Author

Hugues B.

Expériences diverses

Revenus, qualité de vie et retour d’expérience

Dans cette quatrième et dernière partie, nous abordons avec Pierre et Sophie les thèmes de la rémunération et de la charge de travail ainsi que la qualité de vie dans ce type d’environnement.

Puis, c’est l’occasion de terminer par un retour d’expérience de Pierre et Sophie avant que je conclus de manière engagée cette série d’articles qui, je l’espère, ne vous aura pas laissé indifférent.

L’impact du marché porcin sur les revenus

Lors de leurs premières années d’élevage porcin dans le Limousin, Pierre et Sophie vendaient quasiment la moitié de leurs cochons à des bouchers pour un prix fixe à l’année, indépendamment du prix du marché. Ces revenus stables leur permirent de rembourser plus facilement leurs prêts, l’autre moitié des cochons étant vendu au marché de la coopérative.

Avec la construction du deuxième bâtiment d’engraissement en 2010, le nombre de cochons charcutiers produits par l’exploitation doubla, augmentant ainsi la part des ventes à la coopérative pour atteindre les deux tiers. Cependant, c’est principalement le tiers des ventes aux bouchers à un prix relativement stable qui permit à Pierre et Sophie de survivre lorsque le prix du marché s’écroulait à intervalle régulier.

Avec désormais plus de trente ans d’expérience dans l’élevage porcin, Pierre a constaté le phénomène économique suivant en période de crise du marché lorsque les prix baissent fortement : environ un tiers des éleveurs finissent par faire faillite, un autre tiers résiste tant bien que mal en essayant d’augmenter ses marges par la réduction des intermédiaires (cultures à la ferme, ventes en circuits courts) ou bien en diversifiant ses activités (élevage d’autres d’animaux, agriculture). Le dernier tiers investit en rachetant à bas prix les exploitations qui ont fait faillite et devient encore plus puissant quand le marché remonte, lui permettant d’accumuler un capital qu’il pourra utiliser pour faire de nouveaux investissements.

Rémunération

Afin de m’aider dans mes recherches sur le sujet de la rémunération des éleveurs de porcs, Pierre m’a présenté sa déclaration de revenus aux impôts sur la base de l’année 2023 dans laquelle sont détaillés ses revenus et ses charges.

Ainsi, la vente annuelle des animaux de l’exploitation a généré un chiffre d’affaires annuel de 245 000 € auxquels s’ajoutent 19 000€ de la PAC (Politique Agricole Commune) qui sont les aides de l’Union Européenne pour soutenir les cultures et les élevages d’herbivores.

Les aides de la PAC sont proportionnelles à la superficie des surfaces agricoles dites « utiles » et sur le nombre d’animaux. Elles représentent environ 7% des revenus de l’exploitation de mon oncle, ce qui est relativement faible par rapport à d’autres types d’exploitations agricoles car son activité se caractérise principalement par une production hors sol non aidée.

A ces revenus, il faut soustraire les charges qui sont conséquentes.

Tout d’abord, il y a l’achat des approvisionnements (nourriture pour animaux, semences, engrais, frais vétérinaires, énergie) qui représente le principal poste de dépenses pour un montant de 117 000€ (soit 55% des charges). Ensuite, vient l’achat des porcelets pour une valeur de 71 000€ qui correspond désormais aux frais d’exploitation des activités de fécondation, de gestation et de maternité (environ un tiers des charges). Puis, s’ajoutent d’autres frais tels que les cotisations, les assurances et les prestations comptables pour une somme de 26 000€ (soit 12% des charges).

A ces charges, viennent s’ajouter les impôts et taxes afférentes à l’activité ainsi que les cotisations sociales pour un montant de 9 000€.

Ainsi, sur une année, l’exploitation génère un bénéfice net d’environ 47 000 € pour l’équivalent d’un temps plein et demi en incluant Guy. Sachant que mon oncle et sa femme n’ont plus d’emprunts à rembourser depuis l’année 2020 donc, s’ils devaient réinvestir dans de nouvelles installations, alors la rentabilité de la ferme serait nettement inférieure.

Pierre et Sophie regrettent pour eux et pour les autres éleveurs, la faiblesse des revenus issus de la production porcine qui connait, et connaitra toujours, des hauts et des bas mais il faut « faire avec ».

Etant propriétaires de leur ferme, ils disposent d’un patrimoine de plusieurs centaines de milliers d’euros (valeur fiscal) dont la vente pourrait leur permettre de compléter leur retraite mais encore faut-il trouver des acheteurs motivés à reprendre une partie de leur exploitation en se répartissant les responsabilités avec Guy.

Ainsi, on constate que leurs marges sont faibles et que, si de nouvelles normes ou réglementations les obligeaient à investir ou bien à employer des salariés, alors ces charges additionnelles devraient être compensées par une hausse de leurs revenus, et donc du prix d’achat de la viande.

Rythme de travail et équilibre de vie

Pierre et Sophie n’ont pas systématiquement besoin de travailler beaucoup d’heures tous les jours mais ils doivent travailler quasiment tous les jours de l’année car il y a tout le temps quelque chose à faire à la ferme, y compris les week-ends.

Toutefois, ils peuvent se libérer régulièrement pendant des demi-journées afin de faire des activités de loisirs dans leur belle région limousine. Ainsi, Pierre pratique le judo et la natation en se rêvant parfois maître-nageur dans un des nombreux lacs à proximité tandis que Sophie apprécie les randonnées avec des amies en arpentant les vallons boisés environnants qui offrent d’agréables points de vue.

Mon oncle et sa femme ne sont pas coupés du monde mais ils ont comme un cordon ombilical qui les relie constamment à leur ferme en les obligeant à ne pas s’éloigner ni trop loin ni trop longtemps. Jusqu’au retour de Guy à la ferme en 2023, il leur était difficile pour eux de se libérer plusieurs jours d’affilée car ils ne parvenaient pas à trouver des personnes compétentes et fiables pour les remplacer. Désormais, la présence de Guy à la ferme leur permet de partir plus longtemps et plus souvent même si leur fils aîné ne peut s’occuper seul de l’ensemble des activités de l’exploitation.

Néanmoins, Pierre et Sophie sont toujours parvenus à participer aux réunions de notre grande famille malgré leur activité car c’est très important pour eux. C’était dans ce cas souvent l’un de leurs fils qui les secondait pendant leur absence.

Au cours des quarante-cinq années de leur vie et de leur travail en commun, Pierre et Sophie ont appris à se répartir les tâches au fil du temps en fonction des compétences, des capacités et des appétences de chacun.

Ainsi, Pierre s’investit encore beaucoup dans les diverses activités de la ferme que Sophie maîtrise également parfaitement et dont elle se tient naturellement informée tout en prodiguant ses conseils. Désormais, Sophie se consacre principalement à l’entretien de la maison et du potager ainsi que des magnifiques fleurs qui embellissent le cadre de vie. De plus, Sophie prépare les repas pour la famille et les invités envers qui elle se montre très attentionnée et elle maintient également les liens sociaux et familiaux en dehors de la ferme avec le soutien de Pierre.

Un certain art de vivre en partage

Les avantages de travailler dans une ferme à la campagne sont d’évoluer en pleine autonomie dans un environnement naturel agréable et de vivre à proximité de sa famille d’une activité concrète et vitale pour la société.

En effet, l’agriculture et l’élevage d’animaux sont des activités où les enfants peuvent voir le métier de leurs parents, le comprendre car il est concret et ils peuvent même le pratiquer ensemble, ce qui est peu banal de nos jours avec nos métiers du tertiaire dans des bureaux ou des entrepôts.

Par ailleurs, Pierre et Sophie habitent une belle et vaste maison en pierres recouverte de glycines et entourée de fleurs colorées au milieu de vastes champs où paissent paisiblement chevaux, moutons et vaches.

La merveilleuse maison de Pierre et Sophie

Leur grande maison est toujours ouverte aux visites, elle n’est pas bleue mais elle correspond bien à l’état d’esprit de la chanson de Maxime Leforestier : une demeure accueillante qui reçoit chaleureusement la famille et les amis, parfois même des visiteurs égarés tel un voyageur à cheval dont l’animal boîtait et qui resta trois jours le temps que sa bête se repose.

Leur maison est un refuge bienveillant pour leurs enfants qui retournent parfois à la maison familiale pendant un temps afin de se requinquer lors de périodes de transitions dans leurs vies. Il y a parfois des membres de la famille, comme moi, qui viennent passer quelques jours à la ferme pour découvrir cette activité et donner un coup de main en étant logé, nourri et blanchi par les soins attentionnés de Sophie, la maîtresse de maison.

Lors de mes séjours à la ferme, j’appréciais ces moments conviviaux où nous nous retrouvions chaque jour à la table familiale pour partager un bon repas ensemble, parler des histoires de la ferme, de la famille et du monde qui nous entoure. C’est un rituel où les plaisirs de la table se mêlent aux plaisirs de la conversation.

Pierre et Sophie ne restent pas non plus isolés dans leur ferme, ils sont souvent volontaires pour donner de leurs temps et de leur argent pour des personnes qui en demandent alors qu’ils en disposent si peu pour eux-mêmes. Par exemple, Sophie est bénévole dans une association d’aide aux personnes dans la précarité dont des migrants venant du monde entier : Arménie, Afghanistan, Congo….

Retour d’expérience

A l’issue de mes deux semaines d’immersion dans l’activité de mon oncle et de nos nombreuses discussions sur ce sujet, je lui ai demandé de dresser un bilan en prenant du recul sur son expérience personnel afin de partager ses observations, ses regrets et ses satisfactions.

L’évolution du métier

Les idéaux de mon oncle à ses débuts étaient de prendre soin du paysage en appliquant le système qu’il avait connu quand il était jeune, c’est-à-dire de vivre en harmonie dans son environnement en étant solidaires entre agriculteurs et avec le respect de la société qui est nourrie grâce à leur travail.

Cependant, Pierre a constaté avec le temps qu’il devait bien souvent lutter seul pour survivre face au marché, aux banques, à l’administration, aux réglementations, aux arnaqueurs et aux profiteurs en tout genre.

Ainsi, Pierre a dû faire des compromis avec ses idéaux pour ne pas disparaitre, parfois même en feignant d’accepter les embûches qu’il rencontrait sur son chemin (paperasserie, malveillance, hypocrisie du système, etc…) afin de pouvoir mieux s’y adapter en atténuant les effets grâce à l’application du principe « Tu apprends davantage de tes ennemis que de tes amis ».

Par ailleurs, les techniques et les équipements de l’agriculture et de l’élevage se sont améliorés ainsi que la productivité des exploitations bien que la finalité reste la même. Cette évolution technique explique en partie la forte diminution du nombre d’exploitations agricoles à partir des années 70 avec le regroupement des terrains pour faciliter la mécanisation.

Toutefois, le graphique ci-dessous (source Insee) démontre clairement que la diminution des exploitations n’a cessé de continuer et s’est même accélérée : on constate ainsi une division par quatre entre 1970 et aujourd’hui !

Cette tendance s’applique également aux exploitations d’élevage porcins dont le nombre a baissé de 40% depuis 2010 (source Insee également).

Relève et transmission

La situation de la relève des nouvelles générations est très préoccupante pour Pierre car il y a beaucoup d’agriculteurs comme lui qui vont partir à la retraite prochainement et il ne voit pas suffisamment de jeunes prêts à prendre le relais. Il y a donc un risque pour les exploitants aspirant à une retraite bien méritée de brader leurs terres et leurs bâtiments à n’importe qui en raison de cette crise de la vocation.

Etant donné le nombre insuffisant de jeunes motivés pour s’installer en milieu rural pour faire cette activité, ce phénomène est pour le moment compensé par l’agrandissement des propriétés dont la superficie moyenne est passée de 30 hectares aux débuts des années 80 à environ 66 hectares actuellement.

Même si le schéma classique d’une exploitation agricole demeure la cellule familiale, beaucoup de fermes passent en société ou sous de nouvelles formes de regroupement pour faciliter l’intégration des jeunes car ces organisations nécessitent moins d’investissements au départ et permettent d’avoir davantage de temps libre.

En ce qui concerne Pierre et Sophie, le retour de Guy à la ferme permet d’envisager des possibilités de transmission d’au moins une partie de leurs activités. En prévision de leur retraite, ils ont acheté une maison à retaper dans le centre-ville de la commune à proximité de la ferme afin de rester à proximité pour accompagner Guy dans cette transition qui reste à définir.

Regrets et satisfactions

Parmi les regrets, Pierre et Sophie ne sont jamais parvenus à être secondés efficacement et durablement dans leur activité : beaucoup d’ouvriers agricoles ou équivalents ont abandonné rapidement en leur laissant peu de temps pour se réorganiser.

Mon oncle constate également avec regret une évolution négative de la perception de son métier par la société avec un manque de reconnaissance et la montée du militantisme.

Les principales satisfactions procurées par l’activité de mon oncle sont de vivre avec le sentiment d’être libre en acceptant les contraintes qu’il s’est fixé. Pierre apprécie d’être autonome pour organiser et accomplir son travail tel qu’il le souhaite en sachant que cette liberté est immanquablement liée à la responsabilité de produire des revenus suffisants malgré les contraintes extérieures et les aléas de cette activité.

Pierre éprouve également la fierté d’avoir accumulé des connaissances, d’avoir construit des bâtiments et d’entretenir la beauté du paysage champêtre tout en produisant une alimentation de qualité pour la société. Il a également pris plaisir à pratiquer ce métier qui entretient physiquement tout en aérant l’esprit et il apprécie la compagnie des animaux.

Sur le plan personnel, mon oncle a le plaisir d’avoir suivi son idéal de fonder une famille avec Sophie.

Désormais, à l’heure du bilan, Pierre et Sophie reconnaissent leur immense chance d’avoir vécu en bonne santé malgré qu’ils se soient mis souvent en danger, c’est à ce prix qu’ils goûtent aujourd’hui le sentiment d’avoir réussi leur vie.

Conclusion : s’informer pour consommer en pleines conscience et responsabilité

Désormais, l’agriculture et l’élevage sont quasiment les seuls métiers ancestraux qui demeurent visibles dans notre pays afin de savoir comment sont produits les aliments que nous mangeons. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité écrire cette série d’articles tout comme je l’avais fait auparavant pour les vendanges en Bourgogne et la pêche aux huîtres en Bretagne.  

Par ailleurs, je constate à travers la multiplication de procès ou de plaintes que notre société tolère de moins en moins le bruit, les odeurs et la pollution générés par certaines activités de productions qui sont pourtant vitales pour notre société.

Alors, délocalisez-moi tout cela, que ce soit fabriqué à l’abri de mes sens pour soulager ma conscience, qu’on importe les produits fabriqués avec des méthodes que je ne pourrais cautionner mais qui profitent à mon porte-monnaie ! Cachez moi ce sang que je ne saurais voir, le sang des bêtes et la sueur des éleveurs qui permettent de remplir nos assiettes.

On pourrait extrapoler ce raisonnement à d’autres sujets de société tels que les déchets dont je ne saurais me passer de produire sans pour autant accepter la proximité d’installations qui les valorisent tout comme cette centrale que je ne saurais tolérer dans mon champ visuel sans pour autant refuser l’énergie qu’elle m’apporte : quelles tartufferies !

Mon immersion dans l’agriculture et l’élevage de porcs m’a permis de mieux connaître ces métiers utiles et concrets ainsi que les personnes qui les font bien que je concède ne pas être motivé ni apte à endosser la responsabilité d’une exploitation agricole. Néanmoins, je serais très honoré d’apprendre que ces articles suscitent des vocations ou, plus modestement, incitent d’autres personnes à participer aux travaux d’une ferme, le temps d’un court séjour, pour se reconnecter avec le monde de la production de notre alimentation, de confronter ses perceptions avec la réalité et de partager ses idées.

Cette expérience m’a permis également de prendre conscience que ce n’est pas neutre de manger de la viande, il faut respecter l’animal tué en ne gâchant pas la nourriture et en limitant les excès.

Enfin, je souhaite rendre à nouveau hommage aux femmes et aux hommes de l’agriculture et de l’élevage dont l’exercice exigeant de leurs nobles métiers permet de nourrir nos sociétés.

