagnateurs, c’est un apprentissage de la vie en communauté.

Avec l’expérience, on acquiert davantage de sérénité avec des automatismes et des techniques déjà éprouvées, on est plus à l’aise avec certaines situations déjà vécues mais cela reste quand même une responsabilité à ne pas prendre à la légère car on a la charge d’autres personnes et d’enfants notamment.

L’organisation de la fête des 30 ans d’ABO

On m’a proposé d’intégrer l’équipe d’organisation des 30 ans d’ABO quelques mois après avoir terminé mon mandat de RG et, là encore, j’ai hésité car je voulais avoir plus de temps pour ma vie perso. Mais, cette fois-ci, il s’agissait d’une mission moins chargée que RG et sur une durée plus courte de six mois et puis, c’était un très bel évènement unique à organiser qui rassemblerait des centaines de jeunes et d’accompagnateurs d’ABO de toute la France sur un week-end entier : j’ai donc accepté.

Ce rassemblement eu lieu en novembre 2016 dans le très beau château de Mesnières en Brai qui a été reconverti en lycée professionnel avec internat et qui dispose donc de grands dortoirs et d’un large réfectoire, ce qui correspondait tout à fait à notre besoin. Pour la petite histoire, je m’étais arrêté par hasard trois ans plus tôt devant ce château pour me prendre en photo lors de mon périple à vélo pour rejoindre Londres depuis Paris (cf article blog).

L’équipe d’organisation était constituée de six à sept membres expérimentés de différents groupes d’ABO, tous très motivés et très investis dans leurs missions avec de grandes capacités d’organisation tout en restant de bonne humeur. C’était très agréable et instructif de faire partie de leur équipe, j’ai notamment souligné le dynamisme de notre responsable Guillemette dans un chapitre précédent.

Je suis arrivé dans l’équipe alors que la préparation avait déjà commencé depuis plusieurs mois et j’avais des responsabilités plus limitées que les autres membres, ce qui m’allait très bien car j’avais besoin de souffler après la responsabilité de RG. Puis, la charge de travail a augmenté, et l’adrénaline avec, à mesure que nous nous rapprochions de l’évènement pour être sûr que tout soit prêt à temps.

Certains s’occupaient de la réservation des moyens de transport pour acheminer les participants de toute la France (en avion, en train, en bus…), d’autres de la commande d’équipements de tous types pour la décoration ou la signalisation dans les locaux, certains se chargeaient de recruter des bénévoles pour nous prêter main forte pendant le week-end, il y avait aussi les animations et spectacles à prévoir, les menus, la répartition des logements…

C’était toute une logistique avec plein de points de détails à décider, il fallait également promouvoir l’évènement pour avoir un maximum de participants puis gérer la communication avec chacun des groupes. Pendant le week-end, nous échangions entre membres de notre équipe à l’aide d’une application téléphone qui fonctionnait comme un talkie-walkie, cela faisait très pro !

Nous avions un fichier Excel à la hauteur de cet évènement et quasiment aussi complexe que la plupart de ceux que l’on utilisait dans mon ancienne entreprise : des dizaines d’onglets avec de multiples listes et tableaux croisés dynamiques qui étaient alimentés par un fichier d’entrée fourni par chacun des groupes d’ABO et mis à jour à l’aide d’une macro que j’avais reprise et améliorée. Voilà l’une de mes missions avec également la signalisation sur site (plans, panneaux…) et la gestion du parking.

Lors de ce week-end, il y eu des centaines de participants dont la plupart portait un costume de fête ou étaient maquillés, une fanfare qui mettait une ambiance incroyable, une troupe de danse pour animer un spectacle participatif avec les jeunes, une équipe de scoots pour nous aider dans la gestion de l’évènement, des bénévoles en renfort de notre équipe d’organisation (dont mon cousin François pour sa première expérience ABO comme indiqué précédemment) pour guider les participants dans les logements et pendant les animations, quatre grands bus affrétés de Paris, une dizaine d’estafettes et de voitures garées sur un parking immense…

Ce fut pour moi le point d’orgue de ma participation à ABO, une très belle manifestation de ce qu’elle représente : une grande fête collective imprégnée de joie et de bienveillance, chacun y mettait du sien pour que tout se passe au mieux et pour profiter de l’évènement. Malgré le nombre de participants, l’esprit d’ABO pendant les week-ends était maintenu et même amplifié, on pouvait rencontrer des jeunes et des accompagnateurs de toute la France et constater que nous avions la même manière de vivre et de partager ces moments ensemble. Tous ces mois de préparation avec de multiples réunions prenaient désormais formes et c’était beau à voir.

A la fin de ce week-end fabuleux, j’avais le sentiment qu’une page se tournait pour moi avec ABO, j’avais passé beaucoup de bons moments et je m’étais fait de bons amis mais j’aspirais désormais à faire d’autres choses, à prendre plus de temps pour moi, faire du sport, sortir plus souvent avec mes amis, je souhaitais passer à une nouvelle étape de ma vie. ABO venait de fêter ses 30 ans et j’allais lui emboîter le pas quelques mois plus tard.

Ce que ABO m’a apporté

Grâce à ABO, j’ai pu mieux apprendre à connaître et à vivre avec les personnes porteuses de handicap en passant du temps avec elles, en faisant des activités, en lâchant prise parfois, en acceptant de ne pas tout comprendre ou ne pas tout pouvoir expliquer mais en étant avec et en faisant avec elles. Toutefois, je concède que malgré cette expérience je peux encore ressentir parfois des sentiments d’impatience ou même d’impuissance, même si je suis plus habitué et mieux préparé à certaines situations et c’est aussi tout l’intérêt d’être en groupe afin de pouvoir se soutenir et se relayer. C’est pourquoi j’ai aussi beaucoup d’admiration pour les familles qui s’occupent de leurs jeunes tout le long de leurs vies alors qu’avec ABO cela reste le temps d’un week-end.

Ma participation à ABO a été aussi l’occasion de découvrir plusieurs régions sympathiques autour de Paris notamment le Perche, le Vexin, du côté de Chantilly, de Beauvais, dans les forêts de Sologne et du Morvan, ces sorties ABO m’ont permis aussi de prendre l’air le temps d’un week-end, loin de la capitale.

J’ai appris également à conduire l’estafette ce qui n’est pas toujours une mince affaire dans Paris, à cuisiner des plats un peu plus élaborés que des pâtes, à changer des couches, à vivre en communauté pendant tout un week-end, à gérer un groupe, à organiser collectivement des évènements de tous types.

Mon engagement à ABO m’a permis de prendre conscience de la grande force de faire confiance aux jeunes en leur donnant un cadre solide (des valeurs, des connaissances, des références) et un but précis avec du suivi et du soutien quand c’est nécessaire mais tout en leur laissant de l’autonomie pour exprimer leur créativité et prendre des initiatives.

Par ailleurs, j’ai pu constater que le sens de la mission et son utilité concrète pour notre société est une grande source de motivation qui permet à beaucoup de personnes, notamment les jeunes, de s’investir à fond quitte à cumuler avec une autre activité rémunératrice et en étant prêts à faire certaines concessions sur leurs vies pros et persos car c’est une activité qui permet de s’épanouir, de rencontrer d’autres personnes stimulantes dans une émulation positive.

Chers lecteurs et chères lectrices, merci à vous si vous avez eu la patience et l’intérêt de lire jusqu’au bout cet article relativement dense, j’espère qu’il vous a appris des choses ou du moins vous a interrogé, vous a fait prendre conscience de certaines choses, d’autres mondes que nous côtoyons sans que nous ne prenions le temps de les observer.

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Comment je me suis retrouvé dans cette mission

Alors que je continuais mes recherches d’emploi en ingénieur de retour de mon grand voyage (lien blog), mon père m’envoya la photo de la première page du quotidien Ouest France dans lequel il était indiqué en sous-titre : « Baie du Mont Saint-Michel, ostréiculture : les saisonniers manquent à l’appel »

Cela me rappela ma précédente mission de quelques jours de découvertes de l’activité des vendanges en Bourgogne à Chablis pendant le mois de septembre (lien article). Toutefois, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être celle de l’ostréiculture qui est moins populaire et je ne savais pas qu’ils avaient besoin de renforts pendant cette période de l’année. Le fait que ce soit une activité en plein air et spécifique à la France située, de plus, dans la fameuse baie du Mont Saint-Michel suscita mon intérêt.

Après de rapides recherches sur internet, je trouvai des annonces pour des missions en intérim de quelques jours dans l’ostréiculture pour faire une activité dénommée « la Marée » sans trop de détails sur les tâches à accomplir. J’appelai une agence d’intérim à Saint-Malo qui me confirma avoir une mission de six jours qui commençait dès la fin de la semaine et qui était située dans la baie du Mont Saint-Michel au Vivier-sur-Mer. J’acceptai tout de suite car, en plus d’expérimenter cette nouvelle activité c’était également l’occasion pour moi de retrouver mes parents qui habitent à Dinard. Je réservai donc mon billet de train.

Pour lire la suite, cliquez sur les boutons ci-dessous.

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Jour 1, samedi 25 novembre 2023 : découverte et apprentissage du métier

Le rendez-vous a été fixé au port du Vivier-sur-Mer à 9h45 soit environ une heure avant la marée basse car il faut le temps pour s’équiper puis se rendre aux parcs de tables à huîtres dans la baie qui peuvent être éloignés de plusieurs kilomètres.

Il me faut environ 1h20 à vélo pour parcourir les 25 kms de Dinard au Vivier-sur-Mer et je prévois de la marge pour le premier jour en partant à 8h. Le ciel sort à peine de l’obscurité, le soleil n’est pas encore levé et il fait un froid mordant. Je n’avais pas vérifié les températures en début de matinée et je pensais naïvement que l’exercice physique allait réchauffer mon corps mais, à peine suis-je parti, que je ressens le froid glacial assaillir mes doigts et faire refluer mon sang.

Trop tard, je suis parti donc je continue, je traverse le barrage à marémotrice de la Rance alors qu’une bande orangée colore peu à peu l’horizon et se reflète sur l’eau du fleuve côtier laissant apparaitre les silhouettes des voiliers amarrés. Tout est paisible, je m’arrête pour immortaliser ce moment et j’en profite pour souffler dans mes mains gelées.

En bordure de la Rance aux aurores

Ensuite, je monte une côte puis je contourne l’agglomération de Saint-Malo en longeant une voie rapide qui ne dispose malheureusement pas de piste cyclable, je dois me contenter de la bordure en restant vigilant aux véhicules qui me doublent puis je rejoins une route moins fréquentée avec une succession de petites collines à franchir.

J’ai les doigts et les orteils gelés, moi qui suis sensible à ce type de douleur je souffre le martyr et je me maudis de ne pas avoir pris de bons gants, ce sera pour la prochaine fois. La distance me parait interminable, j’ai à peine fait la moitié du parcours mais, maintenant que je suis parti, il n’est pas question d’abandonner.

Le ciel est sans nuage et le soleil se lève peu à peu puis, soudain, après avoir quitté le village de Saint-Méloir-des-Ondes situé en haut d’un léger plateau, j’aperçois le soleil lumineux immense et rasant puis, à ma gauche, la baie avec la silhouette du Mont Saint-Michel tout au loin : c’est magnifique !

Vue sur la baie du Mont Saint-Michel depuis les hauteurs de Saint-Méloir-des-Ondes

C’est déjà une belle récompense pour ces efforts, je descends sur Saint-Benoit-des-Ondes au bord de la baie et je suis la route côtière jusqu’au Vivier-sur-Mer. Je croise sur la route des tracteurs qui tirent des remorques avec des chalands pour la Marée, cela me rappelle le temps des vendanges en Bourgogne sauf que les bateaux ont remplacé les bennes à raisins.

Je trouve assez facilement le hangar sur le port qui était indiqué comme lieu de rendez-vous, il est déjà ouvert et certaines personnes attendent devant, probablement des intérimaires comme moi. J’attends avec eux en prenant un bon thé chaud de mon thermos et des biscuits mais personne ne vient nous accueillir, certains intérimaires habitués rentrent dans le hangar et je finis par leur emboiter le pas sans trop savoir quoi faire. Ils m’indiquent où récupérer un scaphandre qui est une sorte de grande salopette imperméable terminée par des bottes, on met un élastique autour de la taille pour bien serrer et éviter que de l’eau s’infiltre par le haut en cas de chute. Il faut aussi prendre des gants pour se protéger des coupures contre les coquilles d’huîtres.

Personne ne vient me voir pour vérifier mon identité, tout est en libre-service, je suis assez surpris en comparaison de l’organisation et de l’accueil pour le début des vendanges mais la différence c’est que l’activité de la Marée a lieu toute l’année donc c’est peut-être plus difficile de maintenir cette organisation.

Nous sommes une dizaine d’intérimaires âgés de vingt à quarante ans dont une seule femme. Une fois que nous sommes équipés, nous attendons devant le hangar et les superviseurs viennent à notre rencontre pour constituer des équipes. Ils nous répartissent deux par deux puis nous montons à bord des bateaux remorqués par les tracteurs. Ces embarcations sont plus petites que des chalands et n’ont pas un fond plat bien qu’elles aient quand même un faible tirant d’eau, on les appelle des « yoles ». Elles ont moins de capacité de chargement que les chalands mais elles coûtent moins chères.

Nous partons vers 10h avec quatre ou cinq bateaux tractés, nous roulons sur l’estran vaseux puis nous rejoignons la mer qui se retire lentement et nous relâchons les bateaux pour naviguer au milieu des parcs d’élevage d’huîtres. Les chefs d’équipes ont chacun une feuille avec les objectifs de la Marée du jour en nombre et en types de poches à prélever, je me demande bien comment ils font pour se repérer dans ce labyrinthe de tables qui se ressemblent toutes et qui sont encore à moitié immergées sans aucuns panneaux d’indication mais apparemment ils ont l’habitude.

Je fais la connaissance de mes compagnons d’équipe qui habitent tous dans le coin, Johan est électricien, Christian travaille dans un bureau d’études, ils s’inscrivent à la Marée quelques jours par mois pour compléter leurs revenus et ils ont l’air de plutôt apprécier cette activité en plein air même si c’est parfois sur leur week-end comme aujourd’hui, au moins ce n’est pas trop long dans la journée (entre 3 et 5h).

Je discute également avec le chef d’équipe, Damien, qui a une dizaine d’années de métier, il songe peut-être un jour à travailler dans un domaine avec un rythme plus stable pour fonder une famille car les horaires et les jours de travail varient en fonction des marées y compris les week-ends et parfois très tôt le matin. Damien me parle aussi de l’importance d’avoir une bonne maintenance du matériel car il y a peu de créneaux de grandes marées pour la pêche aux huîtres et, si un moteur de bateau ou de tracteur tombe en panne, cela peut limiter fortement la capacité donc ils ont leurs propres mécanos dans l’entreprise.

Pour ce premier jour de Marée, lorsque nous arrivons à proximité des tables des lots de poches sélectionnés, les superviseurs coupent le moteur et nous nous jetons à l’eau qui nous arrive au niveau du haut des cuisses pour pousser l’embarcation. Puis, nous enlevons les élastiques en caoutchouc qui maintiennent les poches sur les tables et ensuite nous maintenons la yole bien parallèle à la table tout en avançant doucement pendant que les superviseurs « pêchent », c’est-à-dire que l’un est dans l’eau pour soulever les poches de la table une à une et les placer sur le rebord de la yole tandis que l’autre est dans la yole et pose en tas les poches sur des arceaux en fer appelés « berceaux » en s’assurant de bien tasser les poches qui s’empilent afin qu’elles ne tombent pas et de bien équilibrer le poids dans le bateau pour qu’il ne penche pas trop d’un côté.

Nous poussons la yole en parallèle d’une table tout en chargeant les poches dans la yole

Le temps est radieux, désormais il fait bon et je n’ai plus froid même en étant dans l’eau car le scaphandre protège bien. On peut voir le Mont Saint-Michel au loin, je suis très content de découvrir cette activité dans ce lieu si unique et avec cette belle météo, merci Papa !

Lorsque la yole est chargée de poches (entre 200 et 250), nous nous écartons du parc et nous rallumons le moteur pour rejoindre la remorque et le tracteur qui nous permettent d’accéder à des tables plus proches du rivage qui sont complètement à sec pendant la marée basse. Elles servent d’entrepôts pour les poches à huîtres sélectionnées avant d’être triées et conditionnées dans le hangar.

Pour cette tâche, c’est plus physique, le superviseur conduit le tracteur pendant que nous déchargeons les poches sur les tables puis nous les fixons avec des élastiques. Cet effort a duré probablement une vingtaine de minutes mais j’ai déjà des douleurs au niveau du dos car les poches doivent peser une dizaine de kilos pour une taille d’environ un mètre de long et cinquante centimètres de large et les tables sont basses, elles sont situées au niveau de mes genoux.

« L’entrepôt » pour stocker les poches d’huîtres à proximité du rivage avant d’être préparées pour la vente

Après cela, notre mission est terminée, nous rentrons au hangar pour un total de 3h30 de travail en incluant les trajets en tracteur et en bateau donc c’est largement supportable. J’aurais quasiment fait autant de vélo ce jour-là que de mission d’intérim car je repartirai à vélo accompagné de mon père qui m’a rejoint.

Nous rinçons les scaphandres puis nous rangeons les équipements avant de nous changer. Au moment de signer la feuille d’émargement, je constate que je m’appelle Yann B. sur la liste, mon contact de l’agence d’intérim ayant sans doute oublié mon prénom et, dans le doute, m’a donné un prénom populaire de la région, il ne me manquait plus qu’un « Ker » ou un « Le » devant mon nom de famille pour devenir un vrai breton 🙂

Jour 2, dimanche 26 novembre 2023 : rodage

Cette fois-ci, je suis mieux équipé que la veille pour le trajet à vélo avec de bonnes moufles et j’avance à un bon rythme, je commence à être rodé, l’heure de rendez-vous est une heure plus tard que le jour précédent pour être en phase avec la marée.

Je retrouve les collègues d’intérim devant le hangar, on discute, certains sont dans la restauration en tant que serveurs ou cuisiniers et ils complètent leurs revenus en attendant la haute saison. Ils m’apprennent que nous aurons ce jour-là une majoration de 20% car c’est dimanche, ce que je trouve peu élevé en comparaison du secteur du tri des colis en zone aéroportuaire dans lequel j’ai travaillé précédemment mais cela restait une activité limitée et exceptionnelle alors que pour la Marée c’est assez fréquent.

