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Hugues B.

Portrait

Gestion des RH, des clients et des concurrents

Dans cette deuxième partie du portrait de mon ami Bertrand Servary, dirigeant fondateur de la société de partage de fichiers en ligne NetExplorer, on aborde les sujets de gestion des ressources humaines, de nouvelles technologies, de réglementations et de concurrence dans un marché en pleine expansion avec le développement du télétravail.
Venez découvrir un milieu professionnel où les collaborateurs n’ont pas besoin de s’échanger de mails ou d’organiser de multiples réunions pour s’organiser et dont le dirigeant partage les mêmes bureaux!

Organigramme général de NetExplorer

Merci Bertrand pour cette deuxième partie d’entretien très instructive, nous nous retrouverons bientôt pour une troisième et dernière partie sur des éléments plus personnels avec ton avis sur l’éducation et la réglementation en France ainsi que ta vision de l’avenir et ta gestion de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. A bientôt!

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Bertrand Servary, dirigeant fondateur de NetExplorer

Ce portrait présente en trois articles la riche expérience d’entrepreneur de mon ami du lycée, Bertrand Servary , président fondateur de la société informatique NetExplorer.

On découvre dans ce premier article les coulisses de la création d’une start-up de partage de fichiers en ligne depuis une chambre d’étudiant jusqu’à devenir une robuste PME avec plusieurs milliers d’entreprises clientes et une trentaine de collaborateurs, tout cela en parallèle de l’émergence d’internet et de ses services associés qui sont devenus incontournables.

Introduction

Présentation de Bertrand et de NetExplorer

Bertrand Servary, dirigeant fondateur de la société NetExplorer
Présentation du service NetExplorer

Comment es-tu devenu entrepreneur ?

Merci Bertrand, c’est la fin de la première partie de cette interview qui a permis de découvrir ton entreprise NetExplorer et son développement en parallèle de ton propre parcours personnel.

Pour la prochaine partie, nous nous intéresserons à la gestion des collaborateurs et l’environnement de travail chez NetExplorer puis nous discuterons également des clients, de la concurrence, de la réglementation et des technologies dans ce secteur.

A bientôt!

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Fortune de France

Introduction

Cette série de livres m’a été conseillé par mon libraire alors que je cherchais de la lecture sur Henri IV et il m’a été de bons conseils, comme la plupart des libraires que j’ai connus, en me vantant les talents d’écrivain de son auteur, Robert Merle, ainsi que l’originalité de cette œuvre écrite en utilisant le français de l’époque et, enfin, que cela permettait d’apprendre l’Histoire de France depuis Henri II jusqu’à Henri IV et même au-delà. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre d’acheter le premier tome et je ne fus pas déçu, avalant quasiment un tome par mois en étant seulement interrompu pendant mon voyage en Eurasie.

J’ai toujours été passionné d’Histoire et de livres traitant de ces sujets (romans, biographies) donc je me suis dit que ce pourrait être intéressant d’en faire un article sur mon blog pour partager cette passion en espérant qu’elle vous captive autant que moi !

De plus, même si vous n’en tirez pas de leçons, cela vous permet de développer votre savoir et, surtout, quand l’Histoire est racontée de manière aussi immersive que dans ce roman, c’est souvent très distrayant et cela vaut bien des romans, des films ou des séries de fiction en termes d’actions, de rebondissements, de complots et d’émotions. Alors, laissez de côté « Games of Thrones » et plongez avec moi dans ce monde nouveau !

Une saga historique dans la France du milieu de la Renaissance pendant les guerres de religions

Robert Merle est né en 1908, il a fait des études de philosophie puis il a été professeur agrégé d’anglais. Engagé dans l’armée française en 1939, il est fait prisonnier à Dunkerque en 1940 lors de l’encerclement par les allemands alors qu’il cherchait à rejoindre l’Angleterre, expérience qui lui inspirera le roman « Week-end à Zuydcoote », prix Goncourt en 1949 et adapté au cinéma avec Belmondo dans les années 60. Robert Merle est libéré en 1943 et reprend son activité de professeur d’anglais et d’écrivain, il fut membre pendant quelques années du parti communiste à la fin des années 70 avant de le quitter suite à l’invasion de l’Afghanistan. Arrivé à l’âge de la retraite, il se lance dans l’écriture de cette longue saga historique dont les six premiers tomes sont publiés de 1977 à 1985 puis, le succès populaire étant au rendez-vous, Robert Merle rédigea sept tomes supplémentaires de 1991 à 2003, le récit se terminant à l’avènement de Louis XIV. L’auteur décèdera un an à peine après la parution du dernier tome, en 2004.

Le récit historique de Fortune de France alterne entre les petites histoires et la grande Histoire de France qui sont étroitement liées et où la fortune (dans le sens de destin) de la France dépend à la fois du hasard, de coups du sort, d’aléas météorologiques (sécheresses, tempêtes), d’épidémies de pestes mais aussi des décisions et des actes de multiples personnages de plus ou moins grandes importances qui évoluent à différents niveaux, dans l’ombre ou dans la lumière (parfois les deux), dans le luxe ou la misère, dans le fracas des armes ou dans la douceur des salons.

On y côtoie de grands personnages historiques et d’autres moins importants qui sont pour la plupart fictifs mais qui permettent de donner vie au récit. C’est une saga historique volumineuse relatant les nombreux conflits qui opposèrent les français entre catholiques et protestants à partir de la fin du règne de François Ier au milieu du XVIème siècle et se prolongèrent sur des décennies.

Le personnage principal, Pierre de Siorac, est fictif, il est issu d’une famille dont le père est protestant, anobli et enrichi pour faits d’armes dans les armées du roi de France, et d’une mère catholique issue d’une ancienne lignée de nobles. Pierre de Siorac nait en 1551 au château de son père dans le Périgord et il va y vivre toute son enfance alors que les premières guerres de religion entre catholiques et protestants se déclenchent en France. Puis, il fait des études de médecines à Montpellier avant de monter à la capitale où il est le témoin du massacre de la Saint Barthélémy.

Après s’être réfugié quelques temps dans son Périgord natal, Pierre de Siorac revient à Paris où il deviendra un des médecins du roi Henri III puis une sorte d’agent secret royal dont les missions vont l’impliquer au cœur des grands évènements qui déchirent le royaume de France entre catholiques et protestants avec la participation de puissances étrangères. Pierre de Siorac va voyager dans toute la France ainsi que dans les grandes capitales européennes, il prolonge ses services sous le roi Henri IV en devenant un personnage de plus en plus important puis, lorsque la France est réunifiée et pacifiée avec la promulgation de l’Edit de Nantes par Henri IV en 1598, il prend ses quartiers dans ses terres afin de rédiger ses mémoires qui constitueront les six premiers tomes de cette saga.

Cette œuvre permet de découvrir certains épisodes et personnages de l’Histoire de France que je connaissais mal ou peu bien qu’ils aient eu une influence importante sur le cours de l’Histoire de France, notamment les rois de France Henri III et Henri IV ainsi que leurs ennemis les plus farouches à savoir la Ligue catholique et le roi d’Espagne Philippe II . Certains personnages historiques tels Henri III et IV nous deviennent même attachants du fait de partager leur intimité.

J’avais l’image de la royauté française qui régnait de manière immuable et sans contestations sur un pays uni et docile telle qu’à l’époque de Louis XIV, François Ier ou Saint Louis…mais on en est bien loin. On retrouve la période de chaos et de guerres internes et externes telles que pendant la Guerre de Cent Ans, très bien décrite dans la saga historique passionnante des Rois Maudits.

Ce récit est raconté à travers le personnage de Pierre de Siorac qui évolue dans des milieux sociaux et des lieux très différents. Il est le témoin de grands évènements historiques mais aussi de simples anecdotes de la vie de tous les jours de la population qu’il nous décrit avec les éléments qui sont à sa disposition, donc à la fois précis mais parfois incomplet. Ce type de narration permet de s’immerger complètement dans cette époque, de mieux comprendre ce qui anime la population à tous les niveaux de l’échelle sociale, les passions et les tracas de la vie du quotidien, le contexte dans lequel se déroule les événements historiques qui, bien souvent, se résument à quelques dates de batailles, de traités, de mariages et de couronnements dans nos manuels d’Histoire.

Ce récit donne souvent la parole aux gens du peuple et pas seulement aux grands nobles, notamment dans les premiers tomes. Il m’est arrivé parfois de regretter de ne pas avoir plus de détails sur des grands personnages ou évènements historiques comme c’était le cas dans l’autre grande saga historique des Rois Maudits mais c’est aussi l’occasion de découvrir la vie des gens plus ordinaires qui est à la fois difficile mais aussi source de satisfactions, de joies, de fêtes, d’humour, cela ne se résume pas qu’aux travaux des champs et aux prières. Néanmoins, ils subissent principalement l’Histoire et bien souvent ne peuvent que suivre ce qui la font.

Dans cette œuvre, nous sommes loin des récits épiques de grandes batailles ou d’actes héroïques surhumains que l’on peut avoir dans des romans de caps et d’épées où une poignée de combattants peut quasiment mettre en déroute une armée entière à grands renforts d’explosions et de bottes secrètes. Toutefois, ces intrigues discrètes, ces victoires indécises sur des lignes de fronts confuses où les alliances se font et se défont dans des territoires aux frontières morcelées, c’est également passionnant à suivre car c’est l’Histoire de France avec ses petits et hauts faits et puis, je vous rassure, il y a quand même quelques combats d’épées qui sont divertissants tout en restant réalistes.

L’originalité de ce récit est que l’auteur utilise le vocabulaire de l’époque qui est globalement assez proche du français actuel ou du moins compréhensible avec le contexte même s’il est parfois nécessaire de se référer au glossaire du livre pour la définition de certains mots. Le personnage principal étant originaire du Périgord, il y a également quelques mots de la langue d’oc qui sont utilisés.

Je vous livre ci-dessous quelques exemples truculents d’anciens mots français et d’oc qui sont utilisés fréquemment dans le récit et qui nous deviennent rapidement familiers sans avoir besoin de se référer au lexique. Bien au rebours de rendre la lecture du récit plus difficile, l’usage de ces mots permet de mieux s’immerger dans cette époque en retranscrivant plus fidèlement les mentalités et les caractères des différents personnages dans les mots qu’ils emploient.

S’accoiser : se taire
Alberguiere: aubergiste
Apazimer (oc) : s’apaiser
Atendrézi (oc) : attendri
Chiche-face : avare
Coqueliquer : faire l’amour
Dépêcher : tuer
Garce : fille (non péjoratif) / Gautier ou Guillaume : homme
Incontinent : immédiatement
Pâtiment : souffrance
Navrure: blessure
Pimplocher: se farder (se maquiller)
Peux-je : puis-je

C’est aussi l’époque des premiers écrivains français tels Rabelais, Montaigne ou La Boétie qui s’expriment et développent leurs pensées dans cette jeune langue tout juste officialisée par François 1er en 1539 par l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Ces auteurs donnent à la langue française ses premières lettres de noblesse en popularisant son riche vocabulaire, en construisant de belles et intelligibles tournures de phrase.

Les dialogues dans ce récit sont également très bien écrits, c’est du beau français agréable à lire avec des phrases bien construites, un vocabulaire varié et précis, une formulation élégante en maniant à la perfection l’ironie et les doubles sens qui peuvent signifier des grossièretés sans employer de mots grossiers, c’est un peu comme écouter du Georges Brassens.

On se croirait aussi parfois dans une pièce de théâtre de Molière avec de belles et longues tirades car, à la cour du roi de France, il convient de maîtriser à la perfection l’art de manier la langue autant que l’épée, un bon mot pouvant vous apporter autant de gloire ou de malheur qu’un coup de sabre.

Parfois, des longues descriptions ou des dialogues de peu d’importance sur la vie de tous les jours peuvent devenir lassants ainsi que les histoires d’amours à répétition du personnage principal Pierre de Siorac qui rencontre toujours une charmante dame célibataire où qu’il se trouve et quelque soit son statut social telles une chambrière, une drapière ou une noble dame mais ce n’est peut-être que de la jalousie mal placée 😊

Toujours est-il qu’il m’est arrivé de sauter parfois quelques pages du récit, ce que généralement je me refuse à faire pour toute lecture, mais il s’agit quand même d’une saga de six tomes de plus de six cents pages chacun….

On prend conscience également de la lenteur extrême des déplacements et de la circulation de l’information à cette époque qui se faisaient principalement à cheval ou même à pied. Les gens étaient informés de ce qui se tramait dans le royaume et au-delà mais avec une grande latence, la rapidité et la qualité de l’information était aussi un enjeu important pour les puissants afin de prendre les bonnes décisions le plus rapidement possible avant leurs opposants.

Les catholiques ont souvent dans ce récit le mauvais rôle, étant les dominants et les protestants sont plutôt vus sous un meilleur jour, étant souvent minoritaires et dominés même s’il y a des exemples de bonnes et mauvaises actions de chaque côté. Pour avoir fait quelques recherches sur certains faits et personnages en dehors de ce récit, Robert Merle semble néanmoins se baser principalement sur des faits historiques indiscutables autour desquels il invente certaines histoires mais qui sont en second plan et qui n’ont pas d’incidences majeures sur l’Histoire en premier plan.

Il faut de toute manière croiser les sources pour avoir une vision la plus complète en confrontant les avis tout en se concentrant le plus possible sur les faits sachant qu’il y a toujours un biais dans la manière de raconter l’Histoire en passant sous silence certains actes, en s’attardant sur d’autres, en interprétant certaines actions ou paroles.

Nous restons des humains et l’Histoire est si riche en évènements et en détails de tous genres, c’est le travail des historiens professionnels ou amateurs passionnés d’être capable avec une extrême rigueur et honnêteté intellectuelle en dépit de leurs convictions politiques ou idéologiques d’en extraire la substantifique moelle afin de déceler un fil conducteur pour expliquer l’enchainement des évènements en identifiant les éléments déclencheurs mais il y aura toujours diverses interprétations et théories possibles.

Personnellement, j’apprécie beaucoup les romans historiques ou les biographies (notamment celles de Stephan Zweig qui est pour moi une référence) comme moyens d’apprentissage de l’Histoire car c’est plus compréhensif et distrayant que de retenir par cœur dans des manuels une succession de dates sans forcément faire le lien entre eux sauf si le professeur permet de combler les trous ou en complétant avec ses propres recherches.

La description du contexte de l’époque, des personnalités et du vécu des divers personnages majeurs permet de mieux comprendre les enjeux et certaines prises de décisions dont les mécanismes sont assez souvent similaires quelques soient les époques pour peu que l’on fasse abstraction de certains éléments anecdotiques et en faisant quelques analogies. Toutefois, cela nécessite que l’auteur soit rigoureux et le plus honnête possible pour ne pas inventer des faits ou surinterpréter afin de plaire davantage à son lectorat, c’est un risque et puis il faut aussi être prêt à y consacrer du temps.

L’enseignement de l’Histoire n’est pas une science exacte, seuls les faits sont indiscutables, pour l’identification des causes et les conséquences il y a matière à interprétation. J’exprime ici un avis personnel basé sur mes réflexions en tant que simple passionné d’Histoire, je ne prétends pas avoir la vérité donc si vous souhaitez partager votre avis sur la question, n’hésitez pas à le faire en commentaire de cet article ou bien en m’envoyant un message privé. Le débat et la confrontation des idées permettent de clarifier son avis et d’augmenter le savoir de chacun.

Enfin, je reste impressionné par la capacité de l’auteur Robert Merle d’avoir écrit ces treize tomes volumineux, extrêmement bien écrits et documentés en l’espace de vingt-cinq ans soit une cadence d’environ un tome tous les deux ans ! Robert Merle a accumulé un savoir encyclopédique sur de multiples faits historiques, des grands personnages, différents corps de métier, la mode vestimentaire, les objets du quotidien, l’architecture, le vocabulaire et il a su le retranscrire ensuite de manière lisible et cohérente sans trop l’étaler. Il a su tisser l’histoire de ses personnages fictifs autour d’évènements historiques soigneusement sélectionnés et bien expliqués, c’est un coup de maître que j’admire !

Descriptif de chaque tome

Si vous souhaitez lire cette saga, je préfère vous prévenir que la suite de cet article va vous donner des éléments de chaque tome en s’attachant surtout aux faits historiques sans vous révéler néanmoins les principales intrigues des personnages fictifs. Toutefois, si vous voulez garder la surprise totale, mieux vaut attendre de lire chacun des tomes avant de lire la suite.

Si vous ne pensez pas avoir le temps ni l’envie de les lire, alors les descriptions ci-dessous peuvent vous donner un résumé tout en apprenant certains faits parfois peu connus de l’Histoire de France. Je m’attacherai ici à relever les sujets historiques qui m’ont particulièrement intéressé tout en essayant de vous partager une vue d’ensemble.

Pour vous aider à vous y retrouver, j’ai fait la frise chronologique ci-dessous avec l’aide du site internet http://www.frisechronos.fr/

Frise chronologique de la saga historique Fortune de France

Tome 1 : « Fortune de France », l’émergence du protestantisme

La vie des sujets et des suzerains au château dans le Périgord

Le premier tome commence lorsque Jean de Siorac, le père du personnage principal Pierre de Siorac, se retire de ses charges militaires après avoir été anobli pour ses hauts faits et en ayant amassé une petite fortune grâce aux prises de guerre. Il est accompagné de son fidèle frère d’armes, dénommé Sauveterre, avec lequel il est lié par un pacte d’amitié peu commun stipulant qu’ils partageraient et administreraient ensemble tous leurs biens, on surnomme ainsi leur duo atypique « la Frérèche ».

Ils achètent le château de Mespech situé dans le Périgord à proximité de la ville de Sarlat dont ils renforcent les fortifications et ils achètent des terres autour pour cultiver de quoi subvenir aux besoins de leur famille et de leur personnel ainsi que pour générer des revenus en revendant les surplus. Jean de Siorac fait la rencontre d’une jeune femme d’une ancienne lignée de noblesse catholique dont il tombe amoureux et, malgré leurs différents religieux, ils se marient ensemble.

Ce tome décrit avec beaucoup de détails la vie des gens dans le château (chambrières, paysans, artisans, gardes) et les activités qu’ils effectuent (travaux des champs, construction, cuisine, réceptions, protection) sous le commandement de leurs suzerains. En bons huguenots (équivalent de protestants), la frérèche est économe sur ses dépenses et fait des investissements judicieux pour accroitre ses revenus et faire fructifier ses richesses en achetant d’autres fermes ou en produisant des objets à valeur ajoutée (paniers en osier, tonneaux en bois…).

Pierre, le personnage principal naît au château en 1551, il est le cadet de la famille, il reçoit une éducation protestante de par son père et son oncle Sauveterre mais sa mère insiste pour qu’il porte un médaillon de la Vierge Marie au grand damne de la frérèche qui juge que c’est un objet idolâtre. Ce médaillon lui permettra néanmoins de se sortir de certaines situations périlleuses dans ses missions futures.

Conversion de masse du personnel du château avec revue des avantages et inconvénients du protestantisme

Alors qu’ils sont bien installés dans leur domaine avec leur personnel et leur famille qui s’est agrandit au fil du temps et tandis que des échos de tensions et de persécutions religieuses parviennent régulièrement à leurs oreilles, la frérèche estime qu’il est désormais temps de se positionner en se déclarant publiquement de la religion protestante. Avant cela, il leur apparait nécessaire que leurs sujets se convertissent également à leur religion pour leur sécurité ou bien ils devront s’en aller mais, à cette époque, ce n’était pas vraiment un choix libre pour le peuple étant donné les conséquences désastreuses s’ils perdaient leur moyen de subsistance. Ainsi, la grande majorité optait pour la religion de ses maitres avec les risques associés.

La frérèche organise plusieurs assemblées avec un ministre du culte protestant pour instruire à leurs sujets les fondements du protestantisme, ainsi c’est l’occasion de comprendre pourquoi il y a pu avoir de fortes oppositions et réticences de la part du peuple face au protestantisme pour des raisons parfois d’ordre sociale, affectif, ou symbolique davantage que religieux comme par exemple le fait que les huguenots ne reconnaissant pas le culte des saints catholiques alors que cela impliquait qu’une cinquantaine de jours chômés en l’honneur des plus illustres d’entre eux étaient annulés.

De plus, ces saints représentaient également pour le peuple une forme plus humaine et accessible que Dieu, ils pouvaient leur faire une prière et une offrande dans un but bien précis de manière similaire aux anciens dieux grecques et romains : il y avait le saint pour les objets perdus, un autre pour garantir un voyage en sécurité, les saints patrons de différents corps de métiers…

Le personnage de Marie était également très populaire dans la population car les femmes pouvaient plus facilement s’identifier à cette figure féminine et les hommes pouvait aussi y retrouver la représentation de leur mère, symbole de protection et de bienveillance.

Mais d’autres aspects du protestantisme pouvaient toutefois emporter l’adhésion ou du moins la compréhension du peuple : moins de rites à rémunérer au clergé, la fin du célibat imposé aux prêtres et aux moines qui n’était dans les faits pas toujours respecté, certains dogmes du catholicisme complexes à comprendre qu’il était donc plus facile de délaisser.

La grande Histoire de France de plus en plus inquiétante et menaçante

Assez logiquement, il y eut une forte opposition du clergé catholique à la Réforme protestante pour des motifs religieux mais aussi pour la perte d’influence et de revenus qu’elle engendrait, par exemple le commerce des indulgences étant remis en cause ainsi que les dons pour les saints ou lors des différents rites catholiques.

Des nouvelles du royaume de France parviennent par bribes au château de Mespech : à la mort du roi François Ier en 1547, son fils héritier Henri II lance des persécutions contre les protestants français qu’il suspend temporairement pour demander le soutien des nobles huguenots dans la guerre contre le roi d’Espagne Philippe II et ceux-ci acceptent en se joignant aux combats. Jean de Siorac répond à l’appel et il sera fait baron pour sa participation à la prise de Calais aux anglais en 1558 (à cette époque, la reine d’Angleterre Marie Tudor est mariée au roi d’Espagne Philippe II donc les deux pays sont alliés) sous les ordres du Duc François de Guise, un grand chef de guerre français mais adversaire farouche des protestants.

Au final, l’issue de cette guerre contre l’Espagne est défavorable à la France notamment après la défaite à la bataille de Saint-Quentin en 1557 malgré la résistance héroïque des maigres troupes du protestant français Coligny et elle doit abandonner à l’Espagne ses prétentions sur l’Italie.

Puis, le roi Henri II meurt accidentellement en juillet 1559 lors d’une joute, son œil est transpercé par un éclat de lance. Son jeune fils François II lui succède à l’âge de seulement quinze ans mais il est souffrant et il décède un an plus tard de maladie, son jeune frère Charles IX lui succède en 1560. Le royaume de France est désormais sous l’influence de la famille des Guise, ardents partisans de la lutte contre les protestants, et de la reine mère Catherine de Médicis qui oscille entre une attitude conciliante avec les protestants ou leur répression féroce.

La première guerre de religion éclate en France entre catholiques et protestants en 1562 du fait d’un massacre de protestants perpétrés sous les ordres du Duc François de Guise. Ce dernier sera ensuite assassiné par un protestant un an plus tard par vengeance.

La petite Histoire de France nous aide à relativiser la nôtre

Pendant cette période trouble de grandes tensions religieuses, surgit dans le sud de la France un épisode de grande sécheresse combiné à une résurgence de la peste. Sachant le peu de moyens connus à la Renaissance pour faire des provisions et pour lutter contre une épidémie extrêmement mortelle, notre ancienne situation de pandémie du Covid-19 couplée aux premières conséquences du réchauffement climatique sous fond de tensions internes et géopolitiques apparaît, pour le moment, bien faible, en comparaison de celle de la population de l’époque alors qu’ils n’avaient ni vaccins ni masques chirurgicaux et encore moins de frigos ou de climatiseurs !

Tome 2 : « En nos vertes années », découverte de la ville de Montpellier et des études de médecine à cette époque

L’état des connaissances en médecine avec des polémiques d’un autre temps

Dans ce second tome, Pierre de Siorac, âgé désormais de quinze ans, est envoyé par son père à l’université de médecine de Montpellier qui est considérée comme une « des plus anciennes et brillantes écoles de médecine du monde médiéval » (source Wikipédia). C’est donc l’occasion de découvrir à la fois la ville de Montpellier qui est dynamique et prospère ainsi que l’organisation et l’état des connaissances des études de médecine à cette époque qui sont bien loin de ce que nous connaissons aujourd’hui, fort heureusement pour nous.

Dans ce récit, on y apprend les polémiques faisant rage entre les partisans de l’étude exclusive des écrits des Anciens de l’Antiquité de manière quasi religieuse, notamment les œuvres issues des célèbres médecins grecs Galien et Hippocrate, et les professeurs qui souhaitent enseigner les récentes découvertes en anatomie humaine et en chirurgie basées sur l’expérience du terrain et notamment des champs de bataille.

Les médecins de la Renaissance doivent innover face à de nouveaux types de blessures engendrées par les armes à feux tel Ambroise Paré, chirurgien du roi, qui inventa notamment la technique de la ligature des artères pour stopper les hémorragies plutôt qu’une très douloureuse cautérisation au fer chaud. Il y a également André Vésale, illustre anatomiste de la Renaissance, originaire du duché de Brabant situé dans l’actuelle Belgique et qui fit ses études en anatomie à Paris puis en Italie. Vésale a grandement contribué à l’amélioration des connaissances de l’anatomie humaine grâce à des dissections sur des cadavres de condamnés qui ont contredit en partie ou ont complété les écrits anatomiques de Galien qui se basait essentiellement sur des dissections de singe, lui étant interdit à l’époque antique de la pratiquer sur des corps humains.

A cette époque, les chirurgiens sont dénigrés tels de vulgaires bouchers les mains pleines de sang et ne sont pas considérés par les professeurs comme de nobles médecins. L’hygiène, comme le lavage basique des mains et du corps, n’est pas non plus prise au sérieux. Pour améliorer ses connaissances en anatomie humaine, il fallait se résoudre à déterrer des corps du cimetière en pleine nuit pour faire des autopsies afin d’en apprendre davantage sur le corps humain ou de consulter en cachette des livres interdits documentés grâce à ce type d’expériences et qui pouvaient être diffusés à large échelle grâce à l’invention récente de l’imprimerie.

Pierre de Siorac fait la connaissance de ses camarades étudiants en médecine dont certains sont de joyeux lurons qui festoient et paillardent comme leurs futures descendants carabins mais la discipline est également stricte et les châtiments corporels fréquents.

On découvre aussi les fêtes populaires de la ville de Montpellier notamment les carnavals, la vie de la population en ville après la description de celle à la campagne dans le premier tome, les spécificités régionales en termes de gastronomie, d’architecture et de vocabulaire par rapport au Périgord natal du personnage principal.

L’imbrication des deux religions dans la société avec des exactions commises dans chaque camp

La religion protestante est bien implantée dans le sud de la France même si elle demeure largement minoritaire, les protestants sont présents dans les différentes strates de la société et certains ont accès à des responsabilités importantes tel le chef des gardes de la ville mais les tensions sont palpables entre huguenots et papistes (équivalents de catholiques).

Chaque camp est armé et défend vigoureusement sa religion, bien souvent aussi avec des intérêts plutôt matériels que spirituels comme cela est souvent le cas dans les guerres : les motifs réels des belligérants sont souvent d’accroître leurs terres ou d’obtenir une promotion, d’étendre leur prestige.

Des exactions et des massacres d’innocents sont commis par les deux camps dans différentes villes de France dont celui de Nîmes en 1567 auquel Pierre de Siorac assiste en tant que témoin passif. C’est le massacre dit de la Michelade car il eut lieu lors d’une fête locale organisée le jour de la Sant Michel, il est perpétré par des protestants qui tuent 80 à 90 catholiques et pillent des églises, cela n’est malheureusement qu’un prélude au massacre généralisé de la Saint Barthélémy qui aura lieu cinq ans plus tard et qui sera la trame de fond du troisième tome.

Tome 3 : « Paris, ma bonne ville », plongée dans l’immense cité de Paris dominée par le fanatisme religieux à l’aube de la Saint Barthélemy

Découverte de Paris et de ses habitants

Presque cinq années se sont écoulées depuis la fin du second tome et Pierre de Siorac a désormais terminé ses études à Montpellier d’où il en sort diplômé de médecine. De retour en son Périgord natal, Pierre de Siorac doit se battre en duel contre un ennemi de longue date de son père suite à un guet-apens de ce dernier et il le « dépèche » en combat régulier mais il est ensuite accusé de meurtre donc il décide de monter à la capitale pour demander la justice et le pardon du jeune roi Charles IX.

Ce troisième tome est donc l’occasion pour notre héros périgordin de découvrir l’immense ville de Paris qui est bien plus grande que les modestes cités du sud de la France qu’il a pu voir jusqu’à présent. Il nous la décrit comme insalubre, bruyante et encombrée le jour, sombre et dangereuse la nuit. Les parisiens sont dépeints comme un peuple peu docile dont même le roi a du mal à se faire obéir pour régler par exemple l’aménagement urbain qui est très anarchique et génère d’innombrables embouteillages de chevaux et de chariots. Les rues sont recouvertes d’immondices où grouille une multitude de commerçants, de colporteurs offrant leurs services en tous genres (eau, lait, nourriture, matériel de nettoyage et d’entretien) et s’interpellant les uns les autres en se lançant des invectives, les auberges sont hors de prix, finalement Paris et les parisiens n’ont pas tellement changé 😊

Enfin, Paris c’est aussi le grand fleuve de la Seine qui la traverse, les innombrables ponts majestueux qui l’enjambe, la magnifique cathédrale de Notre-Dame sur l’île de la Cité, ses innombrables églises et abbayes, la prestigieuse université de la Sorbonne, l’imposant château du Louvres, l’art du divertissement et de la décoration inimitable des parisiens, ses grandes fêtes et bals fastueux où sa mode vestimentaire est mise à l’honneur et rayonne dans tout le royaume et au-delà.

Apprentissage de l’étiquette à la cour du roi de France

Notre modeste héros périgordin découvre également les fastes de la Cour du roi de France au château du Louvres avec son étiquette qui règle les usages et où l’image que l’on renvoie aux autres est cruciale. Chacun des gestes et mots de la famille royale y sont épiés, commentés puis repris en chœurs par les courtisans et diffusés ensuite dans toute la capitale et au-delà. Il y a notamment des expressions popularisées par le roi qui sont très souvent utilisées par ses sujets aisés : « A la mode qui trotte », « En ma conscience, il en faudrait mourir » qui exprime un sentiment de perfection ou de nullité absolue.