Je tiens à remercier mon oncle Pierre, sa femme Sophie, leur fils aîné Guy et toute leur famille pour leur accueil et leurs explications, merci Pierre pour ta pédagogie bienveillante et pour ta relecture attentive de ces articles !

Chères lectrices, chers lecteurs, si vous souhaitez avoir une vision plus globale de l’élevage porcin et de l’agriculture en général, je prépare un article d’après ma lecture attentive des « Petits précis de mondialisation » d’Erik Orsenna qui traite de ces sujets aux niveaux national et international avec une grande érudition tout en restant très accessible. A suivre dans le prochain article !

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Activités annexes

Comme nous avons pu le voir dans les précédents articles, l’activité de mon oncle ne se borne pas uniquement à l’élevage de cochons car il y a beaucoup d’autres activités annexes qui sont nécessaires. Nous allons les voir dans le détail dans ce nouvel article

Cultures

La ferme de Pierre et Sophie dispose d’une vingtaine d’hectares cultivés avec de l’orge et du triticale (hybride de blé et de seigle), du maïs et des petits pois qui serviront à une partie de l’alimentation des cochons (environ 20% du maïs de leur alimentation est issu de la ferme).

Semer

Tout d’abord, avant de semer chaque année, il faut au préalable retirer les pierres qui remontent à la surface des champs. C’est un travail éreintant qui se fait bien souvent à la main et qui représente une quantité importante de pierres comme je le constatai avec effarement lorsque Pierre m’emmena au bout d’un champ devant un immense terril de pierres accumulées en à peine trois années de labeur. Le travail d’agriculteur est un éternel recommencement mais, contrairement à Sisyphe, il y a une réelle finalité utile à tous leurs efforts qui ne sont pas faits en vain.

Le lisier des porcheries stocké dans une fosse est épandu dans les champs pour fertiliser les sols suivant un plan d’épandage du lisier précis et validé par les autorités dans le but d’éviter les pollutions des nappes phréatiques notamment. Il est donc utile, voir même nécessaire, d’avoir des champs de cultures à proximité d’un élevage de cochons pour pouvoir facilement valoriser le lisier.

Ainsi, d’après le site leporc.com (lien) : « Près d’un tiers des éleveurs français cultivent leurs céréales et/ou oléo-protéagineux (colza, pois, tournesol, soja, etc.) et fabriquent à la ferme tout ou partie de la nourriture de leurs animaux. »

La moisson : « travail de nuit, travail pourri »

Lorsque j’étais à la ferme pendant le mois de juillet 2017, j’ai pu accompagner Guy dans l’antique moissonneuse batteuse familiale pour participer à la moisson d’un champ de triticale.

Mon cousin m’expliqua le fonctionnement du véhicule qui est similaire à une voiture avec une pédale d’accélérateur, un boîtier de vitesses et un système de freinage. En complément, plusieurs leviers de commandes permettent d’enclencher la coupe des tiges ou d’ajuster la hauteur de la coupe, comme pour une tondeuse. Un autre règle le niveau des « rabatteurs » qui sont des sortes de peignes fixés sur un cylindre élevé au-dessus des épis pour les tasser et les diriger vers l’auget de la coupe de la moissonneuse dont la partie inférieure est armée de ciseaux pour couper les tiges de blés.  

Les tiges de triticale avec leurs épis rabattus dans l’auget sont ensuite dirigées vers le centre de la moissonneuse par une grosse vis sans fin d’où ils seront ensuite convoyés à l’arrière de la moissonneuse en étant battus par des fléaux pour décortiquer les graines sur une table dite de préparation où ils ventilés pour les séparer des impuretés.

Pierre venait nous rejoindre régulièrement dans le champ avec une benne tirée par un tracteur pour transférer, par le biais d’une vis de vidange, les grains stockés dans la trémie. Le but étant de faire ce transfert tout en moissonnant afin de ne pas perdre de temps et il est important de bien anticiper quand la trémie de la moissonneuse est pleine car sinon il faut s’arrêter et vider au risque de perdre le surplus de grains.

La conduite de la moissonneuse batteuse est technique car il faut jongler entre les différents leviers à bord d’une grosse machine puissante sur un terrain pentu et accidenté, j’observais attentivement les gestes précis de Guy qui était à l’aise dans ces manœuvres, ayant participé aux travaux de ferme depuis tout jeune.

Il faut également bien pivoter l’engin au bout du champ afin de le replacer au bon endroit pour récolter un maximum d’épis et limiter ainsi le nombre de rotations tout en restant vigilant à ne pas laisser d’épis dans le champ. Au bout d’un certain temps, Guy me laissa essayer le pilotage de la moissonneuse en me donnant des conseils.

La moisson avec Guy en été 2017

En fin de journée, j’indiquais à Pierre que nous n’avions pas pu terminer de moissonner la surface prévue et celui-ci s’en étonna. Guy était déjà parti, je me proposai alors de terminer seul, enhardi par ma maigre expérience mais motivé pour aider et prouver ma valeur à mon oncle.

Aussitôt, je redémarrai la moissonneuse et je rejoignis le champ mais je me rendis rapidement compte qu’il y avait certains éléments qui m’échappaient alors que mon cousin aîné savait comment s’adapter à la configuration du terrain.

Ainsi, la coupe s’avérait trop basse ou trop haute, les rabatteurs trop proches, la vitesse trop importante pour permettre de couper tous les épis… Soudain, la broyeuse commença à montrer des signes de faiblesse, le moteur ralentit et la machine ne semblait plus pouvoir absorber tous les épis. J’arrêtai donc le moteur et descendis de la cabine.

De nombreux épis étaient bloqués, j’essayai en vain de les retirer à la main mais ils étaient coincés et le jour commençait à décliner. Mon oncle, alerté par l’arrêt de l’engin, me rejoignit pour me dire d’arrêter car je pouvais me blesser avec les objets coupants et, surtout, si la machine venait à redémarrer bien que le moteur fût coupé, cette situation pourrait se terminer par un drame.

Pierre parvint rapidement à dégager les épis à l’aide des rabatteurs puis il enclencha la coupe en redémarrant le moteur et nous rentrâmes en silence ; je me sentais penaud de mon excès de confiance mais mon oncle ne me fit aucuns reproches. A l’heure de l’apéritif, il me raconta alors une triste anecdote pour illustrer son expression « travail de nuit, travail pourrie ».

Pendant la période où il avait son activité dans le Poitou, un jeune agriculteur en pleine force de l’âge comme lui, marié et père de trois enfants, avait continué la moisson pendant la nuit afin de gagner du temps. Cependant, une roue de son tracteur creva et, lorsqu’il essaya de la remplacer en pleine obscurité avec un cric, on ne sait pour quelle raison, le véhicule bascula et vint écraser le pauvre agriculteur, laissant une femme veuve et trois enfants orphelins.

On pouvait ainsi voir ce drame comme une mise en garde lorsqu’on veut trop en faire : il est ainsi primordial pour un agriculteur de savoir se ménager car son corps est son principal outil de travail. Merci tonton, je m’en souviendrai.

A mon retour à la ferme en juillet 2025, la moisson est désormais effectuée par une entreprise de travaux agricole (ETA) qui fournit ce service à la demande avec son propre matériel et cette nouvelle organisation fonctionne plutôt bien.

Stockage des graines

Les graines de céréales collectées par la moisson sont conservées dans des silos abrités sous un hangar à proximité des bâtiments d’engraissement. Lorsque les silos sont vides, il faut les nettoyer avant de les remplir et, croyez-moi, ce n’est pas une partie de plaisir.

En effet, il faut se courber à travers une ouverture étroite pour rentrer dans le silo dont l’intérieur est obscure et la partie basse en pente. Il faut alors gratter les parois à l’aide d’une truelle afin d’enlever les graines agglomérées qui forment des sortent de mottes de terres sèches.

Puis on remplit à la pelle des sacs qui finissent par peser lourd et que l’on extrait péniblement du silo pour les charger dans la remorque d’un petit tracteur afin d’aller le répandre dans les champs comme engrais.

Pierre gratte dans un silo les restes de graines de céréales agglomérées que son fils Emile, le benjamin de la famille, va répandre dans un champ

Potager

Pierre et Sophie ont un potager dans leur ferme qui leur permet de couvrir une grande partie de leur alimentation en complément de la viande de leurs élevages ; ils donnent ensuite les surplus à leurs proches lorsqu’ils leur rendent une visite.

Cette activité de culture et d’entretien de leur potager est pleinement intégrée à l’exploitation de leur ferme, ainsi Sophie s’en occupe beaucoup et Pierre ou Guy lui donne un coup de main quand c’est nécessaire.

L’entretien du potager par Sophie

Lors de l’été 2025, nous avons arrachés des plans de petits pois arrivés à maturation puis nous avons retiré les gousses en les stockant dans un sceau. Ensuite, nous les avons écossées à table dans la cuisine tout en discutant. Le volume résultant de cette opération semble minuscule en comparaison de la taille initiale des plans arrachés mais, rien n’était gâchait, le reste des tiges et végétaux étant donnés aux lapins qui en raffolent.

Nous récoltâmes également un grand sceau de pommes de terre qui accompagnèrent nos plats de viandes sous différentes formes. Pour cela, il fallut creuser avec prudence pour les déterrer sans les abîmer, tel un précieux trésor. La récolte fut bonne, les pommes de terre étaient nombreuses et de toutes tailles.

La récolte des petits pois et des pommes de terre

Sophie nous servait également aux repas des courgettes ainsi que des tomates de la ferme dont les plans sont cultivés dans une mini serre. A l’apéritif, nous goûtions le pommeau du gendre en Bretagne, au dessert, nous nous régalions de succulentes framboises du potager ou de miel issu des ruches de leur fils Guillaume, maçon tailleur de pierres de profession et apiculteur amateur, qui parvient à capter des essaims naturels d’abeilles.

C’est l’un des bons côtés de la vie à la campagne et en particulier à la ferme : savourer de bons aliments du terroir produits localement par ses soins ou par ses proches.

Autres élevages d’animaux

En plus des cochons, il y a plein d’autres animaux à la ferme de Pierre et Sophie.

Ainsi, une vingtaine de lapins et de poules sont nourris dans des cases protégées à l’intérieur d’un ancien hangar. Il y a également neuf moutons, sept vaches et cinq chevaux qui paissent paisiblement dans de grandes prairies tout autour de la ferme.

Ces petits troupeaux en plein air servent à valoriser sans trop d’efforts quotidiens les surfaces de champs disponibles qui sont également nécessaires pour l’épandage du lisier. C’est aussi une source de plaisir pour Pierre d’avoir de la diversité dans ses élevages en entretenant ses souvenirs nostalgiques de l’époque où ils élevaient des moutons avec Sophie dans le Poitou.

Pierre monte parfois l’un de ses chevaux pour se promener autour de sa propriété. Il arrive parfois que des chevaux s’échappent de leur enclos, dans ce cas il faut solliciter les membres de la famille et les amis qui vivent à proximité pour organiser les recherches dans les bois environnants puis les ramener à bon port.

C’est pourquoi il est important d’entretenir régulièrement la clôture de ces prairies et ce n’est pas une mince affaire, comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Elevages de quelques moutons et chevaux

Entretien et réparations : l’art et la nécessité de la débrouille

L’activité d’agriculteur éleveur nécessite d’être polyvalent et débrouillard pour faire tous types de réparations en urgence afin de maintenir le bon fonctionnement de la ferme et la santé des animaux dans un secteur où il y a peu de marges.

Ainsi, je découvrirai que le métier d’agriculteur c’est aussi d’être vétérinaire, plombier, électricien, mécanicien ou maçon afin de limiter les frais. En effet, bien souvent Pierre n’a pas l’argent ni le temps d’attendre l’intervention d’un spécialiste donc c’est à lui de se débrouiller avec les moyens du bord, éventuellement avec l’aide de la famille ou des voisins suivant les compétences de chacun.

Entretien

L’entretien des machines et des bâtiments peut se planifier dans la journée lorsqu’il y a des temps morts, il faut par exemple nettoyer régulièrement au karcher les cases vidées avant de les réutiliser pour d’autres cochons afin de maintenir une bonne hygiène et limiter les risques de maladie.

Pierre est également soucieux de l’entretien et de la bonne utilisation de ses machines afin de les conserver le plus longtemps possible pour limiter ses emprunts : par exemples, sa moissonneuse batteuse et son tracteur ont quasiment quarante ans d’utilisation.

Le terrain nécessite également un entretien régulier sinon il part en friche car tous ces paysages champêtres et bucoliques qui nous émerveillent et nous semblent naturels sont en réalité bien souvent le résultat du travail de l’agriculteur.

Ainsi, lors de ma présence sur la ferme en juillet 2025, il fallut installer une portion de clôture pour la prairie des vaches. On commença avec Pierre et Guy par enfoncer une barre à mine dans la terre afin de créer des trous suffisamment larges pour y enfoncer solidement des poteaux en bois à l’aide d’une lourde masse. Nous répétâmes ces gestes à intervalle régulier sur une centaine de mètres.

Au début, nous étions dans une zone à l’ombre des arbres et la terre était molle donc le travail était endurable bien que physique mais, lorsque nous arrivâmes au milieu du champ en plein cagnard et sur une terre sèche, alors ce fut une autre paire de manche.

Nous fûmes rapidement essoufflés par l’effort intense qu’il fallait produire à tour de rôle sous une chaleur accablante. Un esprit de solidarité se forma alors entre nous dans lequel chacun voulu fournir le maximum d’efforts pour avancer dans la tâche collective et soulager ses camarades ; il y avait sans doute aussi une pointe de fierté masculine à montrer sa force physique et mentale.

La peau sensible de mes mains plus habituées à pianoter sur le clavier d’un ordinateur qu’à manipuler une barre à mine fut rapidement recouverte d’ampoules mais je ne voulais pas abandonner mon oncle et mon cousin à cette tâche ingrate donc je serrai les dents en comptant le nombre de pieux restant à planter. On se croirait au bagne !

Ensuite, nous installâmes quatre rangés de fils barbelés qu’il fallut tendre puis fixer aux poteaux avec des demi anneaux métalliques appelés cavaliers que nous plantions dans les poteaux à l’aide d’un marteau. Je ne restai pas suffisamment longtemps à la ferme pour voir de mes yeux la finalité de notre travail éreintant mais j’eu la satisfaction d’apprendre plus tard par mon oncle que cette nouvelle clôture avait permis de faire passer les vaches dans un autre champ.

Réparations

Voici un exemple de réparation d’un équipement lorsque j’étais présent à la ferme en 2017 : un tuyau du système d’alimentation de la nourriture des cochons s’était bouché, il fallut donc intervenir rapidement. Après un temps de recherche, mon oncle trouva la portion de canalisation encombrée située en hauteur. Il installa un échafaudage sommaire pour se hisser au niveau du tuyau puis il perça une ouverture afin de retirer la mélasse de nourriture qui s’était solidifiée et avait fragilisé le système de vis infini servant à acheminer la nourriture.

Après avoir retiré la nourriture et réparer la vis, mon oncle dû ensuite resouder le tuyau avec mon aide, je me retrouvai ainsi debout en équilibre précaire sur un échafaudage instable en train de maintenir le tuyau tandis que mon oncle utilisait un poste à souder faisant jaillir des étincelles et tout cela sans aucunes protections : tout va bien Maman, tonton Pierre est précis dans ses gestes !

Cela n’est qu’un exemple, il est arrivé maintes fois que le système d’alimentation tombe en panne en pleine nuit ou pendant l’un des rares week-ends prolongés que s’octroyaient Pierre et Sophie dans l’année. Il fallait alors sauter du lit ou quitter précipitamment une réunion de famille à l’autre bout de la France pour rejoindre la ferme et aller nourrir les cochons avec des sceaux, le temps de faire la réparation.

Car c’est aussi ça le quotidien d’un agriculteur éleveur, il n’y a jamais vraiment de période calme permettant de partir longtemps ; mon oncle est libre d’organiser son activité à sa manière mais il est en contrepartie le seul responsable du bon fonctionnement de sa ferme afin de garantir des revenus suffisants pour sa famille.