J’enfile le scaphandre et les gants qui sont déjà mouillés alors qu’il y a un vent glacial qui souffle à l’extérieur, même avec ces équipements j’ai froid. Au moins il ne pleut pas même si le ciel est couvert.

Nous retournons dans le parc loin du rivage en direction de Cancale, il y en a pour une bonne vingtaine de minutes de trajets avec le tracteur puis la yole. Lors du trajet, je fais la connaissance de mon nouveau binôme, Yann, issu de la grande diaspora bretonne en région parisienne et désormais de retour au pays. Yann a la quarantaine, il travaillait dans la restauration puis il a acheté un bar qu’il a finalement revendu après quelques années pour désormais alterner des missions en intérim avec d’autres activités en partenariat avec sa femme.

Comme la veille, nous tenons et poussons la yole pendant que les superviseurs chargent les poches des lots indiqués. Le temps presse car la marée continue de descendre et nous devons terminer de charger toutes les poches d’une table sur notre yole tout en évitant qu’elle s’enlise dans la vase. L’embarcation devient difficile à déplacer, on a l’impression de pousser dans une mêlée au rugby mais l’avantage c’est que lorsqu’on est en mouvement on a moins froid.

Aujourd’hui, les huîtres sont à amener directement au hangar pour être nettoyées puis triées suivant leurs tailles et il en faut une grande quantité donc, lorsque notre yole est remplie, nous transbordons la cargaison sur un grand navire amphibie à proximité du parc afin de pouvoir plus rapidement retourner à la pêche. Le bateau amphibie peut se déplacer dans l’eau à l’aide de roues, il dispose d’un large pont plat avec un grand bras mécanisé avec des chaines et des crochets à son bout afin de transborder les berceaux contenant les poches d’huîtres.

Le bateau amphibie pour transborder les berceaux d’huîtres à l’aide d’un bras mécanisé

Pendant qu’une équipe se charge du transbordement sur le navire amphibie, je reste les pieds dans l’eau dans le parc avec d’autres et nous tapons les tables avec des barres de fer pour enlever les huîtres sauvages et le dépôt qui recouvrent l’armature des tables, c’est l’occasion de discuter tout en travaillant et certains me font quelques confidences sur leur vie privée, pas vraiment pour me demander conseil mais plutôt pour évacuer leurs ressentis sachant que l’on ne se reverra probablement pas. Le travail, c’est aussi du social.

Puis, lorsque la yole revient, c’est à mon tour de pêcher alors que la marée remonte donc il ne faut pas traîner car après on ne verra plus les tables. C’est un effort court d’une vingtaine de minutes mais c’est intense, j’ai déjà mal au dos.

Nous terminons la mission de Marée après environ 4h d’activité et Yann me propose gentiment de m’avancer sur le trajet retour en chargeant mon vélo dans son Kangoo ce qui me permet de diviser par deux la distance à parcourir à vélo, c’est un bel exemple de solidarité entre travailleurs.

Jour 3, lundi 27 novembre 2023 : météo et ambiance tempétueuses

Ce lundi, il pleut dès le matin mais je suis bien équipé et en bonne forme donc le trajet en vélo ne me dérange pas, désormais je connais bien l’itinéraire et notamment le nombre exact de côtes à franchir.

En arrivant au hangar, je découvre en pleine activité l’équipe en charge de vider, trier et conditionner les huîtres que nous avons pêchées la veille dans l’estran. Tout d’abord, ils ouvrent les poches puis ils les vident à l’entrée d’un tapis mécanisé qui nettoient les huîtres puis les trient suivant leur gabarit (la taille des huîtres détermine leur catégorie, plus le numéro de la catégorie est faible plus le poids et donc le gabarit de l’huître est élevé) avant de les déposer dans des caisses qui sont ensuite entassées par des opérateurs.

Il y a également des opérateurs en milieu de chaîne de tri qui s’assurent de la qualité en décollant les huîtres agglutinées les unes sur les autres ou en retirant les coques ou autres intrus. C’est une vraie petite usine.

Les caisses d’huîtres seront ensuite stockées dans des bassins avant d’être éventuellement vendues en vrac dans une poissonnerie ou bien elles pourront également être reconditionnées dans des contenants plus petits telles des « bourriches » qui sont des petites caisses en bois pour être vendus aux particuliers.  

Aujourd’hui, nous devons prendre une voiture pour nous rendre dans un parc éloigné qui est tout proche de Cancale car nous ne pouvons pas rester dans les remorques sur la route. C’est l’occasion pour moi de faire connaissance avec deux nouveaux collègues, Le premier, Matéo, est étudiant en BTS en cultures marines et le second est un ancien cadre de santé qui s’est reconvertit en gérant de gites tout en gardant une activité partielle de psychomotricien et en complétant avec de l’intérim dont il apprécie la flexibilité et aussi le fait que les types de missions sont simples à effectuer, il suffit de suivre les directives alors que dans son travail précédent de cadre, le stress et les nœuds aux cerveaux le suivaient souvent à la maison. Ce n’est pas le premier à me faire part de ce type de problématiques, on trouve vraiment des profils différents dans les missions de Marée comme pour les vendanges.

Matéo m’explique que cette période est cruciale pour l’activité de l’entreprise car les ventes pendant les fêtes de Noël représentent quasiment un tiers de son chiffre d’affaires annuel. Il faut donc arriver à pêcher la bonne quantité de poches d’huîtres cette semaine car ce n’est pas sûr qu’il y ait une autre grande marée avant les fêtes, les enjeux sont importants. J’apprends également que la société qui nous fait travailler est une entreprise familiale qui a étendu ses activités à l’ensemble de la chaîne de l’ostréiculture depuis la conception de larves dans des écloseries jusqu’aux magasins de ventes aux particuliers en passant par les parcs de pêche et les hangars de tri.

En arrivant au parking, nous enfilons nos scaphandres et nous montons dans les yoles remorquées par les tracteurs qui nous ont suivi sur la route, il y en a six en tout donc cela fait une grosse équipe. Nous attendons un moment sous la pluie en file indienne dans l’estran avant que la marée soit suffisamment basse pour apercevoir les tables et les rejoindre avec les yoles.

Nous attendons dans l’estran que la marée descende suffisamment pour pouvoir pêcher

Les superviseurs semblent plus tendus que les jours précédents, leurs ordres fusent un peu sèchement, on sent que les objectifs sont élevés et qu’il ne faut pas traîner avec le peu de temps que nous laisse la marée donc j’essaye de suivre le rythme alors que la pluie redouble.

Même la simple tâche d’enlever les élastiques pour libérer les poches des tables peut devenir difficile à cette cadence car souvent des huîtres sauvages sont collées dessus au niveau des piquets et il faut forcer ou taper dessus pour libérer les élastiques mais c’est peu d’efforts par rapport à la pêche effectuée bien souvent par les superviseurs. Je le constaterai en pêchant plus tard une table entière de poches, des douleurs au bas du dos se feront rapidement sentir. Ce n’est pas évident non plus de déplacer la yole au rythme du pêcheur car il faut la garder bien parallèle à la table, ni trop proche ni trop près tout en la déplaçant à la bonne vitesse mais c’est moins physique.

Lorsque la yole est pleine, le superviseur lance le moteur tandis que nous poussons la yole puis il faut se jeter rapidement dedans alors que l’on a peu d’espace avec les tables autour et les berceaux pleins dans la yole. Soudain, le moteur cale et, après plusieurs tentatives infructueuses, il faut se jeter à l’eau pour retenir la yole afin d’éviter de percuter les tables. Nous devons répéter cette opération par trois fois ce qui provoque la fureur de notre chef d’équipe qui nous engueule pour se défouler, ses instructions deviennent confuses mais nous n’osons plus poser de questions, chacun a droit à ses remontrances, on fait le dos rond en attendant que l’orage passe.

Le moteur finit par redémarrer et nous parvenons à rejoindre enfin le bateau amphibie pour décharger notre cargaison puis récupérer des berceaux vides afin de remplir à nouveau notre yole puis nous repartons vers le parc tandis que la pluie alterne régulièrement avec le soleil, un vrai temps breton

C’est alors que le moteur d’une autre yole tombe en panne, c’est la cata dans le groupe, « mais pourquoi ils ont pas vérifié les moteurs, putain ?! », les superviseurs s’engueulent entre eux, nous autres intérimaires faisons profil bas en nous concentrant sur les instructions. Finalement, nous parvenons quand même à charger une yole alors que la marée remonte puis il faut décamper en vitesse.

A ce moment, il y a un magnifique arc en ciel aux couleurs très vives qui part de Cancale et qui rejoint le Mont Saint-Michel en enjambant toute la baie. J’enlève un gant pour prendre une photo afin d’immortaliser ce moment magnifique mais un superviseur me retient, dommage, il vous faudra faire preuve d’imagination.

Nous poussons les yoles remplies de poches à travers les tables en nous rapprochant du rivage pour rejoindre les remorques mais il y a de moins en moins de fond donc nous risquons de nous enliser. Nous redoublons d’efforts pour avancer mètre par mètre puis nous faisons un détour vers le large afin d’avoir plus de fond et faciliter les mouvements.

Tout le monde s’active, les superviseurs hurlent des ordres et se lancent des jurons au milieu des crépitements des moteurs tandis que la pluie se remet à tomber drue, on se croirait dans une bataille en mer. Puis nous finissons par attacher notre yole à la remorque et nous rembarquons, c’est fini. Désormais le silence règne dans l’équipe mais il va sans doute y avoir un débrief tendu entre superviseurs car nous n’avons pas atteint les objectifs à cause des pannes moteurs.

Fin de mission Marée sur la yole avec Yann, on garde le sourire

Pour une mission de 4h nous aurons été vraiment actifs un peu plus de la moitié du temps car les trajets sont longs mais, lorsque l’on travaille, c’est intense avec des cadences rapides et dans des conditions parfois difficiles avec la météo.

Cette fois-ci, mon scaphandre n’a pas été parfaitement étanche, j’ai les jambes et les pieds trempés mais je ne m’en suis pas rendu compte pendant l’action. Je suis bien content que Yann puisse me rapprocher en voiture de chez mes parents puis c’est mon père qui vient gentiment me chercher, je n’avais pas la motivation de continuer à vélo avec cette météo.  

Jour 4, mardi 28 novembre : on termine en beauté sans le savoir

Pour ce quatrième jour de Marée, le temps est doux et mon trajet en vélo est presque une balade. La silhouette du Mont Saint-Michel que je cherche toujours du regard au loin dans l’horizon m’est devenu familière, cette fois-ci je peux la distinguer nettement car il n’y a pas de brume mais mon téléphone n’est pas assez puissant pour que vous puissiez le voir nettement sur les photos.

La baie avec le Mont Saint-Michel tout au loin

En arrivant au hangar, j’ai ma petite routine en commençant par un thé chaud de mon thermos et des biscuits puis je choisis un scaphandre et des gants à ma taille en vérifiant qu’ils ne soient pas troués ni humides à l’intérieur. L’heure du rendez-vous continue d’être décalé en fonction de la marée et aujourd’hui c’est à midi.

Nous retournons en voiture au même endroit que la veille, près de Cancale. On sent que l’ambiance est apaisée, les superviseurs sont calmes, les moteurs tournent, il fait beau et les températures sont douces, tout va bien.

Nous faisons un trinôme avec Yann et Damien, un des superviseurs que nous commençons à bien connaitre avec le temps et cela fonctionne parfaitement entre nous, tout se passe de manière fluide, les instructions sont claires, chacun fait de son mieux pour aider l’équipe en restant concentré et en alternant les tâches difficiles sans que cela nous empêche de nous lancer quelques plaisanteries pour maintenir la bonne humeur.

La pêche reprend dans la bonne humeur

Certaines poches contiennent des huîtres toutes petites, elles sont sans doute mortes ou atteintes d’une maladie, c’est un cas similaire aux vendanges où l’on pouvait trouver des grappes de raisins rachitiques ou tout noir, l’essentiel est que cela reste une exception. Autre parallèle avec les vendanges, on peut aussi se faire de petites entailles au niveau des doigts même avec les gants car les coquilles d’huîtres sont très coupantes donc il faut faire des gestes prudents et mesurés.

Nous croisons dans le parc des pêcheurs de bouquets (des crevettes sauvages), ils sont vêtus de grands pantalons et de cirés jaunes imperméables et ils remontent à pied les rangées de tables en ouvrant grand devant eux un filet épuisette. Ce sont en général des retraités du coin, ils nous adressent un geste amical de la main et affichent de larges sourires sur leur visage en passant, cela semble une activité plaisante.

Nous croisons des pêcheurs de bouquets (crevettes) en cirées jaunes

Nous parvenons à faire notre quota de poches pour la journée à savoir une yole pleine déchargée sur le bateau amphibie puis une autre yole remplie à moitié que nous ramenons sur la remorque et tout cela sans pluie ni vent, des conditions parfaites.

En tant qu’ingénieur, je ne peux m’empêcher de penser à des moyens plus efficace nécessitant moins d’efforts humains comme par exemple des embarcations avec un bras articulé qui puisse soulever les poches et les ranger à l’intérieur  tout en ayant un système de guidage automatique pour se déplacer entre les tables sans les heurter, en tenant compte des marées et de la localisation des lots à prélever mais c’est peut-être trop d’investissements pour un rendement faible et puis, en attendant, cela permet de maintenir de l’emploi local dans un cadre unique !

De plus, comme pour les vignes, je constate que les parcs à huîtres sont heureusement difficilement délocalisables car la qualité de leurs produits dépend de facteurs naturels spécifiques à certaines régions françaises contrairement aux usines donc cela permet de maintenir ces activités ancestrales emblématiques de la France.

En revenant au hangar, je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir travaillé aujourd’hui même si cela a été aussi physique que les jours précédents, les conditions météos étaient tellement bonnes avec une ambiance détendue dans l’équipe et dans un cadre naturel aussi magnifique que je n’ai pas vu le temps passer, cela donne envie de continuer.

Toutefois, sur le chemin du retour en voiture avec Yann, celui-ci reçoit un appel de son agence d’intérim qui lui apprend que la Marée des deux prochains jours est annulée car ils ont fait leur quota. Nous sommes surpris car nous pensions qu’il y avait encore du boulot notamment du fait des objectifs non atteints de la veille et on ne nous avait rien dit en partant. Nous sommes donc un peu déçus d’être prévenus comme cela par téléphone au dernier moment mais c’est comme ça l’intérim, d’un côté la flexibilité et la possibilité de commencer un contrat rapidement mais aussi le risque qu’il s’arrête subitement, on aura quand même terminé notre mission sur une belle journée.  

Le lendemain, je pars acheter avec mon père quelques douzaines d’huîtres dans un magasin appartenant à l’entreprise familiale avec laquelle j’ai fait la Marée puis nous dégustons à la maison ces mollusques avec mes parents, accompagnés par du bon vin blanc de Chablis en souvenir de mes vendanges et ils se marient parfaitement ensemble.

Dégustation d’huîtres de la baie du Mont Saint-Michel accompagnées par du vin blanc de Chablis

Désormais, je peux mieux visualiser les efforts et toute l’organisation nécessaires pour créer, élever, pécher, conditionner et livrer ces produits de la mer afin que nous puissions les déguster chez nous ou au restaurant et j’espère que c’est également plus clair pour vous à la lecture de cet article !

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C’est quoi « la Marée » et l’ostréiculture

Autant l’activité des vendanges était assez claire pour moi, concernant l’ostréiculture et particulièrement « La Marée » je n’avais aucune idée de ce dont il s’agissait. Dans l’annonce d’emploi il était indiqué que l’entreprise me prêterait un scaphandre : est-ce qu’il faudrait aller sous l’eau pour aller pêcher les huîtres ? 

Donc, avant de commencer cette nouvelle mission, je me renseignai sur l’ostréiculture via différents articles sur internet ainsi que d’une vidéo de nos célèbres vulgarisateurs Fréd et Jamy dans l’émission « C’est pas sorcier ». J’y appris notamment que la Chine est le premier producteur mondial d’huîtres (80%) suivie par le Japon, la Corée du sud, les Etats-Unis et enfin la France qui représente à elle seule 90% de la production européenne. Historiquement, les côtes françaises de la façade atlantique étaient riches en bancs naturels d’huîtres sauvages plates qui étaient pêchées et dégustées depuis l’Antiquité mais la surconsommation les a menacées d’extinction et il n’en subsiste plus que dans quelques baies bretonnes, notamment du côté de Cancale.

Pour répondre à cette pénurie d’huîtres au milieu du XIXème siècle, de nouvelles techniques d’élevages furent développées (c’est le début de l’ostréiculture), des huîtres creuses du Portugal furent importées pour reconstituer les stocks et la pêche fut autorisée seulement pendant les mois en « r », c’est-à-dire de septembre à avril afin de préserver les huîtres en été pendant leur période de reproduction.

Cependant, les huîtres élevées sur les côtes françaises furent à nouveau décimées, cette fois-ci par un virus à la fin des années 60 et, finalement, ce furent des huîtres creuses du Japon qui furent sélectionnées pour les remplacer car elles s’acclimataient très bien aux conditions de la côte atlantique française et elles avaient bon goût. Désormais, elles représentent la majorité des huîtres élevées en France.

Les huîtres d’origine naturelle se reproduisent pendant l’été lorsque les températures sont plus élevées en relâchant des spermatozoïdes pour les mâles et des gamètes pour les femelles (à noter que les huîtres peuvent changer de sexe) qui formeront ensemble des larves avant de se développer en huîtres. Pendant cette période de reproduction, elles sont dites laiteuses car elles contiennent leur semence, leur goût est différent mais elles restent comestibles.

Depuis les années 2000, afin de gagner en efficacité, des huîtres dites « triploïdes » furent conçues artificiellement par croisements pour qu’elles ne puissent pas se reproduire afin que toute leur énergie soit dédiée à leur croissance. Ainsi, elles se développent plus rapidement que les huîtres naturelles, elles ne sont jamais laiteuses et elles peuvent être consommées en toutes saisons avec le même goût.

Par conséquent, il n’y a quasiment plus d’huîtres sauvages ni d’origine naturelle en France, elles sont élevées dans de grands sacs grillagés en plastique rigides appelés « poches » qui sont disposés sur des sortes de tréteaux métalliques appelés « tables » dans l’estran d’une baie (la partie qui est à sec pendant la marée basse) pour être brassées par les mouvements de marées et nourries au plancton. Les poches d’huîtres sont retournées régulièrement pour permettre la bonne croissance de ces mollusques (et non, ce ne sont pas des fruits de mer).