Coligny, noble protestant français entré précédemment en guerre contre les armées royales catholiques suites aux premiers massacres de protestants, est désormais devenu ministre de la guerre et conseiller privilégié du roi Charles IX à la faveur de la période actuelle de réconciliation entre catholiques et protestants français. Coligny tente de persuader Charles IX de lancer une expédition militaire pour soutenir la révolte des Pays-Bas protestants contre l’occupation du royaume d’Espagne catholique, cela afin d’affaiblir ce puissant adversaire historique de la France qui le prend en tenailles à ses frontières sud et est.

Le roi de France Charles IX est jeune, il apparait à la fois influençable et instable, colérique, tiraillé par différentes influences contradictoires qui cherchent à le convaincre ou à le manipuler tels Coligny son ministre protestant, Catherine de Médicis sa mère ou le Duc Henri de Guise, ardent partisan catholique de la ligne dure contre les protestants et fils de François de Guise qui déclencha la première guerre de religion et fut assassiné ensuite par un protestant (cf tome 1).

Un mariage princier polémique dans un contexte de fortes tensions

Pierre de Siorac découvre avec stupeur et effroi le fanatisme catholique de la population parisienne qui est fortement influencée par les prêches virulents de leurs curés à la messe, ces derniers attisent la haine vis à vis des protestants considérés comme hérétiques et suppôts de Satan. Ce climat de tension est exacerbé par l’arrivée d’une imposante troupe de nobles huguenots venus assister au mariage de la princesse catholique Marguerite de France, sœur du roi Charles IX, et du prince protestant Henri de Navarre, qui deviendra le roi Henri IV après de nombreuses péripéties qui seront décrites plus tard. Cette cérémonie a été voulue et organisée par la reine mère Catherine de Médicis dans le but d’apaiser les tensions entre les deux camps et en dépit de la condamnation de cette future union par le pape et du désaccord des ultras catholiques menés par le Duc de Guise.

Les nobles protestants sont vêtus de noir, ils sont réputés austères et économes, soucieux de faire croitre leurs richesses au contraire de leurs homologues catholiques qui ont l’image de dilapider les leurs avec exubérance et ostentation en toilettes, en costumes colorés, en bijoux précieux et en fêtes somptueuses. Il y a là des différences assez visibles et tranchées entre huguenots et papistes sans parler des nettes divergences de conception et de pratique de la foi chrétienne comme présentées dans le premier tome. Chaque camp se méprise en dénigrant l’avarice et la pudibonderie des huguenots ou l’inconséquence, l’arrogance et la bigoterie des papistes. Ces différences de caractères et d’apparences sont assez bien représentées dans le film « La Reine Margot ».

En l’honneur du mariage princier entre Marguerite de France et Henri de Navarre, les parisiens, fidèles à leur réputation d’artistes, ont dressé des arcs en bois dans chaque quartier de la capitale qu’ils ont décorés de fleurs et de guirlandes et de magnifiques tapisseries sont suspendues aux balcons des maisons de bourgeois ou de nobles. Le mariage est célébré sur une estrade installée devant le parvis de Notre Dame, à la vue du peuple, Henri de Navarre et ses nobles protestants ayant refusé d’assister à la messe catholique à l’intérieur. Ensuite, quatre jours de festivités sont organisés à la fois pour la cour et pour le peuple avant que le drame ne survienne.

C’est tout l’avantage de ce type de récit immersif où l’on a l’impression d’être en plein cœur du Paris de cette époque et de vivre avec le peuple à travers le regard et les sentiments du narrateur. On ressent ses émotions sans être toujours aux premières loges des évènements historiques mais en ayant tout de même une bonne vision d’ensemble. Cela permet aussi de mieux se rendre compte de la situation au sein de la population, de prendre conscience du climat de haine et d’extrémisme religieux à Paris qui est exacerbé par les prêches du clergé catholique ainsi que par des calomnies mensongères, il ne suffisait plus que d’une étincelle pour mettre le feu à la poudrière.

L’étincelle qui embrase Paris

C’est l’attentat manqué sur Coligny, le 25 août 1572 dans une rue de Paris, qui est l’élément déclencheur des massacres de masse, on ne sait qui en est le réel instigateur mais la colère et la peur saisie à ce moment les deux camps qui se côtoient dans la capitale et qui sont chacun armés. Les protestants exigent naturellement que justice soit rendue dans les plus brefs délais tandis que les catholiques redoutent une vengeance de leur part alors qu’ils sont venus en nombre et en armes dans Paris.

Le roi Charles IX se rend au chevet de Coligny en lui promettant de trouver les coupables mais, finalement, il décide de l’exécuter ainsi qu’un grand nombre de gentilhommes huguenots présents à Paris, peut-être par peur des représailles de ces derniers. La foule parisienne, ultra catholique et chauffée à blanc par des prêches haineux, voyant ces exécutions, suit cet exemple morbide et se lance à son tour dans des massacres massifs de tous les protestants en ville y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées avec l’appui de l’armée royale.

C’est la nuit de la Saint Barthélémy, un déferlement sanglant où des milliers d’innocents sont assassinés sauvagement sans distinction d’âges ni de sexes, certains opportunistes sans scrupules saisissent cette occasion pour régler des comptes avec des rivaux afin de prendre leur place ou de s’enrichir, on est parfois bien loin de considérations religieuses.

Là aussi, le récit immersif du roman est haletant, poignant, Pierre de Siorac se retrouve au chevet de Coligny pour le soigner puis cherche à fuir Paris avec sa petite troupe qui l’accompagne en assistant à des meurtres sauvages. Ils essayent dans la mesure du possible d’en éviter certains mais bien souvent ils doivent fuir pour s’échapper de cette immense souricière effroyable où le sang coule à flot et vient gonfler la Seine d’innombrables cadavres rougeoyants.

On se croirait presque dans un jeu vidéo en caméra embarquée où le héros doit échapper à de multiples embûches sur son chemin mais, malheureusement, ce n’est pas une fiction et on se demande à la fin de ce récit effroyable comment l’unité de la France pourra résister à cette tragédie. La suite au prochain tome.

Rappel de la frise chronologique de la saga

Tome 4 : « Le Prince que voilà », le roi Henri III est contesté et tiraillé de toutes parts dans un royaume qui se déchire

Calme relatif après la tempête

Pierre de Siorac, après être parvenu à échapper aux massacres de la Saint Barthélémy à Paris rentre avec sa maigre troupe dans son Périgord natal pour se mettre à l’abri au château de son père où il demeure pendant une bonne année. Des massacres de protestants ont eu lieu dans d’autres villes de France mais il reste de nombreuses troupes huguenotes qui se protègent dans leurs places fortes et résistent vaillamment aux assauts des troupes royales catholiques, notamment pendant le siège de La Rochelle. Puis, la paix revient faute de victoire décisive, ou plutôt une trêve pour reconstituer les forces de chaque côté.

Dans le même temps, Pierre de Siorac se marie en 1574 avec une jeune femme de la noblesse catholique et décide de « caler la voile », dans le langage maritime cela signifie de diminuer la voilure quand le ciel devient orageux, dans ce cas de figure il s’agit pour un protestant de prendre les apparences d’un catholique en pratiquant les rites les plus symboliques telles la messe et la confession afin de ne pas susciter de suspicions ni de risquer de subir des violences arbitraires mais, en son for intérieur, il demeure un protestant convaincu.

Les trois prochains tomes de cette saga sont mes préférés car Pierre de Siorac obtient des postes de plus en plus importants à la cour du roi de France en tant que diplomate ou espion secret et ses différentes missions nous permettent d’assister au cœur des principales intrigues et évènements du royaume qui eurent une influence considérable sur la Fortune de France lors des trois prochaines décennies. Ce récit permet également de mieux découvrir la personnalité du nouveau roi Henri III qui est peu connu.

En effet, le roi Charles IX décède de maladie en 1575, trois ans seulement après la Saint Barthélemy et c’est son frère qui lui succède, le roi Henri III. Pierre de Siorac avait fait la connaissance de ce dernier dans le troisième tome alors qu’il était encore Duc d’Anjou, c’était à la cour au château du Louvres avant les massacres de la Saint Barthélémy tandis que Pierre de Siorac cherchait la grâce du roi pour une accusation de meurtre lors d’un duel.

De retour à Paris avec sa femme, Pierre de Siorac reprend contact avec le nouveau roi Henri III et il devient l’un de ses médecins officiels. Pendant près de dix ans, Pierre de Siorac va exercer paisiblement son métier de médecin et élever ses enfants avec sa femme sans avoir d’autres rôles et peu de détails nous sont donnés sur les évènements historiques de cette période.

Les troubles reprennent en raison du nouvel ordre de succession au trône de France

Cependant, la trêve relative entre catholiques et protestants français va être à nouveau remise en cause à la mort en 1584 de François de France, le dernier frère du roi Henri III, alors que ce dernier ne parvient pas à avoir de fils avec sa femme après dix ans de mariage. D’après la loi salique, une règle de succession au trône de France issue de la dynastie des mérovingiens qui excluent les femmes de l’ordre de succession et privilégie l’aîné mâle, cela signifie que l’héritier du trône de France serait Henri de Navarre, prince protestant dont le lien de parenté direct avec Henri III dans la dynastie des Capétiens remonte au roi Saint Louis qui régna au XIIIème siècle.

Pour un rapide rappel historique, à la fin de la dynastie des Mérovingiens issue du roi franc Clovis, Hugues Capet devint roi de France en 987 et fonda une nouvelle dynastie des rois de France qui lui succédèrent : les Capétiens. Mais, à la mort du roi de France Philippe IV le Bel, ses trois fils moururent successivement sans laisser d’héritiers mâles, cette situation était un cas de figure inédit et signifiait la fin de la branche directe des capétiens.

Alors, le roi d’Angleterre, époux de la fille de Philippe IV le Bel, revendiqua la couronne de France mais les juristes du royaume français exhumèrent la fameuse loi salique des Mérovingiens afin de justifier que seuls les mâles pouvaient hériter par ordre d’ancienneté et cela afin d’éviter d’avoir un roi anglais régnant en France.

Ainsi, en suivant cette règle, le trône revenait à Philippe de Valois issue de la branche capétienne des Valois et neveu du défunt roi Philippe le Bel. Ce désaccord entraînera la guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre, tous ces évènements sont très bien décrits par la saga historique Les Rois Maudits. Je vous avais dit qu’il n’était pas nécessaire de regarder Game of Thrones pour se divertir, il suffit de lire l’Histoire de France ou d’Angleterre !

Pour en revenir à la trame de notre histoire, en suivant la loi salique, à la mort du roi Henri III ce serait donc la fin de la branche des Valois et le début de celle des Bourbons avec Henri de Navarre. Afin de vous aider à mieux vous y retrouver dans la dynastie capétienne des rois de France, voici un arbre généalogique simplifié (source : extrait d’un manuel disponible sur le site internet de l’académie de Toulouse, lien internet)

Généalogie de la dynastie capétienne des rois de France

Mission délicate pour Pierre de Siorac, dilemme difficile pour Henri III

Dans ce nouveau contexte, le roi Henri III confie à Pierre de Siorac une mission secrète sous le couvert de sa fonction de médecin à la cour pour accompagner une délégation royale officielle qui va à la rencontre de Henri de Navarre afin de lui demander de se convertir à la foi catholique en échange d’être reconnu officiellement par Henri III comme son héritier légitime. Pierre de Siorac a l’avantage d’avoir des contacts dans le camp protestant de par son père et d’être moins connu que l’émissaire officiel de Henri III, il peut donc plus facilement avoir des entrevues secrètes avec des échanges plus fournis à rapporter au roi sans éveiller les soupçons car il y a des espions partout et les discussions officielles ne sont bien souvent qu’une façade.

Le dilemme est difficile pour Henri III : respecter la règle de succession historique du trône de France quitte à avoir un roi protestant dans un royaume majoritairement catholique ou bien renier pour la première fois l’ordre de succession afin de garantir un souverain catholique à la France mais avec le risque de créer une forte instabilité du régime car, si cette règle n’est plus respectée, alors de multiples prétendants pourraient voir le jour en s’appuyant sur différents prétextes et ils se lanceraient probablement dans d’interminables et redoutables guerres de succession. C’est pourquoi la conversion de Henri de Navarre faciliterait cette succession mais ce dernier y a été contraint plusieurs fois sous la menace, dont la dernière pendant les massacres de la Saint Barthélémy alors qu’il était retenu otage à la cour du roi et il abjura aussitôt qu’il put fuir la capitale et retrouver ses troupes donc il est peu enclin à le faire.

Apparition de la Ligue catholique

Avant d’être roi de France, Henri III, alors Duc d’Anjou, était partisan de la répression des protestants et, après la Saint Barthélémy, il avait prit la tête de l’armée royale pour faire le siège de La Rochelle qui était alors une grande place forte protestante. Les assiégés résistèrent vaillamment pendant de longs mois face aux nombreuses attaques du camp royal en partie grâce au ravitaillement des anglais par la mer et le siège fut finalement levé.

A présent qu’il est roi de France, Henri III a pu constater l’inefficacité et les ravages de la lutte armée contre les protestants et il est désormais bien plus modéré, voulant éviter le plus possible les effusions de sang et en étant prêt à des concessions.

Henri III aspire à la paix du royaume mais il est dans le même temps pressé par le nouveau parti de la Ligue catholique sous l’égide du Duc de Guise qui a été créé par les forces catholiques souhaitant la répression des protestants. Ce mouvement a le soutien d’une grande partie de la noblesse et du clergé français ainsi que de la propre mère du roi, Catherine de Médicis. Une nouvelle guerre de religion se déclenche à partir de 1585 entre protestants et catholiques, c’est la huitième depuis 1562 et la dernière de cette ampleur, elle durera treize ans et se transformera en guerre entre royalistes que l’on pourrait « loyalistes » (catholiques et protestants) contre les ligueux catholiques.

La Ligue est devenue quasiment un Etat dans l’Etat en occupant des villes françaises stratégiques et en s’alliant avec le puissant royaume catholique d’Espagne de Philippe II qui poursuit une lutte acharnée contre les huguenots en révolte aux Pays Bas occupés par l’Espagne tout en projetant d’envahir le royaume d’Angleterre qui a rebasculé dans le protestantisme avec l’accession au trône de Élisabeth 1ère en 1558 après la mort de la reine Marie Tudor, l’ancienne épouse de Philippe II.

Petite parenthèse sur l’Histoire d’Angleterre

La complexité de l’Histoire du royaume d’Angleterre n’a rien à envier avec celle de la France à cette époque : Marie Tudor est la fille aînée du roi Henri VIII (surnommé Barbe Bleue) et de sa première femme, Catherine d’Aragon, catholique et espagnole, dont le roi d’Angleterre se sépare en déclenchant un conflit ouvert avec le pape qui refuse d’annuler le mariage et qui mènera à la sécession de l’Eglise d’Angleterre avec l’Eglise catholique en créant l’Eglise anglicane qui est une forme de protestantisme (je vous conseille la série « Les Tudors » qui retrace très bien l’histoire tumultueuse de ce fameux roi).

Marie est catholique et tente de rétablir par la force le catholicisme en Angleterre lorsqu’elle devient reine, ces persécutions lui vaudront le surnom de « Bloody Mary ». A sa mort en 1558, sa demi-sœur Elisabeth lui succède et rétablit le protestantisme comme religion d’Etat, Elisabeth est la fille de Henri VIII et de sa deuxième femme qui sera exécutée sur ordre de ce dernier.

Intimité du roi Henri III et usages à la cour

Dans ce tome, nous sommes témoins à travers le personnage de Pierre de Siorac de nombreux moments d’intimité du roi Henri III où il apparait hésitant et meurtrit par les fréquentes attaques de toutes parts dont il fait l’objet.

Pour l’égayer, Henri III est très souvent accompagné de son bouffon dénommé Chicot qui n’a quasiment aucune limite dans ses saillies sur n’importe quels personnages du royaume aussi important soit-il. Chicot se tient informé des intrigues de la cour et divertit le roi qui connait bien des désagréments et des déconvenues, c’est intéressant de découvrir ce type de personnage original avec un rôle si atypique.

L’art de discourir à la cour est plaisant, les dialogues sont fluides, les mots bien choisis, les phrases bien formulées et les idées clairement énoncées, on aimerait pouvoir s’exprimer comme cela à l’oral sans hésitations, sans chercher ses mots ou corriger ses propos. Tout s’entend intelligiblement, c’est tellement riche en vocabulaire et en expressions qu’il faut parfois relire deux fois pour bien comprendre le sens d’une tournure de phrase ou le choix de certains mots. Là encore, c’est tout à l’honneur de son auteur Robert Merle d’être capable de retranscrire cet art avec autant de talent.

C’est l’époque où le français devient langue officielle du royaume et remplace peu à peu le latin grâce notamment à de grands écrivains français tels Rabelais ou Montaigne qui contribuèrent à enrichir, structurer et populariser la langue française dont les rois de France mettent un point d’honneur à maitriser toutes les subtilités et finesses et sont suivis par leurs courtisans à la cour.

On constate également l’influence de la culture italienne avec ses jeux de mots (« giochi di parole ») dont raffole la Cour pour égayer les conversations. Les cultures européennes se mêlent et s’enrichissent mutuellement, notamment dans les élites, c’est déjà le début du rêve d’unité européenne du philosophe humaniste Erasme, décédé en 1536.

On pratique également l’art de faire la cour aux dames et, pour celles-ci, de faire languir leurs prétendants pour tester leur réel attachement, d’exiger des preuves d’amour, les révérences sont de mise ainsi que la galanterie.

C’est une époque à la fois rude où les armes sont portées quasiment constamment et où les combats sanglants sont fréquents mais il y a également du raffinement et de la finesse dans les conversations, dans les parures, dans les gestes. La délicatesse est tout autant mise à l’honneur que le courage et il peut arriver parfois que des hommes d’importance laissent couler des larmes d’affection publiquement pour montrer leur attachement à des êtres chers, ce n’est pas qu’une sombre période d’obscurité et de violence.

Découverte de la capitale anglaise et de ses habitants dans un contexte géopolitique européen tendu

Henri III confie une nouvelle mission secrète à Pierre de Siorac pour se rendre à Londres, encore une fois en accompagnant une délégation officielle française qui a pour objet de demander à la reine Elisabeth la grâce de Marie Stuart, jugée coupable de tentative d’assassinat sur la reine d’Angleterre et condamnée à la peine de mort.

Marie Stuart est la cousine du Duc de Guise et elle est de confession catholique donc elle a le soutien de la Ligue en France. Elle fut brièvement la jeune épouse du défunt roi de France François II qui mourra précocement de maladie puis elle devint reine d’Ecosse. Marie Stuart peut prétendre à la succession de la reine Elisabeth qui n’a ni mari ni enfant car elle est la petite fille de la sœur du précédent roi anglais Henri VIII mais elle sera finalement exécutée en 1587 pour complot contre sa souveraine. Toutefois, son fils Jacques succèdera à la reine Elisabeth, concluant ainsi la fin de la dynastie des Tudors et le début de la dynastie des Stuart.

La mission secrète de notre James Bond français confiée par le roi de France est de porter un message secret à la reine d’Angleterre pour lui demander de lancer des attaques sur la Lorraine, le fief des Guise en France, en utilisant des mercenaires allemands protestants afin d’obliger la Ligue catholique menée par le Duc de Guise de se détourner des troupes de Henri de Navarre au sud. C’est du pur machiavélisme (auteur italien dont les œuvres sont récentes) de la part du roi de France qui n’hésite pas à employer la menace de combattants étrangers sur son propre royaume afin de régler des problèmes internes.

La ville de Londres est décrite comme plus austère que Paris mais sa population semble plus soudée et disciplinée autour de son monarque avec un grand respect de la loi et de ses représentants alors que de grandes menaces planent sur son royaume, à savoir le projet d’invasion de l’Angleterre par la flotte espagnole de Philippe II ainsi que des tentatives d’assassinats sur la reine Elisabeth par le clan catholique (plusieurs sont déjoués par l’implacable ministre anglais Walsingham).

Pierre de Siorac fait l’expérience également à la cour de la reine d’Angleterre du célèbre flegme britannique parmi les courtisans et représentants de la souveraine qui demeurent calmes et déterminés malgré les menaces. Toutefois, derrière leur froideur apparente se cache souvent des êtres facétieux qui ont le goût également des jeux de mots et des plaisanteries ironiques poussant à l’extrême des situations absurdes et burlesques.

La pression s’accentue sur le roi de France qui doit quitter sa capitale

La reine d’Angleterre accepte la demande de Henri III et finance donc une armée de mercenaires allemands pour semer le chaos sur les terres Lorraine mais le Duc de Guise parvient à les repousser et il en gagne davantage de prestige auprès de la population et dans le camp de la Ligue tandis que Henri III combat mollement Henri de Navarre pour donner le change.

La population et les élites de Paris, entièrement acquises à la cause de la Ligue deviennent de plus en plus suspicieux et critiques envers le roi de France tandis que le pouvoir du Duc de Guise grandit de jour en jour. Ce dernier pousse pour que l’oncle de Henri de Navarre, cardinal catholique, soit désigné comme le successeur de Henri III en contradiction avec la loi salique.

Ce délitement de l’autorité royale se traduit par la « Journée des barricades » en mai 1588 qui se déroule, sans surprise, à Paris et de plus au mois de mai 🙂 C’est une des premières fois dans l’Histoire que des barricades sont installées en milieu urbain pour empêcher la progression d’une force armée : cocorico ! Cet acte de résistance populaire a été préparé et organisé en sous-main par la Ligue catholique et intervient en réaction à l’arrivée de la Garde Suisse qui entre dans Paris sur ordre du roi afin de réaffirmer son pouvoir.

Des échauffourées ont lieu avec la population parisienne au passage des troupes suisses dans les rues étroites et encombrées de la capitale, des coups de feu sont tirés de part et d’autres et de nombreuses barricades sont soudainement élevées pour bloquer le passage aux gardes suisses qui se retrouvent rapidement isolés et doivent se replier à l’abri.

Henri III refuse de mener une controffensive féroce contre sa population et il décide quitter la capitale de son propre royaume par surprise avec le reste de ses troupes loyales, laissant Paris aux mains de la Ligue et de son meneur le duc de Guise. Le roi s’installe à Blois en recréant un semblant de cour et il continue de lutter courageusement pour la paix et l’unité du pays en refusant de céder aux injonctions de la Ligue tout en ménageant son héritier Henri de Navarre.

Après diverses tentatives de conciliation, Henri III se résout à une terrible décision

Toutefois, la pression s’accentue sur lui car les puissantes forces de la Ligue menées par le Duc de Guise chassent ses fidèles sujets de villes stratégiques et elles ont le soutien financier et matériel du roi d’Espagne Philippe II qui lance dans le même temps son Invincible Armada contre le royaume d’Angleterre. Ainsi, les destins de la France et de l’Angleterre sont à ce moment de l’Histoire étroitement liés avec le risque de basculer dans le giron espagnol.

Mais la flotte anglaise lance des raids astucieux en août 1588 avec des petits bateaux très maniables et des brûlots qui sèment une grande confusion dans la flotte espagnole amarrée à proximité de ses côtes et obligent les espagnols à quitter leur mouillage de manière désordonnée. Puis, une grande tempête endommage fortement les bateaux espagnols les obligeant à retourner en Espagne, c’en est fini de l’Invicible Armada de Philippe II et de ses rêves d’invasion de l’Angleterre.

Ainsi, l’étau se desserre également sur Henri III, il est temps d’agir. Le monarque tente de reprendre la main en lançant des Etats Généraux à Blois à partir d’octobre 1588 mais l’influence de la Ligue est trop forte et elle lui impose ses choix. Le Duc de Guise demande, exige même à mots couverts, d’être nommé aux plus hautes fonctions de l’Etat pour accroitre davantage son pouvoir et s’assurer une certaine légitimité.

Alors, le roi de France se résout finalement à ordonner l’assassinat par ses gardes du Duc de Guise le 23 décembre 1588 à Blois lors de la fin des Etats Généraux et d’autres meneurs de la Ligue sont emprisonnés. A trop vouloir faire de concessions en refusant la manière forte pour éviter de faire couler du sang, Henri III en vient à ces dernières extrémités.

Rappel chronologique de la saga

Tome 5 : « La Violente Amour », l’assassinat du roi Henri III et la conquête du pouvoir par Henri IV

Nouveaux troubles au royaume de France, les cartes sont redistribuées

Après l’assassinat du Duc de Guise et l’emprisonnement de certains rivaux, Henri III a repris la main et possède de plus larges marges de manœuvre dans son royaume mais les troupes et les villes acquises à la cause de la Ligue demeurent encore nombreuses et puissantes tout en étant désormais très exaltées par le meurtre de leur héros martyr.

Henri III fait alors la jonction de ses armées avec celle de Henri de Navarre pour combattre la Ligue, c’est une nouvelle guerre civile entre français qui commence mais, cette fois-ci, avec une armée coalisée de catholiques fidèles au roi et de protestants face à la Ligue catholique soutenue par l’Espagne.

La coalition des Henri parvient à reprendre progressivement des places fortes stratégiques qui permettent d’encercler Paris pour y mettre le siège. C’est à ce moment qu’un moine fanatisé par la Ligue et les religieux de la capitale, Jacques Clément, est envoyé dans le but d’assassiné Henri III qui est vu comme un traître à sa religion et à son pays. Jacques Clément parvient à déjouer les soupçons en raison de sa fonction de moine modeste et les comploteurs de la Ligue à Paris ont fait en sorte qu’il puisse s’entretenir avec des prisonniers importants favorables à Henri III afin qu’il puisse demander une conversation privée avec le roi pour lui transmettre des messages secrets. Le roi accepte sa requête et Jacques Clément s’approche à son oreille sous les yeux des gardes restés à proximité quand, soudain, le moine sort un couteau de sa manche et poignarde Henri III à l’estomac avant de se faire massacrer par les gardes royaux furieux.

Henri III mourra quelques heures plus tard, le 2 août 1589, à Saint Cloud, il est le dernier roi de la branche des Valois et le premier roi de la dynastie des capétiens assassiné mais il ne sera malheureusement pas le dernier. Le roi de France agonisant a tout juste le temps de réunir autour de lui la noblesse qui lui est restée fidèle pour leur demander solennellement de prêter allégeance à leur futur roi Henri IV qui est également présent. Les nobles catholiques font un serment de fidélité à leur prochain souverain bien qu’il soit protestant mais certains renieront leur engagement quelques temps plus tard. Ce sera à Henri IV de conquérir son royaume et son peuple par la force, la ruse et la diplomatie.

L’expression « violente amour » serait de lui, elle traduit son sentiment ambigu de souverain épris de son peuple qui doit néanmoins en combattre une partie de celui-ci pour reprendre son royaume et assoir sa légitimité. Henri IV n’est pas reconnu comme roi par la Ligue catholique car il est protestant, il a néanmoins une partie de la noblesse et donc de l’armée catholique avec lui par fidélité envers la légalité et la tradition de l’ordre de succession du roi de France.

Le dilemme et la lutte de Henri IV pour reconquérir son royaume et son peuple

Henri IV, premier roi de la branche des Bourbons, a un tempérament différent de Henri III, il n’a pas été élevé à la cour du roi de France bien qu’il y ait vécu un temps après son mariage avec Marguerite mais dans des circonstances très difficiles. Henri IV mène ses troupes et participe aux batailles depuis tout jeune, il est habillé modestement et souvent en armures, adepte du franc parler en allant à l’essentiel sans fioritures ni grandes tirades, proche du peuple et familier avec ses courtisans sans cérémonial.

Alors qu’il succède à Henri III, il hésite à se convertir au catholicisme comme lui enjoignent les nobles catholiques qui le soutiennent mais cette décision risque très certainement de lui mettre à dos les puissants nobles protestants qui lui sont fidèles depuis toujours et puis, ce serait encore une énième fois qu’il changerait de religion. Henri IV décide donc de remettre à plus tard sa décision mais il se montre tolérant envers les catholiques et magnanime envers ses anciens adversaires lorsqu’ils sont défaits afin de s’assurer de leur soutien.

En mars 1590 a lieu la bataille d’Ivry en Normandie entre Henri IV et la Ligue, l’issue des combats est incertaine et c’est là que nait la légende où le roi Henri IV aurait harangué ses troupes en leur disant de se rallier à son « panache blanc ». Le blanc est la couleur de l’écharpe et des grandes plumes posées sur le chapeau que porte Henri IV pour le distinguer ainsi que ses partisans, il les enjoint donc à le suivre jusqu’au bout pour emporter la victoire.

Ivry fut une bataille violente et indécise où la Ligue chercha à briser le siège de Paris, ses forces étaient plus nombreuses mais la bravoure du roi de France et de ses armées prirent finalement le dessus. Pierre de Siorac participe à cette bataille mais il en voit seulement une partie qui est très confuse, une immense charge de cavalerie où tout s’entrechoque, il en sort indemne mais complètement hagard. Au milieu de ce charnier, il ne sait plus où il est, où sont ses compagnons d’armes mais il est en vie et il apprend finalement avec soulagement la victoire de son camp.

La conversion du roi et la conquête de Paris

Désormais, l’objectif principal de Henri IV est de conquérir la capitale pour assoir sa légitimité dans le royaume de France. Paris, la rebelle de toujours, est cette fois-ci dans le camp des ultras catholiques, ironie de l’Histoire alors que quelques siècles plus tard la capitale se soulèvera pour les idéaux de la Révolution et en opposition à cette même Eglise catholique mais toujours contre son souverain, cela reste une constante.

Pierre de Siorac est utilisé à nouveau comme espion pour le compte du roi et il parvient à s’installer dans Paris en tant que marchand. Il nous décrit le siège de plusieurs mois de l’immense cité et ses conséquences effroyables pour la population en raison d’une terrible famine qui sévit et emporte de nombreux habitants après d’affreuses privations, tous les animaux sont mangés et il y a même des actes de nécrophagies.

Il est estimé que près de trente mille habitants moururent de faim pendant ce siège sur un total de trois cents mille mais la Ligue s’obstine néanmoins à résister contre les troupes royales et traque les « politiques », catholiques modérés qui sont enclins à un accord avec Henri IV pour retrouver la paix et la prospérité. La foule parisienne est quant à elle continuellement haranguée par les curés pendant les sermons de la messe.

Finalement, après quatre années de lutte armée depuis son accession au trône, le roi Henri IV décide de se convertir une nouvelle fois au catholicisme en juillet 1593 dans la basilique Saint-Denis car il prend conscience qu’il ne peut gouverner le royaume de France sans embrasser la foi de la majorité de ses sujets et une grande partie de sa noblesse protestante s’y résout également.