Aléas climatiques

La culture étant une activité extérieure, elle est donc soumise aux risques des aléas climatiques. Dans le premier article de cette série, nous avons vu les graves conséquences pour la ferme de Pierre et Sophie de la terrible tempête de 1999 ; il y eut également des pluies diluviennes en 2020 qui générèrent d’impressionnantes coulées de boues se déversant sur la ferme depuis les hauteurs des champs de culture.

Une grande partie des hangars, des champs et de la route d’accès à la ferme fut recouverte de cette mélasse immonde que Pierre dut dégager par ses propres moyens à la pelleteuse et à la pelle avec le soutien de ses fils. Deux semaines plus tard, une forte averse entrainait de nouvelles coulées de boue et il fallut tout recommencer, c’est à vous démoraliser tel un supplice de la mythologie grecque .

Afin de limiter le risque que ces catastrophes naturelles ne se reproduisent, mon oncle a arrêté de cultiver les champs en pente sur les hauteurs de sa ferme (ceux que nous avions moissonné à l’été 2017). L’herbe qui pousse permet de lutter contre l’érosion des sols tout en servant de pâturage pour les élevages en plein air.

La part de l’administratif

Lorsque j’accompagnais Pierre, Guy et Sophie dans leurs activités à la ferme, j’ai constaté qu’ils recevaient régulièrement la visite de représentants de différentes entités telles que le contrôle vétérinaire, des commerciaux d’entreprises du secteur agricole ou des représentants de coopératives pour vendre des machines, des farines de céréales…

Un après-midi, nous avons établi avec Pierre et Sophie la liste ci-dessous de tous les organismes avec qui ils interagissent pour leur activité d’élevage et d’agriculture. Toutes ces tâches administratives représentent en moyenne cinq heures par semaine soit environ dix pour cents du temps de travail de mon oncle, sans compter les déplacements.

OrganismeAction / fonctionFréquence
Chambre d’agriculture (Etat français)Accompagnement par un conseiller agricole pour remplir la déclaration de demande des aides APACAnnuelle
Formation d’une journée pour l’utilisation de produits phytosanitairesTous les 5 ans
CERFRANCE (conseil et expertise fiscale)Comptabilité : revue des factures, élaboration et transmission du résultat aux impôtsTrimestrielle
Coopérative agricole agricultureStage sur la biosécurité (pollutions, virus) et sur le bien-être animal (2 jours)Une fois
 Commandes de céréales animales, engrais…Régulièrement
Assemblée généraleAnnuelle
Coopérative agricole pour l’élevage porcinVisites sur site (échographie des truies en gestation, vérification du respect des normes pour la conformité avec le Label Rouge), expertise technique pour la construction de nouvelles installationsPonctuelle
Commandes de porcelets, enlèvements de cochons engraissés pour l’abattoirRégulièrement
Assemblée généraleAnnuelle
Crédit agricole (banque)Assemblée générale avec la caisse localeAnnuelle
Contrôle vétérinaire de la Direction Départemental de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations, DDCSPP (Etat français)Déclarations obligatoires à la naissance des animaux élevés en plein air (carte d’identité), prises de sang et vaccination pour tous les animaux de la ferme pour empêcher la propagation des maladies, vérification de l’armoire à pharmacie, du carnet de vaccination et des traitements antibiotiques, contrôle des animaux (santé et bien-être), autorisation pour une nouvelle exploitation (études d’impact)Un contrôle sur site tous les cinq ans et réunions de suivi dans les bureaux à Limoges
MairieGestion de plaintes avec les riverains (bruits, odeurs…)Ponctuel
PAC (Union Européenne)Contrôles inopinés par satellite ou même par hélicoptère pour vérifier la véracité des surfaces des cultures, l’emplacement des haies, des points d’eaux et même des arbres remarquables présents dans la ferme.
Pierre m’a montré les images satellites de la PAC pour référencer toutes ces informations, le niveau de précisions est impressionnant !
Il n’y a pas eu de contrôle sur site jusqu’à présent
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Toutes les étapes de l’élevage porcin

Les porcs charcutiers passent environ six mois à la ferme de Pierre et Sophie depuis leur naissance jusqu’à leur engraissement : trois semaines en maternité avec leur mère puis deux mois en post-sevrage et ensuite trois mois à l’engraissement.

Toutes les quatre semaines s’opère un cycle de rotations parmi l’ensemble des étapes de l’élevage porcin : les porcs ayant atteints la limite d’engraissement sont envoyés à l’abattoir, leur case vide permet d’accueillir des cochons ayant terminé le post-sevrage, laissant ainsi leur place pour des porcelets sortant de la maternité dont l’espace rendu disponible sera utilisé pour des truies sur le point de mettre bas tandis que les truies quittant la maternité seront à nouveau fécondées.

Nous allons voir à présent dans le détail chacune de ces étapes de l’élevage porcin.

Fécondation sélective

Auparavant, les truies de la ferme étaient fécondées naturellement par le mâle appelé le verrat.

Désormais, Pierre et Guy utilise les services de sociétés spécialisées en sélection génétique et en production de jeunes truies qui n’ont pas été fécondées, elles sont appelées « cochettes ».

Les sociétés dites « sélectionneurs » pratiquent des croisements des meilleures races de truies en termes de prolificité (nombre important de porcelets par portée avec une faible mortalité, qualités maternelles…).

Ensuite, ces cochettes sélectionnées génétiquement sont remises à des sociétés dites « multiplicateurs » qui produisent ces truies en grand nombre afin de les vendre à des éleveurs.

Pierre et Guy se procurent également auprès de centres d’insémination des semences de verrats issues de races sélectionnées pour la qualité de leur viande.

Gestation et maternité

Les étapes de gestation et de maternité se passe dans un ancien bâtiment dont l’intérieur a été réaménagé en janvier 2025 afin d’améliorer la qualité de vie des animaux en ligne avec les normes actuelles.

Ainsi, les huit cases abritant les truies en gestation ont été agrandies et celles-ci sont au maximum de sept dans chaque case afin de garantir un espace suffisant pour chacune, notamment dans l’auge commune afin qu’elles puissent toutes s’alimenter en même temps.

Auparavant, les truies en gestation étaient séparées mais il est recommandé pour leur bien être qu’elles soient plusieurs dans un même enclos donc c’est le cas désormais même si cela rend plus difficile la gestion d’une alimentation spécifique pour chacune des truies en fonction de leur état de santé.

Un verrat est utilisé uniquement pour repérer les truies qui ne sont pas pleines et la coopérative agricole intervient également pour faire des échographies des truies dans le même but.

Les truies nourrices donnent naissance à environ 2000 porcelets par an avec des portée de 14 porcelets dont environ 13 arrivent à maturité. Il y a actuellement 12 cases individuelles de mise-bas pour les truies en maternité. En moyenne, une truie fait deux portées par an puis, après 7 à 8 portées, elle est envoyée à l’abattoir.

Les conditions d’élevages à la maternité peuvent troubler la sensibilité de nouveaux visiteurs car les truies qui allaitent leurs petits sont entourées de barrières métalliques qui leur permettent seulement de se lever ou de se coucher sans pouvoir se retourner. Ce système a pour but de limiter le risque d’écrasement des porcelets par leur mère mais cela ne doit pas être agréable pour ces truies de rester trois semaines dans cette position.

Pour leur part, les porcelets peuvent circuler dans tout l’enclos, ils ont également accès à un abreuvoir tout comme leur mère. Lors des travaux de rénovation en janvier 2025, les enclos ont été agrandis et la fosse à lisier située sous les dalles en caillebotis a été creusée plus profonde afin d’assurer une meilleure circulation de l’air frais. Il y a également un système de chauffage pour les porcelets qui a été installé.

Lorsque j’étais présent sur la ferme à l’été 2017, j’avais assisté à une séance de coupe au sécateur des deux canines des porcelets puis de leur queue en tir bouchon afin d’éviter qu’ils se mordent entre eux et provoquent des infections. Nous avions également marqué chaque oreille des porcelets à l’aide d’une pince à tatouer mais, heureusement, ces petits êtres ne semblaient pas sensibles dans ces parties de leurs corps et ils retournaient ensuite vite aux côtés de leur maman. J’ai quand même eu du mal à m’y faire surtout parce qu’il y avait beaucoup de porcelets, c’était presque du travail à la chaîne.

Désormais, ces pratiques ont évolué : les canines des porcelets ne sont plus coupées à la naissance mais pendant l’engraissement, il reste à couper la queue pour éviter qu’ils se la mordillent. Les porcelets sont également castrés pour assurer un bon goût à la viande en observant les bonnes pratiques anti-souffrances prescrites par la loi sur le bien-être animal dans les élevages.

Post-sevrage et engraissement

Les activités de post-sevrage et d’engraissement sont situées dans les deux bâtiments les plus modernes de la ferme avec un total de trois salles pour le post-sevrage divisées en seize enclos et de douze salles d’engraissement divisées en vingt-quatre enclos à engraissement. Chaque bâtiment dispose d’un couloir pour accéder à chacune des salles.

Les enclos sont séparés par des cloisons en PVC à hauteur des cochons et le sol est recouvert de dalles en caillebotis (en plastique pour le post-sevrage et en béton pour l’engraissement) avec des ouvertures pour évacuer le lisier dans une fosse dont le contenu sera ensuite répandu dans les champs environnants suivant un plan d’épandage validé par les autorités.

Les salles sont toutes équipées de lumières et de ventilateurs ainsi que de fenêtres aux murs et chaque enclos dispose d’une mangeoire qui est alimentée manuellement pour le post-sevrage et automatiquement pour l’engraissement.

Un poste de contrôle permet de vérifier la température et la ventilation dans chaque salle qui varie en fonction de la température et il y a une boîte de régulation pour faire évoluer progressivement la température pour le confort des animaux.

Les bâtiments sont entourés d’une barrière de bio confinement afin d’empêcher les animaux sauvages de s’approcher car ils représentent un risque de propagation de maladies mortelles.

Les porcelets issus de la maternité restent deux mois dans un des enclos de post-sevrage en se nourrissant dans une mangeoire remplie manuellement par Guy avec une farine réalisée sur place, un abreuvoir séparé est également à leur disposition.

Dans les salles à engraissement, une mangeoire est placée au milieu de chaque enclos pour servir la soupe (un mélange d’eau et de farines constituée de céréales) de manière automatique par un système de commande piloté par Pierre et Guy et acheminée à travers un système de tuyauterie avec une vis sans fin. L’eau est également servie dans cette même mangeoire.

Salle de post-sevrage sur la photo de gauche et salle d’engraissement avec Guy sur la photo de droite

Alimentation et santé

Tous les jours, Guy se rend matin et soir au bâtiment gestation-maternité pour donner à manger aux truies et aux porcelets. Lorsque les truies en gestation se lèvent pour aller à l’auge, mon cousin en profite pour nettoyer les cases et observer ses bêtes afin de vérifier si elles ne sont pas malades ou blessées. Il regarde notamment les excréments car certaines peuvent avoir la diarrhée et, si c’est le cas, il les isole pour les mettre à la diète alimentaire en leur administrant seulement de l’eau additionnée d’un anti infectieux digestif.

Guy distribue chaque jour manuellement la nourriture pour les truies en gestation en adaptant la quantité en fonction de l’ancienneté des truies puis il distribue des granulés pour faciliter la lactation des truies en maternité.

Pour les porcelets en maternité, mon cousin leur donne du lait de vache avec de la poudre d’orge pendant huit jours et ensuite il les alimente avec des granulés à base de lait en complément de celui de leur mère.

Tous les porcelets sont systématiquement vaccinés contre la terrible maladie de l’amaigrissement du porcelet (MAP) qui est une maladie virale présente dans un grand nombre de porcherie en France.

Le post-sevrage représente pour les porcelets le passage d’une alimentation lactée principalement liquide à une alimentation principalement solide. Ils sont nourris avec une farine fabriquée à la ferme par Guy avec du maïs, du triticale, de l’orge, du soja et des minéraux présents dans les végétaux. Cette farine est ensuite mélangée avec du petit lait et des granulés. Mon cousin donne éventuellement aux porcelets des médicaments pour protéger leurs poumons et leurs intestins quand c’est nécessaire.

Grâce aux surfaces agricoles de la ferme, environ un cinquième du maïs utilisé pour l’alimentation des cochons à l’engraissement est produit sur place, il est moissonné à l’automne puis stocké dans un silo pour le maïs humide avec un immense sac étanche.

Le maïs est broyé avec de la farine céréale, des vitamines et des minéraux qui sont achetés à une coopérative (environ 80% du mélange) et le tout est stocké dans des silos à la ferme. Puis, de l’eau y est ajoutée pour produire une soupe qui est distribuée par un système de tuyauterie où la soupe est poussée par une pompe (jusqu’à 1000 litres par fabrication).

Un système de commandes automatique permet de planifier l’heure des repas à une fréquence de quatre fois par jour en dosant les quantités pour chaque case en fonction du nombre de cochons et de leur âge.

Il y a également de l’eau potable issue d’une source qui est distribuée généralement après les repas et particulièrement le soir en période de fortes chaleurs. En moyenne, chaque porc consomme entre quinze et vingt litres d’eau par jour, ce qui n’est pas étonnant sachant que les cochons atteignent jusqu’à 130 kilos en fin d’engraissement.

Pierre et Guy font des rondes régulièrement dans les salles à engraissement pour s’assurer de la bonne santé de leurs cochons. Les bêtes malades ou blessés sont isolées dans une case spéciale pour suivre un traitement approprié.

Abattoir

Lors de ma présence à la ferme en juillet 2025, il fallut livrer à un abattoir une dizaine de cochons charcutiers suite à des commandes de bouchers locaux. L’abattoir est situé à Ussel, à environ 1h15 de route. Auparavant, mon oncle pouvait livrer à l’abattoir de Limoges pour un temps de trajet deux fois inférieur mais, pour des raisons de rationalisations économiques, celui-ci s’est désormais spécialisé uniquement sur les bovins.

La majorité des cochons de l’exploitation de mon oncle est prise en charge directement à la ferme par une coopérative pour les emmener aux grands abattoirs spécialisés qui alimentent le marché national. Pierre maintient tout de même un circuit court avec des bouchers locaux afin d’avoir des marges plus importantes ; c’est également un motif de fierté pour mon oncle de conserver la confiance de bouchers indépendants et exigeants sur la qualité qui lui fournissent un retour plus précis sur l’appréciation de son produit par leurs clients.

Ainsi, on se leva avec Pierre à trois heures du matin comme le fait mon oncle quasiment une fois par semaine depuis qu’il est éleveur de porcs. En se retrouvant à la cuisine pour prendre un café, Pierre était stressé car la pompe d’alimentation en eau potable des cochons ne fonctionnait plus. Etant donné la consommation importante en eau de l’élevage, les enjeux étaient élevés donc il fallait rapidement trouver une solution, comme cela arrive bien souvent dans son activité d’éleveur indépendant.

Peut-être la source alimentant la ferme était tarie en cette période de sécheresse ? Pour pallier à l’urgence, mon oncle décida de se brancher sur le réseau alternatif de l’eau de ville avant de chercher l’origine du problème à son retour.

Nous entrâmes par une nuit obscure dans un des bâtiments à engraissement puis nous pénétrâmes dans une salle pour ouvrir la porte d’un enclos où se trouvaient les cochons à emmener. Pierre les marqua sur le dos d’une couleur distincte en fonction de chaque boucher.

Les cochons étaient méfiants, ils se regroupaient et cherchaient à nous éviter mais nous parvînmes progressivement à isoler le groupe des cochons marqués à l’aide de planches et de bâtons en plastique puis nous les poussâmes dans la remorque. Certains criaient, se bousculaient puis ils se calmèrent lorsqu’ils trouvèrent chacun une place pour se coucher en se blottissant les uns contre les autres.

Pierre les arrosa d’eau pour les rafraichir en prévision du trajet puis nous partîmes alors que nos montres affichaient quatre heures. Quelques chevreuils au bord de la route s’enfuirent à la vue de nos phares tandis que nous discutions avec mon oncle puis, après plus d’une heure de trajet, nous arrivâmes à l’abattoir d’Ussel aux aurores.