Après deux ou trois ans d’élevage dans la baie, il est temps de « pêcher », c’est-à-dire que les poches d’huîtres sont retirées des tables pour être acheminées vers le rivage à l’aide de bateaux à faible tirant d’eau et à fond plat (appelés chalands) pendant les périodes de grandes marées car cela laisse plus de temps pour cette activité qui est donc appelée « La Marée ».

Voilà pour l’historique et la théorie de l’ostréiculture, passons maintenant à la pratique !

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Voyages itinérants

La Dordogne en canoë

Juin 2022, descente de la Dordogne sur 80 kilomètres en canoë pendant 4 jours et 3 nuits

Genèse de ce voyage

A la fin de ce parcours itinérant en canoë, je me rends compte dans le train du retour me ramenant à Paris, combien il est difficile de tenir à jour un carnet de bord pendant un voyage collectif surtout s’il se passe en plein été alors que les journées sont longues et bien remplies. Je tâche donc de coucher par écrit avec un BIC mal en point mes souvenirs tant qu’ils sont encore frais de cette escapade sur la Dordogne avec mes deux cousins Guillaume et Louis. Voici donc mes notes retranscrites dans cet article avec quelques ajouts et modifications, il y a également une journée racontée par Louis qui était à mes côtés dans le train du retour.

Louis et Guillaume sont mes cousins de par ma branche maternelle, nous avons à peine un an d’écart et nous nous connaissons très bien pour avoir passé de nombreux étés ensemble pendant de grands rassemblements familiaux dès notre plus jeune âge et nous continuons de nous voir régulièrement.

Je leur avais proposé cette descente en canoë car je trouvais ce moyen de transport agréable étant donné qu’il garantit d’être constamment au contact de la nature sans être dérangé par les véhicules motorisés et aussi utile car il permet de transporter un poids et un volume important d’affaires pour un effort physique supportable en comparaison avec les voyages à pied ou à vélo. Dans le passé, j’avais fait plusieurs sorties en canoë sur une journée et j’avais envie de tester l’itinérance sur plusieurs jours, ayant été fortement impressionné par des vidéos de voyageurs sur la rivière Yukon dans le nord-ouest du Canada et en Alaska.

Enfin, la rivière de la Dordogne présentait les avantages d’être suffisamment longue et bien aménagée pour permettre une navigation de plusieurs jours dans une région riche en patrimoine historique, gastronomie et beaux paysages ainsi que d’être relativement facile d’accès pour chacun de nous.

Itinéraire

Pour lire la suite, vous pouvez sélectionner un jour particulier dans la liste ci-dessous ou tout simplement poursuivre votre lecture vers le bas

  • Jour 1 : de Carennac jusqu’à Creysse, 23 kms, 4h30
  • Jour 2 : de Creysse jusqu’à Souillac, 18 kms, 3h
  • Jour 3 : de Souillac jusqu’à Veyrignac, 20 kms, 4h
  • Jour 4 : de Veyrignac à Castelnaud-la-Chapelle, 19 kms, 3h

Jour 1, vendredi 17 juin 2022

Rédaction : Hugues

De Carennac aux environs de Creysse

Distance : 23 kms

Durée : 4h30

Avec Louis, nous partons tôt le matin de Paris en train pour rejoindre Guillaume en fin de matinée à la gare de Brives. Il nous récupère avec son van et nous faisons route vers notre point de départ à Carrenac en faisant une courte pause pour acheter des provisions : un grand jerrican de plusieurs litres d’eau car nous sommes en pleine canicule mais aussi de la bière pour égayer nos apéros du soir, du saucisson, des pâtes, des chips et quelques fruits, bref les essentiels.

Ensuite, nous rejoignons le centre de location où nous avons réservé un canoë trois places et un kayak, on nous met également à disposition une carte de l’itinéraire, trois sacs à dos étanches et deux grands bidons où nous rangeons notre équipement de bivouac et les vivres.

Puis, nous écoutons avec attention Gérald, le responsable du centre, concernant les recommandations des lieux à visiter sur le parcours, des zones propices au bivouac et supérettes pour faire les courses. Gérald termine son briefing par les consignes de sécurité : les gilets de sauvetage doivent être obligatoirement portés et attention car la gendarmerie peut nous verbaliser.

Nous installons nos bidons et nos sacs étanches sur nos embarcations et nous mettons sagement nos gilets tout en nous répartissant entre le canoë et le kayak sachant que nous ferons des rotations. Le centre de location est situé sur une petite île scindant la Dordogne en deux bandes de largeurs inégales. Nous embarquons sur celle qui est la plus fine, côté ouest, où il n’y a quasiment pas de courant, elle permet de longer le village médiéval de Carennac avant de rejoindre la partie large de la Dordogne.

A peine avons-nous commencé à pagayer que Guillaume nous prévient qu’il compte bien se passer de l’obligation du port du gilet de sauvetage sachant que notre itinéraire est sur une portion de la rivière peu mouvementée et nous suivons son exemple dans un joyeux esprit de bravade et d’indépendance : vive la liberté ! (En assumant les responsabilités qui vont avec).

Nous faisons un arrêt au tout début de notre expédition pour visiter le village de Carennac en étant attiré par ses belles maisons bien entretenues et datant de la Renaissance avec des toitures pointues en tuiles, des murs de pierres et des balcons en bois ainsi que de jolies tourelles. Ce patrimoine s’insère parfaitement dans son milieu naturel, il l’embellit même. Nous prenons les sacs à dos avec nous en laissant les canoës avec les bidons sur la berge, Gérald nous ayant rassuré sur le faible risque de vols tout le long du parcours, ce qui nous sera bien pratique pour faire de longues excursions à pied pour visiter ou faire des courses.

Après avoir traversé un pont pour nous rendre dans le centre du village, nous déambulons dans les rues étroites en passant devant quelques discrets restaurants gastronomiques aux terrasses desquels déjeunent des touristes anglais ou hollandais en petit nombre. Nous découvrons une église millénaire de style roman avec un imposant portail d’entrée soutenue par des colonnes de pierre dont le haut est orné de sculptures, ces lieux sont chargés d’Histoire.

Nous retournons ensuite à nos embarcations et nous atteignons un premier passage technique qui est une rampe d’accès en béton assez pentue sur laquelle s’écoule un mince filet d’eau permettant de rejoindre la bande plus large de la Dordogne. Gérald nous avait demandé de ne pas rester assis dans les canoës et de les tirer à pied mais, là encore, nous faisons fi des instructions en étant à la recherche de sensations.  

La chaleur nous étouffe, nous sommes en pleine canicule et les températures avoisinent les 36 à 38 degrés donc nous nous jetons rapidement à l’eau pour nous rafraichir tout en nous laissant dériver par le courant avec nos embarcations. Nous réitérerons de nombreuses fois cette technique efficace contre l’insolation et la déshydratation.

Nous passons quelques rapides peu turbulents sans trop de difficultés techniques et, dans l’ensemble, il y a peu de courants donc nous devons compenser avec notre force physique pour avancer. Ainsi, nous redécouvrons les mouvements à exécuter et les muscles sollicités pour la manipulation des pagaies mais nous tâchons de ménager notre corps en prévision de notre itinéraire sur plusieurs jours en faisant des pauses fréquentes pour admirer les belles falaises de calcaire et les châteaux ainsi que pour nous baigner.

Nous croisons sur notre parcours un groupe de jeunes sautant d’un rocher haut de six à sept mètres et nous décidons de débarquer pour leur emboiter le pas. Les jeunes nous montrent le chemin d’accès et ceux qui n’ont pas encore sauté nous cèdent volontiers leurs places en nous incitant à faire un salto (c’est-à-dire faire passer la tête en avant dans le vide puis retomber sur ses pieds). Guillaume acquiesce, je pensais qu’il plaisantait mais non, il se laisse presque tomber dans le vide droit comme un i en faisant un salto avant sous mon regard ébahi. Pour ma part, je n’ai jamais fait ce type de figure à une telle hauteur donc je me borne à un saut tout simple debout et Louis me suit dans la foulée. De retour aux canoës, je félicite Guillaume pour sa hardiesse et il m’explique qu’il a fait des sauts bien plus impressionnant dans sa vingtaine lorsqu’il vivait dans le sud de la France avec son cousin Paul où il faisait des doubles saltos à quinze mètres de haut, impossible pour moi !

L’après-midi est déjà bien entamée quand nous commençons à chercher un endroit pour notre premier bivouac et, vers 18h, nous trouvons une plage de galets orientée sud-ouest ayant un accès sur un champ de noyers avec de la bonne herbe sur un terrain plat, ce qui sera un emplacement parfait pour planter notre tente.

Après avoir installé notre campement, nous nous baignons une énième fois dans la Dordogne en essayant de nager contre le courant qui nous emmène au loin puis nous finissons par rentrer à pied en marchant douloureusement sur les galets et nous recommençons. Ce lieu en pleine nature est très agréable et nous sommes les seuls à y camper. Il y a une route de l’autre côté de la large rivière mais elle est heureusement cachée par les arbres et peu fréquentée.

C’est l’heure de l’apéro avec des bières et du saucisson puis nous dégustons des pâtes sauce bolognaise pour finir par des pommes en dessert et nous retournons nous baigner pour la digestion. Ensuite, on enchaine des parties de Tarot jusqu’à ce que la luminosité déclinante ne nous permette plus de distinguer les cartes et nous oblige à rentrer dans notre tente pour nous coucher.

Heureusement, la température diminue pendant la nuit et je m’endors vite mais non sans bruit, au grand dam de mes deux acolytes…

Jour 2, samedi 18 juin 2022

Rédaction : Louis

Des environs de Creysse jusqu’à proximité de Souillac

Distance : 18 kms

Durée : 3h

La nuit fut bonne pour Guillaume et Hugues malgré les quelques ronflements du second qui réveillèrent par moments le premier. Pour moi, elle fut plus dure étant donné que mon matelas gonflable se dégonfla très rapidement et que je finis à même le sol pour le reste de la nuit. Nous avons dormi sans double-toit compte tenu de la chaleur et des dimensions réduites de la tente pour trois gaillards comme nous qui se tiennent mutuellement chaud. Les sacs de couchage sont néanmoins utiles au petit matin quand la fraicheur s’installe.

Nous nous réveillons vers 8h30 et nous redescendons de notre lieu de campement pour prendre notre petit-déjeuner sur la plage de galets au bord de la Dordogne. Nos canoës sont toujours là et nous prenons rapidement un café, du jus d’orange et des tranches de brioche. Après le rangement de nos affaires dans les sacs et bidons, nous reprenons notre périple.

Nous faisons une étape ravitaillement dès le premier village atteint, à Saint-Sozy, où nous achetons dans un Spar des vivres pour la journée et le petit-déjeuner du lendemain. Cette fois-ci, nous sommes plus ambitieux et gourmands en prévoyant de faire un bon barbecue pour le dîner.

Puis, nous reprenons les canoës sous un soleil de plomb et nous croisons peu de monde sur la Dordogne si ce n’est un couple d’allemands sur un bateau pneumatique. Comme la veille, nous glissons paisiblement sur la rivière en alternant les passages rapides et les sections plus lentes en fonction notamment de la largeur de la rivière (la vitesse du courant évoluant à l’inverse de la taille du cours d’eau). Nous longeons quelques châteaux et villages forts jolis et nous finissons par accoster sur une berge en bord de hautes falaises de calcaire en vue de déjeuner avant de visiter les grottes de Lacave.

Merveilleux décor naturel sur la paisible Dordogne

Le vin rosé acheté en cubi au Spar de Saint-Sozy sur les conseils enthousiastes d’un client local et un gros melon font merveilles pour nous rafraichir le gosier. Après notre pique-nique, nous partons à pied en longeant un chemin puis une route en direction des grottes. Le trajet d’à peine 2,5 kilomètres d’après les informations de Gérald nous semble en réalité bien plus long, d’autant que la chaleur atteint presque les quarante degrés en ce milieu d’après-midi.

Nous finissons enfin par arriver au village de Lacave, connu suite à la découverte au début du XXème siècle des fameuses grottes qui portent son nom. Un tunnel de cinq cent mètres de long a été percé dans la roche dès cette époque pour installer des rails et un petit train afin de faciliter l’accès aux touristes. Après le trajet motorisé, nous découvrons à pied avec un guide une succession de très belles et grandes salles naturelles ornées de stalactites, stalagmites et autres formations géologiques.

La fraîcheur à l’intérieur de ces grottes contraste avec la forte chaleur de l’extérieur et nous redoutons par avance de devoir reprendre le même chemin à pied pour retrouver nos canoës. C’est alors que Guillaume a l’idée lumineuse de rejoindre les bords de la Dordogne situés à proximité et de nous laisser dériver par le courant jusqu’à nos embarcations laissées en aval sachant que nous avons pris nos sacs étanches.

Nous cherchons donc un accès le plus proche à la rivière et nous finissons par l’atteindre au pied d’une haute falaise au-dessus de laquelle se dresse le magnifique château de Belcastel et dont les murailles sont tout au bord du précipice. Nous nous jetons à l’eau, heureux de pouvoir nous rafraîchir et nous nous laissons emportés par le courant sur environ un kilomètre tout en admirant le paysage et en nous amusant comme des enfants. Nous explorons rapidement l’entrée d’une grotte découverte sur notre chemin aquatique et d’où sort un filet d’eau glacée.

Une fois de retour à nos canoës, nous reprenons notre descente avec pour objectif de trouver notre point de chute pour le bivouac de la nuit. Nous finissons par jeter notre dévolu sur une large plage de galets bordée par de nombreux arbres à proximité de la ville de Souillac. Nous plantons notre tente sur une zone plus ou moins herbeuse et plate entre des arbres et nous préparons le barbecue du soir.

Sur les conseils de Guillaume, nous faisons chauffer des galets à l’aide d’un feu de bois puis, lorsqu’ils sont bien chauds, nous déposons directement les saucisses dessus : c’est un franc succès ! Finalement, il n’est pas nécessaire d’emporter beaucoup de matériel, la nature y pourvoit.

Technique de cuisson sur galets certifiée par Guillaume

Après quelques parties de Tarot, nous regagnons la tente à la tombée de la nuit. Je prends cette fois la précaution de vérifier la valve de fermeture de mon matelas, ce qui me garantira une bien meilleure nuit.

Jour 3, dimanche 19 juin 2022

Rédaction : Hugues

De Souillac jusqu’à proximité de Veyrignac

Distance : 20 kms

Durée : 4h

La nuit a été perturbée par un voisin de la rive opposée qui mettait de la musique à tue-tête et en boucle (la bande son du film « Requiem for a Dream » a eu du succès) avec en accompagnements les aboiements de son chien et les croassements des grenouilles. Si vous ajoutez à cela, pour Guillaume et Louis, un solo nasal de votre humble serviteur quand je parvenais à m’endormir, c’est vous dire si la nuit a été pénible même si, heureusement pour Louis, son matelas ne s’est pas dégonflé cette fois…

Donc nous nous réveillons péniblement ce matin toujours vers 8h30 en nous promettant de trouver un meilleur spot pour la nuit, plus au calme. Nous sommes prêts à décamper vers 9h30 comme la veille, on commence à être rodés et nous profitons d’être à proximité de la petite ville de Souillac pour y faire nos courses. C’est une jolie commune avec un riche et beau patrimoine, notamment l’église abbatiale Sainte-Marie qui a des allures byzantines avec ses coupoles multiples.

Il y a une bonne trentaine de minutes de marche depuis notre embarcadère jusqu’à la supérette ouverte en ce dimanche que nous avons repéré sur Google. Cela nous permet de découvrir le centre-ville de Souillac mais le retour à pied avec les vivres et la chaleur nous semble un peu long. Faisant honneur aux produits locaux, ce soir nous avons prévu des aiguillettes de canard avec des haricots … à la graisse de canard ! Egalement une bonne et grosse pastèque ainsi que des tomates pour nous rafraichir, c’est l’avantage du canoë de pouvoir transporter tout cela sans trop de peine, pas sûr que l’on aurait choisi les mêmes produits pour un voyage à pied ou à vélo…

Les températures restent très élevées et nous ne tardons pas à nous jeter à l’eau après avoir récupéré nos embarcations, nous nous contentons de les propulser en avant avec nos bras ou, quand le courant est assez fort, de nous y accrocher en nous laissant dériver. C’est une pratique du canoë peu orthodoxe mais efficace en temps de canicule.

Nous découvrons de nouveaux châteaux majestueux en surplomb de la rivière, juchés sur de hautes falaises de calcaire. Nous croisons aussi régulièrement des hérons, des canards et des cygnes flottant sur l’eau comme nous et nous pouvons également apercevoir des poissons dans les eaux claires et limpides de la Dordogne. Il y a également de nombreuses pompes à eau installées dans la rivière pour irriguer les champs autour, notamment du maïs.

Nous nous arrêtons pour déjeuner tardivement après avoir bien cuits au soleil sur nos embarcations donc la pause à l’ombre s’impose puis une bonne baignade rafraichissante. Ensuite, nous prenons un café dans un restaurant recommandé par Gérald au village de Rouffillac. Un monument commémoratif nous y apprend que des civils furent massacrés dans ce village le 8 juin 1944 par un bataillon de la division SS Das Reich en représailles d’escarmouches avec des résistants tandis qu’ils cherchaient à remonter vers la Normandie pour repousser le débarquement Alliés. Le lendemain, c’est cette même division SS qui fera pendre à Tulles 99 otages et qui organisera le jour suivant le massacre de centaines d’innocents à Oradour-sur-Glane. Tous ces évènements abominables nous semblent désormais bien loin et comme irréels en ces beaux jours de juin dans ce cadre naturel magnifique mais nous tâcherons de les garder en mémoire ainsi leurs causes pour essayer d’éviter qu’ils se reproduisent.

Nous prenons ensuite un peu de hauteur sur les conseils de la serveuse du restaurant en suivant un chemin serpentant dans une forêt pour arriver au sommet d’une colline d’où nous pouvons apprécier un beau point de vue sur la Dordogne et le château de Rouffillac.

Vue sur la Dordogne et la commune de Rouffillac où eurent lieux des massacres de civils par les nazis en juin 1944

Puis, nous reprenons les pagaies en décidant de prendre de l’avance sur notre programme initial afin d’avoir le temps de visiter le lendemain le château de Castelnaud-la-Chapelle qui sera notre étape finale. Cette fois-ci, nous voulons trouver le spot idéal avec un beau point de vue et au calme, c’est-à-dire à l’écart des habitations et de la route.