Ce fait majeur ouvre une brèche dans le camp opposé et une part significative des nobles et du clergé de la Ligue commence progressivement à le reconnaitre comme leur roi légitime malgré les précédents propos véhéments qu’ils ont tenu à son encontre. Le parti du roi devient de plus en plus fort et les opportunistes basculent de son côté, entrainant avec eux les plus engagés et isolant les plus enragés.

Après une levée temporaire du siège de Paris par les armées royales afin de combattre une armée de la Ligue venu secourir les assiégés, le blocus reprend mais des négociations secrètes ont lieu avec certains membres influents de la garde parisienne qui sentent le vent tourner en leur défaveur et qui acceptent finalement, en échange de récompenses, d’ouvrir les portes de la ville en pleine nuit.

Ainsi, les troupes royales investissent Paris en mars 1594 dans le calme et sans effusions de sang alors que la population parisienne est à bout de force. Henri IV est désormais maître de Paris et il s’installe au palais du Louvres qui n’avait plus hébergé de roi de France depuis quasiment six années après l’épisode de la « Journée des barricades » (cf tome 4).

La clémence pour pacifier et reconstruire le pays

Henri IV pardonne aux séditieux de la Ligue à Paris malgré leur longue et farouche opposition armée mais il préfère opter pour la clémence afin de reconstruire et réunifier le pays dans la paix après une longue succession de guerres fratricides. Il n’y a donc pas de grands procès organisés pour juger tous les coupables, seuls les plus zélés seront sanctionnés en étant bannis du royaume.

On peut faire le parallèle avec la situation de la France à la Libération en 1944 et du sort des nombreux français qui avaient collaboré avec l’envahisseur de manière plus ou moins engagée, il fallait aussi reconstruire et réunifier le pays qui aurait pu sombrer dans une guerre civile ou passer sous le giron d’une puissance étrangère, c’est un dilemme difficile entre la justice et la paix.

Rappel chronologique de la saga

Tome 6 : « La Pique du jour », reconquête et consolidation du royaume de France par Henri IV

L’étau se desserre autour de Paris

Ce tome commence par une nouvelle mission secrète confiée par le roi de France fraîchement installé à Paris pour son fidèle serviteur Pierre de Siorac dont l’objectif est de s’introduire dans la ville de Reims qui est aux mains des ligueux afin d’obtenir leur ralliement comme c’est le cas de plus en plus de bon villes aux mains de la Ligue en France suite aux nombreux succès de Henri IV et à sa conversion au catholicisme.

Notre héros périgordin parvient à libérer la ville de ses éléments les plus radicaux et à faire évacuer une garnison espagnole tout en nouant des contacts avec les principaux représentants de la ville ce qui permet de commencer les négociations pour le ralliement de Reims qui nécessiteront du temps.

Sur le chemin du retour, Pierre de Siorac rejoint le roi supervisant avec son armée le siège de la ville fortifiée de Laon qui constitue un verrou donnant accès à la région de Champagne. Si la ville est prise, les pourparlers avec Reims et les autres cités autour seront plus aisés. C’est également une place stratégique pour couper la retraite des armées espagnoles qui occupent la Picardie et qui se ravitaillent depuis leurs terres des Flandres.

Les troupes espagnoles tentent d’attaquer l’armée royale pour briser le siège mais elles échouent avec de lourdes pertes et se retirent, Laon se rendra donc à Henri IV et bientôt la Champagne se ralliera à lui moyennant pécunes et promotions. On est bien loin des considérations religieuses ou politiques de la part des principaux responsables, l’argent et le pouvoir sont souvent les objectifs premiers. Désormais, il reste à Henri IV de libérer les régions picarde et bretonne qui demeurent aux mains des ligueux et des espagnols afin de réunir entièrement le royaume de France.

L’influence des religieux en France

De retour à Paris, se tient le procès de l’ordre des jésuites qui est accusé par les universitaires et les curés de Paris de leur faire une concurrence déloyale en proposant un enseignement gratuit avec des méthodes réputées moins coercitives et en captant les confessions lucratives des nobles en raison de leur indulgence et de leur compréhension.

L’ordre des jésuites est tout récent, il a été fondé au milieu de ce siècle alors que l’Eglise catholique cherche à contrer l’expansion de la Réforme protestante. C’est une congrégation d’origine espagnole donc elle suscite la méfiance en France qui est son grand rival. Ses membres sont très disciplinés et très instruits, ils sont autonomes vis à vis des évêques locaux et ils gagnent en influence dans la population au travers des enseignements qu’ils proposent.

Certains les accusent d’inciter ou voir même de participer à des tentatives d’assassinats contre des chefs protestants ou catholiques modérés comme par exemples le chef de la révolte protestante aux Pays-Bas, le Prince Guillaume d’Orange, qui fut assassiné en 1584 par un catholique, plusieurs tentatives déjouées contre la reine anglaise Élisabeth ou bien Henri III qui mourra sous les coups d’un moine capucin en 1589.

Alors que le procès des jésuites était sur le point d’être ajourné, une tentative d’assassinat contre le roi Henri IV échoue le 27 décembre 1594. Le monarque n’est que légèrement blessé par un jeune homme dont on découvre, après enquête, qu’il a été instruit au collège jésuite de Clermont à Paris (actuel lycée Louis le Grand), on soupçonne donc l’assaillant d’avoir été influencé par les jésuites pour commettre cet acte.

Ainsi, le collège des jésuites est perquisitionné et on y trouve des documents avec des propos compromettants vouant aux enfers l’ancien roi Henri III ainsi que l’actuel roi Henri IV, ce qui est un crime de lèse-majesté. Par conséquent, le jésuite à qui appartenait ces documents est pendu et l’ordre des jésuites est expulsé de France.

Ce conflit ouvert entre un puissant ordre religieux et le roi de France lorsque l’influence du spirituel menace le pouvoir royal n’est pas le premier. En effet, comme raconté dans la saga des Rois Maudits, Philippe le Bel interdit l’ordre des Templiers en France qui a accumulé une grande richesse et une influence considérable avec les croisades, son chef est exécuté et les trésors sont confisqués, c’est aussi un moyen pour le monarque français de renflouer ses caisses.

Mission à Rome

Ensuite, Pierre de Siorac est envoyé en mission à Rome pour aider à convaincre le pape de lever l’excommunication du roi Henri IV qui est pour le moment maintenue bien que le monarque se soit convertit au catholicisme et que la majorité du clergé français se soit rallié à lui.

Cependant, le pape est contraint par la puissance du roi d’Espagne Philippe II qui est en conflit ouvert avec Henri IV et refuse catégoriquement son absolution en faisant pression sur le Vatican.

L’Italie n’existe pas à cette époque, elle est divisée en multiples duchés et royaumes et Rome est le théâtre d’une lutte d’influence entre les puissances étrangères catholiques telles la France et l’Espagne ainsi que le Vatican, Florence et Venice. Ces deux dernières vont aider la délégation française dans sa démarche afin de contrer la domination espagnole et, finalement, le Vatican accordera l’absolution du roi Henri IV le 17 septembre 1595 après de multiples tractations car il y a un risque de schisme de l’église gallicane française comme cela a été le cas dans le passé avec l’église anglicane d’Angleterre.

A noter qu’il y a des passages un peu longs dans ce récit à Rome avec moins de péripéties et d’évènements intéressants par rapport aux deux tomes précédents, le rythme est plus lent, c’est moins palpitant.

Henri IV promulgue l’édit de Nantes après avoir réunifié son royaume

De retour en France, Paris est menacée en raison de la prise d’Amiens par les espagnols avec la complicité de certains irréductibles ligueux. Henri IV doit donc lever une nouvelle armée avec toute sa noblesse pour en faire le siège. Cette fois-ci, Mayenne, l’ancien chef militaire de la Ligue, est dans le camp royal après le pardon de son roi qui l’intègre à son commandement militaire en raison de ses grandes qualités de stratège. Ainsi, après s’être livrés des batailles meurtrières avec rage pendant une dizaine d’années les anciens ennemis combattent désormais côte à côte.

Une armée espagnole envoyée pour secourir les assiégés est mise en déroute par les troupes royales françaises et la ville d’Amiens se rend en 1597. Désormais, Henri IV peut diriger ses troupes vers la Bretagne qui demeure la dernière région française encore aux mains de la Ligue et de l’Espagne. La Bretagne acceptera finalement de se rendre à son roi en échange de grandes quantités d’espèces sonnantes et trébuchantes afin d’éviter de nouvelles batailles meurtrières.

A présent que son royaume est réunifié et que la paix civile est rétablie après huit guerres de religions étalées sur seulement quatre décennies, Henri IV décide de promulguer l’Edit de Nantes le 13 avril 1598 afin d’instaurer la liberté de culte en France (sauf dans certaines villes à grande majorité catholique ou protestante) et d’offrir plusieurs places fortes pour les protestants.

Cependant, de nouvelles contestations intérieures montent dans les rangs catholiques suite à cette décision et les parlements des grandes villes rechignent à signer cet édit, il faut que le roi intervienne personnellement pour les forcer à le faire et cela prendra plusieurs années.

Dernière mission en Espagne, rencontre avec le monarque le plus puissant d’Europe

Après la promulgation de l’Edit de Nantes, Pierre de Siorac est envoyé en Espagne pour une nouvelle mission qui est sa dernière et, cette fois-ci, il s’agit d’une ambassade officielle et non plus de tractations secrètes. Henri IV lui commande de traiter en son nom avec le roi d’Espagne Philippe II à propos de différents frontaliers alors que les deux royaumes rivaux ont désormais fait la paix.

Le roi d’Espagne est très affaibli après quarante années de règne et il mourra quelques mois plus tard, le 13 septembre 1598, au palais de l’Escurial situé à une quarantaine de kilomètres de Madrid. C’est un immense monument édifié par Philippe II lui-même pour en faire une nécropole des rois d’Espagne avec de nombreuses reliques de Saints catholiques.

Philippe II fut roi d’Espagne de 1555 à 1598, monarque le plus puissant d’Europe à cette époque grâce aux richesses de ses colonies d’Amérique et à la puissance de ses armées. Sous son règne, il obtint une grande victoire navale à Lépante en 1571 avec le soutien de la marine italienne contre les ottomans, il lutta également contre l’expansion du protestantisme en Europe mais avec moins de succès. Contre la révolte des « gueux » protestants aux Pays-Bas qui était alors une possession espagnole et qui furent finalement divisés en 1581 avec au nord les Provinces Unies protestantes (la future Hollande) et au sud les provinces catholiques (la future Belgique), il échoua également dans sa tentative d’invasion de l’Angleterre en 1588 et son large soutien militaire et financier de la Ligue catholique en France fut insuffisant pour renverser le pouvoir royal.

Suite à cette dernière mission, notre fidèle héros périgordin Pierre de Siorac retourne à Paris et commence l’écriture de ses Mémoires, la paix dans son royaume étant retrouvée. Il en termine la rédaction le 4 mai 1610, dix jours avant l’assassinat du roi Henri IV en pleine rue de Paris. C’est le début de nouveaux troubles qui seront racontés dans une deuxième partie de la saga Fortune de France par le fils de Pierre de Siorac mais ceci est une autre histoire !

Rappel chronologique de la saga

Ce que je retiens de ce récit Historique

Il est désormais temps de conclure en vous partageant les principaux enseignements que je tire de ce récit historique en complétant avec des recherches annexes pour l’écriture de cet article.

La Monarchie française ne fut pas aussi stable et absolue que je le pensais

Contrairement à l’image que j’en avais, la Monarchie française n’a pas été un long fleuve tranquille, le régime royal ne signifiait pas souvent le pouvoir absolu telle l’image que l’on a règne de Louis XIV. Les rois de France étaient souvent en proie à de multiples tensions et luttes de pouvoir avec des vassaux turbulents et ambitieux, y compris même au sein de leur propre famille sans compter les menaces extérieures et la puissance du clergé. Le peuple avait bien moins de droits et de libertés qu’avant mais il y avait quand même une certaine inertie et une résistance passive à l’application de certaines lois, la bourgeoisie commençait également à prendre de l’importance avec l’émergence de riches villes quasi autonomes.

Les rois ne sont pas non plus systématiquement des tyrans sanguinaires, ils peuvent avoir aussi des sentiments humains et avoir la volonté de préserver la paix et la vie de leurs sujets, ils sont parfois tiraillés entre des courants contraires qui cherchent à les manipuler, à forcer des décisions, ce n’est pas une place aisée surtout pour un monarque qui souhaite gouverner pour le bien commun de l’ensemble du pays et pas d’un seul clan ou d’un parti.

L’homogénéité religieuse favorise la stabilité de chaque Etat non laïc

Au vu de ces nombreux conflits religieux qui ont ensanglanté la France et de l’absence d’un consensus stable malgré différentes tentatives de conciliation, il apparait difficile, voire même impossible d’avoir deux religions importantes dans un seul Etat à cette époque où les croyants étaient fervents et très pratiquants à moins que l’Etat soit neutre, c’est-à-dire laïc. C’est désormais le cas en France depuis plus d’un siècle et sur fond de baisse importante de la pratique religieuse donc la question ne se pose plus mais elle pourrait s’appliquer à d’autres domaines telles la culture et le mode de vie.

Ainsi, Henri IV a dû se résoudre à se convertir au catholicisme qui était la religion majoritaire de ses sujets afin d’être accepté comme leur roi légitime et de pacifier le pays. Il a ensuite promulgué l’Edit de Nantes instaurant la liberté de culte et donnant davantage de droits aux protestants mais cela n’empêchera pas de nouveaux conflits internes après lui et cette loi sera finalement révoquée par Louis XIV.

La France n’est pas une exception à cette prédominance d’une religion majoritaire dans un seul pays à cette époque : l’Angleterre est protestante tout comme la Suisse, l’Espagne est catholique tout comme l’Italie et le Portugal, les Pays-Bas seront divisés en deux états, la Hollande protestante et la future Belgique catholique. Il y a une différence en Allemagne avec le Saint Empire mais parce qu’il était constitué d’Etats très autonomes qui pouvaient choisir leur religion.

Cette situation s’est également posée lors de la fin de l’empire des Indes britanniques qui a été scindé en deux sur la base de la religion : le Pakistan pour les musulmans et l’Inde pour les hindous (avec la présence d’une minorité musulmane).

La force n’est pas la seule solution, même à cette époque réputée brutale

Parfois, les négociations de salons peuvent obtenir des résultats aussi importants que les batailles en limitant les coûts humains et financiers, il faut donc y rester ouvert sans se faire marcher dessus ou abusé comme cela a été visiblement le cas du roi Henri III avec la Ligue. L’argent et les promotions peuvent aider également à convaincre les belliqueux.

De même, la ruse ou parfois malheureusement la traitrise, comme les assassinats, peuvent aussi être utilisées mais avec des résultats souvent instables et parfois même inverses du but recherché en raison des réactions qu’ils entrainent. Ainsi, l’assassinat de Henri de Guise par le roi de France ne fit que renforcer l’exaltation de la Ligue catholique qui tenait là un martyr idéal pour haranguer les foules et résister pendant plusieurs années au pouvoir royal à Paris tout comme de nombreuses autres villes françaises. De même avec l’assassinat de Henri III par la Ligue qui entraina l’accession au trône de leur plus farouche ennemi, Henri IV, chef du parti protestant et qui su les vaincre par la force et la diplomatie.

Pardonner pour pacifier et reconstruire le pays parfois au détriment de la justice

Alors que la victoire est obtenue après avoir combattu fermement ses adversaires, il est parfois nécessaire de conclure la paix en partie au détriment de la justice afin d’éviter de nouveaux conflits, notamment après une guerre civile. Ainsi, les acteurs les plus impliqués et les plus coupables doivent être jugés et condamnés sévèrement mais cela peut être avisé de faire preuve d’une certaine clémence pour les subalternes afin d’aller de l’avant et reconstruire le pays.

La période d’après guerres des religions sous Henri IV après sa victoire contre la Ligue peut se comparer en ce sens à la situation de la France après la Révolution ou à la Libération où il a bien fallu réconcilier les anciens ennemis (républicains et royalistes, résistants, collabos et passifs) ou du moins les faire cohabiter pacifiquement.

Garder espoir en l’avenir et tenir bon malgré l’adversité

Enfin, pour terminer sur une note positive, je tire également de ce récit et notamment du parcours du roi Henri IV qu’il ne faut pas désespérer de situations qui semblent sans issues favorables ou trop difficiles à surmonter.

Henri de Navarre a été le témoin du massacre de ses camarades et coreligionnaires à la Saint Barthélémy où il a été forcé de se convertir au catholicisme et où il fut gardé captif à la cour du roi puis il parvint à s’enfuir, à récupérer ses terres pour reprendre le combat avec ses troupes contre un ennemi bien plus puissant.

Lorsqu’il accéda au trône de France en tant que Henri IV après de multiples circonstances, il fut contesté par la Ligue qui tenait les principales villes du pays avec le soutien du puissant royaume d’Espagne. De nombreuses fois il dut s’impliquer personnellement dans des batailles sanglantes à l’issue incertaine et il luta sans relâche pour se faire accepter de gré ou de force d’une grande partie de ses sujets (noblesse, clergé et tiers-état) qui le conspuait en le traitant d’hérétique. Henri IV parvint progressivement à reconquérir son royaume et son peuple grâce à ses victoires militaires tout en faisant certaines concessions (conversion au catholicisme, pardon et réhabilitation de ses anciens ennemis). 

Donc, avec de la persévérance, de la combativité, de l’intelligence et de la patience, on peut améliorer la situation et se rapprocher de ses objectifs puis, en atteignant un certain seuil, cela peut même enclencher un cercle vertueux où les pragmatiques, clairvoyants ou opportunistes vous rejoignent progressivement en faisant pencher la balance de votre côté. Ce mécanisme fonctionne également dans l’autre sens, si vous échouez et que vous perdez du pouvoir on vous respecte moins et vous risquez de perdre du soutien, à méditer.

Si vous êtes parvenus à lire cet article en entier je vous félicite et vous en remercie grandement! N’hésitez pas à laisser un avis en commentaire 😊

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Expériences diverses

Association A Bras Ouverts (ABO)

Introduction : la découverte d’un nouveau monde

J’ai découvert l’association A Bras Ouverts (ABO, en prononçant chaque lettre) en 2012 par le biais d’amis rencontrés dans un groupe de jeunes catholiques à Paris alors que nous étions chacun à la recherche d’un moyen de nous engager de différentes manières pour venir en aide à ceux qui en avez besoin. Le principe de ABO est d’organiser des sorties le week-end à la campagne pour des jeunes porteurs de handicaps accompagnés par des bénévoles en logeant dans des maisons prêtées gracieusement par des particuliers.

J’avais déjà été impliqué dans des associations pendant mes études mais, à cette période de ma vie, je venais d’entrer dans la vie active avec un travail de cadre à plein temps et je n’étais pas certain de ma capacité d’engagement, qui plus est dans le monde du handicap que je connaissais peu, donc je décidais de commencer en participant à un week-end par trimestre pendant une année.

A l’issue de cette première expérience, on m’a proposé, à ma grande surprise, de prendre une responsabilité importante dans des circonstances que je vous décrirai plus en détails dans un autre chapitre et, après une longue réflexion, j’ai accepté. Cela a été le début d’une grande aventure de deux années très riches en rencontres, en émotions et en apprentissages divers.

A la fin de cette mission, j’ai participé à l’organisation de la grande fête des 30 ans d’ABO qui fut un évènement majeur et, en quelque sorte, le point d’orgue de mon engagement dans cette association. Ensuite, j’ai continué de participer à quelques week-ends en réduisant progressivement la fréquence puis, finalement, j’ai décidé de quitter ABO après environ cinq années d’engagement tout en me tenant régulièrement informé de son évolution par le biais d’amis encore impliqués.

Cette expérience fut pour moi comme la découverte d’un nouveau monde, elle m’a permis d’apprendre beaucoup de choses sur des aspects variés notamment le fonctionnement interne d’une association, de faire de très belles rencontres et de vivre collectivement des moments forts donc il m’a semblé intéressant et utile de vous la partager. Peut-être que cet article vous donnera envie d’y participer à votre tour ou de soutenir cette association ou tout simplement vous permettra de découvrir ce nouveau monde comme il l’a été pour moi et, éventuellement, vous en inspirer.

Bonne découverte !

Présentation de l’association

Missions et valeurs d’ABO : « être avec, faire avec »

A Bras Ouverts a été créée en 1986 par cinq jeunes hommes et femmes motivés pour venir en aide aux jeunes porteurs de handicaps et à leur famille en constatant qu’ils avaient peu de structures d’accueil adaptées et accessibles afin de sortir de leur quotidien et de s’épanouir.

Le déroulé d’un week-end ABO est assez simple : les jeunes sont accompagnés chacun par un bénévole dans un groupe constitué au maximum de sept binômes et ils partent ensemble en minibus de neuf places appelé « estafette » le samedi matin pour rentrer le dimanche en fin de journée. Le groupe fait tout ensemble à hauteur des capacités des uns et des autres : les courses au supermarché, les repas, les jeux et les dessins à la maison, les balades en extérieur, la boom dansante du samedi soir, la messe du dimanche matin puis le rangement et le nettoyage du logement avant de rentrer.

D’autres évènements sont également organisés par l’association auxquels les familles peuvent être conviées comme par exemples le rassemblement national annuel d’ABO, la fête d’anniversaire de la création d’ABO tous les cinq ans, la participation aux JMJ (Journées Mondiales de la Jeunesse, rassemblement international de jeunes catholiques) ainsi que certains pèlerinages.

L’une des plus importantes règles d’ABO qui résume selon moi son état d’esprit est « être avec, faire avec son jeune », c’est-à-dire de toujours faire en sorte d’inclure le jeune que l’on accompagne dans les activités et dans les discussions du groupe en s’adaptant à sa personnalité et à ses capacités. L’application de cette règle de vie est facilitée du fait que chaque jeune est accompagné par un bénévole, ce qui est un des grands avantages d’ABO, cela limite la capacité d’accueil mais elle augmente grandement la qualité de l’accompagnement.

Chez ABO, on part du principe que chaque jeune peut nous comprendre même s’il ne peut pas toujours parler ou s’exprimer de manière compréhensible donc on essaye au maximum de s’adresser directement à lui en posant des questions, en proposant des activités, on évite de parler de lui en sa présence à la troisième personne du singulier pour qu’il se sente considéré.

Alors, bien entendu, tout n’est pas parfait, on reste des humains parfois fatigués, à bout de patience mais on peut compter sur l’aide de l’ensemble du groupe pour nous seconder quand on finit par manquer de forces ou d’idées. C’est aussi le rôle du responsable du groupe pendant le week-end, appelé RA (Responsable d’Activités), d’être vigilant aux signes de faiblesses ou de lassitude afin de proposer au bénévole un coup de main ou de se changer les idées en aidant à la cuisine ou au rangement.

Une association d’inspiration chrétienne ouverte à tous

ABO est une association qui se dit d’inspiration chrétienne car celle-ci a joué un rôle déterminant dans l’engagement de ses membres fondateurs puis de celles et ceux qui les ont rejoints progressivement. Cette dimension chrétienne se manifeste pendant le week-end à travers un court temps de prière proposé le samedi soir aux bénévoles (non obligatoire) et la messe du dimanche matin à laquelle tout le groupe assiste. Par ailleurs, pour les bénévoles qui ont des responsabilités importantes ou qui souhaitent s’engager durablement dans l’association, il y a un groupe spécifique dénommé l’Assemblée Communautaire (l’Asscom) qui se retrouve régulièrement pour échanger et prier avec l’accompagnement d’un aumônier.

Toutefois, et comme son nom l’indique, ABO est une association ouverte à tous et il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour participer à un week-end en tant que bénévole, l’important est que chaque personne soit en phase avec les valeurs et les règles de l’association telles que le respect des jeunes et de leur handicap, la bienveillance, l’entraide et la protection des jeunes. Cette ouverture vaut également pour les familles qui peuvent être de toutes religions ou non croyantes.

Personnellement, je trouve que cela a du sens pour ABO d’exprimer sa foi car c’est un élément essentiel qui est à l’origine de l’engagement d’un grand nombre de ses bénévoles et du moment que ce soit fait de manière relativement discrète et mesurée tout en demeurant ouvert à tous en respectant les convictions de chacun. Ainsi, je tiens à préciser que le but d’ABO n’est pas de faire du prosélytisme, il nous arrivait fréquemment d’accueillir des jeunes porteurs de handicaps issus de familles non croyantes ou d’autres religions (islam notamment) sans chercher à les convertir tout comme pour les bénévoles.

Concernant la dimension sociale, A Bras Ouverts se veut accessible à tous les budgets en demandant aux familles une participation financière dont le montant d’une quinzaine d’euros est très en dessous des coûts réels qui sont eux-mêmes réduits grâce au bénévolat et aux prêts de maisons.

ABO est une association reconnue d’intérêt général qui est financée à 75% par des dons individuels (déduction possible des impôts), ensuite viennent la participation des familles à quasi égalité avec les dons des entreprises (qui financent souvent l’achat de nouvelles estafettes). A Bras Ouverts est également soutenue par des particuliers qui mettent à disposition leur maison secondaire pendant quelques week-ends par an.

Si vous souhaitez apporter votre soutien à cette association par un don financier ou le prêt d’une maison ou tout simplement en savoir plus sur ABO, n’hésitez pas à consulter le site internet : https://www.abrasouverts.fr/

Le groupe, unité de base autonome

L’association ABO est divisée en groupes composés d’environ une trentaine de jeunes et d’une cinquantaine de bénévoles et chacun de ces groupes dispose d’une estafette personnalisée pour se déplacer pendant les week-ends. Il y a une trentaine de groupes répartis dans une dizaine de grandes villes françaises dont une quinzaine de groupes basés à Paris qui est un grand vivier de jeunes adultes étudiants ou actifs. Chaque groupe porte un nom joyeux aux évocations de fêtes et de voyages avec parfois un indice sur leur ville d’origine : « Les Baladins », « La Grande Vadrouille », « La Mélodie du bonheur », « L’île aux Trésors » (groupe lillois) … Le groupe dont je faisais partie se nomme « A La Belle Etoile ».

Chaque groupe est autonome pour recruter des accompagnateurs, accueillir de nouveaux jeunes et organiser des week-ends en fonction de sa capacité tout comme pour prendre des initiatives par exemples en invitant les familles pour des évènements particuliers ou en prévoyant des animations avec les accompagnateurs et leurs amis afin de faire connaitre le groupe et ABO.

Il y a beaucoup d’acronymes qui sont utilisés chez ABO pour faciliter la communication en interne et cela demande un petit temps d’adaptation au début pour en connaitre la signification, comme lorsque l’on arrive dans une nouvelle entreprise. Généralement, ces acronymes désignent des titres de responsabilités au sein d’ABO et des noms de groupes. Ainsi, je fus dans le passé le RG de ALBE et membre de l’Asscom, c’est-à-dire le Responsable de Groupe d’A La Belle Etoile et membre de l’Assemblée communautaire.

Chaque groupe d’ABO est géré par une « petite équipe » (la PE, en prononçant chaque lettre) composée de quatre personnes avec un(e) responsable de groupe (RG) qui a en charge notamment l’animation du groupe ainsi que la relation avec les familles et les jeunes, un(e) responsable des accompagnateurs (RACC) qui s’occupe du recrutement de nouveaux bénévoles et de l’organisation de dîners entre accompagnateurs dans des appartements pour se raconter nos week-ends ABO et maintenir le lien entre nous afin de se motiver à continuer notre engagement, un(e) responsable communication et témoignages (RT) dont le rôle est à la fois d’attirer de nouveaux accompagnateurs à travers des témoignages extérieurs ou apéros tels que les « ramènes tes potes » ainsi que de fidéliser ceux qui font déjà partie du groupe grâce à des supports de communication en tout genre (gazettes, cartes de vœux, soirées témoignages …) et un(e) responsable maisons (RM) qui gère les relations avec les propriétaires mettant à disposition leurs logements et qui en cherche de nouveaux.

A cette équipe s’ajoute les Responsables d’Activités (RA) qui ont la charge du groupe de jeunes et de bénévoles pendant le week-end où ils sont inscrits. Les RAs sont un élément essentiel pour la vitalité du groupe car leur nombre et leur disponibilité déterminent la quantité de week-ends pouvant être proposés aux familles dans l’année. On peut dire qu’ils forment en quelque sorte le noyau dure du groupe avec la PE.

Il y a également un référent de l’équipe national qui est attitré à chaque groupe pour aider à l’organisation de l’élection du RG ainsi que de son accompagnement pendant toute la durée de sa mission en partageant des conseils tout en suivant l’activité du groupe à distance en lisant les différentes communications ou quelques fois en présentiel. Le référent permet aussi de faire le lien entre le groupe et le bureau national d’ABO en informant ce dernier des actualités du groupe et en le consultant pour certains sujets.

Les responsables de la PE exercent leur mission sur un mandat de deux ans, non renouvelable, ce qui présente les avantages de permettre à d’autres accompagnateurs de prendre la relève mais aussi de pouvoir se projeter dans le temps pour celles et ceux qui acceptent cet engagement important nécessitant parfois des compromis avec leurs objectifs professionnels et personnels. Néanmoins, il est possible, et assez fréquent, pour les membres de la PE qui souhaitent continuer de s’investir après la fin de leur mission d’exercer une nouvelle responsabilité dans le groupe ou au niveau national. A la fin du mandat de la PE, des bénévoles du groupe sont présélectionnés en vue d’élire un(e) nouveau RG via un premier tour de votes par un ensemble de bénévoles engagés et expérimentés de ce même groupe après une présentation de chacun et un temps d’échange. Puis, si les personnes présélectionnées se sentent prêtes à assumer cette responsabilité, il y a un second tour de vote afin d’élire le nouveau ou la nouvelle RG. Ensuite, celui ou celle-ci propose à d’autres bénévoles de le rejoindre dans l’équipe suivant les conseils de l’ancienne PE.

Le bureau national donne le cap et maintient la cohésion

L’organisation d’ABO est à la fois structurée et bien organisée tout en restant flexible pour donner de l’autonomie aux groupes qui la composent et en faisant confiance à ses jeunes bénévoles pour prendre des initiatives en étant accompagnés si nécessaire.

Il y a un réel état d’esprit de bienveillance et de confiance à ABO, ce qui n’empêche pas d’avoir de la rigueur et de la vigilance sur les sujets essentiels en s’assurant que les bénévoles soient bien formés et disposent de documents de référence de qualité, c’est un mélange de souplesse et de robustesse. Le bureau national et ses référents sont tels un tronc d’arbre solide et bien enraciné qui permet aux branches qui sont les groupes de pousser librement dans différentes directions tout en s’appuyant sur leur base commune qui les soutient, les rassemble et leur permet de se nourrir de la même sève : l’état d’esprit d’ABO.