On nous laissa entrer après avoir décliné notre identité et on se gara en marche arrière devant le quai de déchargement. Lorsque la remorque fut ouverte, il fallut pousser les cochons un peu sonnés à travers un long couloir d’où l’on pouvait entendre quelques cris d’animaux probablement conscients que leur mort approchait. Nous laissâmes les cochons dans un box puis nous partîmes après avoir signé un registre et lavé la remorque. Si vous êtes intéressés pour connaitre le fonctionnement d’un abattoir, vous pouvez lire ci-dessous le récit de ma visite de celui de Limoges en avril 2018 avant qu’il ne se spécialise uniquement dans l’abattage de bovins. Âmes sensibles s’abstenir !

Visite de l’abattoir de Limoges, avril 2018

Le bien-être des animaux et de leurs éleveurs

Chers lecteurs et lectrices, j’espère que la lecture de cet article vous aura instruit mais j’anticipe vos interrogations et vos émotions concernant le bien-être des animaux d’élevages dont le thème devient de plus en plus présent dans notre société. Il se peut même que ce récit suscite certaines réprobations ou indignations.

En effet, les cochons sont cloitrés pendant des mois dans des bâtiments et n’en sortent seulement quelques instants pour humer l’air frais et sentir sur leur peau la lumière du jour avant d’être emmenés à l’abattoir. Néanmoins, ils sont tout de même à l’abri des prédateurs et des intempéries qui peuvent être parfois dévastatrices comme la tempête de 1999 ou les canicules qui se succèdent désormais.

Les cochons sont également bien nourris et soignés mais je compatis avec le sort de ces bêtes sensibles et je reconnais qu’elles devraient, dans l’idéal, pouvoir sortir à l’extérieur de temps en temps pour humer les odeurs variées de l’extérieur, se rouler dans la boue, gratter le sol à la recherche de nourriture, se dorer au soleil avec leur progéniture, vivre leur vie animale.

J’évoque ce sujet avec Pierre, Sophie et Guy, ils me font remarquer tout d’abord que les nouvelles races de cochons sélectionnées par de nombreux croisements pour leur prolificité ou leur qualité de viande ne seraient probablement plus adaptées pour une vie en plein air.

De plus, comme nous avons pu le voir dans la présentation chronologique de leur activité, Pierre et Sophie ont commencé avec un élevage de cochons en plein air mais les dégâts engendrés par les aléas climatiques et la pression du contrôle vétérinaire pour appliquer de nouvelles directives sanitaires les ont poussés à rentrer les cochons dans des bâtiments.

A cela s’ajoute une logique économique car l’élevage en plein air représente beaucoup de travail physique pour aller récupérer les animaux dans les prés, leur donner à manger, réparer les clôtures et les cabanes. Il peut y avoir également une mortalité plus importante dans ce type d’élevage donc, quand les marges sont faibles comme dans ce secteur, la logique économique prime. Ou alors, il faudrait du personnel en plus et surtout un prix d’achat plus élevé et ce n’est pas facile à faire accepter quand la concurrence est féroce et le consommateur économe.

On constate ainsi que ce sont principalement des facteurs extérieurs qui ont poussés Pierre et Sophie à faire ce choix : prix de revient, normes sanitaires et aléas climatiques. Sans doute des consommateurs de viande comme moi, cadres citadins au niveau de vie aisé et sensibles au bien-être animal sans être en contact directs avec ceux-ci, seraient prêts à payer leur viande plus chère pour améliorer les conditions des animaux mais ce n’est clairement pas la tendance du marché global de l’agroalimentaire.

Peut-être que les éleveurs pourraient vendre davantage en direct afin de récupérer des marges mais cela demande du travail supplémentaire et puis il faut trouver sa clientèle qui est bien souvent davantage regardante sur le coût et la qualité de la viande que sur le mode de vie des animaux. Il faut également que cette demande soit régulière pour assurer un revenu stable.

Ce ne sont là que des pistes de réflexions personnelles et puis, quand je vois déjà Pierre, Sophie et Guy travailler durement toute l’année pour avoir tout juste de quoi vivre décemment avec leur famille, je me vois mal leur faire des leçons de morale du haut de ma tour d’ivoire. Il faut savoir de quoi l’on parle, mettre les pieds et les mains dans la fange à l’aurore du jour, voir tout le processus qui permet d’avoir des barquettes de côtes de porcs sous cellophane dans nos supermarchés climatisés ; c’est pourquoi j’ai voulu écrire cet article.

Ainsi, mon avis est que la priorité est avant tout le bien être de l’éleveur et de sa famille, ensuite des animaux dont l’amélioration de leurs conditions d’élevage devraient passer par une meilleure prise en compte du coût par le marché des consommateurs mais je me doute qu’il doit y avoir de multiples facteurs extérieurs sur lesquels il est difficile d’agir dans une économie mondiale interconnectée.

On pourrait également réduire notre consommation de viande tout en augmentant la qualité, ce serait à la fois bénéfique pour les animaux mais aussi pour la planète sans être trop au détriment de notre portefeuille et des éleveurs. A mon sens, ce n’est pas à l’éleveur de subir cette pression morale de la société qu’il nourrit en étant pointé du doigt (Pierre et Sophie ont reçu plusieurs lettres anonymes critiquant leur activité sans parler de messages parfois négatifs véhiculés dans certains médias). Ils se conforment à un marché de consommateurs en respectant les normes françaises et européennes alors que ce même marché de consommateurs peut s’approvisionner de marchandises produites en dehors de ce cadre réglementaire : quelle injustice ! C’est à rendre fous tous les petits producteurs locaux qui veulent vivre encore de l’agriculture familiale !

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Les exploitants et la ferme

L’appel de la campagne bocagère de l’ouest

Quand il découvrit le formidable attrait des travaux des champs lors de vacances d’été dans la ferme d’une tante, il se mit à imaginer de se lancer dans le métier de paysan et, après avoir passé des concours, mon oncle décida d’intégrer une école d’agriculture générale.

Mon oncle Pierre n’est pas issu d’une famille d’agriculteurs, son père était ingénieur des mines et sa mère s’occupait de leurs sept enfants dont Pierre était le cadet. Il a grandi avec sa famille dans le nord de la France puis en banlieue parisienne.

Pendant ses travaux d’été dans les champs lors des grandes vacances de l’année 1981, Pierre rencontra sa future femme, Sophie, fille d’agriculteur dans le Poitou et, lorsqu’elle tomba enceinte de mon oncle, ils officialisèrent leur amour d’été en se mariant. Leur union dure depuis 44 ans et elle a engendré 7 enfants puis 4 petits-fils.

Mon oncle dû trouver rapidement un travail afin de subvenir aux besoins de sa famille et il se retrouva dans le nord de la France en tant qu’analyste dans un centre de gestion agricole pour auditer et conseiller des exploitants agricoles. Cette nouvelle responsabilité familiale et ce travail de bureau alors qu’il avait à peine vingt-deux ans fut probablement la cause d’une maladie psychosomatique appelée « maladie de Crohn » qui conduisit à une opération chirurgicale d’urgence.

Cela fut un déclic pour mon oncle, il n’était pas fait pour passer ses journées dans un bureau, il avait besoin d’activités physiques en plein air donc il décida de suivre son instinct et son envie d’être au milieu des champs et des animaux à la campagne, malgré les réticences de ses parents qui craignaient pour sa situation financière.

Sa femme Sophie avait l’expérience de cette activité, elle avait suivi une formation avec l’objectif à terme de reprendre l’exploitation de son père donc ils décidèrent ensemble de reprendre la ferme du père de Sophie en janvier 1983 alors que Pierre avait seulement 23 ans et Sophie 21 ans.

Cette exploitation avait une superficie de 110 hectares de prairies pour un troupeau de 500 brebis avec leurs agneaux. Les terres étaient peu fertiles dans cette région sèche du Poitou, le père de Sophie avait notamment subi trois années consécutives de sécheresse au début des années soixante-dix qui générèrent un gouffre financier dont il ne réussit jamais à s’extraire alors qu’il avait déjà beaucoup investit dans sa ferme.

Ainsi, Pierre et Sophie durent régler des retards de loyer lorsqu’ils reprirent le bail locatif à l’aide de prêts bancaire, les propriétaires parisiens n’étant pas commodes. Avec le recul, Pierre et Sophie se disent que c’était une erreur de louer et qu’ils auraient mieux fait d’acheter une autre ferme mais ils étaient si jeunes et ils connaissaient si peu de personnes dans ce milieu.

Après cinq années d’élevage d’ovins, Pierre et Sophie décidèrent de faire des cultures sur une partie de leur terrain mais les étés souvent secs et chauds les entrainèrent dans une lutte incessante, de jour comme de nuit, pour trouver des points d’eau afin d’irriguer les champs puis de chercher et réparer les multiples fuites dans les canalisations.

Au passage de la trentaine en 1990 alors qu’ils avaient déjà cinq enfants, Sophie chercha une autre activité afin d’augmenter les revenus du ménage. L’Etat proposait à cette époque des formations accélérées aux femmes d’agriculteurs sur les métiers de l’agriculture afin de leur assurer une certaine forme d’indépendance en reconnaissant leur statut de collaboratrices. C’est ainsi que Sophie décida de se former à l’élevage de porcs en plein air.

Sophie commença son apprentissage avec une cinquantaine de cochons en plein air. Deux ans plus tard, constatant que l’élevage de porcins était plus rentable que l’élevage d’ovins, Pierre et Sophie décidèrent de remplacer leurs moutons par des cochons tout en conservant la culture du maïs pour nourrir les bêtes. Ce fut un choix avisé et leurs revenus progressèrent mais d’autres agriculteurs leur emboitèrent le pas et le marché fini par saturer en 1995 lorsque les prix d’achat de viande de cochons baissèrent.

Pierre et Sophie durent alors augmenter le nombre de cochons pour rester rentables, ils atteignirent jusqu’à 180 truies et 15 verrats pour les féconder. L’élevage en plein air engendrait de grandes difficultés car la production fluctuait en fonction des aléas climatiques qui impactaient la santé et la fertilité des cochons en raison d’importantes variations de température importantes ou de l’exposition au soleil.

Cette activité nécessitait également de grands efforts physiques pour refaire les clôtures et les cabanes tout en nourrissant les animaux au sceau. Toutes les semaines il fallait faire à la fois des saillies, des naissances et du sevrage pour optimiser l’espace, cela entrainait beaucoup de travail pour faire ces rotations.

A l’approche de la quarantaine au passage du nouveau millénaire, Pierre et Sophie souhaitèrent devenir propriétaires d’une ferme. Ils rêvaient de grands espaces au Canada telle une nouvelle terre promise. Ainsi, ils visitèrent plusieurs fermes mais elles étaient trop isolées et nécessitaient une mise de départ financière importante. De plus, l’éloignement géographique avec leurs grandes et belles familles les inquiétait sachant que leurs enfants n’étaient pas très enthousiastes donc le projet fut abandonné.

Finalement, ils trouvèrent une ferme dans la région du Limousin qui leur rappelait d’une certaine manière le Canada avec ses grands vallons boisés et ses nombreux lacs.

Cependant, Pierre et Sophie durent batailler pour obtenir l’autorisation d’exploiter cette ferme en passant plusieurs fois devant une commission composée de représentants du département, de la chambre d’agriculture et d’exploitants agricoles qui rend un avis au préfet pour tout projet d’achat, de location ou d’extension d’une exploitation agricole.

C’est alors que commença un rythme infernal pour Pierre et Sophie où l’un s’occupait des naissances de porcelets dans leur ferme d’origine du Poitou tandis que l’autre les engraissait dans le Limousin. Puis, ils alternaient les rôles en transportant les animaux d’une ferme à l’autre tout en s’occupant de leurs six enfants. Ils se voyaient à peine pour se transmettre les consignes.

Mon oncle et Sophie se rendirent rapidement compte que ce projet n’était pas tenable et ils décidèrent de rassembler toutes leurs activités dans leur nouvelle ferme limousine en installant des cabanes et des enclos en plein air pour les truies et leurs porcelets tandis que les cochons étaient engraissés dans des porcheries sous des bâtisses déjà présentes.

A peine un an plus tard, survint la terrible tempête de décembre 1999 qui secoua toute la France et particulièrement le Limousin. De nombreux arbres furent arrachés, les lignes téléphoniques et électriques furent coupées pendant plusieurs jours. A la ferme de Pierre et Sophie, le bilan fut désastreux : les enclos et les cabanes avaient été emportés par la tempête et les porcheries constituées d’une simple charpente en bois recouvertes de tôles étaient sévèrement abîmées.

Constatant la fragilité de leurs installations et par conséquent de leurs revenus face aux aléas climatiques, Pierre et Sophie décidèrent de faire construire de nouveaux bâtiments plus solides et modernes afin d’engraisser les cochons dans de bonnes conditions.

Cependant, ils durent patienter deux années supplémentaires avant d’obtenir l’autorisation de construction après avoir rempli de multiples dossiers et suivi quantité de procédures. Le premier bâtiment fut ouvert en 2002, il était relié à une installation moderne de livraison de nourriture aux cochons commandée automatiquement, ce qui soulagea leur travail.

Deux ans plus tard, un contrôleur vétérinaire dont le comportement hautain était digne d’un sinistre personnage de romans sociaux du XIXème siècle leur déconseilla fortement de continuer l’élevage de truies avec leurs porcelets en plein air car cette activité était alors considérée comme une source de pollution des sols et elle comportait un risque d’épidémies en cas de contact avec des animaux sauvages.

Par ailleurs, de nouvelles directives demandaient de déplacer régulièrement les animaux pour protéger les sols et de bien clôturer pour empêcher les intrusions de sangliers, ce qui entrainait une charge de travail et des coûts supplémentaires.

Ainsi, Pierre et Sophie arrêtèrent l’élevage des truies en plein air et achetèrent les porcelets à une coopérative puis ils demandèrent l’autorisation de construire un second bâtiment pour l’engraissement des porcs afin d’augmenter la production et, par conséquent, les rendements pour faciliter le remboursement des emprunts.

Cependant, en doublant leur cheptel porcin pour atteindre 900 cochons, Pierre et Sophie passèrent dans une catégorie supérieure avec davantage de normes et de contraintes à respecter concernant notamment la protection des espèces en danger et l’environnement (plan d’épandage du lisier).

Comme si ces contraintes réglementaires ne suffisaient pas, le contrôleur vétérinaire fit trainer le dossier sans raisons valables et en les traitant avec mépris. Ce manège dura cinq longues années jusqu’à ce que, par un heureux hasard, Sophie fasse la rencontre de sa supérieure dans un cadre privé.

Sophie lui expliqua la situation et son désarroi, la supérieure scandalisée lui promit d’agir et, une semaine plus tard, l’autorisation leur était donnée sachant que cette décision était d’autant plus justifiée qu’à cette époque il y avait de moins en moins d’élevages de porcs dans la région. Ainsi, le deuxième bâtiment d’engraissement fut construit en 2010 alors que Pierre et Sophie passaient le cap de la cinquantaine.

Entretemps, leur fils cadet Gilles leur proposa puis obtint l’autorisation d’aménager un bâtiment existant sur la ferme afin d’élever une centaine de truies pour fournir les porcelets à engraisser plutôt que de les acheter à la coopérative.

C’est alors que commença une triste période sur le plan familial avec les pertes successives d’êtres chers : le mari d’une des sœurs de Pierre puis le père de Pierre à quelques mois d’écart. Trois ans plus tard, leur cher fils cadet Gilles mettait fin à ses jours à l’âge de 30 ans.

Avec ces terribles disparitions, la motivation de Pierre et Sophie s’effrita, ils avaient tout juste la force d’accomplir leur travail afin de rembourser leurs emprunts tout en s’occupant de leur famille.

Puis, progressivement, la vie reprit son cours, leurs enfants se mirent en couple et quatre petits-enfants vinrent agrandir cette belle famille. Les prêts furent remboursés en 2020 alors que Pierre venait de passer la soixantaine et, dans la même période, ils rachetèrent les terrains qu’ils louaient depuis leur arrivée.