Pour cela, nous allons être aidé par un gars du coin que nous rencontrons alors qu’il pêche debout sur son Paddle. Celui-ci nous conseille une petite île souvent plébiscitée pour les bivouacs et nous suivons ses indications pour la rejoindre. L’endroit est en effet très agréable avec une large zone herbeuse plate et bien défrichée tout en étant protégée du soleil par de multiples arbres feuillus. La vue est bien dégagée sur la Dordogne qui est très large à cet endroit et il y a de hautes falaises creusées en profondeur à leur base qui sont complètement recouvertes par une végétation verdoyante, on pourrait se croire sur un autre continent comme en Asie du sud-est. Le reste de notre îlot est occupé par une forêt dense et la plage tout autour est constituée de vase dans laquelle nos pieds s’enfoncent en profondeur sur une bonne dizaine de centimètres mais sans nous empêcher d’avancer.

Nous installons donc notre campement, satisfaits de passer notre dernière soirée dans ce lieu si agréable puis nous effectuons notre habituelle baignade de décrassage de fin de journée. De l’autre côté de la rivière, une bande de jeunes chantent et jouent joyeusement de la guitare.

Nous entamons ensuite des parties de Tarot, confortablement assis en tailleur sur une couverture étendue dans notre zone de bivouac à l’abri du soleil et avec une vue imprenable sur la Dordogne. A tour de rôle, nous « prenons » le pari de remporter la partie seul contre les deux autres joueurs en espérant que le chien soit bon et il y a quelques bonnes et mauvaises surprises…

Il est désormais temps de commencer l’apéro par une bonne bière rafraîchit dans les eaux de la Dordogne avant de continuer par le cubi de rosé acheté la veille sur les conseils d’un amateur local et nous lançons un grand feu de bois pour chauffer les galets qui serviront ensuite à cuire les aiguillettes de canard, technique éprouvée le jour d’avant et qui fait encore ses preuves.

Les résultats des législatives tombent en début de soirée, la déroute d’En Marche, le demi succès de la Nupes mais aussi l’inquiétante montée du RN. En écho à ces évènements politiques, le ciel s’assombrit avec d’épais nuages gris menaçants puis nous entendons au loin des coups de tonnerre qui deviennent de plus en plus bruyants et nous apercevons des éclairs foudroyant le sol avec éclat et s’approchant dangereusement de notre îlot.

Cette fois-ci, nous avons mis le double toit de tente en prévision de la pluie attendue dans la nuit et nous nous réfugions dans notre abri vers 22h dès que celle-ci arrive. Un vent violent se lève et secoue sans ménagement notre tente quand soudain, nous distinguons à travers la toile des sortes de lucioles rouges s’approchant de notre tente à notre grand étonnement mais nous comprenons rapidement qu’il s’agit en réalité de cendres brûlantes provenant de notre feu qui a été rallumé par le souffle du vent et qui menacent de percer notre tente ! Nous nous précipitons donc au dehors en pleine tempête pour éteindre le feu définitivement et étouffer les cendres disséminées aux alentours afin d’éviter que le feu ne se propage, heureusement que nous ne dormions pas encore !

Finalement, il n’y a pas trop de dégâts, cela a été plus de peur que de mal et, désormais, notre refuge de toiles subit vaillamment les assauts du vent. Nous nous protégeons la tête de nos bras au cas où une branche d’arbre nous tomberait dessus en bons gaulois que nous sommes, redoutant que le ciel ne nous tombe sur la tête. Pour nous divertir pendant cette nuit agitée, nous écoutons un podcast de Etienne Klein sur le temps avec sa voix apaisée et son érudition hors norme qui le laisse aller à de nombreuses digressions amusantes.

L’orage finit par enfin s’en aller et notre tente nous a bien protégé, nous n’avons pas reçu une goutte de pluie ni une branche sur la tête, nous pouvons désormais dormir en paix.

Jour 4, lundi 20 juin 2022

Rédaction : Hugues

De Veyrignac à Castelnaud-la-Chapelle

Distance : 19 kms

Durée : 3h

Pour ce dernier jour, il était prévu que ce soit Guillaume qui en fasse la rédaction mais, comme je l’ai dit en préambule, nos journées passées ensemble étaient bien remplis du lever du jour à la tombée de la nuit donc Louis et moi-même avons simplement pris des notes à la hâte dans le train du retour et nous n’avons pas eu le temps d’écrire sur cette journée. Ainsi, je vais tenter de faire appel à ma mémoire en m’aidant des photos que nous avons prises.

Après cette nuit agitée, je ne me souviens pas que mes compagnons m’aient fait grief de quelques ronflements intempestifs mais peut-être qu’ils étaient tout simplement trop fatigués. Bref, nous prenons notre petit-déjeuner et nous levons le camp en quittant avec un petit pincement au cœur notre îlot si sympathique mais la fin de notre parcours nous réserve encore de belles surprises.

Il y a encore des nuages dans le ciel et les températures se sont adoucies après l’orage de la nuit. A cette heure matinale, nous ne croisons quasiment personne mais il y a davantage de campings et d’agences de locations de canoës dans les environs donc nous ne tarderons pas à voir plus tard des nuées d’embarcations groupées portant les couleurs de leur agence en guise d’étendards, les gilets de sauvetage ont remplacé les uniformes et les livrées, les pagaies sont nos lances, il ne reste plus qu’à organiser des joutes.

Nous longeons encore de belles et hautes falaises et le patrimoine architectural est également riche sur cette section de la Dordogne avec notamment le majestueux château de Montfort qui, comme la plupart de ses homologues périgordins à proximité de la rivière, a été construit en bord de falaise. C’est très impressionnant de l’admirer depuis nos embarcations et nous prenons notre temps en nous laissant tranquillement transportés par le faible courant. La fondation de ce château situé à proximité de la ville de Sarlat date du dixième siècle et a été l’objet de multiples conflits et convoitises pour le prendre de force ou de manière plus subtile au cours de la guerre de Cent Ans et des nombreuses guerres de religions jusqu’à la fin de la Renaissance, pendant toute cette période il fut détruit et reconstruit cinq fois !

Le château de Montfort

Nous passons également devant l’impressionnant village de La Roque-Gageac, coincé entre la Dordogne et une immense barrière naturelle de falaises dans lesquelles a été creusé un fort troglodytique. A présent, il y a davantage de touristes et nous choisissons de ne pas nous attarder pour privilégier la visite du fort de Castelnaud-la-Chapelle qui est tout proche et qui constitue la fin de notre parcours.

La Roque-Gageac et son fort troglodytique

En arrivant en contrebas de Castelnaud-la-Chapelle, nous déposons sur la berge nos canoës et nous montons à pied dans le haut du village pour déjeuner dans un bon restaurant à proximité du château. Après un bon confit de canard accompagné de pommes de terre sarladaises et d’une bonne bière locale, nous visitons le fort qui domine la région du haut de sa colline et offre un beau panorama sur la vallée de la Dordogne. Il contient une importante collection d’armures et d’armes, notamment d’imposantes machines de siège comme des trébuchets. Ce château a été construit au début du treizième siècle et, comme le château de Montfort et d’autres de la région, il a été le lieu de nombreux conflits passant d’un camp à un autre pendant la croisade contre les Cathares, la guerre de Cent Ans et les guerres entre catholiques et protestants, ce fort ayant appartenu à des familles se rangeant du côté des cathares, du suzerain anglais puis des protestants.

Nous savourons ces derniers moments passés ensemble

Il nous faudrait encore beaucoup de temps pour découvrir tous les trésors de cette magnifique région mais il est désormais temps de clore cette aventure collective. La société de location de canoës vient nous récupérer au lieu et à l’heure prévus en remorquant nos embarcations et en nous ramenant en mini van dans une organisation bien huilée au service impeccable.

Le ciel s’est éclaircit de nouveau et les températures remontent mais la canicule est partie pour de bon. Guillaume nous dépose à la gare de Brives et il est temps de nous quitter dans la bonne humeur, la peau du visage légèrement rougie par le soleil mais affichant un sourire radieux et des yeux brillants de nos bons souvenirs le long de cette Dordogne magnifique.

Nous y reviendrons pour sûr !

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La route des crêtes en raquettes

Février 2019, 80 kilomètres en 5 jours de marches avec des raquettes à neige sur la Route des Crêtes traversant les Vosges

Pourquoi j’ai choisi cet itinéraire et ce moyen de déplacement

Je suis née à Nancy, toute la famille de mon père vit à Nancy et mes grands-parents paternels sont originaires des Vosges où leurs aïeux y ont vécu pendant des siècles donc cette région de France a toujours été chère au cœur.

De plus, après avoir fait plusieurs voyages à vélo, à pied et à moto, j’avais envie de tester de nouveaux moyens de déplacements en itinérance. Je ne me souviens plus trop comment m’est venu l’idée mais j’ai pensé à faire une expédition en raquettes à neige car cela permet de se déplacer en montagnes pendant l’hiver et de passer à peu près partout et j’avais entendu parler de cet itinéraire possible sur la Route des Crêtes donc j’ai décidé de me lancer ce nouveau défi de voyage itinérant.

Pour l’Histoire, cette route a été aménagée sur des dizaines de kilomètres à plus de mille mètres d’altitude par les militaires français avec des fortifications afin d’assurer la logistique et défendre la ligne de front qui était située à proximité en raison de l’annexion de l’Alsace Lorraine dans l’empire allemand lors de la guerre franco-prussienne de 1870.

Donc, je m’achetais des raquettes à neige chez Décathlon et je commandais des cartes IGN pour préparer mon itinéraire en m’assurant de trouver un hébergement pour chaque étape et en espérant que la neige et le soleil seraient de la partie, sur ce point j’allais être servi au-delà de mes espérances !

Je faisais également part de mon projet à mon frère Jérémie qui était très intéressé mais ne pouvait pas se libérer pour les cinq jours de traversée que je prévoyais donc il me rejoindrait pour le week-end avec des skis de randonnée.

Comme pour mon voyage à vélo de Paris jusqu’à Londres, ce récit est issu des notes que j’ai prises sur un carnet pendant cette excursion et auxquelles j’ai apporté quelques ajouts et modifications pour la publication de cet article.

Itinéraire (approximatif)

Pour lire la suite, vous pouvez cliquer sur l’un des jours de la liste ci-dessous ou tout simplement poursuivre votre lecture vers le bas

  • Jour 1 : de Saint-Amarin au Grand Ballon, 10 kms, 4h30
  • Jour 2 : du Grand Ballon au Markstein, 12 kms, 3h30
  • Jour 3 : du Markstein au Hohneck, 20 kms, 7h
  • Jour 4 : du Hohneck à l’Auberge du Devin, 22 kms, 8h
  • Jour 5 : De l’Auberge du Devin à Sainte-Marie-aux-Mines, 16 kms, 6h

Jour 1, mercredi 13 février 2019

De Saint-Amarin au Grand Ballon

Distance : 10 km

Dénivelé + : 1000m

Durée : environ 4h30

Je me lève tôt le matin pour avoir le temps de bien vérifier que j’ai toutes les affaires nécessaires pour mon périple (j’oublierai quand même ma montre) puis je prends un petit-déjeuner et j’enfourche un Vélib afin de rejoindre la Gare de Lyon, il n’y a personne dans Paris à cette heure matinale.

J’ai une correspondance à Mulhouse de 50 minutes qui me permet de découvrir le centre-ville à pied et de m’acheter un sandwich pour le déjeuner que je mangerai dans le train TER m’emmenant à Saint-Amarin au pied du massif des Vosges.

Dès mon arrivée dans cette petite ville, je me fais accoster par un habitant du coin intrigué par mon accoutrement avec mon gros sac à dos et mes raquettes. Il m’indique gentiment par où commence le sentier menant au Grand Ballon et je commence mon ascension à midi, le soleil est radieux et les températures sont douces.

A peine ai-je parcouru quelques centaines de mètres que j’enlève déjà des couches de vêtements. Il n’y a pas de neige à cette altitude (environ 400 mètres) donc je dois porter mes raquettes en plus de mon sac à dos qui contient quelques affaires de rechange, de l’eau, un peu de nourriture, un livre et mon carnet. Je parviens à fixer mes raquettes sur mon sac afin de pouvoir garder mes mains libres pour utiliser mes bâtons de marche ou soutenir les lanières de mon sac afin de soulager mes épaules car je trouve déjà mon sac trop lourd !

La vue est belle sur la vallée et les montagnes autour que l’on peut bien observer malgré les arbres car ils n’ont pas de feuilles en cette saison, il y a peu de sapins. Le ciel est d’un bleu azur magnifique, j’aurais bien aimé également trouver une belle couche de neige blanche sur le chemin et sur les arbres mais on ne peut pas tout avoir.

Départ depuis Saint-Amarin avec un temps magnifique

Malgré un bon balisage et ma carte, je manque de peu de me tromper de chemin car je passe mon temps à admirer le paysage. Je prends le risque de boire de l’eau d’un ruisseau et d’une fontaine car elle est si claire et j’ai si soif. Cette randonnée me rappelle mes excursions en raquettes à neige avec le snowboard dans le dos dans les Alpes quand j’étais étudiant à Grenoble. On a chaud tant que l’on monte mais, dès que l’on s’arrête pour une pause, on a déjà froid au bout de dix minutes donc on passe son temps à enlever puis remettre des vêtements.

Le chemin devient plus étroit en s’enfonçant dans la forêt sur les hauteurs et la présence de la neige augmente avec l’ascension puis, à partir de 800 mètres d’altitude, elle recouvre tout le chemin mais je ne peux pas encore utiliser mes raquettes car la couche de neige est trop fine. Je fais des pauses toutes les demi-heures pour boire et reposer mon dos, mon talon du pied droit me fait déjà mal à cause des frottements avec ma chaussure, ce n’était pas une bonne idée d’acheter des chaussures neuves sans les utiliser avant… Je mets du strap en espérant que cela limitera les risques d’ampoules.

A partir de 1000 mètres, la couche de neige devient plus épaisse, je peux enfin utiliser mes raquettes. Le chemin de randonnée est très sympathique au milieu de ces grands arbres faisant le lien entre la terre immaculée de blanc et le ciel bleu azur. Enfin, j’aperçois au loin le radôme sous forme de globe qui protège un immense radar aérien civil et qui est un repère facile pour identifier le Grand Ballon culminant à 1424m, le plus haut sommet du massif des Vosges.

Puis, en arrivant au col du Haag à 1233m, je rejoins la fameuse Route des Crêtes qui est aménagée en immense piste de ski de fond pendant l’hiver, je croise de nombreux retraités à ski alors que je n’avais vu personne sur mon chemin depuis mon départ de Saint-Amarin.

La Route des Crêtes au col du Haag

Je gravis avec enthousiasme les derniers cent mètres de dénivelé pour atteindre le sommet du Grand Ballon, heureux d’être arrivé au bout de ma première étape car je commençais à fatiguer. La vue est magnifique, je peux apercevoir quasiment tout le massif des Vosges avec sa ligne de crêtes qui s’étire devant moi et qui devrait me permettre d’atteindre demain le Markstein puis, le jour suivant, le Hohneck. Depuis ce point de vue, on peut également admirer la chaîne des Alpes côté Suisse qui se dresse telle une muraille naturelle infranchissable.

Vue sur les Vosges depuis le Grand Ballon
Vue sur les Alpes depuis le Grand Ballon

Ensuite, je rejoins l’hôtel du Grand Ballon qui est très chaleureux avec son intérieur tout en bois, un vrai chalet de montagne. J’ai une chambre individuelle avec les sanitaires partagés, il y a également des espaces communs très agréables où l’on peut s’assoir dans un fauteuil et lire confortablement.

Je fais une courte pause dans ma chambre puis je sors dehors, allégé de mon sac à dos, ça fait un bien fou ! Je reste assis sur un rocher en regardant le soleil se coucher, c’est apaisant. Puis, je rentre prendre une douche et c’est l’heure du repas, j’ai pris la formule demi-pension et les plats sont très bons et copieux, exactement ce qu’il me faut !

Allez, il est temps de dormir pour reprendre des forces, ce n’est que le début.

Coucher de soleil à proximité de l’hôtel du Grand Ballon

Jour 2, jeudi 14 février 2019

Du Grand Ballon au Markstein

Distance : 12 kilomètres

Dénivelé : 300 mètres

Durée : 3h30

Je me réveille pile au moment du lever du soleil vers 7h30 et je peux l’admirer à travers la fenêtre de ma chambre, la journée commence bien ! Je vis désormais au rythme du soleil en passant mes journées dehors tant qu’il est visible dans le ciel.

Lever de soleil depuis ma chambre

Après un petit-déjeuner copieux, je remballe mes affaires et je récupère mon pique-nique commandé à l’hôtel, je suis prêt à partir à 9h. Je refais le sommet du Grand Ballon puis je redescends vers le col du Haag. Il n’y a quasiment personne dehors et le ciel est aussi bleu que la veille, c’est beau.

Vue sur les Vosges de bon matin depuis le Grand Ballon

En montant depuis le col en direction des crêtes, je croise un gars du coin très sympathique avec qui je discute une bonne dizaine de minutes. Il a la soixantaine et il est en pleine forme, il fait du trek de bon matin. La vue sur le massif des Vosges est magnifique et, grâce aux explications de mon interlocuteur, je distingue au loin le Mont Blanc, je n’ai pas l’habitude de le voir sous ce profil et on aperçoit également le massif du Jura qui sépare les Vosges des Alpes.

La neige est de bonne qualité à cette altitude, pas trop dure ni trop collante, je marche facilement dessus avec mes raquettes en repérant le chemin grâce à des traces de précédents randonneurs. En redescendant du haut d’une crête, je tombe sur un groupe de retraités qui sont également en raquettes et qui avaient séjourné dans le même hôtel que moi la veille dans une bonne ambiance de rigolades pendant un riche dîner bien arrosé. Nous discutons un peu et il se trouve qu’ils iront au même hébergement que moi ce soir au Markstein, l’hôtel Wolf, nous nous disons donc à bientôt.

Pour ma part, je suis le chemin GR5 longeant la ligne des crêtes tandis que la route enneigée avec la piste de ski de fond est plus en contrebas, cela me permet d’avoir de meilleurs points de vue et je me sens davantage dans la nature sauvage avec de larges étendues de neige vierge sans aucunes traces de pas. Le ciel est toujours complètement dégagé avec un soleil radieux et il fait presque trop chaud quand on marche (10 degrés) mais la visibilité est excellente. Ces paysages de moyennes montagnes enneigées avec des parcelles de forêts sont magnifiques et j’apprécie de pouvoir me déplacer en raquettes sur d’aussi grandes étendues de neige dans un environnement très sauvage. Le chemin traverse à certains moments des forêts d’arbres complètement dénudés, il y a peu de sapins.