J’ai eu la possibilité de mieux comprendre l’organisation d’ensemble d’ABO lorsque je suis devenu RG du groupe A La Belle Etoile, notamment lors de l’assemblée générale (AG) qui rassemble chaque année le bureau national, les RG de chaque groupe et les référents.

Pour ma première AG, cela faisait à peine quelques semaines que j’étais RG et je connaissais peu de monde chez ABO, j’avais seulement croisé quelques accompagnateurs d’autres groupes parisiens au départ et à l’arrivée d’un week-end et j’avais une vision assez confuse du fonctionnement de cette association au-delà de mon groupe.

Donc ce fut pour moi comme la découverte d’un nouveau monde lorsque chaque membre du bureau national nous présenta de manière détaillée les résultats de l’année pour ABO avec le nombre de sorties et d’évènements organisés, le nombre et le profil (âge, sexe…) des jeunes et de leurs accompagnateurs, les dépenses et les recettes par catégories. Ce fut pour moi l’occasion de découvrir toute l’ossature d’ABO avec ses nombreux groupes et le bureau national qui supervise et coordonne tout cet ensemble.

Le bureau national est dirigé par le président d’ABO qui est élu par les membres de l’AG pour un mandat de quatre ans afin de garantir une certaine stabilité à l’action de l’association. Le bureau national est composé de sept membres : le président, le vice-président en charge des référents, le trésorier, le responsable de l’Asscom, le responsable communication et témoignages national, le responsable accompagnateurs national et le responsable enfant national. Enfin, il y a une salariée à ABO qui aide pour différentes tâches administratives ainsi que pour la gestion d’un local où sont entreposés différents documents et équipements d’ABO à Paris.

Les présentations des différents membres du bureau national pendant l’AG étaient sous formes de fichiers Powerpoint avec des slides détaillés, chiffrés, visuels et synthétiques, ils étaient présentés par des bénévoles du bureau national qui mettaient probablement à profit les compétences en analyses et en communication qu’ils avaient acquises lors de leurs études et pendant leurs activités professionnelles. J’avais l’impression d’être à l’assemblée générale d’une entreprise sauf qu’au lieu de parler de produits, de gains de productivité et de parts de marchés on parlait avant tout d’êtres humains et de relations sociales, la finalité de notre activité me semblait alors davantage porteuse de sens et donc plus motivante que celles de la plupart des entreprises et puis c’était aussi pour moi l’attrait de la nouveauté.

L’idée n’est pas d’opposer le monde de l’entreprise et celui de l’associatif car ils se complètent bien souvent, le premier permettant d’acquérir des compétences techniques pointues, un état d’esprit pragmatique de recherche d’efficacité et d’améliorations, de participer à la production de produits ou de services pouvant être utiles et même nécessaires à la société (c’est là que souvent il peut y avoir une interrogation), une rémunération pour subvenir à ses besoins et à ses envies matérielles ainsi que de financer le monde associatif tandis que le second permet de développer certaines compétences plus axées sur l’humain, le service à la personne, de donner davantage de sens et de sentiment d’accomplissement dans la vie afin d’enrichir humainement ses bénévoles et en faire bénéficier ensuite leurs employeurs privés grâce à une meilleure motivation et une plus grande ouverture d’esprit de leurs salariés engagés.

Dans son ensemble, j’ai trouvé l’organisation et le mode de fonctionnement d’ABO très pertinents et ils pourraient clairement être répliqués avec succès dans d’autres associations ou même en partie dans le secteur privé, je retiens notamment le bénéfice de faire confiance aux jeunes du moment qu’ils sont motivés et bien accompagnés, ils peuvent accomplir ensemble de grandes choses. Par ailleurs, j’ai apprécié cette organisation interne démocratique avec des règles clairement édictées et des membres expérimentés pour éviter l’anarchie et garder le cap.

Vous trouverez ci-dessous un schéma que j’ai réalisé pour présenter le fonctionnement général de ABO.

Schéma de présentation du fonctionnement général de ABO

Les accompagnateurs, l’énergie qui fait tourner la machine ABO

Recrutement par réseaux, participation sans engagement, accompagnement des responsables

Pour recruter des bénévoles qui sont essentiels à son activité, ABO s’appuie principalement sur les réseaux de ses membres sachant qu’à Paris c’est particulièrement efficace car il y a une grande et dynamique communauté de jeunes adultes catholiques en comparaison des autres villes françaises.

Pour ma part, j’ai contribué modestement à l’engagement progressif de mon cousin François lors de l’organisation des 30 ans d’ABO, cette expérience lui a plu et il continua ensuite de faire des week-ends avec son groupe dont il devint plus tard le RG, une belle histoire ! Nos exemples servirent ensuite sans doute d’inspiration à certaines de nos cousines qui participèrent ou participent encore à quelques week-ends avec ABO. J’avais proposé également à des amis proches et à d’autres membres de ma famille mais ce n’est pas forcément une expérience qui attire tout le monde même si elle suscite le respect ou parfois l’admiration, chacun a ses propres envies et capacités.

En effet, le contact avec des personnes porteuses de handicaps peut être redouté car nous n’y sommes généralement pas habitués étant donné que nous ne les côtoyons pas souvent donc on peut parfois être dérouté ou se sentir incompétent pour passer du temps avec ces personnes. Néanmoins, ABO ne demande pas à ses nouveaux accompagnateurs de compétences particulières, de diplômes ni de certifications pour participer à un week-end, c’est plutôt un état d’esprit ouvert et bienveillant qui est nécessaire avant tout. De plus, les nouveaux membres sont sensibilisés à ces aspects en étant accompagnés par des membres plus expérimentés.

Par ailleurs, il n’y a pas de durée minimale d’engagement qui est demandée aux bénévoles lambdas si ce n’est de s’impliquer pleinement sur le week-end auquel ils participent. Certains peuvent faire un seul week-end et ne plus revenir, d’autres deux ou trois week-ends par an. Là aussi, je trouve que c’est un bon moyen d’inciter les jeunes à découvrir cette activité peu connue et parfois redoutée.

Toutefois, pour les personnes volontaires à exercer des responsabilités dans ABO, par exemple dans la PE d’un groupe ou comme RA, il est demandé de s’engager sur une durée et une fréquence minimale afin de bien connaitre les jeunes, les accompagnateurs et l’esprit de l’association. Il y a également des formations spécifiques à leurs missions qui sont dispensées en interne par d’autres membres plus expérimentés.

Un intranet est par ailleurs disponible sur le site en ligne d’ABO avec des droits d’accès en fonction des responsabilités de chacun afin de consulter et télécharger des documents de formation ou des formulaires standards à imprimer comme par exemples des comptes rendus de missions ou des attestations d’autorisation pour les parents.

Des jeunes bénévoles motivés pour aider et prendre des responsabilités

Les accompagnateurs à ABO ont entre 18 et 35 ans avec une moyenne d’âge qui était à mon époque aux alentours de 28 ans, il y a environ deux tiers de jeunes actifs et un tiers d’étudiants et un peu plus de femmes que d’hommes (probablement un ratio de 70% / 30%).

Participer à l’association A Bras Ouverts en tant qu’accompagnateur, c’est rencontrer d’autres bénévoles aux parcours et profils différents mais qui se rejoignent dans leur volonté d’aider et de se rendre utile. Certains sont très investis et y consacrent de nombreux week-ends et soirées en semaine sans être rémunérés et en plus d’une activité professionnelle parfois elle-même très prenante. Néanmoins, ils sont rétribués d’une autre manière car ce n’est pas un « travail » comme les autres, c’est une activité pleine de sens où l’on peut éprouver de manière très concrète le bonheur apporté aux enfants et aux familles auquel chacun contribue et ce n’est pas à sens unique car bien souvent cette joie se partage et les accompagnateurs apprennent aussi beaucoup humainement de la part des jeunes et des autres bénévoles.

A Bras Ouvert, c’est aussi un lieu de rencontres, de sociabilité et, pour les bénévoles plus engagés, l’opportunité d’exercer des responsabilités dans un domaine atypique en faisant partie d’un collectif pour organiser des week-ends à la campagne ou des évènements festifs, préparer des costumes, imaginer des animations et des menus gourmands, décorer une estafette… Il y a beaucoup de place pour la créativité et les initiatives en tous genres !

J’ai remarqué de fortes similitudes entre ABO et les associations d’étudiants que j’avais découvertes pendant mon école d’ingénieur. Là aussi, des jeunes s’investissaient à fond en parallèle de leurs études et sans aucune rémunération parce qu’ils étaient motivés par la finalité de leur engagement (un évènement sportif, festif ou culturel bien souvent), par les nouvelles et parfois hautes responsabilités qu’ils pouvaient exercer en grande autonomie, ce qui était rare à leur âge, et aussi pour le côté social : faire partie d’une équipe, rencontrer des gens autour d’un projet commun.

Il peut également y avoir des motivations un peu moins altruistes comme obtenir de la visibilité, acquérir un certain statut social prestigieux ou ajouter une belle ligne sur son CV mais l’action reste tout de même louable et c’est bien aussi de penser à soi car, quand les intérêts des uns convergent avec les siens, la force de motivation en est décuplée. 

Par exemples, je fus très impressionné et même surpris pendant mes études de voir des camarades de promotion faire des petits boulots sur leur temps personnel afin de récolter de l’argent pour animer de grandes fêtes étudiantes ou d’accomplir une tâche un peu ennuyante comme se positionner à une intersection sur le parcours d’un raid sportif pour indiquer le bon chemin mais ils étaient motivés car ils se sentaient faire partie d’un collectif pour l’organisation d’un évènement important.

A ABO, j’ai rencontré beaucoup de personnes dynamiques et très investies dans leurs missions qui m’ont donné de l’inspiration et qui m’ont aussi aidé à supporter l’intensité de mon engagement car, comme j’ai pu le constater lors de ma grande traversée de l’Eurasie (lien blog), on trouve toujours plus audacieux que soit !

Par exemple, je fis la connaissance de Gaëtan qui fut responsable de mon groupe avant moi puis fut élu président de ABO, c’est la plus haute responsabilité de l’association avec de nombreuses réunions et des participations à de multiples évènements tout en partant régulièrement en week-ends ABO. Cela n’a pas empêché Gaëtan d’exercer un travail de cadre à responsabilité, d’organiser son mariage avec sa femme Marion qui était également RT dans ma PE et de s’entraîner intensivement pour une épreuve de triathlon Iron Man très physique tout cela en gardant le sourire et la bonne humeur !

J’ai été également impressionné par Guillemette, notre cheffe d’équipe pour l’organisation des 30 ans d’ABO. Pendant de longs mois, Guillemette a démontré une grande capacité de travail, d’organisation et de prise de décision tout en exerçant son métier de sage-femme. Elle a su insuffler beaucoup d’énergie dans ce projet en s’y investissant pleinement et en nous montrant la voie, « Lead by example » comme on disait dans mon ancienne entreprise américaine.

Il y a beaucoup d’autres exemples de personnes investies et dynamiques comme Gaëtan et Guillemette que j’ai rencontrées à ABO.

Les jeunes, la raison d’être d’ABO

L’accueil de nouveaux jeunes

A Bras Ouverts peut accueillir des jeunes à partir de l’âge de 6 ans et jusqu’à 14 à 18 ans suivant les spécificités locales des groupes puis, dès lors qu’ils font partie d’un groupe, il n’y a plus vraiment de limite d’âge tant que les conditions le permettent. Ainsi, nous avions dans notre groupe des « jeunes historiques » qui partaient depuis longtemps avec A La Belle Etoile et qui approchaient de la quarantaine même si la majorité des jeunes avaient entre 8 et 20 ans.

Lorsque j’étais RG du groupe A La Belle Etoile, j’ai eu notamment pour mission l’accueil de nouveaux jeunes lorsque nous avions une bonne dynamique dans notre groupe avec de nombreux accompagnateurs partant souvent ou lorsque certaines jeunes étaient moins disponibles ou ne partaient plus. Dans ce cas, la responsable au niveau national de la liste d’attente des inscriptions nous transmettait les contacts de la famille d’un jeune avec une fiche de présentation.

Ensuite, je contactais la famille pour me présenter et prendre des nouvelles afin notamment de vérifier si la situation avait évolué car le temps d’attente pour les familles fluctuait en fonction de la dynamique des groupes de chaque ville entre un et deux ans. Puis, un rendez-vous était fixé chez la famille afin de mieux se connaitre et préparer l’accueil du jeune dans les meilleures dispositions. Nous venions à deux accompagnateurs expérimentés du groupe, généralement un après-midi pendant le week-end.

Ce fut pour moi l’occasion d’en apprendre davantage sur les jeunes avec qui nous partions en découvrant leur cadre familial. Nous avons toujours été bien accueillis par les familles qui avaient de nombreuses interrogations sur le fonctionnement de notre association et, même si elles attendaient notre venue depuis longtemps, elles éprouvaient également parfois de l’appréhension à l’idée de nous laisser tout un week-end leur enfant sensible émotionnellement et physiquement.

C’était souvent une première pour leur jeune de quitter la famille pendant le week-end en raison de leur jeune âge et du manque de structures d’accueil adaptées à leur handicap donc le but de notre visite était à la fois de découvrir l’enfant et sa famille mais aussi de présenter plus en détails notre association et de répondre aux éventuelles craintes des parents.

Le fait d’avoir un accompagnant pour chaque jeune était souvent rassurant pour les familles et nous leurs expliquions le déroulé d’un week-end avec les règles d’attention pour le bien-être et la sécurité des jeunes. Nous remettions également un fascicule de présentation de ABO ainsi qu’un dossier à remplir avec des informations précises sur leur enfant afin de préparer au mieux son accueil dans notre groupe : ses traits de caractère, ce qu’il aime faire ou ce qui lui déplait, ses goûts en tous genres, des conseils pour l’aider à se calmer en cas de crise ou pour aller se coucher, son traitement médical et ses allergies s’il y en a…

Ensuite, le RG en fait une fiche résumée qui est mise à jour après chaque week-end du jeune ou en fonction des nouvelles fournies par la famille afin de briefer l’accompagnateur avec les toutes dernières informations. Bien entendu, ces informations personnelles sont conservées scrupuleusement à l’abris d’éventuels regards indiscrets et n’est communiqué aux accompagnateurs que ce qui est nécessaire en tâchant de respecter au mieux l’intimité des familles et du jeune.

A noter que l’on demande très peu d’informations à ABO sur le diagnostic du handicap du jeune, il est généralement résumé sous un nom technique ou en quelques mots mais sans trop de détails car nous n’avons pas pour but d’apporter des soins médicaux ou spécialisés ni même vocation à éduquer ces jeunes, ces missions revenant à des professionnels du métier ainsi qu’à leurs familles. Ainsi, ABO ne peut accueillir pour ces raisons des jeunes nécessitant des actes médicaux pendant le week-end telle qu’une piqûre. Nous nous intéressons principalement au caractère du jeune, à ses goûts, à ses envies pour que nous puissions adapter au mieux son intégration dans le groupe.

Le profil des jeunes et des familles que j’ai rencontrés

Lors de mon engagement de RG chez ABO, j’ai pu observer différentes situations familiales dans des environnements sociaux variés pour les jeunes. Il y a des familles unies malgré les difficultés, parfois des mères isolées ou qui se dédient quasiment entièrement à leur enfant pour pallier au manque d’établissements adaptés ou trop éloignés, certains parents préférant parfois s’occuper eux-mêmes de l’éducation de leur enfant afin de s’assurer qu’ils soient dans de bonnes conditions.

Suivant différents cas, le jeune peut vivre dans sa famille ou bien il est parfois en internat dans un établissement spécialisé, certains jeunes adultes peuvent aussi avoir une activité professionnelle à laquelle ils se rendent en transport en commun de manière autonome.

Il y a une grande diversité également chez les jeunes avec des handicaps de nature différente à la fois physique et mental, certains peuvent parler distinctement tandis que d’autres s’expriment par une expression du visage, des exclamations ou des gestes. Il y a des jeunes qui comprennent bien ce qu’on leur dit mais peuvent difficilement communiquer donc on s’aide de gestes, de dessins ou on utilise des questions fermées pour qu’ils puissent répondre d’un hochement de tête. Certains jeunes sont autonomes pour manger, faire leur toilette tandis que d’autres ont besoin d’aides, il y a des jeunes qui marchent sans difficultés alors que d’autres se déplacent en fauteuil roulant ou ont besoin qu’on leur tienne la main. ABO essaye de s’adapter à chaque jeune en l’intégrant au sein du groupe dans le respect de sa différence.

Mes expériences de diverses responsabilités chez ABO

Comment je suis devenu Responsable de Groupe (RG)

Lorsque l’on me proposa de devenir le RG du groupe d’A La Belle Etoile, j’avais 26 ans, j’avais fait à peine quatre week-ends ABO et j’avais très peu d’expérience d’encadrement d’un groupe de jeunes comme par exemples chez les scoots ou dans un centre de colonies de vacances, je n’avais même pas le BAFA ! Donc cela me surprit que des personnes pensent à me confier une responsabilité aussi importante et je pensais décliner.

Mais la référente du groupe, Mariane, m’expliqua que je n’étais pas un cas isolé, il y avait déjà eu des RG avec peu d’expérience et ils avaient bien accompli leur mission. Mariane me donna les coordonnées de certains d’entre eux pour en discuter et elle me partagea également des textes de réflexion sur la responsabilité dans le monde associatif en général et à ABO en particulier qui étaient très instructifs. J’avais droit à deux semaines de réflexion et je finis par dire oui car les échanges que j’avais eu avec d’anciens RG et les documents que j’avais lu m’avaient inspiré confiance.

De plus, j’étais à un moment de ma vie où j’avais envie de changements, de relever de nouveaux défis, j’hésitais notamment à partir faire un tour du monde sous l’influence de nombreux voyageurs (je ferai finalement ce grand voyage neuf ans plus tard en traversant l’Eurasie : lien blog). En y réfléchissant, cette proposition me semblait être une opportunité de découvrir un nouveau milieu, une sorte de voyage mais local, et j’étais sensible au fait que des personnes expérimentées aient pensé à moi pour ce poste, qu’ils me fassent confiance.

J’étais désormais curieux de découvrir davantage ABO et je me sentais prêt à relever le défi de cet engagement pendant deux années. Cela me paraissait long mais je comprenais que cela nécessitait du temps pour prendre ses marques et, personnellement, cela me rassurait de savoir que cette responsabilité avait une durée limitée car je pouvais plus facilement me projeter et m’investir pleinement dans cette mission quitte à faire certaines concessions dans ma vie personnelle et professionnelle sachant que ce serait temporaire. Cela me semblait donc une bonne formule et, au final, ces deux années passèrent relativement vite.

La seconde étape était de former une nouvelle petite équipe mais je connaissais peu d’accompagnateurs étant donné que je n’avais fait que quatre week-ends donc je fus conseillé par l’ancienne PE.  Chacune des accompagnatrices que j’ai contactées accepta assez rapidement sa mission et nous fûmes rapidement au complet en à peine une quinzaine de jours : Marine serait notre RACC (responsable des accompagnateurs de l’ensemble du groupe), Marion notre RT (responsable communication et témoignages)  et Carol notre RM (responsable maison). On ne se connaissait pas et on avait peu d’expérience à ABO mais on fut bien accompagnés par l’ancienne PE et on s’entendit rapidement ensemble pour mener à bien nos missions dans la bonne humeur.

La mission de RG au sein de la Petite Equipe et du groupe

En termes d’investissement personnel, en acceptant de devenir RG chez ABO, on s’engage sur une durée de deux ans à partir au moins 25 jours par an avec son groupe, ce qui correspond à environ un week-end par mois et un séjour l’été, afin de bien connaitre les jeunes et les accompagnateurs ainsi que d’être pleinement investi dans l’activité du groupe. A cela s’ajoute quelques jours supplémentaires pour de la formation et la participation à l’assemblée générale donc environ une trentaine de jours en tout sur l’année. Il faut ensuite compter environ un soir par semaine pour une réunion d’équipe ou un dîner entre accompagnateurs et environ une heure par jour pour le suivi et l’organisation de l’activité du groupe (contact avec les familles, gestion des inscriptions sur les week-ends, brief et débrief avec les RA…). Bien entendu, cela dépend de l’activité du groupe et de la méthode d’organisation personnelle du RG mais c’était à peu près ce que je faisais.

C’est donc un engagement conséquent mais je trouve que cela a du sens afin de s’investir pleinement dans cette responsabilité car un mandat de deux ans c’est à la fois long et court et c’est une occasion unique d’exercer ce type de mission où l’on reçoit autant en belles rencontres et en moments de joie que ce que l’on donne en temps et en énergie. C’est aussi une responsabilité plus facile à accepter lorsque l’on n’a pas encore fondé une famille ou que l’on n’a pas une autre activité trop prenante.

Pendant ces deux années, avec la PE et l’ensemble de notre groupe, nous avons pu organiser beaucoup de week-ends (environ deux à trois par mois et deux séjours l’été) dont certains spéciaux comme notre week-end de fête dans une immense propriété du nom de La Madeleine qui est située en plein milieu des forêts de Sologne à proximité d’Orléans. C’est une grande maison de particuliers qui est mise à la disposition d’ABO quasiment toute l’année, La Madeleine est très pratique pour les grands rassemblements car elle dispose de plusieurs dortoirs, d’une grande cuisine et d’un vaste jardin autour avec des jeux en plein air dont un trempoline. Nous portions de beaux costumes de fête, il y avait un atelier de décoration de notre toute nouvelle estafette avec des pochoirs en formes d’étoiles, de croissants de lune et du logo de notre groupe, nous avons préparé des repas gargantuesques avec des plats de toutes les couleurs et on s’est déhanchés sur des tubes envoûtants pendant la boom du samedi.

Nous avons également organisé des rassemblements de notre groupe avec la présence des parents en partageant des crêpes à La Chandeleur ou en organisant une sortie de fin d’année sur une journée en visitant un aquarium ou un zoo suivi d’un piquenique collectif.

Parfois, on avait aussi l’opportunité de participer à des évènements assez originaux comme par exemple un rallye auto sur un circuit automobile suite à l’invitation d’une association d’amateurs de vieilles voitures, il ne s’agissait pas d’une course de vitesse mais plutôt d’un défilé d’anciennes voitures dans un style seventies et nous avions eu la chance avec certains jeunes du groupe de pouvoir monter à bord de certains de ces bolides munis d’un casque de protection en faisant quelques tours de pistes à vitesse réduite, c’était très amusant à la fois pour les jeunes et leurs accompagnateurs !

Je me souviens également d’un grand séjour en été dans le Perche où nous avions fait une sortie à la piscine et en calèche tractée par un immense cheval Percheron, c’était très sympa, on avait le temps de se connaitre, de s’habituer aux lieux, on était moins pressé et donc on pouvait se permettre de faire une grasse mat, de laisser le temps couler avec les jeunes comme en vacances alors qu’en week-end c’était un peu plus chronométré.

Je retiendrai également de nombreux moments de complicité entre les jeunes, même sans l’usage de la voix, par un regard, par un geste. Ces jeunes qui pouvaient exprimer leur joie de vivre et leurs talents au sein du groupe l’espace d’un week-end. C’est également le regard brillant et le sourire des parents qui nous remerciaient chaleureusement d’une poignée de main à nos retours de week-ends qui nous remplissaient de joie et du sentiment de se rendre utile.

Nous avons eu la chance que l’activité de notre groupe ALBE soit en progression constante pendant le mandat de notre PE notamment grâce à l’action de Marine notre Racc. Ainsi, nous avons terminé par un week-end du Réveillon du Nouvel An avec une quinzaine de binômes, ce qui fut le plus grand week-end organisé par notre petite équipe et nous y étions tous présents avec les accompagnateurs et les jeunes qui partaient le plus souvent dans notre groupe. Ce fut une très belle manière de clôturer notre mandat en sachant qu’une nouvelle PE prenait la relève et dont les membres étaient présents également à ce week-end avec Carol notre ancienne RM qui devenait la nouvelle RG, c’était comme un passage de flambeau.

Nous avions le sentiment du devoir accompli et la satisfaction de savoir que l’activité du groupe allait continuer dans la même dynamique et même l’accélérer. Cette croissance d’activité est en partie dû à un phénomène de cercle vertueux qui fonctionne ainsi : lorsqu’une bonne ambiance se crée dans un groupe avec des accompagnateurs motivés alors cela donne envie aux nouveaux de revenir et de s’investir puis, si certains d’entre eux ont un bon réseau de jeunes amis volontaires et motivés comme c’était le cas avec notre RACC Marine, alors cela fait un effet de levier très important.  

Après tout ce que nous avions vécu ensemble pendant ces deux années, nous avions créé des liens forts entre membres de la PE avec Marine, Carol et Marion et l’on resta en contact pendant un moment, en s’organisant des petites soirées retrouvailles ou en participant aux mariages successifs des unes puis, le temps, la distance et la vie de famille nous éloigna assez logiquement mais les souvenirs demeurent et nous aurons toujours l’occasion de nous retrouver avec plaisir pour nous les remémorer ensemble.

La mission de Responsable d’Activités (RA)

Pour avoir exercé les deux responsabilités de RG et de RA, selon moi c’est celle de RA qui a la charge la plus importante même si c’est sur une durée limitée car c’est cette personne qui s’occupe d’un groupe de jeunes et d’accompagnateurs pendant tout un week-end alors que pour le RG il s’agit davantage de missions d’organisation, de coordination, de communication mais sur une durée plus étendue. De toute façon, étant donné que la responsabilité de RG se cumule généralement avec celle de RA, au final cette combinaison des deux missions demeure la charge la plus élevée du groupe.

Ce sont les RA et la PE du groupe qui identifient lors des week-ends les accompagnateurs avec un potentiel pour devenir RA, il faut qu’ils aient fait au moins plusieurs week-ends avant de leur proposer. S’ils acceptent cette responsabilité, alors ils doivent suivre une formation en interne sur un week-end où on leur remet un classeur très complet avec une présentation détaillée de ABO et de la mission de RA avec notamment les règles de vie et les points de vigilance sur la sécurité des jeunes.

Ensuite, pour valider la formation de RA, l’aspirant RA participe à un week-end avec un RA expérimenté suppléant afin de s’assurer que les fondamentaux sont acquis et de partager quelques conseils. Si tout s’est bien passé et que l’aspirant RA se sent prêt à remplir cette mission, alors il peut participer à un week-end en tant que RA sur une fréquence d’au moins trois week-ends par an afin de rester opérationnel. Il y a également des formations de mises à jour qui sont proposées aux RA environ tous les deux ans.

Être RA, cela demande de la préparation en amont puis une attention constante pendant les deux jours du week-end qui passent relativement vite entre les courses, les repas, les balades, la messe et les trajets. Parfois, les groupes peuvent aller jusqu’à sept binômes (14 personnes) avec certains jeunes qui peuvent avoir des comportements difficiles à gérer ou qui nécessitent de la vigilance et de la patience. C’est pourquoi il est aussi crucial pour les groupes d’avoir des accompagnateurs qui partent assez régulièrement sans être forcément RA car c’est très utile d’avoir le support de membres expérimentés en plus du RA.

En amont du week-end, le RA est briefé par le RG sur les jeunes dont il aura la charge avec les dernières informations les concernant (points d’attention sur certains comportements à maîtriser ou des traitements à suivre par exemples) et il est également briefé par le RACC sur les bénévoles qui participeront (profil, expérience dans ABO) ainsi que par la RM pour le logement si nécessaire (une fiche d’utilisation indique toutes les informations nécessaires).

Les binômes entre jeunes et accompagnateurs sont définis à l’avance par le RG et le RACC mais le RA peut émettre des suggestions. Le RA garde également avec lui une fiche sur chaque jeune qui a été remplis par le RG avec les informations détaillées fournies par les familles dans le cas d’une intervention d’urgence (hospitalisation) ou de doute sur une information pendant le week-end (allergies, prise de médicaments…).

Ensuite, c’est le RA qui détermine la répartition des chambres entre jeunes et accompagnateurs en tenant compte de la configuration du logement et du profil des jeunes (accessibilité pour les personnes en fauteuil par exemple) et en s’assurant de ne jamais laisser un jeune seul dans une chambre avec un accompagnateur car ABO est très vigilant pour éviter tous risques de pédophilie et forme ses RA en conséquence. Sur ce point, le RA passe également pendant la toilette du jeune si elle nécessite l’aide d’un accompagnateur (dans ce cas les binômes sont non mixtes) afin de s’assurer que tout va bien et évite qu’un binôme s’isole du groupe.

A la fin du week-end, il y a un compte rendu à faire par le RA pour résumer les activités du week-end, la configuration des chambres et partager quelques informations utiles sur les jeunes et les bénévoles qui serviront au RG et au RACC afin d’en tenir compte dans l’organisation des prochains week-ends ainsi que pour partager ces informations aux autres RA. Le référent reçoit également une copie du compte rendu du week-end.

Personnellement, cela me prenait quasiment un week-end entier du vendredi soir pour me préparer jusqu’au dimanche soir pour faire le compte-rendu avec une concentration en continue pendant le week-end pour garder la maîtrise des évènements tout en essayant quand même de garder une ambiance détendue. A la fin, j’étais rincé mais content de ce que l’on avait vécu, j’avais le sentiment de m’être rendu utile et d’avoir également beaucoup reçu en échange de la part des jeunes et des accompagnateurs, c’est un apprentissage de la vie en communauté.

Avec l’expérience, on acquiert davantage de sérénité avec des automatismes et des techniques déjà éprouvées, on est plus à l’aise avec certaines situations déjà vécues mais cela reste quand même une responsabilité à ne pas prendre à la légère car on a la charge d’autres personnes et d’enfants notamment.

L’organisation de la fête des 30 ans d’ABO

On m’a proposé d’intégrer l’équipe d’organisation des 30 ans d’ABO quelques mois après avoir terminé mon mandat de RG et, là encore, j’ai hésité car je voulais avoir plus de temps pour ma vie perso. Mais, cette fois-ci, il s’agissait d’une mission moins chargée que RG et sur une durée plus courte de six mois et puis, c’était un très bel évènement unique à organiser qui rassemblerait des centaines de jeunes et d’accompagnateurs d’ABO de toute la France sur un week-end entier : j’ai donc accepté.

Ce rassemblement eu lieu en novembre 2016 dans le très beau château de Mesnières en Brai qui a été reconverti en lycée professionnel avec internat et qui dispose donc de grands dortoirs et d’un large réfectoire, ce qui correspondait tout à fait à notre besoin. Pour la petite histoire, je m’étais arrêté par hasard trois ans plus tôt devant ce château pour me prendre en photo lors de mon périple à vélo pour rejoindre Londres depuis Paris (cf article blog).