Trois ans plus tard, leur fils aîné Guy, revint à la ferme après une vie cabossée et marquée par des excès et des addictions, il avait besoin de stabilité, d’un cadre. Il commença par un élevage de lapins avec le soutien de ses parents puis, en janvier 2025, Pierre et Guy décidèrent de rénover la porcherie du regretté Gilles pour héberger à nouveau une soixantaine de truies afin de produire des porcelets pour les bâtiments d’engraissement de Pierre et Sophie.

C’est dans ce contexte que je les retrouvais au mois de juillet 2025.

Frise chronologique de l’activité de Pierre et Sophie

La ferme du Limousin

La ferme de Pierre et Sophie est composée de 46 hectares de terres dont la moitié est cultivée avec des céréales (maïs, orge, triticale…) pour alimenter les cochons et l’autre moitié sert de prairies pour nourrir une quinzaine de vaches, chevaux et moutons. Une petite portion (0,3 hectare) est utilisée pour le potager familial.

Ainsi, tout ce que produisent les champs de la ferme est consommé sur place.

Voici la répartition des surfaces agricoles de la ferme par type de culture pendant l’année 2023.

Répartition des surfaces par types de culture

Concernant les bâtiments, il y deux anciennes bâtisses de porcherie constituées d’une charpente en bois recouverte de tôles dont l’une est utilisée pour élever quelques lapins et des poules tandis que l’autre abrite une maternité pour une soixantaine de truie et leurs porcelets sur une surface d’environ 500 m2.

De plus, il y a deux bâtiments modernes dont le plus ancien est en briques et le plus récent en  béton pour l’engraissement des cochons charcutiers, ils abritent environ 450 à 500 cochons chacun pour une superficie totale de 1000 m2.

Sur un an, l’exploitation produit environ 2000 porcs qui restent à la ferme pendant un cycle de six mois avant d’être envoyés à l’abattoir.

La qualité de leur viande est certifiée par le Label Rouge qui est un gage de qualité gustative élevée grâce à différents critères tels que l’alimentation des animaux, les conditions d’élevage et l’âge d’abattage. La viande de porc produite sous Label Rouge représentait moins de 3% de la production française en 2023 (source : INAO).

Enfin, voici quelques éléments de comparaison qui permettent de constater que la ferme de Pierre et Sophie est deux fois inférieure à la moyenne des élevages de porcs en France qui est elle-même largement inférieure aux standards des autres principaux pays producteurs dont les exploitations sont bien plus intensives (source : https://www.leporc.com/le-porc-en-france/filiere/elevage).

Aujourd’hui, on compte 10 000 éleveurs de porcs en France. Ils produisent 21 millions de porcs charcutiers par an. Avec une moyenne de 214 truies, soit près de 5 000 porcs produits par an, la taille des élevages de porcs français est l’une des plus faibles d’Europe.

Comparativement, les exploitations porcines comptent en moyenne plus de 1 000 truies au Danemark et aux Pays-Bas, sans parler de l’Amérique du Nord où plus de 10 000 truies peuvent être réunies dans un même élevage.

De plus, les fermes françaises exerçant une activité d’élevage porcin s’étendent sur une moyenne de 102 ha, s’inscrivant ainsi dans une véritable économie circulaire, avec des cultures fertilisées grâce aux effluents de l’élevage

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Élevage porcin dans le Limousin

“Vous devez avoir, dit Candide au Turc, une vaste et magnifique terre ? Je n’ai que vingt arpents, répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ; le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin.” […]

“Je sais aussi, dit Candide, qu’il faut cultiver notre jardin.” […] Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents.

Les souvenirs que j’ai de l’activité de mon oncle Pierre et de sa femme Sophie, agriculteurs et éleveurs, remontent à ma tendre enfance lorsque nous allions avec ma famille leur rendre visite à la ferme pour retrouver nos cousins et cousines.

Nous nous juchions avec excitation sur le haut de bottes de foin en humant les bonnes odeurs de la ferme avec une brindille entre les dents en guise de cigarette, nous plongions dans d’immenses tas de maïs tels des Picsous, nous courrions à en perdre haleine dans d’immenses prés en jouant à la guerre avec des armes en bois confectionnées sur place ; nous nous sentions libres, nous étions heureux.

Dans ce temps-là et jusqu’à mon adolescence, je m’intéressais davantage au cadre de vie de mon oncle en pleine nature et entouré d’animaux plutôt qu’aux aspects concrets et techniques de son métier. C’est en arrivant à l’âge adulte que je voulu en savoir davantage.

En tant que consommateur de viandes dans un milieu citadin, j’aspirai à mieux connaître les conditions dans lesquelles étaient élevés les animaux et le travail que cela nécessitait pour remplir les rayons de mon supermarché. J’avais envie d’aller sur le terrain pour découvrir cette activité que je connaissais peu, si ce n’est à travers une représentation médiatique souvent biaisée alors que les mouvements d’expression de colère des agriculteurs s’intensifiaient au gré de crises récurrentes.

C’est pourquoi je décidai, lors de l’été 2017, d’accompagner pendant quelques jours mon oncle Pierre et sa femme Sophie dans leur ferme d’élevage de porcs en plein cœur du Limousin. Cette expérience personnelle fut très enrichissante pour mieux comprendre leur activité et leur environnement de travail.  

Quelques années passèrent puis, lorsque je me mis à l’écriture de ce blog afin de partager des expériences diverses et, alors que mon oncle se préparait à prendre sa retraite, il me vint l’idée d’écrire une série d’articles sur son activité ainsi que sur l’ensemble de son parcours professionnel qui est intrinsèquement lié à sa vie personnelle et familiale. Mon oncle accepta ma proposition et je revins passer quelques jours dans sa ferme à l’été 2025 avec sa femme Sophie et leur fils aîné Guy afin de compléter mes notes de l’été 2017.

Après deux mois d’écriture, de recherches et de corrections avec l’aide de Pierre et de Sophie, j’ai l’honneur de vous présenter leur histoire et leur métier en espérant que ces articles vous permettront de mieux comprendre les tenants et les aboutissants qui permettent de remplir nos assiettes et, pour celles et ceux qui connaissent bien ce milieu, de revivre peut-être une partie de leurs souvenirs à travers ces moments de vie.

Je vous souhaite une belle lecture et n’hésitez pas à partager vos commentaires à la fin des articles pour enrichir ce partage d’expérience.

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Livres

Annapurna, premier 8000

Tout ce que j’ai fait, c’était pour l’Expédition, mon vieux Maurice… D’ailleurs puisque tu y es allé, c’est toute l’équipe qui a gagné !

Lionel Terray

Tentative de réhabilitation d’une figure controversée

Tout comme pour les « Mémoires de Guerre » du général de Gaulle (lien), je suis tombé par hasard, lors du déménagement de la maison familiale de ma grand-mère, sur le livre « Annapurna, premier 8000 » de Maurice Herzog aux éditions Arthaud dont l’impression date de janvier 1952. Ce titre résonna en moi après mes deux semaines de trek autour des Annapurnas avec mon ami Bertrand en février 2023 (lien) dont nous conservons des souvenirs éblouissants.

J’avais déjà lu des descriptions de cette première ascension historique et épique d’un sommet à plus de 8000 mètres donc mon intérêt pour ce sujet n’était pas nouveau. Les pages jaunies et légèrement écornées, les illustrations sous formes de croquis et de cartes ainsi que les photos en noir et blanc de l’expédition donnaient à ce livre des attraits de pièce de musée qui achevèrent de me convaincre de sauver cette œuvre majeure d’un triste sort dans une déchetterie.

Ce fut une sage décision car, aussitôt après avoir dévoré les deux premiers tomes des Mémoires de notre général emblématique, je me plongeai dans ce récit d’expédition himalayenne tout aussi passionnant et dont la lecture résonna longtemps en moi.

Puis, en faisant des recherches sur internet pour mieux connaitre les personnages de cette histoire, je découvris plusieurs critiques, dont certaines récentes, de la personnalité de l’auteur et chef de l’expédition, Maurice Herzog, évoquant son attitude égoïste et mégalomaniaque et le fait que le récit personnel de l’expédition serait tout à sa gloire.

Ces critiques me paraissant injustes ou du moins méritant d’être nuancées, je vais m’appuyer sur plusieurs passages du livre afin d’étayer mes propos puis, si le sujet vous intéresse, je vous invite vivement à lire cette œuvre afin de vous faire votre propre avis.

Une expédition ambitieuse dans un milieu hostile quasiment inconnu avec des moyens rudimentaires

L’équipée française de neuf personnes est constituée notamment de trois guides de Chamonix réputés dans leur milieu exigeant (Lachenal, Rébuffat et Terray), d’un cinéaste et d’un médecin chirurgien du nom de Oudot. Ils arrivèrent en avion à New Delhi le 30 mars 1950 puis ils repartirent en vol vers Lucknow d’où ils prirent un train pour rejoindre la frontière népalaise le 5 avril.

Ensuite, ils traversèrent le Népal à pied et à cheval en recrutant des porteurs sur le chemin pour rejoindre le 21 avril la ville de Tukucha, située entre le massif du Dhaulagiri à l’ouest (8167m) et celui de l’Annapurna à l’est (8075m).
Aucun des principaux membres de l’expédition n’avait été auparavant dans ces massifs dont les hauteurs n’avaient probablement jamais été foulées par des hommes à cette époque. Les proportions de ces montagnes sont gigantesques en comparaison du massif alpin que les illustres guides de Chamonix de l’expédition connaissaient sur le bout des doigts.

L’équipée disposait de cartes sommaires bien souvent erronées donc ils durent lancer plusieurs explorations à pied des contours du Dhaulagiri, qui était l’objectif prioritaire, dans le but de trouver une voie d’accès jusqu’au sommet. Ils n’avaient ni GPS pour se repérer précisément sur les cartes ni bulletins météorologiques pour planifier leurs sorties, ils ne disposaient pas non plus d’altimètres fiables mais ils étaient assez satisfaits de leurs équipements relativement modernes pour l’époque.

Après quatre missions de reconnaissance, ils ne trouvèrent aucune voie qui leur sembla envisageable, les contraintes étant qu’il fallait non seulement pouvoir atteindre le sommet mais aussi s’assurer du voyage retour en garantissant un ravitaillement régulier des nombreux camps par les valeureux porteurs.

Pour garantir cela, il était nécessaire que la voie soit accessible aux sherpas jusqu’au camp final alors qu’ils étaient lourdement chargés et n’avaient pas le même niveau technique que les guides bien qu’ils soient vaillants et agiles.

Or, les quatre voies d’exploration s’avérèrent toutes périlleuses pour les guides avec leurs bagages légers donc elles seraient impossibles pour une équipe plus nombreuse et lourdement équipée.
Sur ce point, Herzog se refuse à prendre des risques inconsidérés pour la sécurité de son équipage et préfère chercher d’autres pistes.

Il eût été fou de faire passer le gros de l’expédition par ici. Le risque est trop grand. Aucune victoire ne justifierait un impôt humain consenti délibérément. 

La tentative de la dernière chance

Suite aux échecs sur le Dhaulagiri, l’expédition se tourna alors vers le massif de l’Annapurna et décida d’explorer le versant nord-est de son plus haut sommet, l’Annapurna I, qui culmine à 8075 mètres. Cependant, après avoir passé un col arrivant au lac de Tilicho, ils découvrirent une immense barrière rocheuse interdisant l’accès au sommet par cette voie.

Cela faisait déjà trois semaines que l’équipée arpentait les montagnes dans des conditions difficiles en atteignant des points de reconnaissance jusqu’à 6000 mètres d’altitude. Le temps pressait alors que la période de la mousson qui approchait rendrait bientôt impraticables les sentiers montagneux et interdirait toute retraite vers la vallée.

Le 14 mai, Maurice Herzog organisa un « conseil de guerre » avec tous les membres de l’expédition afin que chacun donnât son avis. Il en émergea un consensus pour abandonner la conquête du Dhaulagiri dont l’ascension paraissait trop risquée.

Concernant l’Annapurna 1, l’accès par son versant nord-est était jugé également impossible mais il restait un mince espoir de trouver une voie par le versant nord-ouest où un passage avait été identifié auparavant. L’équipée décida alors à l’unanimité de concentrer tous ses efforts sur cette dernière piste non explorée. Les membres les plus expérimentés partirent dès le lendemain pour établir leur premier camp de base le 18 mai à plus de 5000 mètres d’altitude tandis qu’une partie du groupe resta dans la vallée afin d’organiser les approvisionnements.

Depuis le camp de base, plusieurs explorations furent lancées et l’équipée trouva enfin une voie qui semblait permettre d’accéder au sommet. C’était le 23 mai 1950, il avait fallu un mois et pas moins de douze pistes de reconnaissance pour découvrir ce passage.

L’ascension vers le sommet : une réussite collective

Maurice Herzog lança alors un « ordre d’attaque » à toute l’expédition, répartie à plusieurs niveaux de la montagne, afin de se préparer pour la conquête du sommet. Pour cela, il fallait déplacer le camp de base initial dans une zone plus appropriée puis installer successivement pas moins de quatre autres camps sur la voie vers le sommet qu’il faudrait ensuite approvisionner en continu avec des navettes incessantes. Il fallait également déjà anticiper l’évacuation de l’expédition avec des vivres et des porteurs.

Le système radio ne fonctionnant pas dans ces hautes altitudes vierges, la seule possibilité de communiquer était par l’intermédiaire de messagers. Herzog confia ainsi la mission cruciale de transmettre son ordre d’attaque à un sherpa expérimenté à qui il tenta de faire comprendre la gravité de la situation par quelques mots en anglais et des gestes.

Le visage de Sarki est grave. Il a lu dans mes yeux que cet ordre n’est pas un ordre comme les autres, il a compris ce que j’attends de lui. […] Sarki est le plus énergique, le plus fort de tous nos sherpas. Sa mission a une importance primordiale. 

Plus loin dans le récit, Herzog rend également hommage à un autre sherpa de l’équipe, Adjiba, qui effectua deux navettes quotidiennes pendant plusieurs jours entre le camp de base et le camp I, ce qui permit de transporter une centaine de kilos de matériel en quelques jours !

Ce sherpa, qui est extrêmement résistant, s’est taillé une véritable spécialité. […] Travail ingrat, travail de conscience, sans éclat mais combien efficace. Ce sont tous ces efforts accomplis par chacun qui donneront à l’Expédition ses chances de succès. 

Herzog confia également la mission de déplacer le camp de base initial au plus jeune de l’équipe avec l’aide d’un seul sherpa en étant conscient que cette décision annihilait ses chances d’accéder au sommet par manque d’acclimatation. C’était un sacrifice nécessaire pour la réussite d’un objectif commun.

Pendant plusieurs jours, notre ami Couzy, le benjamin de l’équipe, bien que tout feu tout flamme, sera condamné à rester à basse altitude, à faire une besogne capitale, mais anonyme. Cette mission, il l’accomplira parfaitement sans jamais un mot de récrimination. Cependant il sait que, lorsque l’assaut final sera déclenché, son acclimatation sera insuffisante et qu’il perd ainsi une chance de jouer un rôle de premier plan : esprit d’abnégation admirable qui conditionne la puissance d’une équipe. 

Herzog met ainsi en lumière dans son récit de manière assez juste les différents membres de son équipe pour expliquer que le succès de l’expédition dépend de chacun d’entre eux et qu’ils auront tous un rôle important à jouer dans cette réussite collective. C’est le cas particulièrement pour Terray, le guide le plus fort du groupe qui se sacrifia pour faire des trajets supplémentaires entre les camps afin de les équiper convenablement, quitte à ne pas pouvoir faire partie de la première cordée allant au sommet.

La conquête du sommet

Le 31 mai, une semaine après le lancement de l’ordre d’attaque de Herzog, le camp de base était repositionné et quatre camps supplémentaires étaient installés jusqu’à 7000 mètres d’altitude. 