Les points de vue sont nombreux dans ce magnifique environnement sauvage

Je prends mon pique-nique près de la station du Markstein située à 1185 mètres d’altitude puis je vais à mon hôtel pour me reposer. Ensuite, je troc mes raquettes contre des skis de fond pour m’essayer à ce sport très pratiqué dans cette région et j’emprunte les rails creusés dans la neige sur la Route des Crêtes. C’est très pratique même si cela devient lassant de devoir suivre une voie toute tracée, je finis par regretter mes raquettes qui offrent une grande liberté de mouvement et permettent de sortir des sentiers battus, c’est en quelque sorte une métaphore de ma vie !

J’avance bien plus vite en ski de fond qu’en raquettes mais je voyage aussi plus léger, en deux heures je parviens à rejoindre le col du Haag puis à rentrer au Markstein. Le temps est toujours au beau fixe, je savoure ma chance en admirant le paysage.

De retour à l’hôtel, je fais une micro sieste puis je repars dehors tant qu’il fait jour pour monter sur un petit sommet à proximité qui offre un beau point de vue sur le coucher du soleil, je ne tiens pas en place quand il fait beau dehors et que le spectacle de la nature est aussi majestueux.

Nouveau coucher de soleil magnifique sur les Vosges

Puis, après une bonne douche chaude, je visualise sur ma carte l’itinéraire du lendemain où nous avons prévu de nous rejoindre avec mon grand-frère Jérémie (alias « Jérem ») qui arrivera en train de Paris avec des skis de randonnée. On s’appelle le soir pour se donner quelques infos, les prévisions météos sont encore très favorables et la couche de neige reste épaisse malgré les températures douces donc cela devrait être possible de faire du ski, c’est aussi en raison de cette inconnue que j’avais préféré prendre des raquettes.

Le dîner à l’hôtel est à nouveau très copieux mais, malheureusement, le joyeux groupe de retraités n’est pas là pour égayer la soirée. Allez, il est temps de dormir !

Jour 3, vendredi 15 février 2019

Du Markstein au Hohneck

Distance : 20 kms

Dénivelé + : 500m

Durée : 7h

Lever à 8h, je prends un gros petit-déjeuner puis je prépare mon sac, en route pour les Crêtes ! Au départ, je traverse en raquettes les pistes de ski de la station du Markstein puis, étant donné que la météo est toujours bonne, je décide de suivre le chemin de randonnée du GR5 qui suit la Route des Crêtes mais en restant sur les hauteurs.

La vue est belle, désormais c’est l’aventure loin des voies fréquentées, enfin il y a quand même beaucoup de traces de pas mais je croise très peu de monde. Les passages en forêt me permettent de me protéger du soleil qui tape déjà fort puis j’atteins une clairière au col du Hahnenbrunnen à 1186 mètres d’altitude (on voit de par les sonorités et les orthographes de ces lieux que l’on s’éloigne des latins et que l’on se rapproche des germains !).

Soudain, un traîneau tiré par six chiens en file indienne passe devant mes yeux ébahis dans ce décor de conte de fées et je redeviens un petit enfant tout émerveillé.

Un équipage de chiens de traineau passe devant moi au col du Hahnenbrunnen

Ensuite, je continue de suivre le GR5 qui passe au milieu d’un large couloir de neige bordé de chaque côté par la forêt puis, j’atteins un sommet d’où je peux voir la ligne de crêtes s’étendant au loin et me montrant les prochaines bosses à franchir sur le parcours, c’est facile de se repérer comme cela.  

Les paysages de moyennes montagnes en bosses recouvertes de neige blanche et de forêts clairsemées sont magnifiques, j’ai l’impression d’être à l’autre bout du monde, en Laponie ou au Canada. L’itinéraire que j’avais élaboré à l’avance sur des cartes IGN depuis mon étroit et sombre studio parisien en rêvant de grands espaces majestueux se révèle être bien au-delà de mes espérances !

Je commence à croiser quelques randonneurs en raquettes sur les coups de midi mais, dans l’ensemble, il n’y a quasiment personne sur ce chemin. Pour le déjeuner, je m’abrite du soleil en me réfugiant à l’ombre offerte par la façade d’un refuge de montagne qui est fermé en hiver. Le talon de mon pied droit me fait mal depuis le premier jour et cela devient de plus en plus douloureux. Heureusement, les beaux paysages me permettent de moins y penser.

Jérémie est arrivé en train dans la vallée et il se dirige désormais vers les hauteurs à pied avec ses skis sur le dos jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de neige pour les chausser. Il devrait ensuite emprunter le même chemin que moi mais je continue d’avancer car il ira plus vite que moi avec ses skis et j’ai encoure beaucoup de distances à parcourir.

L’après-midi, j’enchaîne les mini sommets, l’effort à fournir pour l’ascension est important car parfois la pente est raide, mon sac me pèse une tonne, je marche lentement mais d’un pas régulier et je ne me lasse pas de ces multiples points de vue différents sur les Vosges. Quand je tourne le dos pour regarder en arrière, le sommet du Grand Ballon avec son radôme m’apparait déjà bien loin alors que j’y étais il y a seulement deux jours et j’aperçois encore également en toile de fond l’imposante chaîne de montagnes des Alpes derrière un léger rideau de condensation.

Désormais, je croise davantage de randonneurs et nous discutons de temps en temps, la plupart sont de la région et viennent à la journée donc ils ont moins d’affaires à porter que moi.

Le sommet arrondi et enneigé tout à gauche est le Grand Ballon et on aperçoit au loin dans la brume la chaîne des Alpes

J’atteins la station de ski du Hohneck à 1363 mètres de haut en fin de journée, il y a du monde sur les pistes en comparaison du chemin sur les crêtes, je n’ai déjà plus l’habitude de voir autant de personnes, le retour à Paris va être difficile…

Enfin, j’arrive à l’auberge, soulagé de retirer mes chaussures et de poser mon sac à dos. C’est un grand chalet tout en bois très agréable. Jérémie me rejoint une heure plus tard, tout juste après le coucher du soleil, très enthousiaste comme moi de cette belle journée malgré les efforts physiques. Nous célébrons nos retrouvailles autour d’un très copieux dîner accompagné d’une bonne bière puis d’un bon verre de vin rouge : c’est ça aussi la montagne ! 😊

Photo du coucher de soleil prise par Jérémie du haut de la station du Hohneck avant de me rejoindre à l’auberge
Les retrouvailles entre frangins autour d’un bon repas

Jour 4, samedi 16 février 2019

Du Hohneck à l’Auberge du Devin (3km au sud de la ville du Bonhomme)

Distance : 22kms

Dénivelé : beaucoup de hauts et de bas…

Durée : 8h

Quelle journée ! Efforts constants, douleurs lancinantes, paysages naturels grandioses…

Le réveil est à 8h comme les autres jours sauf que cette nuit j’ai très mal dormi à cause d’une grosse ampoule qui s’est formée au niveau de mon talon droit et qui me fait affreusement mal. Je me suis même demandé si j’allais pouvoir continuer cette aventure car il apparait que mes chaussures neuves sont légèrement trop petites pour ces longues marches répétées (j’aurais dû prendre une taille au-dessus de la mienne) et je n’ai pas de protections adaptées contre les ampoules du style Compeed.

Je tente malgré tout de désinfecter ma blessure puis je la recouvre d’une compresse et la maintient avec du sparadrap en espérant que cela tiendra. Le ciel est encore bien dégagé donc ce serait dommage de ne pas profiter de cette belle journée !

Avec Jérémie sur ses skis et moi sur mes raquettes, nous montons doucement jusqu’au sommet du Hohneck, il fait déjà chaud et nous sommes en t-shirt dans la montée. Je prends un peu d’avance sur Jérémie lorsqu’il doit installer ses peaux de phoques sur ses skis mais il me rejoint peu de temps après pour me dépasser ensuite facilement à la descente après avoir enlever les peaux de phoques.

La vue panoramique depuis le sommet est saisissante, elle laisse découvrir des pentes raides et des falaises abruptes surmontées de congères, il faudra être prudent de ne pas trop s’en approcher.

Nous redescendons ensuite en longeant les crêtes, Jérem me dépasse mais il a la bonté de m’attendre sur le plat puis il arrive à se faufiler avec adresse malgré ses longs skis dans une forêt dense avant d’atteindre une vaste clairière.

Ensuite, nous traversons une nouvelle forêt en longeant le bord d’une falaise pour atteindre le col de la Schlucht à 1139 m. Il y a du monde de sortie en ce beau week-end ensoleillé mais, heureusement, la prochaine partie du chemin que nous empruntons est moins fréquentée. Nous montons progressivement une pente à travers une forêt et un passage technique nécessite d’enjamber un ruisseau, Jérem décide de passer avec ses skis et ça passe sans casse.

Ensuite, nous retrouvons le haut des crêtes dans un nouveau décor avec des empilements de gros rochers qui semblent taillées comme si c’était un ancien fort en ruine. Cet amoncellement de pierres est légèrement recouvert de neige au milieu d’une forêt de sapins, on se croirait dans les Rocheuses américaines, il ne manque plus qu’un loup ou un coyote hurlant à son sommet.

Nouveau décor

Il fait chaud en marchant avec le soleil qui tape d’en haut et sa lumière qui se réverbère au sol sur la neige, mon sac me semble toujours aussi lourd et mon talon droit me fait souffrir mais les paysages grandioses sont là pour me divertir.

Nous faisons la pause déjeuner en haut de la station de ski du Tanet et nous en profitons pour discuter de la suite du parcours en analysant la carte. Initialement, j’avais prévu un hébergement qui se trouvait à proximité de cet endroit mais qui obligeait à faire un détour et n’offrait pas le couvert (scandale !). En ce samedi pendant les vacances scolaires, la plupart des logements le long de la Route des Crêtes sont complets, notamment à la station de ski du Lac Blanc. Toutefois, Jérémie me fait judicieusement remarquer que l’itinéraire du lendemain risque d’être très long alors que nous avons un train à prendre en fin d’après-midi et il propose d’avancer plus loin quitte à faire un plus long trajet aujourd’hui.

Nous continuons donc notre périple sans trop savoir où se terminera cette étape. En se renseignant auprès de l’office du tourisme locale, Jérémie trouve une auberge disponible nommée l’Auberge du Devin qui est située plus loin en contrebas à 950 mètres d’altitude. Il y a encore beaucoup de kilomètres à parcourir mais cela ne nous détourne pas de la Route des Crêtes et on sait qu’un bon repas chaud nous attend le soir, courage !

Jérem m’annonce la bonne nouvelle après une belle descente à skis qu’il a réservé un hébergement tandis que je reste concentré sur ma marche en boitant légèrement 🙂

La suite est une succession de montées et descentes assez fatigante et, en arrivant en haut d’un énième sommet après une longue ascension, je suis claqué, j’ai l’impression de traverser un immense désert blanc avec ses dunes de neige.

Après avoir atteint les pâturages de Plainfaing sur un haut plateau en bord de falaises, Jérémie m’allège de mes deux thermos puis s’engage dans la descente après que nous ayons admiré une dernière fois et pendant longtemps la magnifique ligne de crêtes qui s’étire depuis le Grand Ballon jusqu’à nous avec les massifs de la Forêt Noire, du Jura et des Alpes en arrière-plan. C’est une des plus belles randonnées en montagne que j’ai faite !

En descendant le long d’un versant montagneux abrupte, j’aperçois le Lac Blanc qui tient bien son nom avec sa couche de glace recouverte de neige. Il y a même des personnes téméraires qui marchent dessus. En surplomb du lac, sur son bord sud, il y a un immense piton rocheux qui est comme une sorte de totem ou d’immense plongeoir naturel.

Malheureusement, en arrivant au niveau des pistes de ski de la station du Lac Blanc, je me trompe de chemin, pressé par la fatigue et la douleur au talon droit, et cette erreur me fait descendre trop bas pour ensuite devoir remonter à nouveau. Je suis furieux contre moi et exténué quand je retrouve Jérémie au col du Calvaire qui porte décidément bien son nom !

Ensuite, nous empruntons un chemin forestier transformé en piste de ski de fond pendant l’hiver, il reste encore deux à trois kilomètres à parcourir tandis que le soleil se couche. La lumière du soleil est magnifique en illuminant de ses derniers rayons la cime des arbres puis, l’astre rougeoyant décline et disparait dans un dernier éclat. Je reste émerveillé par ce spectacle malgré la douleur et la fatigue, sachant que c’est mon quatrième et dernier coucher de soleil dans les Vosges.

Encore un beau coucher de soleil

Jérem me propose de monter avec lui sur ses skis pendant la descente sur une légère pente mais on arrête après quelques centaines de mètres car on risque de se faire mal. Il fait désormais presque nuit, j’avance péniblement en claudiquant, mes larges raquettes autour des pieds et ma lente démarche maladroite me donnent l’impression d’être un éléphant s’enfonçant dans la neige épaisse. Ça y est, j’aperçois les lumières du chalet à travers les arbres, je suis sauvé ! 😊

On se claque dans les mains à l’arrivée avec Jérem pour se féliciter de cette journée marathonienne puis nous nous installons dans le dortoir où nous sommes les seuls à dormir cette nuit. Il y a d’autres pensionnaires dans l’auberge mais ils ont pris des chambres individuelles. Je suis paralysé de fatigues après tous ces efforts en continu, je ne pensais pas que cette randonnée serait aussi difficile physiquement. Je retire avec délice mes chaussures qui me mettaient au supplice et je prends une bonne douche bien chaude avant de retrouver Jérémie dans la salle à manger commune pour s’offrir une bonne petite bière bien méritée, c’est devenu notre rituel de fin d’étape.

Puis, on se prend un pichet de vin rouge pour accompagner le repas, on a assez bu d’eau pendant la journée 😊 Tant pis si cela ne me facilite pas le sommeil, c’est important les traditions. Et, bonne nouvelle, la propriétaire du chalet a des Compeed donc je lui en achète sans négocier, « My kingdom for a Compeed » !

Allez, il est temps de se coucher maintenant, nous avons besoin de repos…

Jour 5, dimanche 17 février 2019

De l’Auberge du Devin à Sainte-Marie-aux-Mines

Distance : 16 kms

Dénivelé : moins de hauts, plus de bas

Durée : 6h

La nuit a été bien meilleure que la veille donc le moral est bon d’autant plus que je sais que notre étape du jour sera plus courte et avec moins de dénivelé.

Nous reprenons les pistes de ski de fond dans la forêt puis nous descendons en direction du village du Bonhomme via un chemin accidenté où la neige se fait de plus en plus rare. Jérem est obligé de louvoyer sur les côtés avec ses skis pour trouver de la neige encore un peu fraîche puis, après quelques centaines de mètres, il doit se rendre à l’évidence, il faut déchausser et porter son matériel sur le dos.

La balade dans la forêt est agréable, nous avons la lumière du soleil tout en étant protégés de ses rayons par les arbres autour de nous, les températures sont encore douces. Ma marche est plus rapide sans mes raquettes aux pieds et nous avançons à une bonne allure, je ne ressens quasiment plus de douleurs au talon grâce à la Compeed, c’est vraiment très pratique et, désormais, j’en prendrais toujours avec moi pour des randonnées de plusieurs jours !

Nous remontons ensuite au col du Pré de Raves à 1005 mètres où nous retrouvons de la neige pour le plus grand plaisir de Jérémie qui peut se délester du poids de ses skis en les chaussant à nouveau. Ensuite, nous atteignons une clairière avec un rocher en plein milieu et, du haut de ce promontoire naturel, on peut observer des modestes montagnes en forme de buttes, recouvertes de sapins et disséminées dans le bassin de la ville de Saint-Dié-des-Vosges que l’on peut apercevoir au loin.

Malgré les nombreux points de vue que nous avons pu admirer lors de ces derniers jours, nous nous émerveillons comme des gamins avec un grand sourire et des yeux admiratifs quand nous découvrons cette vue dégagée en sortant de la forêt. On savoure ce moment en prenant notre pique-nique au soleil sur les rochers et nous prenons de multiples photos souvenirs de ce bel endroit dont nous sommes conscients qu’il est sans doute le dernier de notre parcours.

Nous avançons à un bon rythme en croisant toujours très peu de personnes alors que la météo est encore excellente. En arrivant au pied de l’Arbre de la Liberté qui fut apparemment planté en 1918 pour célébrer la libération de l’Alsace, Jérémie doit se résoudre à déchausser ses skis et, cette fois-ci, définitivement. Nous marchons désormais côte à côté, cette randonnée dans la forêt est plaisante et nous ne faisons plus que descendre en direction de Sainte-Marie-aux-Mines où un train nous attend. Nous découvrons dans la vallée de belles et grandes fermes ou chalets en bois qui s’insèrent parfaitement dans leur milieu naturel.

Ça y est, nous voilà arrivés à notre étape finale de Sainte-Marie-aux-Mines située à 770 mètres d’altitude après cette magnifique traversée des Vosges dans un décor féérique avec une météo de rêve. Oui, j’ai souffert physiquement mais les paysages étaient tellement beaux dans cette nature grandiose et très sauvage. Cela a été aussi l’occasion de partager ces bons moments avec mon frère Jérem et nous célébrons notre exploit fraternel autour d’une bonne bière comme il se doit ! 😊

Vive les Vosges !!!

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Paris – Londres à vélo

470 kilomètres parcourus à vélo du 15 au 20 septembre 2013

Introduction

De retour d’un grand voyage par la route à travers l’Eurasie entre 2022 et 2023, j’ai relu par curiosité les notes prises sur mon carnet pendant mon voyage itinérant à vélo de Paris jusqu’à Londres en septembre 2013. J’avais fait auparavant quelques traversées à pied ou à vélo de trois ou quatre jours maximums dans les Alpes françaises mais c’était la première fois que je me lançais dans une aussi grande distance à parcourir seul et à vélo. Ce fut en quelques sorte mon voyage initiatique qui me donna envie d’en faire d’autres par la suite, seul, avec un ami ou de la famille, pour découvrir notre beau pays par différents moyens de déplacements (à pied, en vélo, à moto…). Dix ans après, cela m’a paru le bon moment de publier mes notes prises pendant le voyage avec quelques ajouts et modification.

Bonne lecture!