L’équipe d’organisation était constituée de six à sept membres expérimentés de différents groupes d’ABO, tous très motivés et très investis dans leurs missions avec de grandes capacités d’organisation tout en restant de bonne humeur. C’était très agréable et instructif de faire partie de leur équipe, j’ai notamment souligné le dynamisme de notre responsable Guillemette dans un chapitre précédent.

Je suis arrivé dans l’équipe alors que la préparation avait déjà commencé depuis plusieurs mois et j’avais des responsabilités plus limitées que les autres membres, ce qui m’allait très bien car j’avais besoin de souffler après la responsabilité de RG. Puis, la charge de travail a augmenté, et l’adrénaline avec, à mesure que nous nous rapprochions de l’évènement pour être sûr que tout soit prêt à temps.

Certains s’occupaient de la réservation des moyens de transport pour acheminer les participants de toute la France (en avion, en train, en bus…), d’autres de la commande d’équipements de tous types pour la décoration ou la signalisation dans les locaux, certains se chargeaient de recruter des bénévoles pour nous prêter main forte pendant le week-end, il y avait aussi les animations et spectacles à prévoir, les menus, la répartition des logements…

C’était toute une logistique avec plein de points de détails à décider, il fallait également promouvoir l’évènement pour avoir un maximum de participants puis gérer la communication avec chacun des groupes. Pendant le week-end, nous échangions entre membres de notre équipe à l’aide d’une application téléphone qui fonctionnait comme un talkie-walkie, cela faisait très pro !

Nous avions un fichier Excel à la hauteur de cet évènement et quasiment aussi complexe que la plupart de ceux que l’on utilisait dans mon ancienne entreprise : des dizaines d’onglets avec de multiples listes et tableaux croisés dynamiques qui étaient alimentés par un fichier d’entrée fourni par chacun des groupes d’ABO et mis à jour à l’aide d’une macro que j’avais reprise et améliorée. Voilà l’une de mes missions avec également la signalisation sur site (plans, panneaux…) et la gestion du parking.

Lors de ce week-end, il y eu des centaines de participants dont la plupart portait un costume de fête ou étaient maquillés, une fanfare qui mettait une ambiance incroyable, une troupe de danse pour animer un spectacle participatif avec les jeunes, une équipe de scoots pour nous aider dans la gestion de l’évènement, des bénévoles en renfort de notre équipe d’organisation (dont mon cousin François pour sa première expérience ABO comme indiqué précédemment) pour guider les participants dans les logements et pendant les animations, quatre grands bus affrétés de Paris, une dizaine d’estafettes et de voitures garées sur un parking immense…

Ce fut pour moi le point d’orgue de ma participation à ABO, une très belle manifestation de ce qu’elle représente : une grande fête collective imprégnée de joie et de bienveillance, chacun y mettait du sien pour que tout se passe au mieux et pour profiter de l’évènement. Malgré le nombre de participants, l’esprit d’ABO pendant les week-ends était maintenu et même amplifié, on pouvait rencontrer des jeunes et des accompagnateurs de toute la France et constater que nous avions la même manière de vivre et de partager ces moments ensemble. Tous ces mois de préparation avec de multiples réunions prenaient désormais formes et c’était beau à voir.

A la fin de ce week-end fabuleux, j’avais le sentiment qu’une page se tournait pour moi avec ABO, j’avais passé beaucoup de bons moments et je m’étais fait de bons amis mais j’aspirais désormais à faire d’autres choses, à prendre plus de temps pour moi, faire du sport, sortir plus souvent avec mes amis, je souhaitais passer à une nouvelle étape de ma vie. ABO venait de fêter ses 30 ans et j’allais lui emboîter le pas quelques mois plus tard.

Ce que ABO m’a apporté

Grâce à ABO, j’ai pu mieux apprendre à connaître et à vivre avec les personnes porteuses de handicap en passant du temps avec elles, en faisant des activités, en lâchant prise parfois, en acceptant de ne pas tout comprendre ou ne pas tout pouvoir expliquer mais en étant avec et en faisant avec elles. Toutefois, je concède que malgré cette expérience je peux encore ressentir parfois des sentiments d’impatience ou même d’impuissance, même si je suis plus habitué et mieux préparé à certaines situations et c’est aussi tout l’intérêt d’être en groupe afin de pouvoir se soutenir et se relayer. C’est pourquoi j’ai aussi beaucoup d’admiration pour les familles qui s’occupent de leurs jeunes tout le long de leurs vies alors qu’avec ABO cela reste le temps d’un week-end.

Ma participation à ABO a été aussi l’occasion de découvrir plusieurs régions sympathiques autour de Paris notamment le Perche, le Vexin, du côté de Chantilly, de Beauvais, dans les forêts de Sologne et du Morvan, ces sorties ABO m’ont permis aussi de prendre l’air le temps d’un week-end, loin de la capitale.

J’ai appris également à conduire l’estafette ce qui n’est pas toujours une mince affaire dans Paris, à cuisiner des plats un peu plus élaborés que des pâtes, à changer des couches, à vivre en communauté pendant tout un week-end, à gérer un groupe, à organiser collectivement des évènements de tous types.

Mon engagement à ABO m’a permis de prendre conscience de la grande force de faire confiance aux jeunes en leur donnant un cadre solide (des valeurs, des connaissances, des références) et un but précis avec du suivi et du soutien quand c’est nécessaire mais tout en leur laissant de l’autonomie pour exprimer leur créativité et prendre des initiatives.

Par ailleurs, j’ai pu constater que le sens de la mission et son utilité concrète pour notre société est une grande source de motivation qui permet à beaucoup de personnes, notamment les jeunes, de s’investir à fond quitte à cumuler avec une autre activité rémunératrice et en étant prêts à faire certaines concessions sur leurs vies pros et persos car c’est une activité qui permet de s’épanouir, de rencontrer d’autres personnes stimulantes dans une émulation positive.

Chers lecteurs et chères lectrices, merci à vous si vous avez eu la patience et l’intérêt de lire jusqu’au bout cet article relativement dense, j’espère qu’il vous a appris des choses ou du moins vous a interrogé, vous a fait prendre conscience de certaines choses, d’autres mondes que nous côtoyons sans que nous ne prenions le temps de les observer.

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Comment je me suis retrouvé dans cette mission

Alors que je continuais mes recherches d’emploi en ingénieur de retour de mon grand voyage (lien blog), mon père m’envoya la photo de la première page du quotidien Ouest France dans lequel il était indiqué en sous-titre : « Baie du Mont Saint-Michel, ostréiculture : les saisonniers manquent à l’appel »

Cela me rappela ma précédente mission de quelques jours de découvertes de l’activité des vendanges en Bourgogne à Chablis pendant le mois de septembre (lien article). Toutefois, je n’avais aucune idée de ce que pouvait être celle de l’ostréiculture qui est moins populaire et je ne savais pas qu’ils avaient besoin de renforts pendant cette période de l’année. Le fait que ce soit une activité en plein air et spécifique à la France située, de plus, dans la fameuse baie du Mont Saint-Michel suscita mon intérêt.

Après de rapides recherches sur internet, je trouvai des annonces pour des missions en intérim de quelques jours dans l’ostréiculture pour faire une activité dénommée « la Marée » sans trop de détails sur les tâches à accomplir. J’appelai une agence d’intérim à Saint-Malo qui me confirma avoir une mission de six jours qui commençait dès la fin de la semaine et qui était située dans la baie du Mont Saint-Michel au Vivier-sur-Mer. J’acceptai tout de suite car, en plus d’expérimenter cette nouvelle activité c’était également l’occasion pour moi de retrouver mes parents qui habitent à Dinard. Je réservai donc mon billet de train.

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Mon expérience de la Marée

Jour 1, samedi 25 novembre 2023 : découverte et apprentissage du métier

Le rendez-vous a été fixé au port du Vivier-sur-Mer à 9h45 soit environ une heure avant la marée basse car il faut le temps pour s’équiper puis se rendre aux parcs de tables à huîtres dans la baie qui peuvent être éloignés de plusieurs kilomètres.

Il me faut environ 1h20 à vélo pour parcourir les 25 kms de Dinard au Vivier-sur-Mer et je prévois de la marge pour le premier jour en partant à 8h. Le ciel sort à peine de l’obscurité, le soleil n’est pas encore levé et il fait un froid mordant. Je n’avais pas vérifié les températures en début de matinée et je pensais naïvement que l’exercice physique allait réchauffer mon corps mais, à peine suis-je parti, que je ressens le froid glacial assaillir mes doigts et faire refluer mon sang.

Trop tard, je suis parti donc je continue, je traverse le barrage à marémotrice de la Rance alors qu’une bande orangée colore peu à peu l’horizon et se reflète sur l’eau du fleuve côtier laissant apparaitre les silhouettes des voiliers amarrés. Tout est paisible, je m’arrête pour immortaliser ce moment et j’en profite pour souffler dans mes mains gelées.

En bordure de la Rance aux aurores

Ensuite, je monte une côte puis je contourne l’agglomération de Saint-Malo en longeant une voie rapide qui ne dispose malheureusement pas de piste cyclable, je dois me contenter de la bordure en restant vigilant aux véhicules qui me doublent puis je rejoins une route moins fréquentée avec une succession de petites collines à franchir.

J’ai les doigts et les orteils gelés, moi qui suis sensible à ce type de douleur je souffre le martyr et je me maudis de ne pas avoir pris de bons gants, ce sera pour la prochaine fois. La distance me parait interminable, j’ai à peine fait la moitié du parcours mais, maintenant que je suis parti, il n’est pas question d’abandonner.

Le ciel est sans nuage et le soleil se lève peu à peu puis, soudain, après avoir quitté le village de Saint-Méloir-des-Ondes situé en haut d’un léger plateau, j’aperçois le soleil lumineux immense et rasant puis, à ma gauche, la baie avec la silhouette du Mont Saint-Michel tout au loin : c’est magnifique !

Vue sur la baie du Mont Saint-Michel depuis les hauteurs de Saint-Méloir-des-Ondes

C’est déjà une belle récompense pour ces efforts, je descends sur Saint-Benoit-des-Ondes au bord de la baie et je suis la route côtière jusqu’au Vivier-sur-Mer. Je croise sur la route des tracteurs qui tirent des remorques avec des chalands pour la Marée, cela me rappelle le temps des vendanges en Bourgogne sauf que les bateaux ont remplacé les bennes à raisins.

Je trouve assez facilement le hangar sur le port qui était indiqué comme lieu de rendez-vous, il est déjà ouvert et certaines personnes attendent devant, probablement des intérimaires comme moi. J’attends avec eux en prenant un bon thé chaud de mon thermos et des biscuits mais personne ne vient nous accueillir, certains intérimaires habitués rentrent dans le hangar et je finis par leur emboiter le pas sans trop savoir quoi faire. Ils m’indiquent où récupérer un scaphandre qui est une sorte de grande salopette imperméable terminée par des bottes, on met un élastique autour de la taille pour bien serrer et éviter que de l’eau s’infiltre par le haut en cas de chute. Il faut aussi prendre des gants pour se protéger des coupures contre les coquilles d’huîtres.

Personne ne vient me voir pour vérifier mon identité, tout est en libre-service, je suis assez surpris en comparaison de l’organisation et de l’accueil pour le début des vendanges mais la différence c’est que l’activité de la Marée a lieu toute l’année donc c’est peut-être plus difficile de maintenir cette organisation.

Nous sommes une dizaine d’intérimaires âgés de vingt à quarante ans dont une seule femme. Une fois que nous sommes équipés, nous attendons devant le hangar et les superviseurs viennent à notre rencontre pour constituer des équipes. Ils nous répartissent deux par deux puis nous montons à bord des bateaux remorqués par les tracteurs. Ces embarcations sont plus petites que des chalands et n’ont pas un fond plat bien qu’elles aient quand même un faible tirant d’eau, on les appelle des « yoles ». Elles ont moins de capacité de chargement que les chalands mais elles coûtent moins chères.

Nous partons vers 10h avec quatre ou cinq bateaux tractés, nous roulons sur l’estran vaseux puis nous rejoignons la mer qui se retire lentement et nous relâchons les bateaux pour naviguer au milieu des parcs d’élevage d’huîtres. Les chefs d’équipes ont chacun une feuille avec les objectifs de la Marée du jour en nombre et en types de poches à prélever, je me demande bien comment ils font pour se repérer dans ce labyrinthe de tables qui se ressemblent toutes et qui sont encore à moitié immergées sans aucuns panneaux d’indication mais apparemment ils ont l’habitude.

Je fais la connaissance de mes compagnons d’équipe qui habitent tous dans le coin, Johan est électricien, Christian travaille dans un bureau d’études, ils s’inscrivent à la Marée quelques jours par mois pour compléter leurs revenus et ils ont l’air de plutôt apprécier cette activité en plein air même si c’est parfois sur leur week-end comme aujourd’hui, au moins ce n’est pas trop long dans la journée (entre 3 et 5h).

Je discute également avec le chef d’équipe, Damien, qui a une dizaine d’années de métier, il songe peut-être un jour à travailler dans un domaine avec un rythme plus stable pour fonder une famille car les horaires et les jours de travail varient en fonction des marées y compris les week-ends et parfois très tôt le matin. Damien me parle aussi de l’importance d’avoir une bonne maintenance du matériel car il y a peu de créneaux de grandes marées pour la pêche aux huîtres et, si un moteur de bateau ou de tracteur tombe en panne, cela peut limiter fortement la capacité donc ils ont leurs propres mécanos dans l’entreprise.

Pour ce premier jour de Marée, lorsque nous arrivons à proximité des tables des lots de poches sélectionnés, les superviseurs coupent le moteur et nous nous jetons à l’eau qui nous arrive au niveau du haut des cuisses pour pousser l’embarcation. Puis, nous enlevons les élastiques en caoutchouc qui maintiennent les poches sur les tables et ensuite nous maintenons la yole bien parallèle à la table tout en avançant doucement pendant que les superviseurs « pêchent », c’est-à-dire que l’un est dans l’eau pour soulever les poches de la table une à une et les placer sur le rebord de la yole tandis que l’autre est dans la yole et pose en tas les poches sur des arceaux en fer appelés « berceaux » en s’assurant de bien tasser les poches qui s’empilent afin qu’elles ne tombent pas et de bien équilibrer le poids dans le bateau pour qu’il ne penche pas trop d’un côté.

Nous poussons la yole en parallèle d’une table tout en chargeant les poches dans la yole

Le temps est radieux, désormais il fait bon et je n’ai plus froid même en étant dans l’eau car le scaphandre protège bien. On peut voir le Mont Saint-Michel au loin, je suis très content de découvrir cette activité dans ce lieu si unique et avec cette belle météo, merci Papa !

Lorsque la yole est chargée de poches (entre 200 et 250), nous nous écartons du parc et nous rallumons le moteur pour rejoindre la remorque et le tracteur qui nous permettent d’accéder à des tables plus proches du rivage qui sont complètement à sec pendant la marée basse. Elles servent d’entrepôts pour les poches à huîtres sélectionnées avant d’être triées et conditionnées dans le hangar.

Pour cette tâche, c’est plus physique, le superviseur conduit le tracteur pendant que nous déchargeons les poches sur les tables puis nous les fixons avec des élastiques. Cet effort a duré probablement une vingtaine de minutes mais j’ai déjà des douleurs au niveau du dos car les poches doivent peser une dizaine de kilos pour une taille d’environ un mètre de long et cinquante centimètres de large et les tables sont basses, elles sont situées au niveau de mes genoux.

« L’entrepôt » pour stocker les poches d’huîtres à proximité du rivage avant d’être préparées pour la vente

Après cela, notre mission est terminée, nous rentrons au hangar pour un total de 3h30 de travail en incluant les trajets en tracteur et en bateau donc c’est largement supportable. J’aurais quasiment fait autant de vélo ce jour-là que de mission d’intérim car je repartirai à vélo accompagné de mon père qui m’a rejoint.

Nous rinçons les scaphandres puis nous rangeons les équipements avant de nous changer. Au moment de signer la feuille d’émargement, je constate que je m’appelle Yann B. sur la liste, mon contact de l’agence d’intérim ayant sans doute oublié mon prénom et, dans le doute, m’a donné un prénom populaire de la région, il ne me manquait plus qu’un « Ker » ou un « Le » devant mon nom de famille pour devenir un vrai breton 🙂

Jour 2, dimanche 26 novembre 2023 : rodage

Cette fois-ci, je suis mieux équipé que la veille pour le trajet à vélo avec de bonnes moufles et j’avance à un bon rythme, je commence à être rodé, l’heure de rendez-vous est une heure plus tard que le jour précédent pour être en phase avec la marée.

Je retrouve les collègues d’intérim devant le hangar, on discute, certains sont dans la restauration en tant que serveurs ou cuisiniers et ils complètent leurs revenus en attendant la haute saison. Ils m’apprennent que nous aurons ce jour-là une majoration de 20% car c’est dimanche, ce que je trouve peu élevé en comparaison du secteur du tri des colis en zone aéroportuaire dans lequel j’ai travaillé précédemment mais cela restait une activité limitée et exceptionnelle alors que pour la Marée c’est assez fréquent.

J’enfile le scaphandre et les gants qui sont déjà mouillés alors qu’il y a un vent glacial qui souffle à l’extérieur, même avec ces équipements j’ai froid. Au moins il ne pleut pas même si le ciel est couvert.

Nous retournons dans le parc loin du rivage en direction de Cancale, il y en a pour une bonne vingtaine de minutes de trajets avec le tracteur puis la yole. Lors du trajet, je fais la connaissance de mon nouveau binôme, Yann, issu de la grande diaspora bretonne en région parisienne et désormais de retour au pays. Yann a la quarantaine, il travaillait dans la restauration puis il a acheté un bar qu’il a finalement revendu après quelques années pour désormais alterner des missions en intérim avec d’autres activités en partenariat avec sa femme.

Comme la veille, nous tenons et poussons la yole pendant que les superviseurs chargent les poches des lots indiqués. Le temps presse car la marée continue de descendre et nous devons terminer de charger toutes les poches d’une table sur notre yole tout en évitant qu’elle s’enlise dans la vase. L’embarcation devient difficile à déplacer, on a l’impression de pousser dans une mêlée au rugby mais l’avantage c’est que lorsqu’on est en mouvement on a moins froid.

Aujourd’hui, les huîtres sont à amener directement au hangar pour être nettoyées puis triées suivant leurs tailles et il en faut une grande quantité donc, lorsque notre yole est remplie, nous transbordons la cargaison sur un grand navire amphibie à proximité du parc afin de pouvoir plus rapidement retourner à la pêche. Le bateau amphibie peut se déplacer dans l’eau à l’aide de roues, il dispose d’un large pont plat avec un grand bras mécanisé avec des chaines et des crochets à son bout afin de transborder les berceaux contenant les poches d’huîtres.

Le bateau amphibie pour transborder les berceaux d’huîtres à l’aide d’un bras mécanisé

Pendant qu’une équipe se charge du transbordement sur le navire amphibie, je reste les pieds dans l’eau dans le parc avec d’autres et nous tapons les tables avec des barres de fer pour enlever les huîtres sauvages et le dépôt qui recouvrent l’armature des tables, c’est l’occasion de discuter tout en travaillant et certains me font quelques confidences sur leur vie privée, pas vraiment pour me demander conseil mais plutôt pour évacuer leurs ressentis sachant que l’on ne se reverra probablement pas. Le travail, c’est aussi du social.

Puis, lorsque la yole revient, c’est à mon tour de pêcher alors que la marée remonte donc il ne faut pas traîner car après on ne verra plus les tables. C’est un effort court d’une vingtaine de minutes mais c’est intense, j’ai déjà mal au dos.

Nous terminons la mission de Marée après environ 4h d’activité et Yann me propose gentiment de m’avancer sur le trajet retour en chargeant mon vélo dans son Kangoo ce qui me permet de diviser par deux la distance à parcourir à vélo, c’est un bel exemple de solidarité entre travailleurs.

Jour 3, lundi 27 novembre 2023 : météo et ambiance tempétueuses

Ce lundi, il pleut dès le matin mais je suis bien équipé et en bonne forme donc le trajet en vélo ne me dérange pas, désormais je connais bien l’itinéraire et notamment le nombre exact de côtes à franchir.

En arrivant au hangar, je découvre en pleine activité l’équipe en charge de vider, trier et conditionner les huîtres que nous avons pêchées la veille dans l’estran. Tout d’abord, ils ouvrent les poches puis ils les vident à l’entrée d’un tapis mécanisé qui nettoient les huîtres puis les trient suivant leur gabarit (la taille des huîtres détermine leur catégorie, plus le numéro de la catégorie est faible plus le poids et donc le gabarit de l’huître est élevé) avant de les déposer dans des caisses qui sont ensuite entassées par des opérateurs.

Il y a également des opérateurs en milieu de chaîne de tri qui s’assurent de la qualité en décollant les huîtres agglutinées les unes sur les autres ou en retirant les coques ou autres intrus. C’est une vraie petite usine.

Les caisses d’huîtres seront ensuite stockées dans des bassins avant d’être éventuellement vendues en vrac dans une poissonnerie ou bien elles pourront également être reconditionnées dans des contenants plus petits telles des « bourriches » qui sont des petites caisses en bois pour être vendus aux particuliers.  

Aujourd’hui, nous devons prendre une voiture pour nous rendre dans un parc éloigné qui est tout proche de Cancale car nous ne pouvons pas rester dans les remorques sur la route. C’est l’occasion pour moi de faire connaissance avec deux nouveaux collègues, Le premier, Matéo, est étudiant en BTS en cultures marines et le second est un ancien cadre de santé qui s’est reconvertit en gérant de gites tout en gardant une activité partielle de psychomotricien et en complétant avec de l’intérim dont il apprécie la flexibilité et aussi le fait que les types de missions sont simples à effectuer, il suffit de suivre les directives alors que dans son travail précédent de cadre, le stress et les nœuds aux cerveaux le suivaient souvent à la maison. Ce n’est pas le premier à me faire part de ce type de problématiques, on trouve vraiment des profils différents dans les missions de Marée comme pour les vendanges.

Matéo m’explique que cette période est cruciale pour l’activité de l’entreprise car les ventes pendant les fêtes de Noël représentent quasiment un tiers de son chiffre d’affaires annuel. Il faut donc arriver à pêcher la bonne quantité de poches d’huîtres cette semaine car ce n’est pas sûr qu’il y ait une autre grande marée avant les fêtes, les enjeux sont importants. J’apprends également que la société qui nous fait travailler est une entreprise familiale qui a étendu ses activités à l’ensemble de la chaîne de l’ostréiculture depuis la conception de larves dans des écloseries jusqu’aux magasins de ventes aux particuliers en passant par les parcs de pêche et les hangars de tri.

En arrivant au parking, nous enfilons nos scaphandres et nous montons dans les yoles remorquées par les tracteurs qui nous ont suivi sur la route, il y en a six en tout donc cela fait une grosse équipe. Nous attendons un moment sous la pluie en file indienne dans l’estran avant que la marée soit suffisamment basse pour apercevoir les tables et les rejoindre avec les yoles.

Nous attendons dans l’estran que la marée descende suffisamment pour pouvoir pêcher

Les superviseurs semblent plus tendus que les jours précédents, leurs ordres fusent un peu sèchement, on sent que les objectifs sont élevés et qu’il ne faut pas traîner avec le peu de temps que nous laisse la marée donc j’essaye de suivre le rythme alors que la pluie redouble.

Même la simple tâche d’enlever les élastiques pour libérer les poches des tables peut devenir difficile à cette cadence car souvent des huîtres sauvages sont collées dessus au niveau des piquets et il faut forcer ou taper dessus pour libérer les élastiques mais c’est peu d’efforts par rapport à la pêche effectuée bien souvent par les superviseurs. Je le constaterai en pêchant plus tard une table entière de poches, des douleurs au bas du dos se feront rapidement sentir. Ce n’est pas évident non plus de déplacer la yole au rythme du pêcheur car il faut la garder bien parallèle à la table, ni trop proche ni trop près tout en la déplaçant à la bonne vitesse mais c’est moins physique.

Lorsque la yole est pleine, le superviseur lance le moteur tandis que nous poussons la yole puis il faut se jeter rapidement dedans alors que l’on a peu d’espace avec les tables autour et les berceaux pleins dans la yole. Soudain, le moteur cale et, après plusieurs tentatives infructueuses, il faut se jeter à l’eau pour retenir la yole afin d’éviter de percuter les tables. Nous devons répéter cette opération par trois fois ce qui provoque la fureur de notre chef d’équipe qui nous engueule pour se défouler, ses instructions deviennent confuses mais nous n’osons plus poser de questions, chacun a droit à ses remontrances, on fait le dos rond en attendant que l’orage passe.

Le moteur finit par redémarrer et nous parvenons à rejoindre enfin le bateau amphibie pour décharger notre cargaison puis récupérer des berceaux vides afin de remplir à nouveau notre yole puis nous repartons vers le parc tandis que la pluie alterne régulièrement avec le soleil, un vrai temps breton

C’est alors que le moteur d’une autre yole tombe en panne, c’est la cata dans le groupe, « mais pourquoi ils ont pas vérifié les moteurs, putain ?! », les superviseurs s’engueulent entre eux, nous autres intérimaires faisons profil bas en nous concentrant sur les instructions. Finalement, nous parvenons quand même à charger une yole alors que la marée remonte puis il faut décamper en vitesse.

A ce moment, il y a un magnifique arc en ciel aux couleurs très vives qui part de Cancale et qui rejoint le Mont Saint-Michel en enjambant toute la baie. J’enlève un gant pour prendre une photo afin d’immortaliser ce moment magnifique mais un superviseur me retient, dommage, il vous faudra faire preuve d’imagination.

Nous poussons les yoles remplies de poches à travers les tables en nous rapprochant du rivage pour rejoindre les remorques mais il y a de moins en moins de fond donc nous risquons de nous enliser. Nous redoublons d’efforts pour avancer mètre par mètre puis nous faisons un détour vers le large afin d’avoir plus de fond et faciliter les mouvements.

Tout le monde s’active, les superviseurs hurlent des ordres et se lancent des jurons au milieu des crépitements des moteurs tandis que la pluie se remet à tomber drue, on se croirait dans une bataille en mer. Puis nous finissons par attacher notre yole à la remorque et nous rembarquons, c’est fini. Désormais le silence règne dans l’équipe mais il va sans doute y avoir un débrief tendu entre superviseurs car nous n’avons pas atteint les objectifs à cause des pannes moteurs.

Fin de mission Marée sur la yole avec Yann, on garde le sourire

Pour une mission de 4h nous aurons été vraiment actifs un peu plus de la moitié du temps car les trajets sont longs mais, lorsque l’on travaille, c’est intense avec des cadences rapides et dans des conditions parfois difficiles avec la météo.

Cette fois-ci, mon scaphandre n’a pas été parfaitement étanche, j’ai les jambes et les pieds trempés mais je ne m’en suis pas rendu compte pendant l’action. Je suis bien content que Yann puisse me rapprocher en voiture de chez mes parents puis c’est mon père qui vient gentiment me chercher, je n’avais pas la motivation de continuer à vélo avec cette météo.  

Jour 4, mardi 28 novembre : on termine en beauté sans le savoir

Pour ce quatrième jour de Marée, le temps est doux et mon trajet en vélo est presque une balade. La silhouette du Mont Saint-Michel que je cherche toujours du regard au loin dans l’horizon m’est devenu familière, cette fois-ci je peux la distinguer nettement car il n’y a pas de brume mais mon téléphone n’est pas assez puissant pour que vous puissiez le voir nettement sur les photos.

La baie avec le Mont Saint-Michel tout au loin

En arrivant au hangar, j’ai ma petite routine en commençant par un thé chaud de mon thermos et des biscuits puis je choisis un scaphandre et des gants à ma taille en vérifiant qu’ils ne soient pas troués ni humides à l’intérieur. L’heure du rendez-vous continue d’être décalé en fonction de la marée et aujourd’hui c’est à midi.

Nous retournons en voiture au même endroit que la veille, près de Cancale. On sent que l’ambiance est apaisée, les superviseurs sont calmes, les moteurs tournent, il fait beau et les températures sont douces, tout va bien.

Nous faisons un trinôme avec Yann et Damien, un des superviseurs que nous commençons à bien connaitre avec le temps et cela fonctionne parfaitement entre nous, tout se passe de manière fluide, les instructions sont claires, chacun fait de son mieux pour aider l’équipe en restant concentré et en alternant les tâches difficiles sans que cela nous empêche de nous lancer quelques plaisanteries pour maintenir la bonne humeur.

La pêche reprend dans la bonne humeur

Certaines poches contiennent des huîtres toutes petites, elles sont sans doute mortes ou atteintes d’une maladie, c’est un cas similaire aux vendanges où l’on pouvait trouver des grappes de raisins rachitiques ou tout noir, l’essentiel est que cela reste une exception. Autre parallèle avec les vendanges, on peut aussi se faire de petites entailles au niveau des doigts même avec les gants car les coquilles d’huîtres sont très coupantes donc il faut faire des gestes prudents et mesurés.

Nous croisons dans le parc des pêcheurs de bouquets (des crevettes sauvages), ils sont vêtus de grands pantalons et de cirés jaunes imperméables et ils remontent à pied les rangées de tables en ouvrant grand devant eux un filet épuisette. Ce sont en général des retraités du coin, ils nous adressent un geste amical de la main et affichent de larges sourires sur leur visage en passant, cela semble une activité plaisante.

Nous croisons des pêcheurs de bouquets (crevettes) en cirées jaunes

Nous parvenons à faire notre quota de poches pour la journée à savoir une yole pleine déchargée sur le bateau amphibie puis une autre yole remplie à moitié que nous ramenons sur la remorque et tout cela sans pluie ni vent, des conditions parfaites.

En tant qu’ingénieur, je ne peux m’empêcher de penser à des moyens plus efficace nécessitant moins d’efforts humains comme par exemple des embarcations avec un bras articulé qui puisse soulever les poches et les ranger à l’intérieur  tout en ayant un système de guidage automatique pour se déplacer entre les tables sans les heurter, en tenant compte des marées et de la localisation des lots à prélever mais c’est peut-être trop d’investissements pour un rendement faible et puis, en attendant, cela permet de maintenir de l’emploi local dans un cadre unique !

De plus, comme pour les vignes, je constate que les parcs à huîtres sont heureusement difficilement délocalisables car la qualité de leurs produits dépend de facteurs naturels spécifiques à certaines régions françaises contrairement aux usines donc cela permet de maintenir ces activités ancestrales emblématiques de la France.

En revenant au hangar, je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir travaillé aujourd’hui même si cela a été aussi physique que les jours précédents, les conditions météos étaient tellement bonnes avec une ambiance détendue dans l’équipe et dans un cadre naturel aussi magnifique que je n’ai pas vu le temps passer, cela donne envie de continuer.