La cordée Herzog et Lachenal quitta le camp II avec la ferme intention d’atteindre le sommet tandis que les conditions climatiques étaient favorables. Ils croisèrent la cordée Rébuffat et Terray qui redescendait alors qu’ils devaient installer le cinquième et dernier camp mais ces derniers durent faire demi-tour en raison d’importantes chutes de neige la veille et d’un froid intense. Il fut décidé que la cordée de Terray et Rébuffat repartirait le lendemain en suivant Herzog et Lachenal à un camp d’écart.

Le 2 juin, la première cordée accompagnée de deux sherpas parvint à installer le camp V à 7300 mètres d’altitude après avoir installé la veille un nouveau camp IV bis, au-dessus d’une longue pente de glace, afin de se rapprocher du sommet.

Herzog proposa alors au sherpa le plus expérimenté de l’équipe, Ang-Tharkey, l’honneur de les accompagner jusqu’au sommet le lendemain mais celui-ci déclina avec respect car ses pieds commençaient à geler et il redescendit au camp IV avec son camarade.

Commença alors une nuit dantesque pour Herzog et Lachenal calfeutrés dans une minuscule tente installée sur une pente glacée, fouettée par une tempête et régulièrement recouverte de neige. La cordée étouffa, suffoqua et grelotta toute la nuit ; il leur était impossible de dormir dans ces conditions.

Le lendemain, le 3 juin 1950, la cordée se lança à l’assaut du sommet. Le vent avait faibli et le ciel était dégagé mais il faisait très froid ; Herzog et Lachenal prirent le minimum d’équipements afin de ne pas s’alourdir, sans même emporter une corde.

Heureusement, le terrain était peu accidenté mais la marche était épuisante à cette altitude alors qu’il n’avait pas de bouteilles d’oxygène. Lachenal, qui sentait déjà que ses pieds commençaient à geler, interrogea soudainement son camarade : « Si je retourne, qu’est-ce que tu fais ? ». 

Après avoir songé à tous les efforts de l’expédition pour atteindre ce but qui leur tendait désormais les bras, Herzog répondit avec résolution « Je continuerai seul ! » et son compagnon décida de le suivre, fidèle à son rôle de guide quelles qu’en soient les conséquences.

Après avoir franchi un dernier couloir raide à travers une falaise, la cordée parvint enfin à atteindre le sommet de l’Annapurna 1 à 8075 mètres : quel soulagement !

Herzog prit quelques photographies pour immortaliser l’évènement puis Lachenal le pressa de partir car il était déjà deux heures de l’après-midi alors qu’ils étaient partis à six heures du matin.

Ils filèrent dans la descente, leurs mains et leurs pieds commençaient à geler tandis qu’ils étaient épuisés par leurs efforts. Leur esprit devint confus, Herzog perdit ses gants qui glissèrent dans la pente alors qu’il voulait ouvrir son sac et il ne pensa pas à recouvrir ses mains avec des chaussettes de rechange, il le paierait très cher.

Le ciel s’obscurcissait et le vent se levait ; Herzog ne voyait plus son compagnon qui avait disparu dans un brouillard, il tenta de s’orienter d’après l’inclinaison de la pente et il finit enfin par rejoindre le camp V où il découvrit avec soulagement une deuxième tente.

Rébuffat et Terray l’accueillirent avec enthousiasme en apprenant qu’ils avaient atteint le sommet puis ils s’inquiétèrent de ne pas voir Lachenal et furent horrifiés à la vue des mains violacées de leur chef d’expédition.

Herzog, encore euphorique, dit d’un ton empathique à Terray :

Toi qui étais tellement en forme ! Toi qui t’es tellement dépensé sur cette montagne ! C’est un malheur que tu ne sois pas venu en haut avec nous !

Alors, Terray lui répondit magistralement avec toute sa noblesse d’esprit la citation qui est en introduction de cet article, Herzog écrit ensuite avec soulagement :

Un bonheur éclatant m’envahit. Comment lui exprimer tout ce que représente pour moi cette réponse ? Cette joie du sommet qui pouvait paraître égoïste, il la transforme en une joie parfaite, sans aucune ombre. Sa réponse prend une portée universelle à mes yeux. Elle témoigne que cette victoire n’est pas la victoire d’un seul, [… ] mais la victoire de tous […] 

La redescente infernale

Soudain, des cris de Lachenal retentirent dans la tempête, Terray se précipita à l’extérieur et dévala la pente en prenant tous les risques pour secourir son compagnon qui était secoué après une mauvaise chute, il n’avait plus de gants et ses pieds étaient partiellement gelés.

Terray remonta Lachenal au camp V où chaque binôme se réfugia dans une tente pour laisser passer la tempête qui se levait pendant la nuit. Terray et Rébuffat fouettèrent longuement avec une corde les pieds et les mains de leurs compagnons afin de faire revenir le sang dans leurs membres.

Après une nouvelle nuit infernale, les deux cordées quittèrent le camp V mais ils se perdirent dans une tempête de neige et s’épuisèrent à chercher le camp IV bis. Après plusieurs pistes infructueuses, ils se résignèrent à se réfugier dans une crevasse qui fut ensuite recouverte pendant la nuit par une avalanche : quel calvaire !

Le lendemain matin, le 5 juin, ils parvinrent à s’extirper de la crevasse mais ils étaient à moitié aveugles et certains de leurs membres commençaient à geler, ils grelottaient de froid et leurs estomacs criaient famine.

Heureusement, un membre de l’expédition les retrouva alors qu’ils étaient à seulement 200 mètres du camp IV bis. Ils rejoignirent péniblement le camp IV situé en contrebas où les attendaient des sherpas puis ils décidèrent de descendre le même jour tous ensemble jusqu’au camp II afin de rejoindre Oudot, le médecin et chirurgien de l’équipée.

La descente s’accomplit au prix d’efforts et de souffrances extrêmes en dévalant à travers des pentes glacées vertigineuses entourées d’immenses séracs menaçant à tout moment de céder, en désescaladant des falaises abruptes à l’aide de cordes alors que certains avaient leurs membres gelés, en traversant des ponts de neige fragiles et en zigzaguant au milieu des crevasses ; pour couronner le tout, ils survécurent par miracle à une nouvelle avalanche.

A son arrivée au camp II avec tous les participants de l’ascension, Herzog estima qu’il avait rempli sa mission et que son rôle de chef d’expédition s’arrêtait là ; il laissa ainsi toute latitude aux autres membres de l’équipe pour organiser la retraite sachant qu’il était de toute manière trop affaibli pour prendre la moindre décision.

Une évacuation interminable

Le 10 juin, l’expédition quitta le camp de base alors que la mousson approchait. Cette retraite devint alors un long calvaire ; l’expédition devait transporter les blessés sur des brancards de fortune en plus de tous les équipements et des vivres en parcourant à pied des sentiers pentus et instables où leur vie ne tenait qu’à un fil.

Les conditions météorologiques devinrent épouvantables : des pluies diluviennes s’abattaient sans discontinuer sur l’équipage transformant les précédentes paisibles rivières en fleuves tumultueux qu’il fallait traverser sur des ponts de bois précaires construits à la hâte. Les valeureux sherpas portaient sur leur dos les blessés qui étaient saisis d’angoisse à la vue de ces précipices et ils criaient à la moindre secousse qui réveillait leurs douleurs.

A chaque étape, le médecin chirurgien Oudot injectait dans les artères de Herzog et Lachenal de la novocaïne afin de lutter contre l’engelure de leurs membres mais le remède s’avéra extrêmement douloureux. Le médecin devait s’y prendre à multiples reprises pour piquer au bon endroit dans des séances parfois de plusieurs heures malgré les cris et les sanglots des malheureux. Herzog était déprimé par les pertes progressives de ses phalanges et de ses orteils qui l’empêcheraient de participer à de nouvelles cordées en montagne ; le gel est la terreur des alpinistes.

L’auteur se livre alors en toute humilité. Le masque du chef inébranlable tombe car les souffrances lui devenaient insupportables malgré les soins attentionnés de ses camarades et notamment du noble Terray. Herzog nous confie même désirer la mort afin de mettre fin à ses souffrances qui n’en finissaient plus.

J’ai perdu 20 kilos et ma maigreur est extrême. La fièvre ne cesse de s’accroître. […] Désespérément, dans une longue et ultime prière, je désire la mort qui me délivrera. J’ai perdu la force de vivre. J’abandonne !… Sentiment insupportable pour un être jusque-là bâti sur l’orgueil. L’heure n’est pas aux questions. Ni aux regrets. La mort ! Je la regarde en face. Je l’implore de toutes mes forces.

Le 5 juillet, après quasiment quatre semaines de marches harassantes dans des conditions dantesques, l’expédition arrive enfin à la gare de Butwal. Après un rapide détour par Katmandou, la capitale du Népal, pour remercier les autorités locales de leur autorisation de l’ascension et de leur aide, ils rejoignirent l’Inde en train puis ils s’envolèrent vers la France où ils furent accueillis en héros le 12 juillet 1950.

Un exploit collectif exemplaire

De retour au doux pays où il est soigné pour ses blessures, Herzog, avec l’aide de son frère, se lança dans la rédaction de ce récit qui fut ensuite vendu entre dix et vingt millions d’exemplaires dans le monde entier, ce qui prouve l’intérêt du public et la portée internationale unique de cet évènement.

La renommée de Herzog devint exceptionnelle, il fut couvert d’honneurs, reçut de multiples distinctions et obtint des postes prestigieux. Peut-être a-t-il alors été grisé par les louanges, ce qui l’aurait amené à s’approprier davantage de mérites au détriment de ses compagnons et en contradiction avec son propre récit, suscitant ainsi des critiques légitimes de certains. Ce n’est qu’une simple hypothèse personnelle mais il n’empêche que son œuvre littéraire demeure inchangée et qu’elle rend hommage à chacun des participants de cette grande aventure.

C’est uniquement sur la base de ce récit passionnant que je rends hommage à son auteur ainsi qu’à tous les membres de l’expédition pour cet immense défi physique, technique et mental remporté grâce à la combinaison de leurs efforts immenses et de leur solidarité inébranlable. N’ayons pas peur des superlatifs pour célébrer les exploits de nos compatriotes alors que nous avons tant de récits détaillés et commentés de nos désastres nationaux.

En effet, cet exploit tricolore exceptionnel, obtenu avec le soutien indispensable des sherpas népalais, fut accompli seulement dix ans après la terrible Débâcle de 1940 suivie par quatre années d’occupation humiliante. Il contribua probablement à redonner confiance et espoir à notre pays meurtri tout en lui valant une certaine reconnaissance internationale mais aussi inspira de jeunes générations pour relever de nouveaux défis.

Enfin, au vu de toutes ces souffrances endurées par les membres de l’expédition et notamment des amputations subies par la cordée Herzog et Lachenal, on peut se demander si cet exploit sportif valait tous ces sacrifices. Terray a ainsi écrit un livre autobiographique dont le titre, quelque peu provocateur, « Les conquérants de l’inutile » résume bien l’esprit montagnard qui pousse à se hisser sur des sommets principalement par passion et par soif de l’inconnu, par envie de liberté et de nouveaux défis.

A chacun de trouver son Annapurna à gravir.

Chronologie de l’expédition
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Comme elle est courte l’épée de la France, au moment où les alliés se lancent à l’assaut de l’Europe ! Jamais encore notre pays n’a, en une si grave occasion, été réduit à des forces relativement aussi limitées. Ceux qui luttent pour sa libération sont submergés de tristesse quand ils évoquent sa force d’autrefois. Mais, jamais non plus, son armée n’eut une qualité meilleure. Renaissance d’autant plus remarquable qu’elle est partie d’un abîme de renoncement. 

Préparatifs du débarquement Alliés en Afrique du Nord

Le second tome des Mémoires du général de Gaulle commence alors que les britanniques viennent de repousser les forces de l’Axe en Egypte à la bataille d’El Alamein en octobre 1942 et que les américains s’apprêtent à s’engager militairement sur le front occidental tandis que l’Union Soviétique résiste vaillamment aux assauts furieux des allemands à Stalingrad. Les soviétiques réclament l’ouverture d’un second front à l’ouest de l’Europe afin de prendre en tenaille l’armée allemande et de soulager le front de l’est où sont engagées la majorité des troupes de l’Axe.

Il était initialement question d’un débarquement en Europe en 1942 mais cette option a été repoussée par les Alliés en raison du peu d’expérience au combat des soldats américains et alors que leur armée s’agrandissait dans des proportions gigantesques à un rythme effréné soutenu par leur économie de guerre qui tournait à plein régime.

Ainsi, il fut décidé de débarquer en Afrique du Nord sur les territoires français de Vichy mais sans consulter le général de Gaulle qui se doutait néanmoins des évènements à venir. Du fait de leur écrasante supériorité dans tous les domaines, les américains étaient désormais à la tête des Alliés et les anglais se rangeaient de leur côté par pragmatisme mais de Gaulle resta vigilant pour sauvegarder les intérêts de la France face au président des Etats-Unis, Roosevelt, qui ne lui facilita pas la tâche.

Ce dernier pensait encore pouvoir convaincre de hauts responsables de Vichy en Afrique du Nord de rejoindre le camp des Alliés malgré les échecs retentissants des précédentes tentatives à Dakar, à Djibouti, à Madagascar et en Syrie. Les américains souhaitaient mettre sur la touche de Gaulle afin d’utiliser à la place un pantin docile ou naïf qui servirait leurs intérêts quitte à s’entendre avec des notables compromis par le régime vichiste.

Dans ce but, les américains convainquirent le général Giraud, ancien prisonnier de guerre évadé d’Allemagne et soutien de Pétain, de collaborer avec eux afin de reprendre le contrôle de l’Afrique du Nord. Les Alliés étaient persuadés que le prestige de ce général français suffirait à convaincre les militaires vichistes d’Afrique du Nord de se rendre sans combattre mais ils déchantèrent rapidement.

Un vaudeville sanglant 

En effet, lorsque le débarquement fut déployé simultanément sur toute l’Afrique du Nord à partir du 8 novembre 1942, les opérations débutèrent positivement à Alger grâce à l’intervention efficace de centaines de résistants français (dont une majorité de juifs) qui parvinrent à neutraliser sans effusion de sang les principaux postes de commandements et même à capturer le général Juin, commandant des troupes françaises en Afrique du Nord, ainsi que l’amiral Darlan, commandant de l’ensemble des force françaises de Vichy.

Darlan parvint néanmoins à transmettre un message aux troupes françaises d’Afrique du Nord en leur ordonnant de résister face aux Alliés et il demanda même aux allemands de bombarder la marine américano-britannique : quelle honte !

Pendant ce temps, Giraud boudait à Gibraltar car il s’imaginait obtenir, dans toute sa hautaine candeur, le commandement militaire des troupes Alliés pour superviser le débarquement alors qu’il ne parlait pas un mot d’anglais : on se croirait dans un vaudeville !

Ainsi, les américains durent opérer sans Giraud mais, de toute manière, ils se rendirent compte rapidement que l’évocation de son nom dans les tracts qu’ils larguaient au-dessus d’Alger n’emportait pas l’adhésion des militaires français qui restaient fidèles aux ordres de Darlan. Il est important de rappeler également que certains d’entre eux avaient subi l’attaque surprise des Anglais à Mer el Kébir en juillet 1940 ou avaient lutté contre les franco-britanniques en Syrie en 1941.

S’ensuivirent alors trois jours d’inutiles combats meurtriers entre futurs alliés où plusieurs milliers de soldats trouvèrent la mort ou furent blessés et beaucoup de matériel fut détruit. Juin et Darlan cédèrent finalement sous la menace physique des Alliés ulcérés par cette situation grotesque et ordonnèrent la cessation des combats.

Malgré l’attitude jusqu’au-boutiste de Darlan en faveur de Vichy, les américains décidèrent de s’appuyer sur lui car il était le plus haut gradé français en Afrique du Nord et ils délaissèrent Giraud sans états d’âmes tout en continuant d’exclure De Gaulle de leurs plans.