Itinéraire

Itinéraires de l’Avenue Verte (j’ai pris celui passant par l’est)

Genèse de ce voyage

A l’occasion des Jeux Olympiques de Londres en 2012, j’avais entendu parler de l’inauguration par le maire de Paris de l’époque, Bertrand Delanoë, d’un itinéraire à vélo permettant de relier Paris à Londres dénommé l’« Avenue Verte London – Paris ». Cela m’avait donné envie car c’était à la fois un objectif ambitieux et motivant de partir de Paris à vélo pour rejoindre Londres en traversant la Manche en bateau. De plus, cet objectif paraissait atteignable en une bonne semaine sans avoir besoin de trop de préparatifs. Donc, lors d’un week-end chez mes parents à Agen vers la fin août 2013, je leur fis part de ce projet car j’avais besoin de me changer les idées et ils m’y encouragèrent, mon père m’aidant à emballer mon vélo que j’avais laissé chez eux afin de le ramener à Paris dans mon train du retour. Ensuite, il ne me restait plus qu’à acheter du matériel (porte bagage, sacoches) ou m’en faire prêter (tente et duvet légers) et je fixais la date de mon départ au dimanche 15 septembre 2013 afin de bénéficier de journées relativement longues et, je l’espérais, d’une météo clémente.

Pour lire la suite, vous pouvez cliquer sur un jour de la liste ci-dessous ou tout simplement continuer la lecture vers le bas

  • Jour 1 : de Paris jusqu’à Auvers sur Oise, 75 kms
  • Jour 2 : de Auvers sur Oise jusqu’à Bresles, 103 kms
  • Jour 3 : de Bresles jusqu’à Forges les Eaux, 80 kms
  • Jour 4 : de Forges-les-Eaux jusqu’à Dieppe, 50 kms
  • Jour 5 : de Seaford jusqu’à Danegate, 60 kms
  • Jour 6 : de Danegate jusqu’à Londres, 103km,

Jour 1, le 15 septembre 2013

De Paris jusqu’à Auvers sur Oise (75 kms)

Je quitte mon logement parisien proche de la Gare de l’Est aux alentours de 9h30 sous le soleil, c’est de bon augure. Le porte bagage fixé à l’arrière sur la tige de ma selle de VTT me pose régulièrement des soucis car il n’est pas adapté pour mes larges sacoches qui pendent en l’air et frottent souvent sur mon pneu arrière, ce qui a pour effet de me ralentir. Je m’arrête donc souvent pour relever ma selle au maximum afin d’éviter les frottements mais, la contrepartie est que je touche à peine les pédales avec la pointe de mes pieds, tout mon poids repose sur la selle avec les douleurs que vous imaginez au niveau du fessier et je ne peux pas relever ma potence de guidon donc je dois tordre mon dos pour tenir mon guidon, parfois en le tenant du bout des doigts. Ainsi, je me déplace dans une posture pas très ergonomique et, de plus, je porte un petit sac sur mon dos avec mon duvet attaché par-dessus, n’ayant pas réussi à tout installer sur mon porte bagage. Clairement, c’est à éviter pour soulager le dos et moins transpirer même si ce sera plutôt le froid qui me gênera pendant ce voyage. Peut-être j’aurais pu prendre moins d’affaires mais c’était la première fois que je faisais ce type de voyage et j’avais du mal à évaluer ce qui était réellement nécessaire.

Je longe le canal Saint Martin suivi par celui de l’Ourcq et je prends la bifurcation du canal qui passe à côté du stade de France puis je traverse Aubervilliers et Saint-Denis avant de rejoindre la Seine. Ce ne sont pas des décors très réjouissants avec les saletés et la foule mais, à partir de Gennevilliers, c’est plus agréable avec le beau parc des Chanteraines. Néanmoins, je prends un peu de retard sur mon planning en me perdant quelques fois ou en m’arrêtant pour réajuster mon matériel.

Le trajet le long de la Seine est très sympathique avec de longues et larges pistes cyclables parfois envahies par des hordes de joggers. Ah, c’est dur le vélo ! J’ai déjà mal aux fesses et au dos mais je tiens bon en faisant des pauses rapides mais régulières puis je m’arrête plus longtemps pour un pique-nique en face du château et du parc de Saint-Germain-en-Laye, la vue est plaisante.

Le parcours à vélo de Paris à Londres est souvent indiqué par de petits panneaux avec un logo en forme de boussole et les noms des deux capitales et j’ai aussi un cahier « roadbook » avec l’itinéraire détaillé sur plusieurs cartes, pratique pour se repérer à cette époque où je n’avais pas encore de smartphone digne de ce nom.

Je découvre de jolies maisons et de belles péniches au croisement entre la Seine et l’Oise puis j’atteins la base de loisir de Cergy où je fais une trempette rafraichissante dans le lac. Ensuite, je rejoins vers 17h30 le camping municipal très modeste de la ville de Auvers sur Oise où s’installèrent pendant un temps de nombreux peintres impressionnistes dont l’illustre Van Gogh qui y trouva la mort de façon tragique. Je discute un peu avec un couple d’anglais au camping puis je fais une petite balade à pied et je vais me coucher dans ma tente.

Jour 2, le 16/09/2013

De Auvers sur Oise jusqu’à Bresles (103 kms)

Je me réveille vers 7h30 et je lève le camp une heure plus tard après avoir pris mon petit déjeuner. La nuit a été animée par la pluie et j’ai eu un peu froid avec mon duvet léger, c’est le dilemme entre le poids à porter et le confort que cela apporte. Heureusement, le soleil est là pour me réchauffer et le sentier que j’emprunte en longeant l’Oise est très beau. Cependant, mon fessier est toujours en délicatesse mais j’avance en me disant que le temps ensoleillé risque de ne pas durer.

Je rejoins Chantilly et ses superbes villas dans de chics zones pavillonnaires quadrillées à l’américaine puis je contourne l’immense hippodrome en passant à côté de grands haras. J’aperçois le magnifique château de Chantilly mais je ne m’attarde pas trop car le ciel s’assombrit et je reçois du ciel les premières gouttes de mon parcours. Cela va être l’occasion de tester la fiabilité de mon matériel et la force de mon mental, finalement ça passe même si j’ai un peu froid.

En arrivant à Senlis, je m’offre une bonne pause pique-nique en avalant un gros sandwich réclamé par mes muscles et mon estomac puis, je reprends la route et je passe à travers une grande et belle forêt où je suis quasiment tout seul comme pour la grande partie de mon itinéraire de la journée. J’enchaîne des petites montées suivies par des descentes, il commence à y avoir du relief. En sortant d’une forêt sur les hauteurs d’une colline, la route se met à descendre quand, soudain, une belle vue bien dégagée sur la vallée s’offre à mon regard et je ne peux réprimer un cri de joie et de satisfaction pour cette belle surprise.

Cependant, je commence à fatiguer, il y a parfois de grandes zones de plat mais avec du vent de face donc je n’avance pas très vite. En plus de cela, la pluie alterne avec le soleil et le dénivelé grimpe de temps en temps. Malgré tout, j’avance étape par étape en consultant la carte du roadbook pour me fixer de petits objectifs atteignables, cela m’aide à garder le moral.

Je mange beaucoup de barres énergisantes, il me faut du sucre ! Et je me promets qu’à l’arrivée au camping de Bresles je mangerai un plat chaud, ce sera chose faite avec deux bonnes grosses merguez sur une grande barquette de frites arrosées de ketchup – mayo. C’est mon estomac qui commande.

Le propriétaire du camping est sympathique et nous entamons une discussion, ça se sent qu’il apprécie son métier et sa petite entreprise. Par contre, il m’avait promis de l’eau chaude grâce à des panneaux solaires installés sur les toits des sanitaires mais ce n’est pas le cas. Grrr…

Jour 3, le 17/09/2013

De Bresles jusqu’à Forges les Eaux (80 kms)

Dure, dure, cette journée !!!

Cela a mal commencé dès la nuit tombée car je grelottais sous ma tente dans mon maigre duvet prévu pour les chaleurs d’été même après avoir enfilé tous mes vêtements. Je suis donc allé me réfugier au chaud…dans les sanitaires du camping !

Levé aux aurores, je discute avec mon voisin qui se trouve travailler au Décathlon de Beauvais. Cela me donne l’idée d’y aller pour acheter une couverture pour mieux dormir. Après m’être rendu compte que je m’étais trompé d’itinéraire en partant, je reprends la bonne route mais, mon genou droit commence à me faire très mal. Je dois lutter contre la douleur pour pédaler et je fais de nombreuses pauses pour soulager mon genou. J’arrive tant bien que mal au Décathlon où j’achète une couverture. Ensuite, je pars visiter la grande et belle cathédrale de Beauvais puis je fais des courses et c’est reparti.

Cathédrale de Beauvais

Malheureusement, mon genou continue de me faire grimacer dès que je pédale, je commence à me demander si j’arriverai jusqu’à Londres, voir même jusqu’à la destination prévue pour ce soir… Dans les montées, je finis par pousser le vélo à pied tandis que sur le plat et en descente je pédale doucement en essayant de solliciter uniquement ma jambe gauche mais, forcément, j’avance très lentement.

Toutefois, les paysages au bord du chemin me permettent de me changer les idées, je découvre de belles et grandes fermes en pierre et des champs verdoyants où broutent vaches et chevaux. L’itinéraire permet d’éviter les axes routiers très fréquentés et c’est agréable de ne pas être gêné par les voitures ou les poids lourds mais je ne croise pas non plus de piétons ou de cyclistes et cela devient un peu pesant à la longue. Parfois j’ai l’impression de traverser des villages fantômes. Finalement, il y a de la place en France !

Je fais une pause pique-nique puis je m’octroie une sieste bien méritée. Il fait déjà froid en journée et cela ne va pas s’arranger. En repartant, mon genou va un peu mieux et j’essaye de ne pas trop forcer. La pluie se manifeste par intermittence mais je continue mon chemin désormais sur un bon rythme et je reprends espoir d’atteindre mes objectifs. Par contre, à partir du milieu d’après-midi, la pluie se met à tomber sans interruptions, cela devient usant pour le moral et glaçant pour le corps. Le mental joue pour beaucoup dans mes efforts physiques, surtout pendant les montées. Parfois, il m’arrive de m’énerver contre mon vélo quand mes sacoches freinent ma roue arrière, je lui hurle presque dessus alors que le pauvre n’y est pour rien. J’ai l’impression par moments que mes freins à tambour sont mal réglés et qu’ils frottent aussi sur la roue mais non, c’est dans ma tête, il faut penser à autre chose.

Sur la route, je rencontre enfin d’autres voyageurs : deux couples d’anglais, la cinquantaine, qui font Londres – Paris à vélo donc dans l’autre sens que moi, je me sens moins seul. Malheureusement, comme il pleut beaucoup, nous ne discutons pas longtemps et chacun part en sens opposé en s’encourageant.

Je m’autorise quelques bifurcations dans l’itinéraire afin de raccourcir le trajet et soulager mon genou, mes fesses et mon dos sachant que la pluie ne faiblit pas. Les abribus me sont également un précieux abris pour m’assoir tout en avalant une barre de fruits.

Enfin, j’arrive à la ville de Forges-les-Eaux qui porte bien son nom ! Après quelques hésitations entre l’hôtel ou le camping, je résiste à l’appel d’un bon lit douillet et de la certitude d’une douche chaude en me dirigeant vers le camping pour rester dans le thème de ce voyage que je m’étais fixé. Et j’ai l’agréable surprise que le propriétaire me propose de m’héberger dans une salle pour m’abriter de la pluie qui ne s’est toujours pas arrêtée. En plus, la salle est chauffée, j’en profite donc pour étendre tout mon linge humide et, cerise sur le gâteau, la douche est très très chaude, j’y reste longtemps ! Loué soit le propriétaire du camping qui m’a si bien accueilli !

En me couchant vers 21h, il pleut toujours, j’espère que ça ira mieux demain…

Je me réfugie pour la nuit dans une salle mise à ma disposition par le propriétaire du camping de Forges-les-Eaux

Jour 4, le 18/09/2013

De Forges-les-Eaux jusqu’à Dieppe (50 kms)

Après une nuit plutôt agréable, au chaud dans la salle du camping mais gêné par le bruit du vent et de la pluie qui n’ont pas cessé, je me lève pour remballer mes affaires. Malheureusement, certaines d’entre elles sont encore humides malgré le chauffage. Tant pis, je pars vers 9h après avoir réglé le camping (seulement 5€ la nuit).

Je fais l’ouverture du magasin Aldi avec une foule de personnes âgées attendant comme moi dehors et qui me regardent d’un air curieux et étonné, ils ne doivent pas voir souvent un jeune de mon âge faire ses courses à cette heure matinale et je ne passe pas inaperçu avec mon vélo à sacoches.

Je commence à pédaler sous une fine pluie mais cette journée devrait être plus facile car il y a moins de kilomètres à parcourir, mon objectif étant de rejoindre Dieppe qui se situe à une cinquantaine de kilomètres afin de prendre un ferry pour l’Angleterre. Une ancienne voie de fer a été réaménagée en piste cyclable sur une quarantaine de kilomètres et c’est très agréable de la parcourir au milieu des prairies où broutent de belles vaches normandes.

Je rencontre un cycliste anglais bien équipé qui va dans le sens inverse et dont l’objectif est de rejoindre la Grèce : bel objectif ! Puis, je me fais rejoindre par deux anglaises à vélo qui vont dans la même direction que moi. Elles ont la cinquantaine et tiennent leur buste bien droit tout en affichant un sourire cordiale vêtues d’imperméables fluos, « so british ». Nous engageons la discussion et elles m’expliquent qu’elles sont parties également de Paris mais elles ont suivi un autre itinéraire plus court que le mien en passant par Gisors à l’ouest et elles prévoient de terminer leur parcours une fois arrivées sur les côtes anglaises, après avoir pris le ferry de Dieppe. C’est la première fois que je croise des cyclistes qui suivent un trajet similaire au mien, c’est bien agréable de pouvoir échanger sur nos expériences et nous encourager. Nous nous présentons, Charlotte vit dans le sud de l’Angleterre et elle est professeure de yoga, Sue est physiothérapeute à Vancouver au Canada. Elles sont très sympathiques mais elles vont trop vite pour moi, leurs vélos VTC sont mieux adaptés avec de plus grandes roues que mon VTT, elles voyagent plus léger et mes douleurs persistantes au genou sont mes excuses pour me rassurer.

Néanmoins, nous nous retrouvons plusieurs fois sur la piste cyclables avec Sue et Charlotte lorsqu’elles font une pause et nous prenons un bon chocolat chaud dans une ancienne gare réaménagée en café au bord de la piste cyclable. Puis, nous faisons une pause pique-nique plus loin sur des tables en bois.

L’ancienne voie de chemin de fer passe devant le très joli château de Mesnières en Bray et j’en profite pour me faire prendre en photo devant avec mon vélo sans savoir que j’y retournerai trois ans plus tard pour participer à l’organisation des 30 ans de la belle association A Bras Ouverts (ABO) dans laquelle je commençais tout juste à m’impliquer à ce moment, le monde est petit !

Château de Mesnières-en-Bray

La fine pluie a fini par cesser et le ciel s’est éclaircit progressivement. Je ne me lasse pas des paysages champêtres avec des prairies verdoyantes où broutent paisiblement vaches et chevaux ainsi que des belles bâtisses normandes en pierre. Le soleil commence enfin à poindre le bout de son nez mais c’est à ce moment que la pente montante augmente légèrement, ce qui m’oblige à fournir un effort plus important. A vélo, on remarque tout de suite les changements de dénivelé ! Le ferry part à cinq heures de l’après-midi et j’ai un peu tardé sur le chemin donc je dois forcer l’allure, les derniers kilomètres sur la route me paraissent interminables…

Je ne peux pas apercevoir la mer au loin qui est cachée par la ville de Dieppe et les falaises autour, je ne la découvrirai qu’au dernier moment, en arrivant au bord de la plage et le spectacle n’en sera que plus saisissant : j’ai une grande explosion de joie à la vue de cette immense étendue d’eau tout en sentant l’air marin chargé de sel ! Le ciel est désormais dégagé et le soleil éclaire les galets de couleurs claires tout comme l’eau de la mer qui est calme et d’un vert pale tendant vers le marron au bord, en partie teintée par la craie des hautes falaises de chaque côté du port de la ville qui s’érodent progressivement.

Je suis tellement fier de moi, je suis parti avec mon vélo depuis Paris et me voilà au bord de la Manche après avoir parcouru quasiment trois cents kilomètres en quatre jours ! C’était ce type de défi que je voulais relever et d’émotion que je voulais ressentir. Malgré les difficultés et les souffrances, les routes qui nous semblent interminables, on finit par en arriver au bout et cela en vaut la peine.

Je retrouve Charlotte et Sue sur le ferry, le ciel est désormais dégagé et on peut apercevoir un beau coucher de soleil en s’éloignant des côtes. Nous dînons ensemble puis nous nous reposons.

En accostant de nuit à Newhaven en Angleterre, je ne sais toujours pas où je vais dormir. Charlotte et Sue ont réservé un hôtel mais je préfère continuer en mode camping. Nous sommes plusieurs cyclistes voyageurs sur le ferry et, au moment de partir, je demande à deux anglaises qui ont fait le trajet de Londres à Paris et qui rentrent chez elles si elles connaissent un endroit où je pourrais m’installer, elles m’indiquent la direction d’un camping qui est assez proche du port.

Allez, banco, je pars à la recherche de ce fameux camping en pleine nuit et je le trouve facilement après une quinzaine de minutes. Il est situé au bord de la mer, j’installe ma tente puis je pars sur la plage pour contempler la mer éclairée par la lune, c’est un beau spectacle avant de me coucher.

Jour 5, le 19/09/2013

De Seaford jusqu’à Danegate (60 km)

J’ai passé une nuit difficile car j’ai eu encore très froid malgré ma nouvelle couverture donc je me suis à nouveau réfugié dans les sanitaires.

Je me lève tôt pour avoir le temps d’admirer le paysage au bord de la mer tout en prenant mon petit-déjeuner puis je pars en ville retirer des « pounds », acheter à manger et du baume à lèvres car elles sont toutes gercées à cause de l’exposition au soleil, même à travers les nuages.