Toutefois, sur le chemin du retour en voiture avec Yann, celui-ci reçoit un appel de son agence d’intérim qui lui apprend que la Marée des deux prochains jours est annulée car ils ont fait leur quota. Nous sommes surpris car nous pensions qu’il y avait encore du boulot notamment du fait des objectifs non atteints de la veille et on ne nous avait rien dit en partant. Nous sommes donc un peu déçus d’être prévenus comme cela par téléphone au dernier moment mais c’est comme ça l’intérim, d’un côté la flexibilité et la possibilité de commencer un contrat rapidement mais aussi le risque qu’il s’arrête subitement, on aura quand même terminé notre mission sur une belle journée.  

Le lendemain, je pars acheter avec mon père quelques douzaines d’huîtres dans un magasin appartenant à l’entreprise familiale avec laquelle j’ai fait la Marée puis nous dégustons à la maison ces mollusques avec mes parents, accompagnés par du bon vin blanc de Chablis en souvenir de mes vendanges et ils se marient parfaitement ensemble.

Dégustation d’huîtres de la baie du Mont Saint-Michel accompagnées par du vin blanc de Chablis

Désormais, je peux mieux visualiser les efforts et toute l’organisation nécessaires pour créer, élever, pécher, conditionner et livrer ces produits de la mer afin que nous puissions les déguster chez nous ou au restaurant et j’espère que c’est également plus clair pour vous à la lecture de cet article !

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C’est quoi « la Marée » et l’ostréiculture

Autant l’activité des vendanges était assez claire pour moi, concernant l’ostréiculture et particulièrement « La Marée » je n’avais aucune idée de ce dont il s’agissait. Dans l’annonce d’emploi il était indiqué que l’entreprise me prêterait un scaphandre : est-ce qu’il faudrait aller sous l’eau pour aller pêcher les huîtres ? 

Donc, avant de commencer cette nouvelle mission, je me renseignai sur l’ostréiculture via différents articles sur internet ainsi que d’une vidéo de nos célèbres vulgarisateurs Fréd et Jamy dans l’émission « C’est pas sorcier ». J’y appris notamment que la Chine est le premier producteur mondial d’huîtres (80%) suivie par le Japon, la Corée du sud, les Etats-Unis et enfin la France qui représente à elle seule 90% de la production européenne. Historiquement, les côtes françaises de la façade atlantique étaient riches en bancs naturels d’huîtres sauvages plates qui étaient pêchées et dégustées depuis l’Antiquité mais la surconsommation les a menacées d’extinction et il n’en subsiste plus que dans quelques baies bretonnes, notamment du côté de Cancale.

Pour répondre à cette pénurie d’huîtres au milieu du XIXème siècle, de nouvelles techniques d’élevages furent développées (c’est le début de l’ostréiculture), des huîtres creuses du Portugal furent importées pour reconstituer les stocks et la pêche fut autorisée seulement pendant les mois en « r », c’est-à-dire de septembre à avril afin de préserver les huîtres en été pendant leur période de reproduction.

Cependant, les huîtres élevées sur les côtes françaises furent à nouveau décimées, cette fois-ci par un virus à la fin des années 60 et, finalement, ce furent des huîtres creuses du Japon qui furent sélectionnées pour les remplacer car elles s’acclimataient très bien aux conditions de la côte atlantique française et elles avaient bon goût. Désormais, elles représentent la majorité des huîtres élevées en France.

Les huîtres d’origine naturelle se reproduisent pendant l’été lorsque les températures sont plus élevées en relâchant des spermatozoïdes pour les mâles et des gamètes pour les femelles (à noter que les huîtres peuvent changer de sexe) qui formeront ensemble des larves avant de se développer en huîtres. Pendant cette période de reproduction, elles sont dites laiteuses car elles contiennent leur semence, leur goût est différent mais elles restent comestibles.

Depuis les années 2000, afin de gagner en efficacité, des huîtres dites « triploïdes » furent conçues artificiellement par croisements pour qu’elles ne puissent pas se reproduire afin que toute leur énergie soit dédiée à leur croissance. Ainsi, elles se développent plus rapidement que les huîtres naturelles, elles ne sont jamais laiteuses et elles peuvent être consommées en toutes saisons avec le même goût.

Par conséquent, il n’y a quasiment plus d’huîtres sauvages ni d’origine naturelle en France, elles sont élevées dans de grands sacs grillagés en plastique rigides appelés « poches » qui sont disposés sur des sortes de tréteaux métalliques appelés « tables » dans l’estran d’une baie (la partie qui est à sec pendant la marée basse) pour être brassées par les mouvements de marées et nourries au plancton. Les poches d’huîtres sont retournées régulièrement pour permettre la bonne croissance de ces mollusques (et non, ce ne sont pas des fruits de mer).

Après deux ou trois ans d’élevage dans la baie, il est temps de « pêcher », c’est-à-dire que les poches d’huîtres sont retirées des tables pour être acheminées vers le rivage à l’aide de bateaux à faible tirant d’eau et à fond plat (appelés chalands) pendant les périodes de grandes marées car cela laisse plus de temps pour cette activité qui est donc appelée « La Marée ».

Voilà pour l’historique et la théorie de l’ostréiculture, passons maintenant à la pratique !

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Voyages itinérants

La Dordogne en canoë

Juin 2022, descente de la Dordogne sur 80 kilomètres en canoë pendant 4 jours et 3 nuits

Genèse de ce voyage

A la fin de ce parcours itinérant en canoë, je me rends compte dans le train du retour me ramenant à Paris, combien il est difficile de tenir à jour un carnet de bord pendant un voyage collectif surtout s’il se passe en plein été alors que les journées sont longues et bien remplies. Je tâche donc de coucher par écrit avec un BIC mal en point mes souvenirs tant qu’ils sont encore frais de cette escapade sur la Dordogne avec mes deux cousins Guillaume et Louis. Voici donc mes notes retranscrites dans cet article avec quelques ajouts et modifications, il y a également une journée racontée par Louis qui était à mes côtés dans le train du retour.

Louis et Guillaume sont mes cousins de par ma branche maternelle, nous avons à peine un an d’écart et nous nous connaissons très bien pour avoir passé de nombreux étés ensemble pendant de grands rassemblements familiaux dès notre plus jeune âge et nous continuons de nous voir régulièrement.

Je leur avais proposé cette descente en canoë car je trouvais ce moyen de transport agréable étant donné qu’il garantit d’être constamment au contact de la nature sans être dérangé par les véhicules motorisés et aussi utile car il permet de transporter un poids et un volume important d’affaires pour un effort physique supportable en comparaison avec les voyages à pied ou à vélo. Dans le passé, j’avais fait plusieurs sorties en canoë sur une journée et j’avais envie de tester l’itinérance sur plusieurs jours, ayant été fortement impressionné par des vidéos de voyageurs sur la rivière Yukon dans le nord-ouest du Canada et en Alaska.

Enfin, la rivière de la Dordogne présentait les avantages d’être suffisamment longue et bien aménagée pour permettre une navigation de plusieurs jours dans une région riche en patrimoine historique, gastronomie et beaux paysages ainsi que d’être relativement facile d’accès pour chacun de nous.

Itinéraire

Pour lire la suite, vous pouvez sélectionner un jour particulier dans la liste ci-dessous ou tout simplement poursuivre votre lecture vers le bas

  • Jour 1 : de Carennac jusqu’à Creysse, 23 kms, 4h30
  • Jour 2 : de Creysse jusqu’à Souillac, 18 kms, 3h
  • Jour 3 : de Souillac jusqu’à Veyrignac, 20 kms, 4h
  • Jour 4 : de Veyrignac à Castelnaud-la-Chapelle, 19 kms, 3h

Jour 1, vendredi 17 juin 2022

Rédaction : Hugues

De Carennac aux environs de Creysse

Distance : 23 kms

Durée : 4h30

Avec Louis, nous partons tôt le matin de Paris en train pour rejoindre Guillaume en fin de matinée à la gare de Brives. Il nous récupère avec son van et nous faisons route vers notre point de départ à Carrenac en faisant une courte pause pour acheter des provisions : un grand jerrican de plusieurs litres d’eau car nous sommes en pleine canicule mais aussi de la bière pour égayer nos apéros du soir, du saucisson, des pâtes, des chips et quelques fruits, bref les essentiels.

Ensuite, nous rejoignons le centre de location où nous avons réservé un canoë trois places et un kayak, on nous met également à disposition une carte de l’itinéraire, trois sacs à dos étanches et deux grands bidons où nous rangeons notre équipement de bivouac et les vivres.

Puis, nous écoutons avec attention Gérald, le responsable du centre, concernant les recommandations des lieux à visiter sur le parcours, des zones propices au bivouac et supérettes pour faire les courses. Gérald termine son briefing par les consignes de sécurité : les gilets de sauvetage doivent être obligatoirement portés et attention car la gendarmerie peut nous verbaliser.

Nous installons nos bidons et nos sacs étanches sur nos embarcations et nous mettons sagement nos gilets tout en nous répartissant entre le canoë et le kayak sachant que nous ferons des rotations. Le centre de location est situé sur une petite île scindant la Dordogne en deux bandes de largeurs inégales. Nous embarquons sur celle qui est la plus fine, côté ouest, où il n’y a quasiment pas de courant, elle permet de longer le village médiéval de Carennac avant de rejoindre la partie large de la Dordogne.

A peine avons-nous commencé à pagayer que Guillaume nous prévient qu’il compte bien se passer de l’obligation du port du gilet de sauvetage sachant que notre itinéraire est sur une portion de la rivière peu mouvementée et nous suivons son exemple dans un joyeux esprit de bravade et d’indépendance : vive la liberté ! (En assumant les responsabilités qui vont avec).

Nous faisons un arrêt au tout début de notre expédition pour visiter le village de Carennac en étant attiré par ses belles maisons bien entretenues et datant de la Renaissance avec des toitures pointues en tuiles, des murs de pierres et des balcons en bois ainsi que de jolies tourelles. Ce patrimoine s’insère parfaitement dans son milieu naturel, il l’embellit même. Nous prenons les sacs à dos avec nous en laissant les canoës avec les bidons sur la berge, Gérald nous ayant rassuré sur le faible risque de vols tout le long du parcours, ce qui nous sera bien pratique pour faire de longues excursions à pied pour visiter ou faire des courses.

Après avoir traversé un pont pour nous rendre dans le centre du village, nous déambulons dans les rues étroites en passant devant quelques discrets restaurants gastronomiques aux terrasses desquels déjeunent des touristes anglais ou hollandais en petit nombre. Nous découvrons une église millénaire de style roman avec un imposant portail d’entrée soutenue par des colonnes de pierre dont le haut est orné de sculptures, ces lieux sont chargés d’Histoire.

Nous retournons ensuite à nos embarcations et nous atteignons un premier passage technique qui est une rampe d’accès en béton assez pentue sur laquelle s’écoule un mince filet d’eau permettant de rejoindre la bande plus large de la Dordogne. Gérald nous avait demandé de ne pas rester assis dans les canoës et de les tirer à pied mais, là encore, nous faisons fi des instructions en étant à la recherche de sensations.  

La chaleur nous étouffe, nous sommes en pleine canicule et les températures avoisinent les 36 à 38 degrés donc nous nous jetons rapidement à l’eau pour nous rafraichir tout en nous laissant dériver par le courant avec nos embarcations. Nous réitérerons de nombreuses fois cette technique efficace contre l’insolation et la déshydratation.

Nous passons quelques rapides peu turbulents sans trop de difficultés techniques et, dans l’ensemble, il y a peu de courants donc nous devons compenser avec notre force physique pour avancer. Ainsi, nous redécouvrons les mouvements à exécuter et les muscles sollicités pour la manipulation des pagaies mais nous tâchons de ménager notre corps en prévision de notre itinéraire sur plusieurs jours en faisant des pauses fréquentes pour admirer les belles falaises de calcaire et les châteaux ainsi que pour nous baigner.

Nous croisons sur notre parcours un groupe de jeunes sautant d’un rocher haut de six à sept mètres et nous décidons de débarquer pour leur emboiter le pas. Les jeunes nous montrent le chemin d’accès et ceux qui n’ont pas encore sauté nous cèdent volontiers leurs places en nous incitant à faire un salto (c’est-à-dire faire passer la tête en avant dans le vide puis retomber sur ses pieds). Guillaume acquiesce, je pensais qu’il plaisantait mais non, il se laisse presque tomber dans le vide droit comme un i en faisant un salto avant sous mon regard ébahi. Pour ma part, je n’ai jamais fait ce type de figure à une telle hauteur donc je me borne à un saut tout simple debout et Louis me suit dans la foulée. De retour aux canoës, je félicite Guillaume pour sa hardiesse et il m’explique qu’il a fait des sauts bien plus impressionnant dans sa vingtaine lorsqu’il vivait dans le sud de la France avec son cousin Paul où il faisait des doubles saltos à quinze mètres de haut, impossible pour moi !

L’après-midi est déjà bien entamée quand nous commençons à chercher un endroit pour notre premier bivouac et, vers 18h, nous trouvons une plage de galets orientée sud-ouest ayant un accès sur un champ de noyers avec de la bonne herbe sur un terrain plat, ce qui sera un emplacement parfait pour planter notre tente.

Après avoir installé notre campement, nous nous baignons une énième fois dans la Dordogne en essayant de nager contre le courant qui nous emmène au loin puis nous finissons par rentrer à pied en marchant douloureusement sur les galets et nous recommençons. Ce lieu en pleine nature est très agréable et nous sommes les seuls à y camper. Il y a une route de l’autre côté de la large rivière mais elle est heureusement cachée par les arbres et peu fréquentée.

C’est l’heure de l’apéro avec des bières et du saucisson puis nous dégustons des pâtes sauce bolognaise pour finir par des pommes en dessert et nous retournons nous baigner pour la digestion. Ensuite, on enchaine des parties de Tarot jusqu’à ce que la luminosité déclinante ne nous permette plus de distinguer les cartes et nous oblige à rentrer dans notre tente pour nous coucher.

Heureusement, la température diminue pendant la nuit et je m’endors vite mais non sans bruit, au grand dam de mes deux acolytes…

Jour 2, samedi 18 juin 2022

Rédaction : Louis

Des environs de Creysse jusqu’à proximité de Souillac

Distance : 18 kms

Durée : 3h

La nuit fut bonne pour Guillaume et Hugues malgré les quelques ronflements du second qui réveillèrent par moments le premier. Pour moi, elle fut plus dure étant donné que mon matelas gonflable se dégonfla très rapidement et que je finis à même le sol pour le reste de la nuit. Nous avons dormi sans double-toit compte tenu de la chaleur et des dimensions réduites de la tente pour trois gaillards comme nous qui se tiennent mutuellement chaud. Les sacs de couchage sont néanmoins utiles au petit matin quand la fraicheur s’installe.

Nous nous réveillons vers 8h30 et nous redescendons de notre lieu de campement pour prendre notre petit-déjeuner sur la plage de galets au bord de la Dordogne. Nos canoës sont toujours là et nous prenons rapidement un café, du jus d’orange et des tranches de brioche. Après le rangement de nos affaires dans les sacs et bidons, nous reprenons notre périple.

Nous faisons une étape ravitaillement dès le premier village atteint, à Saint-Sozy, où nous achetons dans un Spar des vivres pour la journée et le petit-déjeuner du lendemain. Cette fois-ci, nous sommes plus ambitieux et gourmands en prévoyant de faire un bon barbecue pour le dîner.

Puis, nous reprenons les canoës sous un soleil de plomb et nous croisons peu de monde sur la Dordogne si ce n’est un couple d’allemands sur un bateau pneumatique. Comme la veille, nous glissons paisiblement sur la rivière en alternant les passages rapides et les sections plus lentes en fonction notamment de la largeur de la rivière (la vitesse du courant évoluant à l’inverse de la taille du cours d’eau). Nous longeons quelques châteaux et villages forts jolis et nous finissons par accoster sur une berge en bord de hautes falaises de calcaire en vue de déjeuner avant de visiter les grottes de Lacave.

Merveilleux décor naturel sur la paisible Dordogne

Le vin rosé acheté en cubi au Spar de Saint-Sozy sur les conseils enthousiastes d’un client local et un gros melon font merveilles pour nous rafraichir le gosier. Après notre pique-nique, nous partons à pied en longeant un chemin puis une route en direction des grottes. Le trajet d’à peine 2,5 kilomètres d’après les informations de Gérald nous semble en réalité bien plus long, d’autant que la chaleur atteint presque les quarante degrés en ce milieu d’après-midi.

Nous finissons enfin par arriver au village de Lacave, connu suite à la découverte au début du XXème siècle des fameuses grottes qui portent son nom. Un tunnel de cinq cent mètres de long a été percé dans la roche dès cette époque pour installer des rails et un petit train afin de faciliter l’accès aux touristes. Après le trajet motorisé, nous découvrons à pied avec un guide une succession de très belles et grandes salles naturelles ornées de stalactites, stalagmites et autres formations géologiques.

La fraîcheur à l’intérieur de ces grottes contraste avec la forte chaleur de l’extérieur et nous redoutons par avance de devoir reprendre le même chemin à pied pour retrouver nos canoës. C’est alors que Guillaume a l’idée lumineuse de rejoindre les bords de la Dordogne situés à proximité et de nous laisser dériver par le courant jusqu’à nos embarcations laissées en aval sachant que nous avons pris nos sacs étanches.

Nous cherchons donc un accès le plus proche à la rivière et nous finissons par l’atteindre au pied d’une haute falaise au-dessus de laquelle se dresse le magnifique château de Belcastel et dont les murailles sont tout au bord du précipice. Nous nous jetons à l’eau, heureux de pouvoir nous rafraîchir et nous nous laissons emportés par le courant sur environ un kilomètre tout en admirant le paysage et en nous amusant comme des enfants. Nous explorons rapidement l’entrée d’une grotte découverte sur notre chemin aquatique et d’où sort un filet d’eau glacée.

Une fois de retour à nos canoës, nous reprenons notre descente avec pour objectif de trouver notre point de chute pour le bivouac de la nuit. Nous finissons par jeter notre dévolu sur une large plage de galets bordée par de nombreux arbres à proximité de la ville de Souillac. Nous plantons notre tente sur une zone plus ou moins herbeuse et plate entre des arbres et nous préparons le barbecue du soir.

Sur les conseils de Guillaume, nous faisons chauffer des galets à l’aide d’un feu de bois puis, lorsqu’ils sont bien chauds, nous déposons directement les saucisses dessus : c’est un franc succès ! Finalement, il n’est pas nécessaire d’emporter beaucoup de matériel, la nature y pourvoit.

Technique de cuisson sur galets certifiée par Guillaume

Après quelques parties de Tarot, nous regagnons la tente à la tombée de la nuit. Je prends cette fois la précaution de vérifier la valve de fermeture de mon matelas, ce qui me garantira une bien meilleure nuit.

Jour 3, dimanche 19 juin 2022

Rédaction : Hugues

De Souillac jusqu’à proximité de Veyrignac

Distance : 20 kms

Durée : 4h

La nuit a été perturbée par un voisin de la rive opposée qui mettait de la musique à tue-tête et en boucle (la bande son du film « Requiem for a Dream » a eu du succès) avec en accompagnements les aboiements de son chien et les croassements des grenouilles. Si vous ajoutez à cela, pour Guillaume et Louis, un solo nasal de votre humble serviteur quand je parvenais à m’endormir, c’est vous dire si la nuit a été pénible même si, heureusement pour Louis, son matelas ne s’est pas dégonflé cette fois…

Donc nous nous réveillons péniblement ce matin toujours vers 8h30 en nous promettant de trouver un meilleur spot pour la nuit, plus au calme. Nous sommes prêts à décamper vers 9h30 comme la veille, on commence à être rodés et nous profitons d’être à proximité de la petite ville de Souillac pour y faire nos courses. C’est une jolie commune avec un riche et beau patrimoine, notamment l’église abbatiale Sainte-Marie qui a des allures byzantines avec ses coupoles multiples.

Il y a une bonne trentaine de minutes de marche depuis notre embarcadère jusqu’à la supérette ouverte en ce dimanche que nous avons repéré sur Google. Cela nous permet de découvrir le centre-ville de Souillac mais le retour à pied avec les vivres et la chaleur nous semble un peu long. Faisant honneur aux produits locaux, ce soir nous avons prévu des aiguillettes de canard avec des haricots … à la graisse de canard ! Egalement une bonne et grosse pastèque ainsi que des tomates pour nous rafraichir, c’est l’avantage du canoë de pouvoir transporter tout cela sans trop de peine, pas sûr que l’on aurait choisi les mêmes produits pour un voyage à pied ou à vélo…

Les températures restent très élevées et nous ne tardons pas à nous jeter à l’eau après avoir récupéré nos embarcations, nous nous contentons de les propulser en avant avec nos bras ou, quand le courant est assez fort, de nous y accrocher en nous laissant dériver. C’est une pratique du canoë peu orthodoxe mais efficace en temps de canicule.

Nous découvrons de nouveaux châteaux majestueux en surplomb de la rivière, juchés sur de hautes falaises de calcaire. Nous croisons aussi régulièrement des hérons, des canards et des cygnes flottant sur l’eau comme nous et nous pouvons également apercevoir des poissons dans les eaux claires et limpides de la Dordogne. Il y a également de nombreuses pompes à eau installées dans la rivière pour irriguer les champs autour, notamment du maïs.

Nous nous arrêtons pour déjeuner tardivement après avoir bien cuits au soleil sur nos embarcations donc la pause à l’ombre s’impose puis une bonne baignade rafraichissante. Ensuite, nous prenons un café dans un restaurant recommandé par Gérald au village de Rouffillac. Un monument commémoratif nous y apprend que des civils furent massacrés dans ce village le 8 juin 1944 par un bataillon de la division SS Das Reich en représailles d’escarmouches avec des résistants tandis qu’ils cherchaient à remonter vers la Normandie pour repousser le débarquement Alliés. Le lendemain, c’est cette même division SS qui fera pendre à Tulles 99 otages et qui organisera le jour suivant le massacre de centaines d’innocents à Oradour-sur-Glane. Tous ces évènements abominables nous semblent désormais bien loin et comme irréels en ces beaux jours de juin dans ce cadre naturel magnifique mais nous tâcherons de les garder en mémoire ainsi leurs causes pour essayer d’éviter qu’ils se reproduisent.

Nous prenons ensuite un peu de hauteur sur les conseils de la serveuse du restaurant en suivant un chemin serpentant dans une forêt pour arriver au sommet d’une colline d’où nous pouvons apprécier un beau point de vue sur la Dordogne et le château de Rouffillac.

Vue sur la Dordogne et la commune de Rouffillac où eurent lieux des massacres de civils par les nazis en juin 1944

Puis, nous reprenons les pagaies en décidant de prendre de l’avance sur notre programme initial afin d’avoir le temps de visiter le lendemain le château de Castelnaud-la-Chapelle qui sera notre étape finale. Cette fois-ci, nous voulons trouver le spot idéal avec un beau point de vue et au calme, c’est-à-dire à l’écart des habitations et de la route.

Pour cela, nous allons être aidé par un gars du coin que nous rencontrons alors qu’il pêche debout sur son Paddle. Celui-ci nous conseille une petite île souvent plébiscitée pour les bivouacs et nous suivons ses indications pour la rejoindre. L’endroit est en effet très agréable avec une large zone herbeuse plate et bien défrichée tout en étant protégée du soleil par de multiples arbres feuillus. La vue est bien dégagée sur la Dordogne qui est très large à cet endroit et il y a de hautes falaises creusées en profondeur à leur base qui sont complètement recouvertes par une végétation verdoyante, on pourrait se croire sur un autre continent comme en Asie du sud-est. Le reste de notre îlot est occupé par une forêt dense et la plage tout autour est constituée de vase dans laquelle nos pieds s’enfoncent en profondeur sur une bonne dizaine de centimètres mais sans nous empêcher d’avancer.

Nous installons donc notre campement, satisfaits de passer notre dernière soirée dans ce lieu si agréable puis nous effectuons notre habituelle baignade de décrassage de fin de journée. De l’autre côté de la rivière, une bande de jeunes chantent et jouent joyeusement de la guitare.

Nous entamons ensuite des parties de Tarot, confortablement assis en tailleur sur une couverture étendue dans notre zone de bivouac à l’abri du soleil et avec une vue imprenable sur la Dordogne. A tour de rôle, nous « prenons » le pari de remporter la partie seul contre les deux autres joueurs en espérant que le chien soit bon et il y a quelques bonnes et mauvaises surprises…

Il est désormais temps de commencer l’apéro par une bonne bière rafraîchit dans les eaux de la Dordogne avant de continuer par le cubi de rosé acheté la veille sur les conseils d’un amateur local et nous lançons un grand feu de bois pour chauffer les galets qui serviront ensuite à cuire les aiguillettes de canard, technique éprouvée le jour d’avant et qui fait encore ses preuves.

Les résultats des législatives tombent en début de soirée, la déroute d’En Marche, le demi succès de la Nupes mais aussi l’inquiétante montée du RN. En écho à ces évènements politiques, le ciel s’assombrit avec d’épais nuages gris menaçants puis nous entendons au loin des coups de tonnerre qui deviennent de plus en plus bruyants et nous apercevons des éclairs foudroyant le sol avec éclat et s’approchant dangereusement de notre îlot.

Cette fois-ci, nous avons mis le double toit de tente en prévision de la pluie attendue dans la nuit et nous nous réfugions dans notre abri vers 22h dès que celle-ci arrive. Un vent violent se lève et secoue sans ménagement notre tente quand soudain, nous distinguons à travers la toile des sortes de lucioles rouges s’approchant de notre tente à notre grand étonnement mais nous comprenons rapidement qu’il s’agit en réalité de cendres brûlantes provenant de notre feu qui a été rallumé par le souffle du vent et qui menacent de percer notre tente ! Nous nous précipitons donc au dehors en pleine tempête pour éteindre le feu définitivement et étouffer les cendres disséminées aux alentours afin d’éviter que le feu ne se propage, heureusement que nous ne dormions pas encore !

Finalement, il n’y a pas trop de dégâts, cela a été plus de peur que de mal et, désormais, notre refuge de toiles subit vaillamment les assauts du vent. Nous nous protégeons la tête de nos bras au cas où une branche d’arbre nous tomberait dessus en bons gaulois que nous sommes, redoutant que le ciel ne nous tombe sur la tête. Pour nous divertir pendant cette nuit agitée, nous écoutons un podcast de Etienne Klein sur le temps avec sa voix apaisée et son érudition hors norme qui le laisse aller à de nombreuses digressions amusantes.

L’orage finit par enfin s’en aller et notre tente nous a bien protégé, nous n’avons pas reçu une goutte de pluie ni une branche sur la tête, nous pouvons désormais dormir en paix.

Jour 4, lundi 20 juin 2022

Rédaction : Hugues

De Veyrignac à Castelnaud-la-Chapelle

Distance : 19 kms

Durée : 3h

Pour ce dernier jour, il était prévu que ce soit Guillaume qui en fasse la rédaction mais, comme je l’ai dit en préambule, nos journées passées ensemble étaient bien remplis du lever du jour à la tombée de la nuit donc Louis et moi-même avons simplement pris des notes à la hâte dans le train du retour et nous n’avons pas eu le temps d’écrire sur cette journée. Ainsi, je vais tenter de faire appel à ma mémoire en m’aidant des photos que nous avons prises.

Après cette nuit agitée, je ne me souviens pas que mes compagnons m’aient fait grief de quelques ronflements intempestifs mais peut-être qu’ils étaient tout simplement trop fatigués. Bref, nous prenons notre petit-déjeuner et nous levons le camp en quittant avec un petit pincement au cœur notre îlot si sympathique mais la fin de notre parcours nous réserve encore de belles surprises.

Il y a encore des nuages dans le ciel et les températures se sont adoucies après l’orage de la nuit. A cette heure matinale, nous ne croisons quasiment personne mais il y a davantage de campings et d’agences de locations de canoës dans les environs donc nous ne tarderons pas à voir plus tard des nuées d’embarcations groupées portant les couleurs de leur agence en guise d’étendards, les gilets de sauvetage ont remplacé les uniformes et les livrées, les pagaies sont nos lances, il ne reste plus qu’à organiser des joutes.

Nous longeons encore de belles et hautes falaises et le patrimoine architectural est également riche sur cette section de la Dordogne avec notamment le majestueux château de Montfort qui, comme la plupart de ses homologues périgordins à proximité de la rivière, a été construit en bord de falaise. C’est très impressionnant de l’admirer depuis nos embarcations et nous prenons notre temps en nous laissant tranquillement transportés par le faible courant. La fondation de ce château situé à proximité de la ville de Sarlat date du dixième siècle et a été l’objet de multiples conflits et convoitises pour le prendre de force ou de manière plus subtile au cours de la guerre de Cent Ans et des nombreuses guerres de religions jusqu’à la fin de la Renaissance, pendant toute cette période il fut détruit et reconstruit cinq fois !

Le château de Montfort

Nous passons également devant l’impressionnant village de La Roque-Gageac, coincé entre la Dordogne et une immense barrière naturelle de falaises dans lesquelles a été creusé un fort troglodytique. A présent, il y a davantage de touristes et nous choisissons de ne pas nous attarder pour privilégier la visite du fort de Castelnaud-la-Chapelle qui est tout proche et qui constitue la fin de notre parcours.

La Roque-Gageac et son fort troglodytique

En arrivant en contrebas de Castelnaud-la-Chapelle, nous déposons sur la berge nos canoës et nous montons à pied dans le haut du village pour déjeuner dans un bon restaurant à proximité du château. Après un bon confit de canard accompagné de pommes de terre sarladaises et d’une bonne bière locale, nous visitons le fort qui domine la région du haut de sa colline et offre un beau panorama sur la vallée de la Dordogne. Il contient une importante collection d’armures et d’armes, notamment d’imposantes machines de siège comme des trébuchets. Ce château a été construit au début du treizième siècle et, comme le château de Montfort et d’autres de la région, il a été le lieu de nombreux conflits passant d’un camp à un autre pendant la croisade contre les Cathares, la guerre de Cent Ans et les guerres entre catholiques et protestants, ce fort ayant appartenu à des familles se rangeant du côté des cathares, du suzerain anglais puis des protestants.

Nous savourons ces derniers moments passés ensemble

Il nous faudrait encore beaucoup de temps pour découvrir tous les trésors de cette magnifique région mais il est désormais temps de clore cette aventure collective. La société de location de canoës vient nous récupérer au lieu et à l’heure prévus en remorquant nos embarcations et en nous ramenant en mini van dans une organisation bien huilée au service impeccable.