Les lignes bougent et les masques tombent

En réaction au débarquement Alliés en Afrique du Nord, les allemands envahirent la zone libre de la France métropolitaine le 11 novembre 1942 et tentèrent de prendre le contrôle de la marine française à Toulon mais celle-ci se saborda le 27 novembre en suivant les instructions de ses supérieurs. De Gaulle regretta amèrement que cette grande flotte n’ait pas été préalablement évacuée en Afrique du Nord pour se mettre à l’abri de ce type de raid ; quel gâchis et quelle frustration mais, au moins, elle ne serait pas utilisée par les allemands.

Ces évènements démontrèrent l’hypocrisie du régime de Vichy qui justifiait son existence pour servir de bouclier à la France face aux allemands alors qu’il n’opposa aucune résistance à l’invasion du territoire. Encore une fois, de Gaulle avait raison de prôner, dès l’été 1940, l’embarquement du reste des troupes avec sa flotte en Afrique du nord pour continuer le combat.

L’armée française de Vichy laissa également les allemands prendre possession de son territoire tunisien qui disposait de solides positions défensives ainsi que de ports en eaux profondes situés à seulement une nuit de navigation de la Sicile donc facile à ravitailler pour les forces de l’Axe. Les combats furent ensuite longs et très rudes pour reprendre ces territoires auxquels les troupes françaises d’Afrique du Nord participèrent.

Darlan, une collaboration impossible et honteuse

Lorsque Darlan devint responsable des forces françaises en Afrique du Nord avec la reconnaissance officielle des américains, celui-ci maintint les lois d’exception de Vichy contre les libertés publiques et contre les juifs. Ainsi, les dissidents du régime vichiste collaborant avec les nazis restèrent emprisonnés : quelle honte et quel aveuglement des Alliés !

Comme la majorité des hauts responsables militaires français de l’époque, Darlan s’était battu vaillamment durant la Première Guerre Mondiale puis, lors de la seconde, il s’était opposé à la fin des combats avec l’Allemagne mais il avait fini par accepter l’Armistice avec la garantie que la marine française serait préservée.

L’amiral français conserva ensuite une rancune tenace vis-à-vis des anglais après leur attaque surprise de la flotte française à Mer el Kébir en juillet 1940 et il décida de collaborer avec les allemands dans le but de renforcer la position de la France en négociant notamment la libération des nombreux militaires français mais les contreparties exigées par Hitler étaient trop importantes et ce dernier se méfiait des français donc la situation resta figée.

Darlan fut finalement assassiné le 24 décembre 1942 par un jeune résistant français qui fut ensuite exécuté de manière expéditive sans véritable procès. Ainsi, Giraud remplaça Darlan avec l’assentiment des américains et la politique vichiste fut maintenue en Afrique du Nord : encore honteux !

Frise chronologique de 1942 à 1944

L’Italie : premier objectif européen des Alliés

En janvier 1943 eut lieu la conférence de Casablanca qui se déroula en réalité à l’extérieur de la ville dans un lieu isolé et surveillé par les Alliés où De Gaulle se sentit honteusement prisonnier dans son propre territoire au milieu de gardes armés et entouré de barbelés.

Lors de cette conférence, il fut enfin acté que l’armée française d’Afrique du Nord s’engagerait aux côtés des Alliés et il fut décidé d’ouvrir un nouveau front en Europe de l’Ouest en débarquant en Italie ; ce fut une destination de compromis entre Churchill qui recommandait les Balkans et Roosevelt qui optait pour la France.

Comme pour l’Afrique du Nord, les américains n’impliquèrent pas de Gaulle ni même les forces françaises dans le débarquement en Italie à partir de juillet 1943. Cependant, face à la résistance acharnée des armées allemandes qui prirent le relai des italiens débordés, les armées françaises furent finalement engagées avec un corps expéditionnaire mené par le général Juin et constitué de 125 000 hommes dont plus de la moitié étaient des musulmans nord africains.

Le général Juin était un ancien prisonnier de guerre libéré en 1941 avec d’autres officiers français à la demande de Darlan dans le but de renforcer la défense des territoires d’Afrique du Nord qui étaient désormais menacés par les Alliés après l’invasion de la Syrie.

Juin soutenait Pétain dans l’optique de forger l’esprit de revanche contre l’Allemagne et il refusa toute collaboration militaire avec celle-ci. Bien qu’il ait initialement refusé d’autoriser le débarquement Alliés, le général français n’ordonna pas pour autant la lutte armée, contrairement à Darlan, et il se distinguera ensuite par ses grandes qualités de stratège militaire lors de la campagne d’Italie.

En effet, le corps expéditionnaire français contribua activement à la percée significative du front italien lors de la bataille du Mont Cassin le 11 mai 1944 grâce au plan audacieux du général Juin qui consista à attaquer par surprise les positions allemandes dans un milieu montagneux difficile d’accès en s’appuyant sur l’expérience des valeureuses troupes nord-africaines pour ce type d’environnement. Cette victoire décisive ouvrit la voie vers Rome et renforça indéniablement la place de la France aux côtés des Alliés.

L’influence française

Pour l’aider dans son combat, de Gaulle étendit son réseau d’influence en recrutant des français parfois peu expérimentés mais très motivés qui défendirent vigoureusement les idées de la France Libre dans le monde entier.

Le Général se déplaça régulièrement dans les territoires français des colonies progressivement libérés pour assoir son autorité, il motiva inlassablement les troupes en les rencontrant sur les différents terrains d’opérations. De Gaulle noua également des relations fortes et respectueuses avec de nombreux représentants locaux des colonies et il restait en contact continu par télégrammes avec les principaux chefs alliés et les responsables de la France Libre pour partager ses informations avec sa vision des évènements et expliquer le positionnement à adopter.

Le général de Gaulle prit soin également de s’attirer les faveurs des opinions publiques anglaises et américaines dont le soutien était crucial aux gouvernements Alliés, en particulier pour Roosevelt qui avait de nouvelles élections en novembre 1944. Pour cela, le général s’appuya sur la dimension morale de sa lutte en dénonçant la politique honteuse menée par Giraud en Afrique du Nord qui était en contradiction avec les valeurs des Alliés.

De Gaulle ne céda pas face à Giraud soutenu par les américains, il maintint son objectif de sauvegarder la souveraineté de la France en dehors de toute ingérence étrangère et il refusa les compromis avec les autorités de Vichy qui s’étaient déshonorés irrémédiablement avec l’armistice puis la collaboration avec l’ennemi.

De Gaulle accepta néanmoins de travailler dans l’intérêt de la France avec d’anciens notables de Vichy qui ne s’étaient pas compromis par des actes zélés et qui reconnaissaient désormais leurs erreurs. Un comité national français fut créé avec de Gaulle et Giraud à sa tête afin de diriger l’ensemble des forces réunies de la France Libre et de l’Afrique du Nord française. Cet organe de décision bicéphale ne facilita pas la coordination des efforts mais de Gaulle estima qu’il n’avait pas le choix au vu des circonstances et il jugea, à raison, qu’il parviendrait à prendre le dessus grâce au soutien du peuple.

La politique française

De Gaulle fit preuve d’un haut sens politique en ralliant à sa cause des français de tous horizons, en administrant les territoires libérés et en négociant avec les Alliés contrairement à Giraud qui ne s’intéressait qu’aux manœuvres militaires et délaissait dédaigneusement les manœuvres politiques alors qu’elles étaient étroitement liées étant donné la situation critique de la France dont la métropole était occupée et dont les forces étaient divisées et affaiblies face à ses ennemis et même à ses alliés.

Afin de renforcer la légitimité du comité national français et d’avoir un organe de consultation des différents courants et forces politiques de la France, de Gaulle créa une assemblée consultative française à Alger qui lui permit de tâter le pouls de l’opinion publique française sur différents sujets bien qu’il regretta parfois de longues délibérations qui n’aboutissaient pas toujours à des décisions concrètes.

Dans le prolongement du débarquement Alliés au sud de l’Italie, le général Giraud organisa, de sa propre initiative et sans en informer de Gaulle, l’insurrection de la Corse en septembre 1943 avec la participation combinée des forces militaires françaises et des résistants corses mais sans prendre en compte les enjeux politiques. Les résistants communistes tentèrent alors de tirer profit de la situation en noyautant les divers réseaux de résistance corses afin de prendre l’initiative sur la politique locale.

Ces faits confirmèrent à de Gaulle le risque d’une situation similaire en France métropolitaine et il prit soin d’intégrer méticuleusement les domaines administratifs et politiques aux préparatifs de la Libération.

A l’été 1943, Giraud voyagea pendant un mois en Angleterre et aux Etats-Unis afin de renforcer sa position au sein des Alliés mais de Gaulle profita de son absence pour assoir son autorité au sein du comité national français de sorte que, progressivement, il devint son chef unique et incontesté à partir de l’automne 1943.

C’est aussi en grande partie grâce au soutien de la résistance française que le général de Gaulle put s’affirmer davantage dans le camp des Alliés lorsque tous les mouvements réunis sous l’égide de son représentant, Jean Moulin, au sein du Conseil National de la Résistance reconnurent en mai 1943 son unique autorité.

La résistance française

De Gaulle parvint ainsi à unifier les résistants français grâce à l’action de Jean Moulin qui prit tous les risques afin d’accomplir sa mission en zone occupée et il en paya le prix dans d’atroces souffrances comme bien d’autres hommes et femmes de l’ombre qui firent preuves d’un immense courage dans cette situation périlleuse. De Gaulle raconte avec émotion le sacrifice de ces illustres personnes, gloire à elles !

En effet, beaucoup de ces résistants et résistantes furent dénoncés, capturés, torturés, abattus ou déportés à un rythme croissant alors que l’étau de la Gestapo et de la Milice se resserrait en France avec l’occupation de la zone libre puis la volonté des allemands de protéger leurs arrières tandis que l’espoir de la Libération grandissait.

Afin de soutenir les futures opérations du débarquement Alliés en France, les réseaux de résistants s’organisèrent sur la base des directives du comité national français afin de saboter les réseaux stratégiques de transport des troupes, de communication et d’énergie tout en préservant ceux qui seraient utiles aux Alliés afin de ne pas ralentir leur avance.

Dès le printemps 1944, les actes de résistances militaires se multiplièrent en France : sur le plateau des Glières, dans l’Ain, le Limousin, la Drôme ou le Vercors, des milliers de résistants armés et souvent supervisés par des officiers français attaquèrent les armées allemandes en faisant plusieurs milliers de tués ou blessés parmi leurs rangs. Ces actions permirent de forcer l’Allemagne à détourner des troupes du Mur de l’Atlantique ou de ralentir les renforts qui se dirigeaient vers la Normandie pour repousser les Alliés.

Cependant, la répression devint de plus en plus féroce à mesure que les actes de résistance s’amplifièrent et que la menace du Débarquement Alliés approchait : des otages pris au hasard furent fusillés en masse, les maquis étaient traqués sans répit, la hiérarchie de la Résistance installée par de Gaulle fut régulièrement décimée, ce qui aggrava le risque de chaos lors de la Libération.

Préparer la Libération et l’après-guerre

En novembre 1943 eut lieu la conférence de Téhéran où il fut acté de concentrer les forces Alliés sur le débarquement en France en réduisant les effectifs sur le front italien. Pour sa part, Roosevelt s’entêtait à vouloir décider du sort de la France sans consulter de Gaulle, il pensait pouvoir l’administrer suivant ses volontés, les américains préparaient même une nouvelle monnaie française au mépris de la souveraineté des autorités françaises légitimes.

Lors d’une rencontre privée avec Roosevelt, de Gaulle nous livre une réflexion savoureuse que je vous cite : « Les intentions du Président me paraissaient du même ordre que les rêves d’Alice au pays des merveilles. Roosevelt avait risqué déjà en Afrique du Nord, dans des conditions beaucoup plus favorables à ses desseins, une entreprise analogue à celle qu’il méditait pour la France. Or, de cette tentative, il ne restait rien. Mon gouvernement exerçait, en Corse, en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Afrique noire, une autorité sans entraves. Les gens sur qui Washington comptait pour y porter obstacle avait disparu de la scène. »

Le comité national français prit l’initiative d’organiser la conférence de Brazzaville en février 1944 avec l’ensemble des représentants de l’empire français libéré afin de poser les bases de l’émancipation des peuples des colonies françaises qui contribuèrent tant à la restauration de la France en cette période trouble.

Alors que le débarquement Alliés en métropole approchait, le comité national français en exil se prépara à tous les défis auxquels il serait confronté afin d’éviter le chaos et l’anarchie qui pourraient mener à la prise de pouvoir des communistes ou à une mise sous tutelle des Alliés.

Ainsi, il fallait préparer la restauration immédiate de toutes les autorités régaliennes: rétablir la justice afin de condamner avec célérité les principaux coupables de la Collaboration et éviter que la population ne prenne sa place laissée vacante avec tous les excès possibles, relever l’économie française fortement rançonnée par les allemands et en proie à l’inflation, éviter les pénuries de vivres alors qu’ils étaient déjà fortement rationnés, remettre sur place les administrations et les représentations politiques après les avoir purgées des éléments vichistes les plus compromettants.

Afin de renforcer sa légitimité, le comité national français se proclama gouvernement provisoire de la république française quelques jours avant le débarquement en Normandie.

Les débarquements en France

De Gaulle soutint le plan américain de débarquer l’essentiel des troupes Alliés en France plutôt que dans les Balkans suivant les souhaits de Churchill car il jugeait cette deuxième option plus compliquée à mettre en œuvre au niveau logistique et, surtout, cela retarderait la libération de la France et de ses forces armées sur place. Donc sa participation à la libération de l’Europe en serait diminuée alors que c’était un facteur déterminant pour définir sa place dans le nouvel ordre mondial.

Au-delà de ses désaccords avec le président des Etats-Unis, de Gaulle avait une grande estime pour ses illustres généraux tels que Eisenhower, Patton et Mac Arthur, il louait notamment leur talent pour la planification, l’organisation et l’exécution d’immenses opérations logistiques. La réussite du Débarquement en Normandie supervisée par Eisenhower en fut l’exemple le plus frappant.

De Gaulle put enfin revenir en France après quatre années d’exil, il fut acclamé partout en héros par une foule en liesse et reçu avec les honneurs par les autorités locales. Cette démonstration du soutien populaire du général de Gaulle prouva aux Alliés qu’ils n’avaient pas d’autres choix que de traiter avec lui.

Ainsi, de Gaulle finit par arracher à Roosevelt la reconnaissance officielle de son gouvernement comme seul représentant de la France auprès des Alliés. Le gouvernement provisoire français nomma ses représentants locaux et administra les territoires libérés en toute indépendance et apporta pleinement son soutien aux armées Alliés. La bataille de France pouvait désormais commencer.
En raison de leurs difficultés de progression dans les bocages normands face à la résistance acharnée des allemands, les Alliés confirmèrent le plan du débarquement en Provence qui eut lieu le 15 août 1944 et auquel les armées françaises participèrent en nombre avec 250 000 soldats sous le commandement du général De Lattre de Tassigny.

Ce militaire français plusieurs fois blessé et décoré au combat durant la Grande Guerre fut nommé général au début de la Seconde Guerre Mondiale et il combattit efficacement les allemands en faisant de nombreux prisonniers. Après l’Armistice, il demeura officier sous le régime de Vichy mais il se distingua en étant le seul général français à s’opposer aux allemands lors de l’invasion de la zone libre. Ce haut fait lui valut d’être emprisonné puis il parvint à s’évader pour rejoindre Alger où il se rallia à de Gaulle.

Paris libérée vaut bien un défilé

Alors que les américains décidèrent de contourner Paris car la capitale française ne représentait pas d’enjeux militaires selon eux, chaque camp en France tenta de tirer profit de la situation.

Ainsi, Pierre Laval, le chef du gouvernement de Vichy et grand architecte de la Collaboration, manigança de pitoyables combinaisons politiciennes pour tenter de faire renaître l’assemblée de 1940 dans l’espoir de devancer le général de Gaulle afin de sauver sa peau mais il échoua piteusement face au refus de la population et de la Résistance.

Enfin débarrassé des représentants de Vichy, il restait le risque d’une prise de pouvoirs des communistes profitant de l’anarchie alors que des groupes disparates de résistants combattaient de manières disparates dans la capitale.