Ensuite, je me rends à un point de vue pour admirer les falaises de craie blanche dénommées les « Seven Sisters », c’est un site grandiose et magnifique, le plus beau paysage de mon parcours et je prends le temps de l’admirer en me baladant le long des côtes. Je me sens dans un nouveau pays, les vaches dans les prairies ont été remplacés par des moutons, les gens parlent une autre langue mais le ciel est toujours gris. Je reprends la route vers onze heures, revigoré par cette halte sympathique, finalement Albion n’est pas si perfide mais restons prudent quand-même…

Seven Sisters

Nous avions échangé par textos avec Charlotte et Sue qui m’avaient indiqué qu’elles feraient peut-être une journée supplémentaire à vélo en raison de la météo clémente mais sans que l’on se donne de détails sur nos itinéraires quand soudain, après quelques kilomètres, je les retrouve complètement par hasard sur la route et nous sommes très heureux de nous revoir de cette manière aussi inattendue !

Charlotte et Sue sont fatiguées car elles ont voulu rejoindre à vélo une gare mais le trajet s’est finalement révélé long et fatiguant. Nous décidons donc de nous arrêter dans un bon petit pub d’un village anglais pour reprendre des forces avec un déjeuner accompagné d’une bière, « of course ». J’aime beaucoup les pubs anglais, ils sont souvent très chaleureux et décorés avec soin et originalité, on se sent comme dans une maison. Malheureusement, Charlotte et Sue me disent que ce type d’établissement disparait petit à petit en raison du prix de l’alcool moins cher en supermarché et de l’interdiction de fumer dans les pubs, « so chocking » ! Espérons qu’il en restera toujours car le pub est pour moi un des symboles de l’Angleterre.

Nous repartons vers 13h et, assez rapidement, je suis distancé, mon allure étant trop lente pour mes nouvelles amies cyclistes et j’essaye toujours de ménager mon genou douloureux sachant qu’il y a beaucoup de montées et descentes sur cette étape donc nous nous disons au revoir avec Charlotte et Sue en nous souhaitant bonne chance pour la suite.

J’emprunte une grande piste cyclable d’une vingtaine de kilomètres, c’est très agréable de ne pas être au contact des voitures mais, à la longue, je vais me sentir seul encore une fois car je ne croise pas grand monde. Par ailleurs, la piste est légèrement pentue donc il faut toujours fournir un effort assez important et une fine pluie s’invite dans la partie donc mon mental est à nouveau soumis à rude épreuve. Je pensais que ce serait plus plat que ça ce Paris – Londres !

Ma première journée à vélo en Angleterre

J’avance tant bien que mal en faisant des pauses régulières pour reposer mon genou et mon fessier. En quittant la voie cyclable, je m’engage sur une piste boueuse avec des descentes assez raide qui sont dignes d’un parcours VTT : mes suspensions sont enfin être utiles ! Je me concentre en me levant sur mes pédales et en me penchant légèrement en arrière tout en tenant fortement mon guidon dans ce petit passage aventureux et ça passe, c’est plaisant ! Finalement le porte bagage tient bon, c’est de la bonne qualité.

Enfin, j’arrive au camping qui est dans une grande clairière au milieu d’une forêt avec un vaste parking en gravier et de la pelouse autour. L’accueil est fermé et il n’y a personne d’autres à part un gars qui s’est posé avec sa camionnette et sa tente, il m’explique qu’il est organisateur de courses de 4 x 4 amateurs et il voyage beaucoup avec son véhicule en Europe. Je suis un peu déçu car j’aurais bien aimé pouvoir discuter avec d’autres voyageurs le soir mais bon, c’est comme ça. Au moins les sanitaires sont ouverts et la douche est chaude ! Dans la clairière, à la tombée de la nuit, on aperçoit des biches.

Camping de Danegate

Jour 6, le 20/09/2013

De Danegate jusqu’à Londres ! (103km)

La nuit a été plutôt paisible même si j’ai dû une nouvelle fois dormir dans les sanitaires à cause du froid, je n’ai même pas essayé de coucher dans la tente…

Le ciel a l’air clément aujourd’hui et, normalement, il devrait y avoir moins de dénivelé, espérons ! Le début commence bien même si je me trompe de chemin et dois faire demi-tour, je rejoins rapidement une piste cyclable en pleine forêt sur une quinzaine de kilomètres, c’est très agréable. Le réseau des voies cyclables en Angleterre est très bien organisé avec des numéros d’identification et des standards de panneaux d’indication au niveau national donc c’est bien plus facile de se repérer qu’en France où c’est une succession disparate de pistes cyclables au niveau bien souvent local avec des noms et des signalisations différents. De plus, les pistes cyclables anglaises sont nombreuses et très bien entretenues, « good job ». Le soleil perce peu à peu les nuages et cela me motive, les paysages champêtres et bucoliques n’en sont que plus beaux, c’est une succession de larges prairies verdoyantes bien dégagées et de forêts ombragées.

Je fais une pause pique-nique au bord d’un champ en plein soleil avec quelques produits achetés dans la ville précédente : de bonnes tomates, une sorte de salade de choux pleine de sauce, du pain avec du fromage et de la viande séchée, des bananes. Le soleil, ça change tout ! Après avoir mangé, je m’allonge sur mon tapis de sol pour faire une sieste tout en bronzant mais, à peine installé, je suis délogé par deux promeneuses avec leurs chiens qui me font comprendre que c’est une zone privée et que je dois m’en aller, « so sad ».

Pause pique-nique au soleil

C’est donc reparti, mes genoux me font encore mal ainsi que mon fessier mais j’avance en faisant des pauses régulières, je commence à avoir l’habitude et je sais que cela ne m’empêchera pas de continuer. Rapidement, je retourne dans la civilisation en sortant des bois, les habitations sont plus nombreuses ainsi que les voitures même si, heureusement, le tracé de la piste cyclable permet de souvent s’en éloigner, même en ville. Je pensais en avoir fini avec la nature mais finalement il y a encore beaucoup de champs, d’étangs, même si on entend le bruit des avions et des voitures passant à proximité.

Je m’approche progressivement de Londres et je ne sais toujours pas où je vais dormir car il n’y a plus vraiment de camping dans le coin, je continue d’avancer en attendant de trouver une opportunité, peut-être un coin d’herbe à l’abri des regards où je pourrais planter ma tente.

Où vais-je m’arrêter pour dormir?

En arrivant en haut d’une colline dans un des nombreux parcs publics anglais qui semblent avoir été conçu pour promener les toutous, j’aperçois au loin une immense tour de verre dans un style futuriste, je crois que c’est le gratte-ciel « The Shard » situé en plein cœur de Londres. C’est impressionnant de la voir à cette distance alors que je suis encore au milieu des champs avec de petits villages. Malheureusement, je n’ai plus de batteries sur mon téléphone donc il va falloir vous baser uniquement sur mes descriptions et faire preuve d’imagination.

A ce moment, je me sens complètement libre, en total autonomie avec tout ce dont j’ai besoin sur mon vélo pour m’arrêter où je veux afin de passer la nuit, c’est une sensation très plaisante que je savoure en continuant de pédaler pour voir où cela va me mener, j’attends un coup de cœur ou un coup du sort.

Le soleil se couche, je continue de pédaler malgré l’obscurité, n’ayant toujours pas eu de révélation. Etant donné que je me rapproche de plus en plus de Londres, je commence à me dire que ce serait dommage de s’arrêter si près du but et que je pourrais sans doute dormir dans un des parcs du centre-ville même si je redoute le froid ou de tomber sur des types louches, on verra bien.

Je fais une pause dîner à la terrasse d’un pub animé avec une bonne bière et un burger puis je reste quelques temps à écouter la musique d’un groupe de rock talentueux dans une ambiance fêtarde, c’est ça aussi l’Angleterre !

Puis, je décide finalement de repartir pour rejoindre le centre de Londres, il y a une piste cyclable bien indiquée qui peut m’y emmener en cinquante minutes d’après les panneaux d’affichage. Il fait moins froid dans cette immense ville que les jours précédents à la campagne, je m’approche petit à petit avec en ligne de mire les tours illuminées de la City. Ça y est, j’arrive enfin au bord de la Tamise : mission accomplie !

Maintenant, il faut que je trouve un endroit où dormir car je ressens la fatigue. Je pensais initialement aller à côté de la gare Saint Pancras ou dans un grand parc comme Hyde Park mais je suis trop épuisé pour aller aussi loin. Je remarque un petit coin d’herbe légèrement dans l’obscurité grâce à un grand arbre qui protège de l’éclairage public, l’emplacement est juste en face du musée Tate et, de l’autre côté de la Tamise, on peut voir la cathédrale Saint Paul. Pas mal comme vue, allez, c’est décidé, je m’y installe ! J’essaye d’être discret en m’emmitouflant dans mon sac de couchage, je ne monte pas la tente et je garde mon vélo à proximité, personne ne semble m’observer. Malgré le bruit de quelques braillards ivres et du froid, je parviens plus ou moins à dormir, du moins à reposer mon corps endolori. « Good night ».

Jour 7, le 21/09/2013

De Londres jusqu’à Paris

Je me lève tôt le matin pour ne pas faire trop le clochard dans la belle capitale de Sa Majesté, déjà que je me trimballe avec mon tapis de sol emballé dans un sac poubelle pour le protéger de la pluie et accroché à mon sac à dos…

Je ne sais pas trop quoi faire tout seul à Londres, je ne suis pas très motivé pour visiter cette ville que j’ai déjà découverte lors de précédents voyages, je me sens fatigué et je voudrais rentrer tout de suite. Mais bon, ce serait dommage de ne pas en profiter après tous ces efforts donc je marche en poussant mon vélo, j’en ai marre de pédaler et puis j’ai pu constater qu’à Londres les trottoirs sont propres donc je ne risque pas de marcher dans une crotte de chien 😊

Je longe la Tamise en direction de Westminster puis je rejoins Buckingham Palace et ensuite Hyde Park. Je découvre le Battersea Park avec l’immense ancienne usine électrique au charbon toute en briques, c’est un bâtiment très impressionnant. Elle est abandonnée depuis longtemps car sa taille démesurée rend complexe sa reconversion mais, d’après de récentes recherches sur internet, ce bâtiment a été finalement reconverti en bureaux, logements, restaurants et magasins.

Puis, je visite le musée d’Histoire National qui est gratuit exceptionnellement ce jour-là, je prends donc le risque de laisser mon vélo cadenassé à l’extérieur avec mes affaires en gardant mon portefeuille sur moi, j’ai confiance… Le musée est immense avec une riche collection dont une partie se situe dans un bel ancien immeuble. En sortant, je comprends que ce sont les Journées du Patrimoine en Angleterre donc beaucoup de musées sont gratuits alors que les billets d’entrée sont généralement très élevés et certains sites historiques sont exceptionnellement ouverts aux visites. Etant donné que mon vélo et mes affaires sont toujours là, j’en profite pour visiter les somptueux locaux de la Supreme Court qui est l’équivalent de notre Conseil Constitutionnel.

Puis, je pars manger un morceau dans le quartier de Chinatown et j’enchaine avec la visite du British Museum, également gratuit. Le musée est intéressant, il y a notamment la célèbre pierre de Rosette qui a été découverte par nos glorieux ancêtres en Egypte pendant la campagne de Napoléon mais les maudits anglais les en ont délogé, ce qui n’a pas empêché que ce soit un champion français qui ait été le premier à déchiffrer les hiéroglyphes grâce aux copies de cette pierre : « sorry, good game ».

Après toutes ces visites, je commence à fatiguer donc je me dirige vers la gare Saint Pancras pour m’occuper du transport de mon vélo dans l’Eurostar. Je comptais le démonter pour l’emmener avec moi mais je n’avais rien pour l’emballer et un peu la flemme donc finalement je paie un supplément pour le charger tel quel dans un wagon spécial dans le même train que moi, c’est plus simple et bien organisé. Dans le voyage du retour en Eurostar, le paysage défile à une vitesse folle, en seulement deux heures je serai de retour à Paris alors que j’ai mis six jours à l’aller pour parcourir 470 kilomètres en vélo et traverser la Manche en bateau : c’est impressionnant le progrès !

Conclusion

Je profite d’être confortablement assis dans un fauteuil pour faire le point sur mon voyage. Initialement, je pensais que cela me permettrait de réfléchir à ma vie passée et future mais, finalement, j’y ai très peu pensé. Mon esprit était presque entièrement accaparé par les efforts physiques à maintenir constamment malgré la fatigue et les douleurs, à préparer les étapes suivantes, à chercher à manger ou un endroit pour dormir, à monter puis démonter la tente, prendre une douche… Je trouvais juste un peu de temps et de force le soir pour écrire sur un carnet les évènements et mes impressions de la journée que je vous retranscris à présent sur ce blog avec quelques ajouts et modifications.

Le défi physique a été relevé avec succès et j’en suis très fier ! Finalement j’ai été davantage ému en voyant la mer à Dieppe au dernier moment que lorsque je suis arrivé à Londres tard dans la nuit mais je réaliserai plus tard tout ce que cela représente notamment en racontant mon voyage à d’autres personnes. Je redoutais les problèmes mécaniques et les réparations à faire sur mon vélo mais c’est ma propre machine qui aura posé des soucis et je n’avais pas vraiment de rustines ni de pompes pour me regonfler si ce n’est en mangeant une quantité astronomique de barres sucrées. Par ailleurs, je ne m’attendais pas à autant de dénivelé sur ce parcours et puis je n’étais clairement pas bien préparé en termes d’équipements ou de physique, cela faisait longtemps que je n’avais pas fait de vélo et je n’avais jamais fait d’aussi longues distances répétées sur plusieurs jours. Mais, l’essentiel, c’est la motivation, l’envie d’aller au bout coûte que coûte, le reste suit. La solitude a été pesante également par moments, j’aurais aimé rencontrer davantage de personnes sur la route, peut-être que c’était un peu tard dans la saison.

Au final, ce voyage en itinérance à vélo avec des sacoches et une tente aura été une très belle aventure et cela me motivera pour faire de nouveaux itinéraires en France, seul, avec de la famille ou des amis, et en étant mieux équipé ! Mais ce sont d’autres histoires que je vous raconterai peut-être un jour 😉 

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En septembre 2022, je me suis lancé à moto pour rejoindre la Bulgarie puis j’ai utilisé principalement des bus pour traverser la Turquie, l’Iran, le Pakistan, l’Inde et rejoindre le Népal en février 2023 avec de multiples aventures, découvertes et rencontres tout au long de cette route.

Ensuite, j’ai rejoins le Vietnam en avion et je l’ai visité du nord au sud avant de passer au Cambodge puis de m’envoler à nouveau afin de découvrir l’est de l’Australie et enfin la paradisiaque Nouvelle-Calédonie.

Après ce magnifique voyage, je suis retourné en Bulgarie pour récupérer ma moto et rentrer en France après 9 mois de voyage. J’ai raconté tout cela dans un blog à part si cela vous intéresse (lien ci-dessous).

/Cap à l’est

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Vendanges en Bourgogne

Pourquoi j’ai fait cette expérience

Après un long voyage de plusieurs mois à travers l’Asie et l’Océanie (lien blog), j’étais de retour l’été 2023 en France pour retrouver ma famille et mes amis ainsi que pour chercher un nouveau travail, ayant démissionné du précédent. Les recherches étant assez calmes en cette période, j’avais donc du temps libre et, lors d’une discussion pendant un repas avec un ami de ma famille, celui-ci me raconta avoir fait les vendanges dans sa jeunesse et qu’il en gardait un bon souvenir. Cela résonna en moi, je me souvins également d’un ex collègue qui avait fait les vendanges pendant ses congés alors qu’il occupait un poste à responsabilité et qu’il avait la quarantaine passé, cela m’avait surpris qu’il consacre du temps pendant ses jours de vacances à une activité aussi physique. Mon ami Vincent l’avait également fait quelques jours pendant ses congés et chacun d’entre eux m’en avaient dit du bien donc cela m’intriguait, j’avais envie à mon tour d’en faire l’expérience.

De plus, c’est une activité très typique de notre pays mondialement connu pour ses bons vins et c’était l’occasion pour moi de faire de l’exercice en plein air au milieu de belles vignes tout en étant payé. Donc, je parlais de mon idée à Vincent qui m’encouragea dans cette voie et m’envoya plusieurs annonces pour faire les vendanges dans les environs de la ville de Chablis en Bourgogne où son père habite en m’indiquant qu’il pourrait m’héberger. En consultant les nombreuses annonces, je constatais qu’il y avait une forte demande de main d’œuvre et qu’il n’était pas nécessaire d’avoir de l’expérience dans ce domaine, il suffisait simplement d’être motivé et de fournir les copies d’une pièce d’identité, d’un RIB et d’une carte vitale.

Je ne me sentais pas de faire plusieurs semaines de vendanges car ma priorité était de retrouver un travail rapidement en tant qu’ingénieur donc je filtrais sur les annonces prévoyant une semaine de vendanges. L’une d’entre elles m’intéressa davantage car le repas du midi était offert sur place ainsi que des collations tandis que la plupart demandaient à ramener sa gamelle et son eau. Je trouvais que c’était plus convivial de partager un repas ensemble et je ne faisais pas les vendanges pour l’argent mais plutôt pour découvrir cette activité et rencontrer les gens qui la font.

Il s’agissait du Domaine du Château Grenouilles, un grand crus de Chablis. J’appelais pour avoir plus de renseignements et la personne au bout du fil fut très aimable. De plus, le frère de Vincent avait fait les vendanges dans ce domaine il y a quelques années et il en gardait de très bons souvenirs donc j’optais pour ce choix-là. Mon inscription fut très rapide et ils acceptèrent que je fasse seulement quatre jours sur les sept initialement prévus à cheval sur deux semaines. De toute façon, il n’y aurait pas de fête de fin de vendanges organisée par le domaine, la « peulée » (appelée également « paulée » dans d’autres régions) qui est un grand repas arrosé de vins pour célébrer la fin des vendanges mais, apparemment, ce type de tradition se perd ou alors il faut choisir un domaine plus familial. D’ailleurs, je vous recommande le film de Cédric Klapisch « Ce qui nous lie » qui raconte une belle histoire de famille autour de la vigne en Bourgogne.

Rencontre avec mon hôte et découverte des vendanges

Donc, je fus de retour sur les routes avec ma fidèle moto en direction du village Dannemoine où je rejoignis le père de Vincent qui allait m’héberger pendant les vendanges. Monsieur Morin m’accueillit chaleureusement autour d’un bon apéritif avec du crémant de Bourgogne et des Gougères, ce sont des sortes de gros choux à la crème mais salés, avec du Comté gratiné dessus : c’est excellent ! J’interrogeai mon hôte sur la recette de ces fameuses Gougères qui sont une spécialité locale et il me livra tous les détails avec passion, c’est tout un art et toute une histoire la cuisine française. Il y a de nombreux détails qui font la différence pour la préparation et la cuisson de chaque ingrédient, la chronologie des étapes à suivre, c’est passionnant même si je concède que, lorsque je suis aux fourneaux, j’ai parfois une patience limitée pour suivre à la lettre toutes les indications, préférant parfois me fier à mon instinct et à mon inspiration du moment suivant ce qu’il me reste à disposition.