Le ciel s’est éclaircit de nouveau et les températures remontent mais la canicule est partie pour de bon. Guillaume nous dépose à la gare de Brives et il est temps de nous quitter dans la bonne humeur, la peau du visage légèrement rougie par le soleil mais affichant un sourire radieux et des yeux brillants de nos bons souvenirs le long de cette Dordogne magnifique.

Nous y reviendrons pour sûr !

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La route des crêtes en raquettes

Février 2019, 80 kilomètres en 5 jours de marches avec des raquettes à neige sur la Route des Crêtes traversant les Vosges

Pourquoi j’ai choisi cet itinéraire et ce moyen de déplacement

Je suis née à Nancy, toute la famille de mon père vit à Nancy et mes grands-parents paternels sont originaires des Vosges où leurs aïeux y ont vécu pendant des siècles donc cette région de France a toujours été chère au cœur.

De plus, après avoir fait plusieurs voyages à vélo, à pied et à moto, j’avais envie de tester de nouveaux moyens de déplacements en itinérance. Je ne me souviens plus trop comment m’est venu l’idée mais j’ai pensé à faire une expédition en raquettes à neige car cela permet de se déplacer en montagnes pendant l’hiver et de passer à peu près partout et j’avais entendu parler de cet itinéraire possible sur la Route des Crêtes donc j’ai décidé de me lancer ce nouveau défi de voyage itinérant.

Pour l’Histoire, cette route a été aménagée sur des dizaines de kilomètres à plus de mille mètres d’altitude par les militaires français avec des fortifications afin d’assurer la logistique et défendre la ligne de front qui était située à proximité en raison de l’annexion de l’Alsace Lorraine dans l’empire allemand lors de la guerre franco-prussienne de 1870.

Donc, je m’achetais des raquettes à neige chez Décathlon et je commandais des cartes IGN pour préparer mon itinéraire en m’assurant de trouver un hébergement pour chaque étape et en espérant que la neige et le soleil seraient de la partie, sur ce point j’allais être servi au-delà de mes espérances !

Je faisais également part de mon projet à mon frère Jérémie qui était très intéressé mais ne pouvait pas se libérer pour les cinq jours de traversée que je prévoyais donc il me rejoindrait pour le week-end avec des skis de randonnée.

Comme pour mon voyage à vélo de Paris jusqu’à Londres, ce récit est issu des notes que j’ai prises sur un carnet pendant cette excursion et auxquelles j’ai apporté quelques ajouts et modifications pour la publication de cet article.

Itinéraire (approximatif)

Pour lire la suite, vous pouvez cliquer sur l’un des jours de la liste ci-dessous ou tout simplement poursuivre votre lecture vers le bas

  • Jour 1 : de Saint-Amarin au Grand Ballon, 10 kms, 4h30
  • Jour 2 : du Grand Ballon au Markstein, 12 kms, 3h30
  • Jour 3 : du Markstein au Hohneck, 20 kms, 7h
  • Jour 4 : du Hohneck à l’Auberge du Devin, 22 kms, 8h
  • Jour 5 : De l’Auberge du Devin à Sainte-Marie-aux-Mines, 16 kms, 6h

Jour 1, mercredi 13 février 2019

De Saint-Amarin au Grand Ballon

Distance : 10 km

Dénivelé + : 1000m

Durée : environ 4h30

Je me lève tôt le matin pour avoir le temps de bien vérifier que j’ai toutes les affaires nécessaires pour mon périple (j’oublierai quand même ma montre) puis je prends un petit-déjeuner et j’enfourche un Vélib afin de rejoindre la Gare de Lyon, il n’y a personne dans Paris à cette heure matinale.

J’ai une correspondance à Mulhouse de 50 minutes qui me permet de découvrir le centre-ville à pied et de m’acheter un sandwich pour le déjeuner que je mangerai dans le train TER m’emmenant à Saint-Amarin au pied du massif des Vosges.

Dès mon arrivée dans cette petite ville, je me fais accoster par un habitant du coin intrigué par mon accoutrement avec mon gros sac à dos et mes raquettes. Il m’indique gentiment par où commence le sentier menant au Grand Ballon et je commence mon ascension à midi, le soleil est radieux et les températures sont douces.

A peine ai-je parcouru quelques centaines de mètres que j’enlève déjà des couches de vêtements. Il n’y a pas de neige à cette altitude (environ 400 mètres) donc je dois porter mes raquettes en plus de mon sac à dos qui contient quelques affaires de rechange, de l’eau, un peu de nourriture, un livre et mon carnet. Je parviens à fixer mes raquettes sur mon sac afin de pouvoir garder mes mains libres pour utiliser mes bâtons de marche ou soutenir les lanières de mon sac afin de soulager mes épaules car je trouve déjà mon sac trop lourd !

La vue est belle sur la vallée et les montagnes autour que l’on peut bien observer malgré les arbres car ils n’ont pas de feuilles en cette saison, il y a peu de sapins. Le ciel est d’un bleu azur magnifique, j’aurais bien aimé également trouver une belle couche de neige blanche sur le chemin et sur les arbres mais on ne peut pas tout avoir.

Départ depuis Saint-Amarin avec un temps magnifique

Malgré un bon balisage et ma carte, je manque de peu de me tromper de chemin car je passe mon temps à admirer le paysage. Je prends le risque de boire de l’eau d’un ruisseau et d’une fontaine car elle est si claire et j’ai si soif. Cette randonnée me rappelle mes excursions en raquettes à neige avec le snowboard dans le dos dans les Alpes quand j’étais étudiant à Grenoble. On a chaud tant que l’on monte mais, dès que l’on s’arrête pour une pause, on a déjà froid au bout de dix minutes donc on passe son temps à enlever puis remettre des vêtements.

Le chemin devient plus étroit en s’enfonçant dans la forêt sur les hauteurs et la présence de la neige augmente avec l’ascension puis, à partir de 800 mètres d’altitude, elle recouvre tout le chemin mais je ne peux pas encore utiliser mes raquettes car la couche de neige est trop fine. Je fais des pauses toutes les demi-heures pour boire et reposer mon dos, mon talon du pied droit me fait déjà mal à cause des frottements avec ma chaussure, ce n’était pas une bonne idée d’acheter des chaussures neuves sans les utiliser avant… Je mets du strap en espérant que cela limitera les risques d’ampoules.

A partir de 1000 mètres, la couche de neige devient plus épaisse, je peux enfin utiliser mes raquettes. Le chemin de randonnée est très sympathique au milieu de ces grands arbres faisant le lien entre la terre immaculée de blanc et le ciel bleu azur. Enfin, j’aperçois au loin le radôme sous forme de globe qui protège un immense radar aérien civil et qui est un repère facile pour identifier le Grand Ballon culminant à 1424m, le plus haut sommet du massif des Vosges.

Puis, en arrivant au col du Haag à 1233m, je rejoins la fameuse Route des Crêtes qui est aménagée en immense piste de ski de fond pendant l’hiver, je croise de nombreux retraités à ski alors que je n’avais vu personne sur mon chemin depuis mon départ de Saint-Amarin.

La Route des Crêtes au col du Haag

Je gravis avec enthousiasme les derniers cent mètres de dénivelé pour atteindre le sommet du Grand Ballon, heureux d’être arrivé au bout de ma première étape car je commençais à fatiguer. La vue est magnifique, je peux apercevoir quasiment tout le massif des Vosges avec sa ligne de crêtes qui s’étire devant moi et qui devrait me permettre d’atteindre demain le Markstein puis, le jour suivant, le Hohneck. Depuis ce point de vue, on peut également admirer la chaîne des Alpes côté Suisse qui se dresse telle une muraille naturelle infranchissable.

Vue sur les Vosges depuis le Grand Ballon
Vue sur les Alpes depuis le Grand Ballon

Ensuite, je rejoins l’hôtel du Grand Ballon qui est très chaleureux avec son intérieur tout en bois, un vrai chalet de montagne. J’ai une chambre individuelle avec les sanitaires partagés, il y a également des espaces communs très agréables où l’on peut s’assoir dans un fauteuil et lire confortablement.

Je fais une courte pause dans ma chambre puis je sors dehors, allégé de mon sac à dos, ça fait un bien fou ! Je reste assis sur un rocher en regardant le soleil se coucher, c’est apaisant. Puis, je rentre prendre une douche et c’est l’heure du repas, j’ai pris la formule demi-pension et les plats sont très bons et copieux, exactement ce qu’il me faut !

Allez, il est temps de dormir pour reprendre des forces, ce n’est que le début.

Coucher de soleil à proximité de l’hôtel du Grand Ballon

Jour 2, jeudi 14 février 2019

Du Grand Ballon au Markstein

Distance : 12 kilomètres

Dénivelé : 300 mètres

Durée : 3h30

Je me réveille pile au moment du lever du soleil vers 7h30 et je peux l’admirer à travers la fenêtre de ma chambre, la journée commence bien ! Je vis désormais au rythme du soleil en passant mes journées dehors tant qu’il est visible dans le ciel.

Lever de soleil depuis ma chambre

Après un petit-déjeuner copieux, je remballe mes affaires et je récupère mon pique-nique commandé à l’hôtel, je suis prêt à partir à 9h. Je refais le sommet du Grand Ballon puis je redescends vers le col du Haag. Il n’y a quasiment personne dehors et le ciel est aussi bleu que la veille, c’est beau.

Vue sur les Vosges de bon matin depuis le Grand Ballon

En montant depuis le col en direction des crêtes, je croise un gars du coin très sympathique avec qui je discute une bonne dizaine de minutes. Il a la soixantaine et il est en pleine forme, il fait du trek de bon matin. La vue sur le massif des Vosges est magnifique et, grâce aux explications de mon interlocuteur, je distingue au loin le Mont Blanc, je n’ai pas l’habitude de le voir sous ce profil et on aperçoit également le massif du Jura qui sépare les Vosges des Alpes.

La neige est de bonne qualité à cette altitude, pas trop dure ni trop collante, je marche facilement dessus avec mes raquettes en repérant le chemin grâce à des traces de précédents randonneurs. En redescendant du haut d’une crête, je tombe sur un groupe de retraités qui sont également en raquettes et qui avaient séjourné dans le même hôtel que moi la veille dans une bonne ambiance de rigolades pendant un riche dîner bien arrosé. Nous discutons un peu et il se trouve qu’ils iront au même hébergement que moi ce soir au Markstein, l’hôtel Wolf, nous nous disons donc à bientôt.

Pour ma part, je suis le chemin GR5 longeant la ligne des crêtes tandis que la route enneigée avec la piste de ski de fond est plus en contrebas, cela me permet d’avoir de meilleurs points de vue et je me sens davantage dans la nature sauvage avec de larges étendues de neige vierge sans aucunes traces de pas. Le ciel est toujours complètement dégagé avec un soleil radieux et il fait presque trop chaud quand on marche (10 degrés) mais la visibilité est excellente. Ces paysages de moyennes montagnes enneigées avec des parcelles de forêts sont magnifiques et j’apprécie de pouvoir me déplacer en raquettes sur d’aussi grandes étendues de neige dans un environnement très sauvage. Le chemin traverse à certains moments des forêts d’arbres complètement dénudés, il y a peu de sapins.

Les points de vue sont nombreux dans ce magnifique environnement sauvage

Je prends mon pique-nique près de la station du Markstein située à 1185 mètres d’altitude puis je vais à mon hôtel pour me reposer. Ensuite, je troc mes raquettes contre des skis de fond pour m’essayer à ce sport très pratiqué dans cette région et j’emprunte les rails creusés dans la neige sur la Route des Crêtes. C’est très pratique même si cela devient lassant de devoir suivre une voie toute tracée, je finis par regretter mes raquettes qui offrent une grande liberté de mouvement et permettent de sortir des sentiers battus, c’est en quelque sorte une métaphore de ma vie !

J’avance bien plus vite en ski de fond qu’en raquettes mais je voyage aussi plus léger, en deux heures je parviens à rejoindre le col du Haag puis à rentrer au Markstein. Le temps est toujours au beau fixe, je savoure ma chance en admirant le paysage.

De retour à l’hôtel, je fais une micro sieste puis je repars dehors tant qu’il fait jour pour monter sur un petit sommet à proximité qui offre un beau point de vue sur le coucher du soleil, je ne tiens pas en place quand il fait beau dehors et que le spectacle de la nature est aussi majestueux.

Nouveau coucher de soleil magnifique sur les Vosges

Puis, après une bonne douche chaude, je visualise sur ma carte l’itinéraire du lendemain où nous avons prévu de nous rejoindre avec mon grand-frère Jérémie (alias « Jérem ») qui arrivera en train de Paris avec des skis de randonnée. On s’appelle le soir pour se donner quelques infos, les prévisions météos sont encore très favorables et la couche de neige reste épaisse malgré les températures douces donc cela devrait être possible de faire du ski, c’est aussi en raison de cette inconnue que j’avais préféré prendre des raquettes.

Le dîner à l’hôtel est à nouveau très copieux mais, malheureusement, le joyeux groupe de retraités n’est pas là pour égayer la soirée. Allez, il est temps de dormir !

Jour 3, vendredi 15 février 2019

Du Markstein au Hohneck

Distance : 20 kms

Dénivelé + : 500m

Durée : 7h

Lever à 8h, je prends un gros petit-déjeuner puis je prépare mon sac, en route pour les Crêtes ! Au départ, je traverse en raquettes les pistes de ski de la station du Markstein puis, étant donné que la météo est toujours bonne, je décide de suivre le chemin de randonnée du GR5 qui suit la Route des Crêtes mais en restant sur les hauteurs.

La vue est belle, désormais c’est l’aventure loin des voies fréquentées, enfin il y a quand même beaucoup de traces de pas mais je croise très peu de monde. Les passages en forêt me permettent de me protéger du soleil qui tape déjà fort puis j’atteins une clairière au col du Hahnenbrunnen à 1186 mètres d’altitude (on voit de par les sonorités et les orthographes de ces lieux que l’on s’éloigne des latins et que l’on se rapproche des germains !).

Soudain, un traîneau tiré par six chiens en file indienne passe devant mes yeux ébahis dans ce décor de conte de fées et je redeviens un petit enfant tout émerveillé.

Un équipage de chiens de traineau passe devant moi au col du Hahnenbrunnen

Ensuite, je continue de suivre le GR5 qui passe au milieu d’un large couloir de neige bordé de chaque côté par la forêt puis, j’atteins un sommet d’où je peux voir la ligne de crêtes s’étendant au loin et me montrant les prochaines bosses à franchir sur le parcours, c’est facile de se repérer comme cela.  

Les paysages de moyennes montagnes en bosses recouvertes de neige blanche et de forêts clairsemées sont magnifiques, j’ai l’impression d’être à l’autre bout du monde, en Laponie ou au Canada. L’itinéraire que j’avais élaboré à l’avance sur des cartes IGN depuis mon étroit et sombre studio parisien en rêvant de grands espaces majestueux se révèle être bien au-delà de mes espérances !

Je commence à croiser quelques randonneurs en raquettes sur les coups de midi mais, dans l’ensemble, il n’y a quasiment personne sur ce chemin. Pour le déjeuner, je m’abrite du soleil en me réfugiant à l’ombre offerte par la façade d’un refuge de montagne qui est fermé en hiver. Le talon de mon pied droit me fait mal depuis le premier jour et cela devient de plus en plus douloureux. Heureusement, les beaux paysages me permettent de moins y penser.

Jérémie est arrivé en train dans la vallée et il se dirige désormais vers les hauteurs à pied avec ses skis sur le dos jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de neige pour les chausser. Il devrait ensuite emprunter le même chemin que moi mais je continue d’avancer car il ira plus vite que moi avec ses skis et j’ai encoure beaucoup de distances à parcourir.

L’après-midi, j’enchaîne les mini sommets, l’effort à fournir pour l’ascension est important car parfois la pente est raide, mon sac me pèse une tonne, je marche lentement mais d’un pas régulier et je ne me lasse pas de ces multiples points de vue différents sur les Vosges. Quand je tourne le dos pour regarder en arrière, le sommet du Grand Ballon avec son radôme m’apparait déjà bien loin alors que j’y étais il y a seulement deux jours et j’aperçois encore également en toile de fond l’imposante chaîne de montagnes des Alpes derrière un léger rideau de condensation.

Désormais, je croise davantage de randonneurs et nous discutons de temps en temps, la plupart sont de la région et viennent à la journée donc ils ont moins d’affaires à porter que moi.

Le sommet arrondi et enneigé tout à gauche est le Grand Ballon et on aperçoit au loin dans la brume la chaîne des Alpes

J’atteins la station de ski du Hohneck à 1363 mètres de haut en fin de journée, il y a du monde sur les pistes en comparaison du chemin sur les crêtes, je n’ai déjà plus l’habitude de voir autant de personnes, le retour à Paris va être difficile…

Enfin, j’arrive à l’auberge, soulagé de retirer mes chaussures et de poser mon sac à dos. C’est un grand chalet tout en bois très agréable. Jérémie me rejoint une heure plus tard, tout juste après le coucher du soleil, très enthousiaste comme moi de cette belle journée malgré les efforts physiques. Nous célébrons nos retrouvailles autour d’un très copieux dîner accompagné d’une bonne bière puis d’un bon verre de vin rouge : c’est ça aussi la montagne ! 😊

Photo du coucher de soleil prise par Jérémie du haut de la station du Hohneck avant de me rejoindre à l’auberge
Les retrouvailles entre frangins autour d’un bon repas

Jour 4, samedi 16 février 2019

Du Hohneck à l’Auberge du Devin (3km au sud de la ville du Bonhomme)

Distance : 22kms

Dénivelé : beaucoup de hauts et de bas…

Durée : 8h

Quelle journée ! Efforts constants, douleurs lancinantes, paysages naturels grandioses…

Le réveil est à 8h comme les autres jours sauf que cette nuit j’ai très mal dormi à cause d’une grosse ampoule qui s’est formée au niveau de mon talon droit et qui me fait affreusement mal. Je me suis même demandé si j’allais pouvoir continuer cette aventure car il apparait que mes chaussures neuves sont légèrement trop petites pour ces longues marches répétées (j’aurais dû prendre une taille au-dessus de la mienne) et je n’ai pas de protections adaptées contre les ampoules du style Compeed.

Je tente malgré tout de désinfecter ma blessure puis je la recouvre d’une compresse et la maintient avec du sparadrap en espérant que cela tiendra. Le ciel est encore bien dégagé donc ce serait dommage de ne pas profiter de cette belle journée !

Avec Jérémie sur ses skis et moi sur mes raquettes, nous montons doucement jusqu’au sommet du Hohneck, il fait déjà chaud et nous sommes en t-shirt dans la montée. Je prends un peu d’avance sur Jérémie lorsqu’il doit installer ses peaux de phoques sur ses skis mais il me rejoint peu de temps après pour me dépasser ensuite facilement à la descente après avoir enlever les peaux de phoques.

La vue panoramique depuis le sommet est saisissante, elle laisse découvrir des pentes raides et des falaises abruptes surmontées de congères, il faudra être prudent de ne pas trop s’en approcher.

Nous redescendons ensuite en longeant les crêtes, Jérem me dépasse mais il a la bonté de m’attendre sur le plat puis il arrive à se faufiler avec adresse malgré ses longs skis dans une forêt dense avant d’atteindre une vaste clairière.

Ensuite, nous traversons une nouvelle forêt en longeant le bord d’une falaise pour atteindre le col de la Schlucht à 1139 m. Il y a du monde de sortie en ce beau week-end ensoleillé mais, heureusement, la prochaine partie du chemin que nous empruntons est moins fréquentée. Nous montons progressivement une pente à travers une forêt et un passage technique nécessite d’enjamber un ruisseau, Jérem décide de passer avec ses skis et ça passe sans casse.

Ensuite, nous retrouvons le haut des crêtes dans un nouveau décor avec des empilements de gros rochers qui semblent taillées comme si c’était un ancien fort en ruine. Cet amoncellement de pierres est légèrement recouvert de neige au milieu d’une forêt de sapins, on se croirait dans les Rocheuses américaines, il ne manque plus qu’un loup ou un coyote hurlant à son sommet.

Nouveau décor

Il fait chaud en marchant avec le soleil qui tape d’en haut et sa lumière qui se réverbère au sol sur la neige, mon sac me semble toujours aussi lourd et mon talon droit me fait souffrir mais les paysages grandioses sont là pour me divertir.

Nous faisons la pause déjeuner en haut de la station de ski du Tanet et nous en profitons pour discuter de la suite du parcours en analysant la carte. Initialement, j’avais prévu un hébergement qui se trouvait à proximité de cet endroit mais qui obligeait à faire un détour et n’offrait pas le couvert (scandale !). En ce samedi pendant les vacances scolaires, la plupart des logements le long de la Route des Crêtes sont complets, notamment à la station de ski du Lac Blanc. Toutefois, Jérémie me fait judicieusement remarquer que l’itinéraire du lendemain risque d’être très long alors que nous avons un train à prendre en fin d’après-midi et il propose d’avancer plus loin quitte à faire un plus long trajet aujourd’hui.

Nous continuons donc notre périple sans trop savoir où se terminera cette étape. En se renseignant auprès de l’office du tourisme locale, Jérémie trouve une auberge disponible nommée l’Auberge du Devin qui est située plus loin en contrebas à 950 mètres d’altitude. Il y a encore beaucoup de kilomètres à parcourir mais cela ne nous détourne pas de la Route des Crêtes et on sait qu’un bon repas chaud nous attend le soir, courage !

Jérem m’annonce la bonne nouvelle après une belle descente à skis qu’il a réservé un hébergement tandis que je reste concentré sur ma marche en boitant légèrement 🙂

La suite est une succession de montées et descentes assez fatigante et, en arrivant en haut d’un énième sommet après une longue ascension, je suis claqué, j’ai l’impression de traverser un immense désert blanc avec ses dunes de neige.

Après avoir atteint les pâturages de Plainfaing sur un haut plateau en bord de falaises, Jérémie m’allège de mes deux thermos puis s’engage dans la descente après que nous ayons admiré une dernière fois et pendant longtemps la magnifique ligne de crêtes qui s’étire depuis le Grand Ballon jusqu’à nous avec les massifs de la Forêt Noire, du Jura et des Alpes en arrière-plan. C’est une des plus belles randonnées en montagne que j’ai faite !

En descendant le long d’un versant montagneux abrupte, j’aperçois le Lac Blanc qui tient bien son nom avec sa couche de glace recouverte de neige. Il y a même des personnes téméraires qui marchent dessus. En surplomb du lac, sur son bord sud, il y a un immense piton rocheux qui est comme une sorte de totem ou d’immense plongeoir naturel.

Malheureusement, en arrivant au niveau des pistes de ski de la station du Lac Blanc, je me trompe de chemin, pressé par la fatigue et la douleur au talon droit, et cette erreur me fait descendre trop bas pour ensuite devoir remonter à nouveau. Je suis furieux contre moi et exténué quand je retrouve Jérémie au col du Calvaire qui porte décidément bien son nom !

Ensuite, nous empruntons un chemin forestier transformé en piste de ski de fond pendant l’hiver, il reste encore deux à trois kilomètres à parcourir tandis que le soleil se couche. La lumière du soleil est magnifique en illuminant de ses derniers rayons la cime des arbres puis, l’astre rougeoyant décline et disparait dans un dernier éclat. Je reste émerveillé par ce spectacle malgré la douleur et la fatigue, sachant que c’est mon quatrième et dernier coucher de soleil dans les Vosges.

Encore un beau coucher de soleil

Jérem me propose de monter avec lui sur ses skis pendant la descente sur une légère pente mais on arrête après quelques centaines de mètres car on risque de se faire mal. Il fait désormais presque nuit, j’avance péniblement en claudiquant, mes larges raquettes autour des pieds et ma lente démarche maladroite me donnent l’impression d’être un éléphant s’enfonçant dans la neige épaisse. Ça y est, j’aperçois les lumières du chalet à travers les arbres, je suis sauvé ! 😊

On se claque dans les mains à l’arrivée avec Jérem pour se féliciter de cette journée marathonienne puis nous nous installons dans le dortoir où nous sommes les seuls à dormir cette nuit. Il y a d’autres pensionnaires dans l’auberge mais ils ont pris des chambres individuelles. Je suis paralysé de fatigues après tous ces efforts en continu, je ne pensais pas que cette randonnée serait aussi difficile physiquement. Je retire avec délice mes chaussures qui me mettaient au supplice et je prends une bonne douche bien chaude avant de retrouver Jérémie dans la salle à manger commune pour s’offrir une bonne petite bière bien méritée, c’est devenu notre rituel de fin d’étape.

Puis, on se prend un pichet de vin rouge pour accompagner le repas, on a assez bu d’eau pendant la journée 😊 Tant pis si cela ne me facilite pas le sommeil, c’est important les traditions. Et, bonne nouvelle, la propriétaire du chalet a des Compeed donc je lui en achète sans négocier, « My kingdom for a Compeed » !

Allez, il est temps de se coucher maintenant, nous avons besoin de repos…

Jour 5, dimanche 17 février 2019

De l’Auberge du Devin à Sainte-Marie-aux-Mines

Distance : 16 kms

Dénivelé : moins de hauts, plus de bas

Durée : 6h

La nuit a été bien meilleure que la veille donc le moral est bon d’autant plus que je sais que notre étape du jour sera plus courte et avec moins de dénivelé.

Nous reprenons les pistes de ski de fond dans la forêt puis nous descendons en direction du village du Bonhomme via un chemin accidenté où la neige se fait de plus en plus rare. Jérem est obligé de louvoyer sur les côtés avec ses skis pour trouver de la neige encore un peu fraîche puis, après quelques centaines de mètres, il doit se rendre à l’évidence, il faut déchausser et porter son matériel sur le dos.

La balade dans la forêt est agréable, nous avons la lumière du soleil tout en étant protégés de ses rayons par les arbres autour de nous, les températures sont encore douces. Ma marche est plus rapide sans mes raquettes aux pieds et nous avançons à une bonne allure, je ne ressens quasiment plus de douleurs au talon grâce à la Compeed, c’est vraiment très pratique et, désormais, j’en prendrais toujours avec moi pour des randonnées de plusieurs jours !

Nous remontons ensuite au col du Pré de Raves à 1005 mètres où nous retrouvons de la neige pour le plus grand plaisir de Jérémie qui peut se délester du poids de ses skis en les chaussant à nouveau. Ensuite, nous atteignons une clairière avec un rocher en plein milieu et, du haut de ce promontoire naturel, on peut observer des modestes montagnes en forme de buttes, recouvertes de sapins et disséminées dans le bassin de la ville de Saint-Dié-des-Vosges que l’on peut apercevoir au loin.

Malgré les nombreux points de vue que nous avons pu admirer lors de ces derniers jours, nous nous émerveillons comme des gamins avec un grand sourire et des yeux admiratifs quand nous découvrons cette vue dégagée en sortant de la forêt. On savoure ce moment en prenant notre pique-nique au soleil sur les rochers et nous prenons de multiples photos souvenirs de ce bel endroit dont nous sommes conscients qu’il est sans doute le dernier de notre parcours.

Nous avançons à un bon rythme en croisant toujours très peu de personnes alors que la météo est encore excellente. En arrivant au pied de l’Arbre de la Liberté qui fut apparemment planté en 1918 pour célébrer la libération de l’Alsace, Jérémie doit se résoudre à déchausser ses skis et, cette fois-ci, définitivement. Nous marchons désormais côte à côté, cette randonnée dans la forêt est plaisante et nous ne faisons plus que descendre en direction de Sainte-Marie-aux-Mines où un train nous attend. Nous découvrons dans la vallée de belles et grandes fermes ou chalets en bois qui s’insèrent parfaitement dans leur milieu naturel.

Ça y est, nous voilà arrivés à notre étape finale de Sainte-Marie-aux-Mines située à 770 mètres d’altitude après cette magnifique traversée des Vosges dans un décor féérique avec une météo de rêve. Oui, j’ai souffert physiquement mais les paysages étaient tellement beaux dans cette nature grandiose et très sauvage. Cela a été aussi l’occasion de partager ces bons moments avec mon frère Jérem et nous célébrons notre exploit fraternel autour d’une bonne bière comme il se doit ! 😊

Vive les Vosges !!!

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Paris – Londres à vélo

470 kilomètres parcourus à vélo du 15 au 20 septembre 2013

Introduction

De retour d’un grand voyage par la route à travers l’Eurasie entre 2022 et 2023, j’ai relu par curiosité les notes prises sur mon carnet pendant mon voyage itinérant à vélo de Paris jusqu’à Londres en septembre 2013. J’avais fait auparavant quelques traversées à pied ou à vélo de trois ou quatre jours maximums dans les Alpes françaises mais c’était la première fois que je me lançais dans une aussi grande distance à parcourir seul et à vélo. Ce fut en quelques sorte mon voyage initiatique qui me donna envie d’en faire d’autres par la suite, seul, avec un ami ou de la famille, pour découvrir notre beau pays par différents moyens de déplacements (à pied, en vélo, à moto…). Dix ans après, cela m’a paru le bon moment de publier mes notes prises pendant le voyage avec quelques ajouts et modification.

Bonne lecture!

Itinéraire

Itinéraires de l’Avenue Verte (j’ai pris celui passant par l’est)

Genèse de ce voyage

A l’occasion des Jeux Olympiques de Londres en 2012, j’avais entendu parler de l’inauguration par le maire de Paris de l’époque, Bertrand Delanoë, d’un itinéraire à vélo permettant de relier Paris à Londres dénommé l’« Avenue Verte London – Paris ». Cela m’avait donné envie car c’était à la fois un objectif ambitieux et motivant de partir de Paris à vélo pour rejoindre Londres en traversant la Manche en bateau. De plus, cet objectif paraissait atteignable en une bonne semaine sans avoir besoin de trop de préparatifs. Donc, lors d’un week-end chez mes parents à Agen vers la fin août 2013, je leur fis part de ce projet car j’avais besoin de me changer les idées et ils m’y encouragèrent, mon père m’aidant à emballer mon vélo que j’avais laissé chez eux afin de le ramener à Paris dans mon train du retour. Ensuite, il ne me restait plus qu’à acheter du matériel (porte bagage, sacoches) ou m’en faire prêter (tente et duvet légers) et je fixais la date de mon départ au dimanche 15 septembre 2013 afin de bénéficier de journées relativement longues et, je l’espérais, d’une météo clémente.