Après un bon repas où le père de Vincent me raconta l’histoire de sa famille entremêlée à celle de la Bourgogne, je partis me coucher tôt car le rendez-vous pour le premier jour des vendanges était à 7h30 et j’avais une vingtaine de minutes de route à moto. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas levé aussi tôt pour aller travailler !

Au réveil, il faisait encore sombre, je partis un peu en avance pour bien repérer les lieux. On m’accueillit au domaine du Château Grenouilles en me proposant un café et un gâteau. Mon contrat de travail était déjà prêt, je n’avais plus qu’à signer la feuille d’émargement. Nous étions environ trente vendangeurs, un peu moins que les années précédentes apparemment car la main d’œuvre est plus difficile à trouver en ce moment.

Notre groupe était répartit en cinq équipes de cinq cueilleurs avec un sceau et un sécateur chacun et cinq porteurs avec leur hotte sur le dos. Les porteurs étaient rémunérés un peu plus que les cueilleurs car c’est un travail jugé plus physique (14€ de l’heure versus 12 € pour les cueilleurs) même si l’activité de cueilleur implique des postures qui ne sont pas non plus agréables pour le corps en courbant le dos et en fléchissant les jambes constamment. Il y avait également deux superviseurs qui nous donnaient des instructions, contrôlaient la qualité de notre travail et participaient de temps en temps à la cueillette quand c’était nécessaire. De plus, un agriculteur se chargeait de conduire le tracteur avec une remorque qui supportait la benne dans laquelle les porteurs vidaient leurs hottes remplies de grappes de raisins. Lorsque la benne était pleine, le conducteur la ramenait avec le tracteur au bâtiment du domaine où elle était vidée sur un tapis afin de retirer à la main les feuilles et les raisins malades, le reste étant broyé pour en retirer le précieux jus qui serait stocké dans des cuves ou dans des fûts de chênes pour les meilleurs vins en suivant des procédés que je ne connais pas dans les détails.

J’appris le terme de « treille » qui désigne une rangée de vignes. Nous avions de la chance avec la météo car la canicule était passée et il faisait relativement bon dans la matinée mais, lorsque le soleil était haut en début d’après-midi, on transpirait à grosses gouttes. Allez, il fallait s’y mettre, on arrachait quelques feuilles de vignes afin de pouvoir mieux couper les grappes avec le sécateur puis on les déposait dans notre sceau et on remontait la « treille » progressivement en tâchant de ne pas oublier de grappes car c’est du grand cru, ce serait dommage d’en gâcher ! Chaque cueilleur était généralement assigné à une treille et, lorsqu’il avait fini, il allait aider ceux qui n’avaient pas terminé avant de passer à une autre rangée de vignes. On se rendait aux parcelles à pied car elles n’étaient pas très éloignées, certaines étaient légèrement en hauteur sur les côteaux, offrant une jolie vue sur la plaine de la ville de Chablis avec son beau clocher d’église qui se dresse au centre. Il y a huit hectares en tout sur le domaine du Château Grenouilles, principalement sur les côteaux face à Chablis, orientés sud. Les vendanges pour les grands crus se font obligatoirement à la main pour préserver la qualité du raisin tandis que les autres vignobles, qui représente la majorité, utilisent des machines.

Le début des vendanges

Nous eûmes rapidement nos premiers blessés dans notre groupe mais heureusement rien de grave, c’étaient de légères coupures au doigt avec le sécateur, généralement on mettait un pansement et cela cicatriserait rapidement. Mes mains se noircissaient petit à petit au contact des vignes et mes bras, ainsi que mes jambes, se couvraient de petites boules qui s’accrochaient à mes poils. En retirant des feuilles, on découvrait parfois des araignées ou des lézards tout surpris de notre remue-ménage. En simple amateur, je trouvais que les raisins étaient globalement en bon état même si certains semblaient atteints de maladies ou trop mûrs, on les prenait quand même et le tri serait fait plus tard sur le tapis par des employés qualifiés. Je cherchais constamment une posture la plus confortable possible, m’asseyant par terre quand il y avait beaucoup de grappes à proximité pour reposer mon dos. A certains endroits, il y avait de belles et grosses grappes de raisins faciles d’accès dont il suffisait simplement de couper l’extrémité pour qu’elles tombent directement dans le sceau mais, parfois, il fallait fouiller scrupuleusement et se contorsionner pour récupérer quelques grappes minuscules coincées entre les pieds de vignes et les fils de fer. Certaines portions de treilles n’avaient même pas de raisins, le terrain étant trop accidenté et remplis de cailloux, il faudrait arracher les pieds de vigne et en replanter plus tard pour la prochaine saison. Mais, au global, la récolte semblait plutôt bonne cette année, comme l’année précédente, avec un total d’environ cinq tonnes pour la première journée.

Les profils des vendangeurs que j’ai rencontrés

Il y avait de tous les âges dans notre groupe de vendangeurs, de 18 à … 64 ans ! Oui, oui, Michel était à la retraite après avoir vendu son bistrot alors qu’il travaillait depuis tout jeune mais il faisait quand même les vendanges pour, comme il dit, « mettre du beurre dans les épinards » car une journée de vendanges « cela permet de remplir un Caddie chez Leclerc ». Il y avait d’autres vendangeurs qui avaient également bien passé la cinquantaine et ils n’étaient pas les moins efficaces au travail.

Environ deux tiers des vendangeurs avaient entre 18 et 40 ans, il n’y avait pas de nationalités étrangères dans notre équipe mais on pouvait voir dans les vignes alentours d’autres profils de travailleurs aux conditions qui semblaient plus précaires, faisant parfois de plus longues journées de travail que nous et certains étant rémunérés au poids des récoltes plutôt qu’à l’heure. Nous avions rencontré notamment une famille entière de gens du voyage d’une bonne cinquantaine de personnes avec les jeunes enfants qui regardaient leurs cousins, oncles, tantes et parents qui faisaient les vendanges sous la supervision de quelques ouvriers du domaine.

Je fis progressivement connaissance avec mes camarades de vendanges aux profils variés : les plus jeunes étaient généralement encore dans les études alors que les plus âgés avaient souvent une autre activité mais qui ne représentaient pas un temps plein ou qu’ils ne faisaient pas toute l’année.

Kevin était cuisinier saisonnier se déplaçant avec son van et son chien dans différentes régions suivant les opportunités, son corps était couvert de tatouages, il avait une barbe bien taillée et les cheveux dressés vers le haut tandis que les côtés étaient rasés de près, un vrai look de musicien de rock punk, il était très sympathique. Mikaël était technico-commercial en congé sabbatique, il ne se ménageait pas pour porter la hotte entre les treilles tout en coupant des grappes avec son sécateur pour aider les cueilleurs, belle solidarité.

Charlotte avait eu une carrière d’acrobate équestre dans des spectacles de cirques puis elle s’était reconvertie en tant que monitrice d’équitation, artiste équestre et elle s’occupait également des chevaux quand leurs maitres n’étaient pas là. Elle avait l’habitude des vendanges, ayant vécu longtemps en Champagne donc elle était très efficace à la cueillette tout en diffusant de la musique avec son enceinte portable pour motiver le groupe. Charlotte avait de la gouaille avec une voix un peu enrouée mais qui portait, elle mettait de la bonne humeur dans le groupe en chambrant gentiment ses camarades à proximité.

Bonne ambiance de groupe

L’ambiance dans notre groupe était bonne, on pouvait se parler tout en travaillant, plaisanter, il y avait quelques grandes gueules qui aimaient bien plaisanter, c’était sympa, une ambiance bon enfant. J’appréciais beaucoup cet environnement de travail en équipe et en plein air, il y avait une vraie convivialité entre nous sans que cela soit au détriment de la qualité de notre travail, cela renforçait même notre motivation, nous étions prêts à nous entraider quand il le fallait. Bien entendu, il y avait quelques tire-au-flanc mais la plupart ne revenaient pas après une ou deux journées de travail et ils étaient généralement gentiment rappelés à l’ordre par les superviseurs ou même par leurs camarades de vendanges car c’est une activité collective.

Quand nous vendangions près de la route, certains touristes s’arrêtaient pour nous prendre en photo ou des vendangeurs d’autres domaines nous klaxonnaient en nous faisant un salut amical de la main auquel nous répondions d’une joyeuse exclamation en levant le bras quand nous en avions l’envie, j’avais l’agréable sensation de me sentir faire partie d’un groupe qui pratiquait une activité utile et reconnue par les gens du coin et au-delà.

Je fus très surpris de voir autant de vendangeurs fumer comme des pompiers quel que soit leur âge, ils faisaient la cueillette ou portaient la hotte tout en ayant la clope au bec pendant plusieurs heures d’affilée. Visiblement, cela les aidaient à passer le temps et puis c’est difficile à arrêter quand on en a pris l’habitude.

Des horaires matinaux pour éviter les fortes chaleurs

Les premiers jours, nous commencions les vendanges à 8h puis nous faisions une pause déjeuner à midi pour reprendre à 13h jusqu’à 16h. Ensuite, avec le retour des fortes chaleurs, nous commencions trente minutes puis une heure plus tôt avec une courte pause vers 11h pour manger rapidement des sandwichs puis reprendre les vendanges jusqu’à 14h.

Sur la route qui me menait aux vendanges à l’heure des aurores, j’assistais à de magnifiques levers de soleil illuminant progressivement les vignes. C’était magnifique et apaisant, loin du tumulte et du vacarme de la région parisienne.

Prise de conscience du coût de la vie avec un SMIC

Pour être franc, je ne faisais pas ce travail pour gagner de l’argent, ayant eu la chance et l’opportunité d’avoir précédemment un travail bien payé qui m’a permis de mettre de côté pour un temps, mais plutôt par curiosité pour cette activité et les gens qui la font, pour la grande majorité d’entre eux, par nécessité. Le fait d’être payé au smic avec une majoration de 10% pour les congés soit 12€ de l’heure me permettait de prendre davantage conscience du coût de la vie quand on a cette paie. Désormais, je convertissais mes dépenses de la vie de tous les jours en nombre d’heures de travail : le péage pour Paris, une heure de travail, un plein d’essence à moto, deux heures trente de travail, une caisse de bons vins de Chablis en souvenirs, deux journées de travail. Dans ce cas, les économies partent rapidement et en plus j’avais la chance pendant ce séjour d’être nourri et logé sur place sinon cela ne serait pas intéressant financièrement à moins de camper.

Voilà, c’est la fin de mon récit sur ma découverte des vendanges, j’espère que cela vous a intéressé et n’hésitez pas à en faire l’expérience par vous-même dans l’une des nombreuses régions viticoles de notre beau pays !

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Livres

Le mage du Kremlin

Roman de Giuliano Da Empoli aux éditions Gallimard

Je suis tombé par hasard sur ce livre, bien mis en évidence en tête de gondole dans un magasin Relais d’un hall de gare avec un bandeau indiquant qu’il avait gagné le prix du roman de l’Académie Française. Son titre m’a intrigué car les sujets qui traitent de la Russie m’intéressent particulièrement donc j’ai lu le résumé, il s’agit une fiction moderne de politique russe inspirée de certains personnages et faits réels dont l’histoire commence à la chute de l’Union soviétique et qui raconte l’ascension de Vladimir Poutine sous les yeux de l’un de ses plus proches conseillers, Vadim Baranov, (personnage fictif mais ayant plusieurs points communs avec un ancien conseiller du dirigeant russe), que l’on surnomme le mage du Kremlin.

Ce livre permet de mieux se rendre compte, en l’observant de l’intérieur, du chaos qu’a généré pour la société russe dans son ensemble l’effondrement brutal de l’Union Soviétique sans réelle préparation ni alternative solide, laissant ainsi les richesses du pays en proie aux opportunistes de tous bords qui acquirent des fortunes en très peu de temps et le dépensèrent de manière frénétique et sans limites tandis qu’une grande partie de la population était désemparée. Le carcan soviétique qui bridait de nombreuses libertés et initiatives individuelles pendant des années se relâcha d’un coup et tout le monde voulu en profiter. Certains pour exprimer leurs idées, leurs talents et leur créativité mais d’autres voulaient leur part du gâteau économique qui s’offrait à eux, croquer la vie à pleine dents et il n’y avait plus de références morales, l’objectif étant de briller aux yeux de tous, du moins pour une frange infime de la population qui en avait l’opportunité.

Ce récit est également intéressant du fait qu’il ne donne pas non plus selon moi une image caricaturale sur le plan de la géopolitique internationale avec des méchants russes d’un côté et des gentils occidentaux de l’autre, cela raconte le traumatisme et l’humiliation de cette chute brutale de l’édifice soviétique qui a sans doute incité à une reprise en main énergique au début puis progressivement autoritaire du pouvoir russe par Vladimir Poutine. C’est aussi l’occasion de redécouvrir des évènements historiques et politiques de la Russie depuis ces trente dernières années en étant au cœur du pouvoir sous l’angle de vue de l’un de ses plus proches conseillers dont les idées sont généralement très éloignées de la plupart des avis présentés dans les médias occidentaux. Cela ne signifie pas que c’est forcément vrai mais ce récit a le mérite d’offrir un nouveau regard sur ces enjeux afin d’en avoir une meilleure perspective. Il y a probablement de nombreuses scènes inventées ou largement modifiées mais les personnages, les réflexions, les actes racontés me semblent crédibles.

Les dialogues sont également savoureux avec des réparties incisives à l’humour acerbe, les saillies verbales fusent dans tous les sens entre les personnages qui continuent néanmoins de se côtoyer comme s’il s’agissait d’un jeu. En effet, on se rapproche parfois du jeu d’échec où chacun avance ses pions mais dissimule soigneusement à l’adversaire sa stratégie globale planifiée longtemps à l’avance. C’est aussi un jeu d’acteurs qui dissimulent parfois leurs sentiments profonds ou leurs intentions derrière des phrases à double sens ou des anecdotes. D’ailleurs, la citation en ouverture de ce livre est « La vie est une comédie. Il faut la jouer sérieusement. » de Alexandre Kojève. Il n’y a pas non plus beaucoup de formules de politesse dans les discussions, une fois que les ironies, sous-entendus et autres allusions à peine voilées ne sont plus nécessaires, alors on va à l’essentiel, sans détours ni circonvolutions.

Il y a également des personnages hauts en couleur qui sont très intéressants, comme j’ai déjà pu en découvrir dans d’autres récits sur la Russie : excentriques, sarcastiques, cyniques, extravagants ou parfois même incohérents suivant nos standards occidentaux, prêts à tous les excès dans un sens ou dans l’autre, capable du plus grand altruisme et d’une générosité immense tout comme de cruautés et de calculs froids sans pitié. Ce sont des personnages avec toutes leurs complexités et leurs contradictions.

Ce sont aussi des destins de vie complètement bousculés par la désintégration de l’Union Soviétique, des ascensions fulgurantes et des chutes vertigineuses, des montagnes russes de la vie en quelque sorte. L’auteur manie avec adresse les comparaisons de situations complètement opposées dans lesquelles se retrouvent certains personnages partant du plus bas niveau de l’échelle sociale et parvenant jusqu’au plus haut en un rien de temps afin de mieux nous faire prendre conscience de la folie de cette période avec ses inégalités criantes. Cela me fait penser en analogie à la description par Stefan Zweig dans ses mémoires « Le Monde d’hier » des conséquences ahurissantes de l’hyper inflation en Autriche puis en l’Allemagne dans l’Entre-deux-guerres sur la population où l’argent ne valait plus rien, les échelles de valeur étaient complètement bouleversées, inversées, à en perdre la raison.

Vadim, le personnage principal, initialement un jeune romantique pétri d’idéalismes et passionné de théâtre va progressivement devenir cynique à son tour après de cruelles désillusions sociales et sentimentales. Il continue de s’occuper de la mise en scène mais plus dans une salle modeste pour un public restreint mais d’abord à l’ancienne télévision d’état russe devant des millions de téléspectateurs puis, dans l’arène politique, le grand théâtre du réel. De ces expériences, Vadim prend progressivement de la maturité et de l’assurance en se frottant à l’exercice du pouvoir et des responsabilités dans l’ombre de Poutine. Puis, il finit par s’en lasser, presque désabusé et il se met en retrait pour revenir à ses passions d’avant tout en ayant envie de partager son histoire et ses idées à un jeune diplomate français de passage à Moscou.

Dans ce récit, il y a également une belle histoire d’amour assez originale qui s’inscrit dans la durée avec son lot de rebondissements. D’un côté, il y a Ksenia, une femme magnifique, peu expressive mais aux gestes et paroles maitrisés, le regard perçant et aux remarques tranchantes qui nécessitent d’avoir une bonne carapace pour survivre à son examen, repérant et exploitant avec sarcasme la moindre faiblesse, un compliment pouvant signifier une critique et inversement si l’on n’arrive pas à décoder l’expression de son visage et la flamme dans ses yeux. De l’autre côté, il y a Vadim, admiratif à son égard mais restant sur ses gardes, attentif aux moindres gestes et paroles de Ksenia tout en essayant de ne pas laisser transparaitre son trouble et ses sentiments profonds envers elle, du moins tant que le jeu de la séduction est en cours. Car, au fond de ces hommes et de ces femmes qui paraissent froids de façade, on sent vivre en leur intérieur des émotions fortes, des passions brulantes qui les animent même s’ils dévoilent peu souvent leurs cartes, généralement en petit comité, dans les coulisses.

Ce récit parle également de l’intérêt des russes, du moins des élites et des intellectuels, pour la culture et le patrimoine occidental, notamment la France, et cela depuis des siècles où l’on peut parfois ressentir une relation de secret amoureux éconduit, incompris ou voir même méprisé qui finit par jouer le mauvais rôle qu’on lui assigne et se tourne vers d’autres horizons.

C’est donc pour moi un très bon roman qui m’a captivé de la première à la dernière page. Je le recommande vivement et, si vous avez déjà lu et apprécié ce livre, je vous conseille également « Limonov » de Emanuel Carrère qui raconte également cette période post soviétique en Russie avec un personnage assez loufoque qui a eu une vie très mouvementée.

Bonne lecture!

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