Pour lire la suite, vous pouvez cliquer sur un jour de la liste ci-dessous ou tout simplement continuer la lecture vers le bas

  • Jour 1 : de Paris jusqu’à Auvers sur Oise, 75 kms
  • Jour 2 : de Auvers sur Oise jusqu’à Bresles, 103 kms
  • Jour 3 : de Bresles jusqu’à Forges les Eaux, 80 kms
  • Jour 4 : de Forges-les-Eaux jusqu’à Dieppe, 50 kms
  • Jour 5 : de Seaford jusqu’à Danegate, 60 kms
  • Jour 6 : de Danegate jusqu’à Londres, 103km,

Jour 1, le 15 septembre 2013

De Paris jusqu’à Auvers sur Oise (75 kms)

Je quitte mon logement parisien proche de la Gare de l’Est aux alentours de 9h30 sous le soleil, c’est de bon augure. Le porte bagage fixé à l’arrière sur la tige de ma selle de VTT me pose régulièrement des soucis car il n’est pas adapté pour mes larges sacoches qui pendent en l’air et frottent souvent sur mon pneu arrière, ce qui a pour effet de me ralentir. Je m’arrête donc souvent pour relever ma selle au maximum afin d’éviter les frottements mais, la contrepartie est que je touche à peine les pédales avec la pointe de mes pieds, tout mon poids repose sur la selle avec les douleurs que vous imaginez au niveau du fessier et je ne peux pas relever ma potence de guidon donc je dois tordre mon dos pour tenir mon guidon, parfois en le tenant du bout des doigts. Ainsi, je me déplace dans une posture pas très ergonomique et, de plus, je porte un petit sac sur mon dos avec mon duvet attaché par-dessus, n’ayant pas réussi à tout installer sur mon porte bagage. Clairement, c’est à éviter pour soulager le dos et moins transpirer même si ce sera plutôt le froid qui me gênera pendant ce voyage. Peut-être j’aurais pu prendre moins d’affaires mais c’était la première fois que je faisais ce type de voyage et j’avais du mal à évaluer ce qui était réellement nécessaire.

Je longe le canal Saint Martin suivi par celui de l’Ourcq et je prends la bifurcation du canal qui passe à côté du stade de France puis je traverse Aubervilliers et Saint-Denis avant de rejoindre la Seine. Ce ne sont pas des décors très réjouissants avec les saletés et la foule mais, à partir de Gennevilliers, c’est plus agréable avec le beau parc des Chanteraines. Néanmoins, je prends un peu de retard sur mon planning en me perdant quelques fois ou en m’arrêtant pour réajuster mon matériel.

Le trajet le long de la Seine est très sympathique avec de longues et larges pistes cyclables parfois envahies par des hordes de joggers. Ah, c’est dur le vélo ! J’ai déjà mal aux fesses et au dos mais je tiens bon en faisant des pauses rapides mais régulières puis je m’arrête plus longtemps pour un pique-nique en face du château et du parc de Saint-Germain-en-Laye, la vue est plaisante.

Le parcours à vélo de Paris à Londres est souvent indiqué par de petits panneaux avec un logo en forme de boussole et les noms des deux capitales et j’ai aussi un cahier « roadbook » avec l’itinéraire détaillé sur plusieurs cartes, pratique pour se repérer à cette époque où je n’avais pas encore de smartphone digne de ce nom.

Je découvre de jolies maisons et de belles péniches au croisement entre la Seine et l’Oise puis j’atteins la base de loisir de Cergy où je fais une trempette rafraichissante dans le lac. Ensuite, je rejoins vers 17h30 le camping municipal très modeste de la ville de Auvers sur Oise où s’installèrent pendant un temps de nombreux peintres impressionnistes dont l’illustre Van Gogh qui y trouva la mort de façon tragique. Je discute un peu avec un couple d’anglais au camping puis je fais une petite balade à pied et je vais me coucher dans ma tente.

Jour 2, le 16/09/2013

De Auvers sur Oise jusqu’à Bresles (103 kms)

Je me réveille vers 7h30 et je lève le camp une heure plus tard après avoir pris mon petit déjeuner. La nuit a été animée par la pluie et j’ai eu un peu froid avec mon duvet léger, c’est le dilemme entre le poids à porter et le confort que cela apporte. Heureusement, le soleil est là pour me réchauffer et le sentier que j’emprunte en longeant l’Oise est très beau. Cependant, mon fessier est toujours en délicatesse mais j’avance en me disant que le temps ensoleillé risque de ne pas durer.

Je rejoins Chantilly et ses superbes villas dans de chics zones pavillonnaires quadrillées à l’américaine puis je contourne l’immense hippodrome en passant à côté de grands haras. J’aperçois le magnifique château de Chantilly mais je ne m’attarde pas trop car le ciel s’assombrit et je reçois du ciel les premières gouttes de mon parcours. Cela va être l’occasion de tester la fiabilité de mon matériel et la force de mon mental, finalement ça passe même si j’ai un peu froid.

En arrivant à Senlis, je m’offre une bonne pause pique-nique en avalant un gros sandwich réclamé par mes muscles et mon estomac puis, je reprends la route et je passe à travers une grande et belle forêt où je suis quasiment tout seul comme pour la grande partie de mon itinéraire de la journée. J’enchaîne des petites montées suivies par des descentes, il commence à y avoir du relief. En sortant d’une forêt sur les hauteurs d’une colline, la route se met à descendre quand, soudain, une belle vue bien dégagée sur la vallée s’offre à mon regard et je ne peux réprimer un cri de joie et de satisfaction pour cette belle surprise.

Cependant, je commence à fatiguer, il y a parfois de grandes zones de plat mais avec du vent de face donc je n’avance pas très vite. En plus de cela, la pluie alterne avec le soleil et le dénivelé grimpe de temps en temps. Malgré tout, j’avance étape par étape en consultant la carte du roadbook pour me fixer de petits objectifs atteignables, cela m’aide à garder le moral.

Je mange beaucoup de barres énergisantes, il me faut du sucre ! Et je me promets qu’à l’arrivée au camping de Bresles je mangerai un plat chaud, ce sera chose faite avec deux bonnes grosses merguez sur une grande barquette de frites arrosées de ketchup – mayo. C’est mon estomac qui commande.

Le propriétaire du camping est sympathique et nous entamons une discussion, ça se sent qu’il apprécie son métier et sa petite entreprise. Par contre, il m’avait promis de l’eau chaude grâce à des panneaux solaires installés sur les toits des sanitaires mais ce n’est pas le cas. Grrr…

Jour 3, le 17/09/2013

De Bresles jusqu’à Forges les Eaux (80 kms)

Dure, dure, cette journée !!!

Cela a mal commencé dès la nuit tombée car je grelottais sous ma tente dans mon maigre duvet prévu pour les chaleurs d’été même après avoir enfilé tous mes vêtements. Je suis donc allé me réfugier au chaud…dans les sanitaires du camping !

Levé aux aurores, je discute avec mon voisin qui se trouve travailler au Décathlon de Beauvais. Cela me donne l’idée d’y aller pour acheter une couverture pour mieux dormir. Après m’être rendu compte que je m’étais trompé d’itinéraire en partant, je reprends la bonne route mais, mon genou droit commence à me faire très mal. Je dois lutter contre la douleur pour pédaler et je fais de nombreuses pauses pour soulager mon genou. J’arrive tant bien que mal au Décathlon où j’achète une couverture. Ensuite, je pars visiter la grande et belle cathédrale de Beauvais puis je fais des courses et c’est reparti.

Cathédrale de Beauvais

Malheureusement, mon genou continue de me faire grimacer dès que je pédale, je commence à me demander si j’arriverai jusqu’à Londres, voir même jusqu’à la destination prévue pour ce soir… Dans les montées, je finis par pousser le vélo à pied tandis que sur le plat et en descente je pédale doucement en essayant de solliciter uniquement ma jambe gauche mais, forcément, j’avance très lentement.

Toutefois, les paysages au bord du chemin me permettent de me changer les idées, je découvre de belles et grandes fermes en pierre et des champs verdoyants où broutent vaches et chevaux. L’itinéraire permet d’éviter les axes routiers très fréquentés et c’est agréable de ne pas être gêné par les voitures ou les poids lourds mais je ne croise pas non plus de piétons ou de cyclistes et cela devient un peu pesant à la longue. Parfois j’ai l’impression de traverser des villages fantômes. Finalement, il y a de la place en France !

Je fais une pause pique-nique puis je m’octroie une sieste bien méritée. Il fait déjà froid en journée et cela ne va pas s’arranger. En repartant, mon genou va un peu mieux et j’essaye de ne pas trop forcer. La pluie se manifeste par intermittence mais je continue mon chemin désormais sur un bon rythme et je reprends espoir d’atteindre mes objectifs. Par contre, à partir du milieu d’après-midi, la pluie se met à tomber sans interruptions, cela devient usant pour le moral et glaçant pour le corps. Le mental joue pour beaucoup dans mes efforts physiques, surtout pendant les montées. Parfois, il m’arrive de m’énerver contre mon vélo quand mes sacoches freinent ma roue arrière, je lui hurle presque dessus alors que le pauvre n’y est pour rien. J’ai l’impression par moments que mes freins à tambour sont mal réglés et qu’ils frottent aussi sur la roue mais non, c’est dans ma tête, il faut penser à autre chose.

Sur la route, je rencontre enfin d’autres voyageurs : deux couples d’anglais, la cinquantaine, qui font Londres – Paris à vélo donc dans l’autre sens que moi, je me sens moins seul. Malheureusement, comme il pleut beaucoup, nous ne discutons pas longtemps et chacun part en sens opposé en s’encourageant.

Je m’autorise quelques bifurcations dans l’itinéraire afin de raccourcir le trajet et soulager mon genou, mes fesses et mon dos sachant que la pluie ne faiblit pas. Les abribus me sont également un précieux abris pour m’assoir tout en avalant une barre de fruits.

Enfin, j’arrive à la ville de Forges-les-Eaux qui porte bien son nom ! Après quelques hésitations entre l’hôtel ou le camping, je résiste à l’appel d’un bon lit douillet et de la certitude d’une douche chaude en me dirigeant vers le camping pour rester dans le thème de ce voyage que je m’étais fixé. Et j’ai l’agréable surprise que le propriétaire me propose de m’héberger dans une salle pour m’abriter de la pluie qui ne s’est toujours pas arrêtée. En plus, la salle est chauffée, j’en profite donc pour étendre tout mon linge humide et, cerise sur le gâteau, la douche est très très chaude, j’y reste longtemps ! Loué soit le propriétaire du camping qui m’a si bien accueilli !

En me couchant vers 21h, il pleut toujours, j’espère que ça ira mieux demain…

Je me réfugie pour la nuit dans une salle mise à ma disposition par le propriétaire du camping de Forges-les-Eaux

Jour 4, le 18/09/2013

De Forges-les-Eaux jusqu’à Dieppe (50 kms)

Après une nuit plutôt agréable, au chaud dans la salle du camping mais gêné par le bruit du vent et de la pluie qui n’ont pas cessé, je me lève pour remballer mes affaires. Malheureusement, certaines d’entre elles sont encore humides malgré le chauffage. Tant pis, je pars vers 9h après avoir réglé le camping (seulement 5€ la nuit).

Je fais l’ouverture du magasin Aldi avec une foule de personnes âgées attendant comme moi dehors et qui me regardent d’un air curieux et étonné, ils ne doivent pas voir souvent un jeune de mon âge faire ses courses à cette heure matinale et je ne passe pas inaperçu avec mon vélo à sacoches.

Je commence à pédaler sous une fine pluie mais cette journée devrait être plus facile car il y a moins de kilomètres à parcourir, mon objectif étant de rejoindre Dieppe qui se situe à une cinquantaine de kilomètres afin de prendre un ferry pour l’Angleterre. Une ancienne voie de fer a été réaménagée en piste cyclable sur une quarantaine de kilomètres et c’est très agréable de la parcourir au milieu des prairies où broutent de belles vaches normandes.

Je rencontre un cycliste anglais bien équipé qui va dans le sens inverse et dont l’objectif est de rejoindre la Grèce : bel objectif ! Puis, je me fais rejoindre par deux anglaises à vélo qui vont dans la même direction que moi. Elles ont la cinquantaine et tiennent leur buste bien droit tout en affichant un sourire cordiale vêtues d’imperméables fluos, « so british ». Nous engageons la discussion et elles m’expliquent qu’elles sont parties également de Paris mais elles ont suivi un autre itinéraire plus court que le mien en passant par Gisors à l’ouest et elles prévoient de terminer leur parcours une fois arrivées sur les côtes anglaises, après avoir pris le ferry de Dieppe. C’est la première fois que je croise des cyclistes qui suivent un trajet similaire au mien, c’est bien agréable de pouvoir échanger sur nos expériences et nous encourager. Nous nous présentons, Charlotte vit dans le sud de l’Angleterre et elle est professeure de yoga, Sue est physiothérapeute à Vancouver au Canada. Elles sont très sympathiques mais elles vont trop vite pour moi, leurs vélos VTC sont mieux adaptés avec de plus grandes roues que mon VTT, elles voyagent plus léger et mes douleurs persistantes au genou sont mes excuses pour me rassurer.

Néanmoins, nous nous retrouvons plusieurs fois sur la piste cyclables avec Sue et Charlotte lorsqu’elles font une pause et nous prenons un bon chocolat chaud dans une ancienne gare réaménagée en café au bord de la piste cyclable. Puis, nous faisons une pause pique-nique plus loin sur des tables en bois.

L’ancienne voie de chemin de fer passe devant le très joli château de Mesnières en Bray et j’en profite pour me faire prendre en photo devant avec mon vélo sans savoir que j’y retournerai trois ans plus tard pour participer à l’organisation des 30 ans de la belle association A Bras Ouverts (ABO) dans laquelle je commençais tout juste à m’impliquer à ce moment, le monde est petit !

Château de Mesnières-en-Bray

La fine pluie a fini par cesser et le ciel s’est éclaircit progressivement. Je ne me lasse pas des paysages champêtres avec des prairies verdoyantes où broutent paisiblement vaches et chevaux ainsi que des belles bâtisses normandes en pierre. Le soleil commence enfin à poindre le bout de son nez mais c’est à ce moment que la pente montante augmente légèrement, ce qui m’oblige à fournir un effort plus important. A vélo, on remarque tout de suite les changements de dénivelé ! Le ferry part à cinq heures de l’après-midi et j’ai un peu tardé sur le chemin donc je dois forcer l’allure, les derniers kilomètres sur la route me paraissent interminables…

Je ne peux pas apercevoir la mer au loin qui est cachée par la ville de Dieppe et les falaises autour, je ne la découvrirai qu’au dernier moment, en arrivant au bord de la plage et le spectacle n’en sera que plus saisissant : j’ai une grande explosion de joie à la vue de cette immense étendue d’eau tout en sentant l’air marin chargé de sel ! Le ciel est désormais dégagé et le soleil éclaire les galets de couleurs claires tout comme l’eau de la mer qui est calme et d’un vert pale tendant vers le marron au bord, en partie teintée par la craie des hautes falaises de chaque côté du port de la ville qui s’érodent progressivement.

Je suis tellement fier de moi, je suis parti avec mon vélo depuis Paris et me voilà au bord de la Manche après avoir parcouru quasiment trois cents kilomètres en quatre jours ! C’était ce type de défi que je voulais relever et d’émotion que je voulais ressentir. Malgré les difficultés et les souffrances, les routes qui nous semblent interminables, on finit par en arriver au bout et cela en vaut la peine.

Je retrouve Charlotte et Sue sur le ferry, le ciel est désormais dégagé et on peut apercevoir un beau coucher de soleil en s’éloignant des côtes. Nous dînons ensemble puis nous nous reposons.

En accostant de nuit à Newhaven en Angleterre, je ne sais toujours pas où je vais dormir. Charlotte et Sue ont réservé un hôtel mais je préfère continuer en mode camping. Nous sommes plusieurs cyclistes voyageurs sur le ferry et, au moment de partir, je demande à deux anglaises qui ont fait le trajet de Londres à Paris et qui rentrent chez elles si elles connaissent un endroit où je pourrais m’installer, elles m’indiquent la direction d’un camping qui est assez proche du port.

Allez, banco, je pars à la recherche de ce fameux camping en pleine nuit et je le trouve facilement après une quinzaine de minutes. Il est situé au bord de la mer, j’installe ma tente puis je pars sur la plage pour contempler la mer éclairée par la lune, c’est un beau spectacle avant de me coucher.

Jour 5, le 19/09/2013

De Seaford jusqu’à Danegate (60 km)

J’ai passé une nuit difficile car j’ai eu encore très froid malgré ma nouvelle couverture donc je me suis à nouveau réfugié dans les sanitaires.

Je me lève tôt pour avoir le temps d’admirer le paysage au bord de la mer tout en prenant mon petit-déjeuner puis je pars en ville retirer des « pounds », acheter à manger et du baume à lèvres car elles sont toutes gercées à cause de l’exposition au soleil, même à travers les nuages.

Ensuite, je me rends à un point de vue pour admirer les falaises de craie blanche dénommées les « Seven Sisters », c’est un site grandiose et magnifique, le plus beau paysage de mon parcours et je prends le temps de l’admirer en me baladant le long des côtes. Je me sens dans un nouveau pays, les vaches dans les prairies ont été remplacés par des moutons, les gens parlent une autre langue mais le ciel est toujours gris. Je reprends la route vers onze heures, revigoré par cette halte sympathique, finalement Albion n’est pas si perfide mais restons prudent quand-même…

Seven Sisters

Nous avions échangé par textos avec Charlotte et Sue qui m’avaient indiqué qu’elles feraient peut-être une journée supplémentaire à vélo en raison de la météo clémente mais sans que l’on se donne de détails sur nos itinéraires quand soudain, après quelques kilomètres, je les retrouve complètement par hasard sur la route et nous sommes très heureux de nous revoir de cette manière aussi inattendue !

Charlotte et Sue sont fatiguées car elles ont voulu rejoindre à vélo une gare mais le trajet s’est finalement révélé long et fatiguant. Nous décidons donc de nous arrêter dans un bon petit pub d’un village anglais pour reprendre des forces avec un déjeuner accompagné d’une bière, « of course ». J’aime beaucoup les pubs anglais, ils sont souvent très chaleureux et décorés avec soin et originalité, on se sent comme dans une maison. Malheureusement, Charlotte et Sue me disent que ce type d’établissement disparait petit à petit en raison du prix de l’alcool moins cher en supermarché et de l’interdiction de fumer dans les pubs, « so chocking » ! Espérons qu’il en restera toujours car le pub est pour moi un des symboles de l’Angleterre.

Nous repartons vers 13h et, assez rapidement, je suis distancé, mon allure étant trop lente pour mes nouvelles amies cyclistes et j’essaye toujours de ménager mon genou douloureux sachant qu’il y a beaucoup de montées et descentes sur cette étape donc nous nous disons au revoir avec Charlotte et Sue en nous souhaitant bonne chance pour la suite.

J’emprunte une grande piste cyclable d’une vingtaine de kilomètres, c’est très agréable de ne pas être au contact des voitures mais, à la longue, je vais me sentir seul encore une fois car je ne croise pas grand monde. Par ailleurs, la piste est légèrement pentue donc il faut toujours fournir un effort assez important et une fine pluie s’invite dans la partie donc mon mental est à nouveau soumis à rude épreuve. Je pensais que ce serait plus plat que ça ce Paris – Londres !

Ma première journée à vélo en Angleterre

J’avance tant bien que mal en faisant des pauses régulières pour reposer mon genou et mon fessier. En quittant la voie cyclable, je m’engage sur une piste boueuse avec des descentes assez raide qui sont dignes d’un parcours VTT : mes suspensions sont enfin être utiles ! Je me concentre en me levant sur mes pédales et en me penchant légèrement en arrière tout en tenant fortement mon guidon dans ce petit passage aventureux et ça passe, c’est plaisant ! Finalement le porte bagage tient bon, c’est de la bonne qualité.

Enfin, j’arrive au camping qui est dans une grande clairière au milieu d’une forêt avec un vaste parking en gravier et de la pelouse autour. L’accueil est fermé et il n’y a personne d’autres à part un gars qui s’est posé avec sa camionnette et sa tente, il m’explique qu’il est organisateur de courses de 4 x 4 amateurs et il voyage beaucoup avec son véhicule en Europe. Je suis un peu déçu car j’aurais bien aimé pouvoir discuter avec d’autres voyageurs le soir mais bon, c’est comme ça. Au moins les sanitaires sont ouverts et la douche est chaude ! Dans la clairière, à la tombée de la nuit, on aperçoit des biches.

Camping de Danegate

Jour 6, le 20/09/2013

De Danegate jusqu’à Londres ! (103km)

La nuit a été plutôt paisible même si j’ai dû une nouvelle fois dormir dans les sanitaires à cause du froid, je n’ai même pas essayé de coucher dans la tente…

Le ciel a l’air clément aujourd’hui et, normalement, il devrait y avoir moins de dénivelé, espérons ! Le début commence bien même si je me trompe de chemin et dois faire demi-tour, je rejoins rapidement une piste cyclable en pleine forêt sur une quinzaine de kilomètres, c’est très agréable. Le réseau des voies cyclables en Angleterre est très bien organisé avec des numéros d’identification et des standards de panneaux d’indication au niveau national donc c’est bien plus facile de se repérer qu’en France où c’est une succession disparate de pistes cyclables au niveau bien souvent local avec des noms et des signalisations différents. De plus, les pistes cyclables anglaises sont nombreuses et très bien entretenues, « good job ». Le soleil perce peu à peu les nuages et cela me motive, les paysages champêtres et bucoliques n’en sont que plus beaux, c’est une succession de larges prairies verdoyantes bien dégagées et de forêts ombragées.

Je fais une pause pique-nique au bord d’un champ en plein soleil avec quelques produits achetés dans la ville précédente : de bonnes tomates, une sorte de salade de choux pleine de sauce, du pain avec du fromage et de la viande séchée, des bananes. Le soleil, ça change tout ! Après avoir mangé, je m’allonge sur mon tapis de sol pour faire une sieste tout en bronzant mais, à peine installé, je suis délogé par deux promeneuses avec leurs chiens qui me font comprendre que c’est une zone privée et que je dois m’en aller, « so sad ».

Pause pique-nique au soleil

C’est donc reparti, mes genoux me font encore mal ainsi que mon fessier mais j’avance en faisant des pauses régulières, je commence à avoir l’habitude et je sais que cela ne m’empêchera pas de continuer. Rapidement, je retourne dans la civilisation en sortant des bois, les habitations sont plus nombreuses ainsi que les voitures même si, heureusement, le tracé de la piste cyclable permet de souvent s’en éloigner, même en ville. Je pensais en avoir fini avec la nature mais finalement il y a encore beaucoup de champs, d’étangs, même si on entend le bruit des avions et des voitures passant à proximité.

Je m’approche progressivement de Londres et je ne sais toujours pas où je vais dormir car il n’y a plus vraiment de camping dans le coin, je continue d’avancer en attendant de trouver une opportunité, peut-être un coin d’herbe à l’abri des regards où je pourrais planter ma tente.

Où vais-je m’arrêter pour dormir?

En arrivant en haut d’une colline dans un des nombreux parcs publics anglais qui semblent avoir été conçu pour promener les toutous, j’aperçois au loin une immense tour de verre dans un style futuriste, je crois que c’est le gratte-ciel « The Shard » situé en plein cœur de Londres. C’est impressionnant de la voir à cette distance alors que je suis encore au milieu des champs avec de petits villages. Malheureusement, je n’ai plus de batteries sur mon téléphone donc il va falloir vous baser uniquement sur mes descriptions et faire preuve d’imagination.

A ce moment, je me sens complètement libre, en total autonomie avec tout ce dont j’ai besoin sur mon vélo pour m’arrêter où je veux afin de passer la nuit, c’est une sensation très plaisante que je savoure en continuant de pédaler pour voir où cela va me mener, j’attends un coup de cœur ou un coup du sort.

Le soleil se couche, je continue de pédaler malgré l’obscurité, n’ayant toujours pas eu de révélation. Etant donné que je me rapproche de plus en plus de Londres, je commence à me dire que ce serait dommage de s’arrêter si près du but et que je pourrais sans doute dormir dans un des parcs du centre-ville même si je redoute le froid ou de tomber sur des types louches, on verra bien.

Je fais une pause dîner à la terrasse d’un pub animé avec une bonne bière et un burger puis je reste quelques temps à écouter la musique d’un groupe de rock talentueux dans une ambiance fêtarde, c’est ça aussi l’Angleterre !

Puis, je décide finalement de repartir pour rejoindre le centre de Londres, il y a une piste cyclable bien indiquée qui peut m’y emmener en cinquante minutes d’après les panneaux d’affichage. Il fait moins froid dans cette immense ville que les jours précédents à la campagne, je m’approche petit à petit avec en ligne de mire les tours illuminées de la City. Ça y est, j’arrive enfin au bord de la Tamise : mission accomplie !

Maintenant, il faut que je trouve un endroit où dormir car je ressens la fatigue. Je pensais initialement aller à côté de la gare Saint Pancras ou dans un grand parc comme Hyde Park mais je suis trop épuisé pour aller aussi loin. Je remarque un petit coin d’herbe légèrement dans l’obscurité grâce à un grand arbre qui protège de l’éclairage public, l’emplacement est juste en face du musée Tate et, de l’autre côté de la Tamise, on peut voir la cathédrale Saint Paul. Pas mal comme vue, allez, c’est décidé, je m’y installe ! J’essaye d’être discret en m’emmitouflant dans mon sac de couchage, je ne monte pas la tente et je garde mon vélo à proximité, personne ne semble m’observer. Malgré le bruit de quelques braillards ivres et du froid, je parviens plus ou moins à dormir, du moins à reposer mon corps endolori. « Good night ».

Jour 7, le 21/09/2013

De Londres jusqu’à Paris

Je me lève tôt le matin pour ne pas faire trop le clochard dans la belle capitale de Sa Majesté, déjà que je me trimballe avec mon tapis de sol emballé dans un sac poubelle pour le protéger de la pluie et accroché à mon sac à dos…

Je ne sais pas trop quoi faire tout seul à Londres, je ne suis pas très motivé pour visiter cette ville que j’ai déjà découverte lors de précédents voyages, je me sens fatigué et je voudrais rentrer tout de suite. Mais bon, ce serait dommage de ne pas en profiter après tous ces efforts donc je marche en poussant mon vélo, j’en ai marre de pédaler et puis j’ai pu constater qu’à Londres les trottoirs sont propres donc je ne risque pas de marcher dans une crotte de chien 😊

Je longe la Tamise en direction de Westminster puis je rejoins Buckingham Palace et ensuite Hyde Park. Je découvre le Battersea Park avec l’immense ancienne usine électrique au charbon toute en briques, c’est un bâtiment très impressionnant. Elle est abandonnée depuis longtemps car sa taille démesurée rend complexe sa reconversion mais, d’après de récentes recherches sur internet, ce bâtiment a été finalement reconverti en bureaux, logements, restaurants et magasins.

Puis, je visite le musée d’Histoire National qui est gratuit exceptionnellement ce jour-là, je prends donc le risque de laisser mon vélo cadenassé à l’extérieur avec mes affaires en gardant mon portefeuille sur moi, j’ai confiance… Le musée est immense avec une riche collection dont une partie se situe dans un bel ancien immeuble. En sortant, je comprends que ce sont les Journées du Patrimoine en Angleterre donc beaucoup de musées sont gratuits alors que les billets d’entrée sont généralement très élevés et certains sites historiques sont exceptionnellement ouverts aux visites. Etant donné que mon vélo et mes affaires sont toujours là, j’en profite pour visiter les somptueux locaux de la Supreme Court qui est l’équivalent de notre Conseil Constitutionnel.

Puis, je pars manger un morceau dans le quartier de Chinatown et j’enchaine avec la visite du British Museum, également gratuit. Le musée est intéressant, il y a notamment la célèbre pierre de Rosette qui a été découverte par nos glorieux ancêtres en Egypte pendant la campagne de Napoléon mais les maudits anglais les en ont délogé, ce qui n’a pas empêché que ce soit un champion français qui ait été le premier à déchiffrer les hiéroglyphes grâce aux copies de cette pierre : « sorry, good game ».

Après toutes ces visites, je commence à fatiguer donc je me dirige vers la gare Saint Pancras pour m’occuper du transport de mon vélo dans l’Eurostar. Je comptais le démonter pour l’emmener avec moi mais je n’avais rien pour l’emballer et un peu la flemme donc finalement je paie un supplément pour le charger tel quel dans un wagon spécial dans le même train que moi, c’est plus simple et bien organisé. Dans le voyage du retour en Eurostar, le paysage défile à une vitesse folle, en seulement deux heures je serai de retour à Paris alors que j’ai mis six jours à l’aller pour parcourir 470 kilomètres en vélo et traverser la Manche en bateau : c’est impressionnant le progrès !

Conclusion

Je profite d’être confortablement assis dans un fauteuil pour faire le point sur mon voyage. Initialement, je pensais que cela me permettrait de réfléchir à ma vie passée et future mais, finalement, j’y ai très peu pensé. Mon esprit était presque entièrement accaparé par les efforts physiques à maintenir constamment malgré la fatigue et les douleurs, à préparer les étapes suivantes, à chercher à manger ou un endroit pour dormir, à monter puis démonter la tente, prendre une douche… Je trouvais juste un peu de temps et de force le soir pour écrire sur un carnet les évènements et mes impressions de la journée que je vous retranscris à présent sur ce blog avec quelques ajouts et modifications.

Le défi physique a été relevé avec succès et j’en suis très fier ! Finalement j’ai été davantage ému en voyant la mer à Dieppe au dernier moment que lorsque je suis arrivé à Londres tard dans la nuit mais je réaliserai plus tard tout ce que cela représente notamment en racontant mon voyage à d’autres personnes. Je redoutais les problèmes mécaniques et les réparations à faire sur mon vélo mais c’est ma propre machine qui aura posé des soucis et je n’avais pas vraiment de rustines ni de pompes pour me regonfler si ce n’est en mangeant une quantité astronomique de barres sucrées. Par ailleurs, je ne m’attendais pas à autant de dénivelé sur ce parcours et puis je n’étais clairement pas bien préparé en termes d’équipements ou de physique, cela faisait longtemps que je n’avais pas fait de vélo et je n’avais jamais fait d’aussi longues distances répétées sur plusieurs jours. Mais, l’essentiel, c’est la motivation, l’envie d’aller au bout coûte que coûte, le reste suit. La solitude a été pesante également par moments, j’aurais aimé rencontrer davantage de personnes sur la route, peut-être que c’était un peu tard dans la saison.

Au final, ce voyage en itinérance à vélo avec des sacoches et une tente aura été une très belle aventure et cela me motivera pour faire de nouveaux itinéraires en France, seul, avec de la famille ou des amis, et en étant mieux équipé ! Mais ce sont d’autres histoires que je vous raconterai peut-être un jour 😉 

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