De Gaule soupçonnait Washington de vouloir l’empêcher de prendre le pouvoir de manière définitive en laissant ces initiatives l’affaiblir mais le Général était bien conscient de l’importance symbolique et politique de la prise de Paris comme cela a toujours été le cas dans les précédents conflits en France.
En s’appuyant sur ces évènements inquiétants, de Gaulle insista auprès du commandement américain et obtint finalement la prise de Paris par la deuxième division blindée de Leclerc le 24 août. Les opérations se déroulèrent sans rencontrer de fortes résistances et Paris fut libéré en un seul jour.

Le lendemain eut lieu un immense défilé populaire sur les champs Elysées dans une euphorie générale, de Gaulle fut acclamé partout où il se rendit. Fort de ce soutien unanime, il s’assura immédiatement de reprendre le contrôle des opérations en France sous l’égide des institutions officielles afin de reconstituer l’Etat en évitant le chaos et l’anarchie.

Ainsi, les résistants ou les simples volontaires armés furent incorporés dans l’armée ou durent rendre leurs armes, le Conseil National de la Résistance n’avait désormais plus de raison d’être mais ses membres éminents furent appelés au gouvernement ou firent partie de l’assemblée représentative créée à Alger.

Que de chemin parcouru pour le général de Gaulle quatre années après son départ précipité vers Londres afin de continuer le combat ! A ses débuts, il avait à peine quelques milliers de combattants sans aucun territoire français, le régime « officiel » de Vichy l’avait condamné à mort et il peinait à se faire reconnaître comme unique représentant de la France.

La situation avait bien changé depuis, il était désormais le chef incontesté de la France et de son empire, à la tête d’une armée qui atteindrait bientôt plusieurs centaines de milliers d’hommes pour repousser l’envahisseur avec les Alliés, acclamé en héros par une foule en liesse et reconnu comme légitime par toutes les administrations et autorités locales.

Sa vision juste des évènements et sa ténacité lui avait permis de choisir le bon cap et de surmonter les nombreux obstacles sur sa route : quelle chance pour la France d’avoir eu cet illustre personnage et quel symbole d’espoir pour tous !

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L’Appel : 1940 – 1942

Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. […] J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires.

Prélude

Le récit commence par une rapide présentation du milieu familial dans lequel de Gaule fut éduqué avec une haute idée de la France qu’il a ensuite consolidée en s’orientant vers une carrière militaire dans laquelle il fut rapidement confronté au conflit meurtrier de la Grande Guerre en tant qu’officier. Blessé à plusieurs reprises dans la fureur des combats meurtriers, il fut fait prisonnier lors de la bataille de Verdun et resta en captivité plus de deux années malgré des tentatives d’évasion.

De retour au pays, le lieutenant De Gaulle continua sa carrière militaire où il gravit les échelons et accéda à des postes importants à l’Ecole de Guerre puis au ministère des armées qui lui permirent de développer ses théories militaires et d’acquérir une vision globale du fonctionnement de l’Etat et des armées. Ces promotions furent obtenues avec le soutien de son mentor, le maréchal Pétain, dont il était proche depuis son instruction militaire avant qu’il ne s’en éloigne à la fin des années trente en raison de leurs divergences de points de vue, en particulier concernant la stratégie militaire à adopter face à la menace allemande.

En effet, le désormais colonel De Gaulle avait l’intuition, qui s’avéra juste, que les nouvelles armes développées à la fin de la Première Guerre Mondiale, en particulier les chars, allaient profondément modifier l’ordre des batailles en privilégiant les mouvements rapides et tactiques à la guerre de positions statiques. De Gaulle prônait ainsi la massification des chars blindés dans des divisions spécifiques avec une armée de métier spécialisée, c’était en quelque sorte la cavalerie des temps modernes.

Mais l’état-major français vieillissant resta campé sur ses anciennes stratégies défensives qui firent leurs preuves dans le passé et les politiques approuvèrent ou n’osèrent pas les remettre en question sachant qu’il y avait une grande instabilité politique française dans les années trente, De Gaulle dénombre ainsi pas moins de quatorze changements de gouvernements entre 1932 et 1937 !

Le colonel De Gaulle avait pourtant publié ses théories militaires et il avait essayé de les diffuser le plus largement possible au grand public et dans la sphère politique mais ses supérieurs ne le soutenaient pas, imbus de leur prestige passé et incapables de remettre en cause leurs idées du passé à la lumière des technologies modernes. La France voulait à cette époque se protéger et ne plus jamais revivre l’hécatombe de la Grande Guerre en construisant l’immense ligne de fortification Maginot à l’est tandis que nos voisins allemands se réarmaient massivement après la prise du pouvoir par les nazis en optant pour une stratégie militaire offensive avec la formation de divisions de chars blindés qui seraient déterminantes dans le prochain conflit.

La Débâcle

L’offensive allemande sur le front franco-belge de mai 1940 avec la percée fulgurante de leurs chars dans les Ardennes donna malheureusement raison à de Gaulle. Ses supérieurs reconnurent finalement leurs erreurs face à la réalité et le promurent à la tête d’une division blindée disparate et assemblée à la hâte mais ce fut trop peu et trop tard.

Le colonel De Gaulle parvint néanmoins à stopper une avancée allemande et à mener des contres attaques victorieuses qui démontrèrent que l’armée allemande n’était pas invincible et que l’armée française n’était pas désuète ni démoralisée à condition que la stratégie militaire soit bonne. Mais ce ne furent malheureusement que de modestes points de résistance face à la submersion du pays par l’armée allemande qui provoqua la panique générale dans la population.

Fort de ses résultats encourageants sur le champ de bataille, De Gaulle fut promu au grade de général et entra au gouvernement en tant que conseiller militaire du président du conseil des ministres, Paul Reynaud. Le général De Gaulle nous décrit alors le sentiment de défaitisme qui régnait au sein de l’état-major français et des hauts responsables politiques français, subissant les évènements au lieu de prendre des initiatives énergiques en assumant les conséquences graves mais nécessaires pour défendre le pays.
De Gaule prôna l’embarquement du gouvernement et du gros des troupes grâce à sa marine préservée pour rejoindre les colonies d’Afrique du Nord afin de continuer la guerre. Comme pour ses théories militaires, le Général eut l’esprit visionnaire d’anticiper que cette guerre n’était pas perdue car elle deviendrait mondiale et les colonies françaises pouvaient permettre de résister à l’Allemagne en attendant le renfort du camp des Alliés puis leur servir ensuite de bases à la reconquête des territoires perdus.
Le Général tenta de convaincre par tous les moyens les hauts responsables politiques et militaires français de ne pas abandonner la lutte mais ce fut en vain.

Alors, il dû se résoudre à rejoindre l’Angleterre quasiment seul d’où il lança à la radio de la BBC son célèbre appel du 18 juin 1940, deux jours après la prise du pouvoir par Pétain et quatre jours avant l’Armistice entre la France et l’Allemagne.

Cependant, très peu de français suivirent son appel et on peut s’interroger sur les raisons : pourquoi aucun haut responsable politique ou militaire français n’a défendu, comme lui, la continuation du combat depuis les colonies et a accepté si rapidement la défaite ? Effectivement, la percée des armées allemandes avait été foudroyante et il aurait probablement fallu se résoudre à perdre la Métropole après de lourdes pertes alors que la France était toujours traumatisée par la Grande Guerre qui s’était déroulée sur son sol pendant quatre longues années et pendant laquelle plus d’un million et demi de soldats français périrent ou d’innombrables furent marqués à vie sans compter les dégâts matériels.

Par ailleurs, il est à noter qu’au mois de juin 1940, la France se battait quasiment seule contre l’armée allemande : en effet, les armées anglaises avaient rembarqué depuis Dunkerque et Churchill hésitait à engager de nouvelles forces qui lui seraient vitales dans la bataille d’Angleterre à venir au vu des difficultés sur le front français, l’Union Soviétique avait signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne nazie, les américains s’abstenaient de participer activement au conflit en se bornant à vendre du matériel aux Alliés et tous les autres pays d’Europe étaient neutralisés.

Dans ce contexte, beaucoup de personnes en France souhaitaient donc la paix, à tout prix. Les partisans du maréchal Pétain prétendaient que c’était la seule manière de protéger la France et de lui permettre de se renforcer avant de prendre sa revanche sur l’Allemagne. Difficile de savoir ce que chacun d’entre nous aurait fait dans ce contexte.

Frise chronologique des évènements militaires de 1940 à 1942

Reconstruction

Commença alors pour le Général De Gaulle une longue et pénible épreuve de reconstruction de la France hors des cadres connus avec des moyens initiaux très limités mais il fit preuve d’une grande ténacité pour garder le cap qu’il s’était fixé de la restauration de l’honneur de la France malgré les tempêtes et les naufrages. Ce serait une lutte acharnée et incessante contre les forces de l’Axe et le régime de Vichy mais aussi, parfois, contre des alliés pas complètement désintéressés de tirer profit de la défaite française.

En effet, bien que les anglais mirent à la disposition de la France Libre du Général de Gaulle des locaux, des heures d’antennes à la BBC et le reconnurent comme leur chef légitime, ils ne facilitèrent pas pour autant son accès aux militaires français qui étaient basés en Angleterre après l’évacuation de Dunkerque alors qu’il souhaitait les convaincre de continuer le combat. La priorité des britanniques à ce moment était de se préparer à la Bataille d’Angleterre et ils considéraient alors le régime de Vichy comme le gouvernement officiel de la France ayant seule autorité sur son armée.

De Gaulle ne fut pas non plus consulté pour définir la stratégie militaire et notamment l’attaque surprise de la marine française par la marine anglaise à Mers El Kébir au large d’Oran, le 3 juillet 1940, qui engendra la mort de 1300 marins français et détourna probablement un nombre conséquent de français encore hésitants à s’engager. Le régime de Vichy se servit de cet évènement pour sa propagande et de Gaulle ne comptabilisa en tout que 7000 militaires français dans les rangs de la France libre à l’été 1940.

Bien que très peiné par le drame de Mers El Kébir, le Général ne perdit pas de vue pour autant les enjeux globaux et ses objectifs finaux qui tendaient à maintenir l’alliance avec l’Angleterre face au véritable ennemie de la France : l’Allemagne nazie. Ainsi, il condamna publiquement la forme déloyale de cet acte tout en admettant que l’Angleterre pouvait avoir des craintes légitimes à ce que la flotte française passe entre les mains de ses ennemis en raison de l’attitude conciliante de Vichy et alors que Hitler préparait un plan d’invasion de la Grande Bretagne.

C’est d’ailleurs à peine une semaine plus tard que commença la Bataille d’Angleterre pendant laquelle de Gaulle observa avec admiration la cohésion et l’abnégation du peuple britannique dans cette épreuve qu’ils remportèrent vaillamment après de longs mois de combats principalement aériens.

En anticipation des risques de désaccords avec ses alliés à cause d’intérêts parfois divergents, de Gaulle négocia un accord avec les britanniques dans lequel il insista pour que les territoires vichistes qui seraient reconquis soient administrés par la France Libre dans les frontières existantes, que le matériel militaire français lui soit transféré et que les éventuels crédits contractés par la France Libre auprès des Alliés soient intégralement remboursés dès que la France Libre en aurait les moyens afin d’assurer son indépendance (ce qui fut fait pendant le conflit). Enfin, étant donné le rapport de force largement en faveur des britanniques, il fut entendu que ces derniers dirigeraient les opérations militaires de grandes envergures auxquelles participeraient les unités françaises libres mais le commandement de ces forces armées relèverait en dernier ressort du Général de Gaulle.

Malgré cet accord, il apparaissait crucial pour la France Libre du Général de reconquérir rapidement des territoires français afin de renforcer sa légitimité, accroître ses forces et garantir son indépendance vis-à-vis des Alliés. Les colonies de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) représentaient alors une opportunité car les forces vichistes y étaient en nombre limité et la population semblait favorable aux idées gaullistes.

Reconquêtes et extension du conflit

Ainsi, en août 1940, le colonel Leclerc débarqua avec une poignée d’hommes au Cameroun où il parvint à convaincre les responsables vichistes de les rejoindre puis ils rallièrent le Congo et enfin le Tchad grâce au gouverneur français de ce territoire, Felix Eboué, qui fut le premier officiel français à rejoindre la France libre et permit ainsi de légitimer le pouvoir gaullien : gloire à lui !

Ensuite, une tentative de rallier le Sénégal à la France Libre eut lieu en septembre 1940 avec le blocus de Dakar par la marine anglaise et l’envoie d’émissaires gaullistes pour convaincre les autorités locales mais ces derniers refusèrent les pourparlers et défendirent leur territoire vigoureusement. Les alliés durent cesser le siège et il faudrait attendre l’année 1942 pour que le Sénégal rejoigne enfin la France Libre après le débarquement des Alliés en Afrique du nord tout comme d’autres territoires importants de l’empire français tels que Djibouti et Madagascar.

De Gaulle fut très affecté par cet échec cuisant qui mit à mal sa légitimité de seul représentant de la France vis-à-vis des Alliés et empêcha d’agrandir considérablement les effectifs et les moyens de la France Libre. Cette dernière prit tout de même le contrôle du Gabon en octobre 1940 mais la portée de cette conquête était plus modeste.

Après leur échec de l’invasion de l’Angleterre, les allemands se tournèrent vers l’est en l’année 1941 en chassant les britanniques de la Grèce et en tentant de soulever l’Irak contre le mandat britannique puis ils obtinrent l’autorisation de Vichy pour faire transiter leurs troupes à travers la Syrie sous mandat français afin de pouvoir lancer une offensive vers l’Egypte. L’objectif principal des forces d’Axe étant de prendre le contrôle du canal de Suez qui était crucial pour le ravitaillement des Alliés entre l’Asie et l’Europe.

Il était donc nécessaire pour ces derniers de réagir rapidement en envahissant la Syrie du 8 juin au 11 juillet 1941 avec un grand contingent constitué principalement de soldats australiens ainsi que de quelques milliers de français libres. Ce serait donc une bataille fratricide entre français gaullistes et vichistes que de Gaulle aurait préféré éviter mais il n’y avait pas le choix en raison de la menace allemande et le refus des vichistes de rejoindre le camp des Alliés.

Lorsque le territoire syrien fut conquis ainsi que le Liban, également sous mandat français, le Général se heurta aux britanniques qui tentèrent de remettre en cause les autorités françaises contrairement aux accords signés avec la France Libre. Le gros des troupes vichistes vaincues fut même autorisé à partir sans que les gaullistes aient la possibilité de les convaincre de rejoindre leur combat.

En représailles, De Gaulle menaça les britanniques de transférer ses troupes sur le front de l’est qui venait de s’ouvrir avec l’offensive allemande du 22 juin 1941. Malgré les crimes commis par son régime, l’Union Soviétique représentait désormais un allié de poids et même un contrepoids efficace pour défendre les intérêts de la France en utilisant avec pragmatisme les rapports de force entre les Alliés. De Gaulle obtint finalement gain de cause sur l’essentiel même si les britanniques continueraient leur travail de sape de l’influence française dans la région.

En plus de la Syrie et du Liban, vinrent s’ajouter dans la même période aux territoires de la France libre les îles du Pacifique qui acquirent rapidement une grande importance lorsque les américains entrèrent dans la guerre après l’attaque surprise des japonais sur la flotte américaine le 7 décembre 1941. De Gaulle proposa alors aux Alliés de leur mettre à disposition les infrastructures françaises situées dans des zones stratégiques en s’assurant du respect de l’indépendance des autorités françaises et en échange de matériel ainsi que de la participation de la France Libre aux batailles importantes des Alliés.

Carte des batailles d’Afrique et du Moyen Orient entre 1940 et 1942 (source: tome 1 des Mémoires de guerre)

L’espoir renaît

A l’été 1942, l’Afrika Korps du général Rommel et leurs alliés italiens se lancèrent à la conquête de l’Egypte depuis la Libye avec toujours comme objectif la prise de contrôle du canal de Suez. Ce fut alors enfin l’occasion pour les troupes de la France Libre de s’illustrer lors de la bataille de Bir Hakeim où quelques milliers de soldats issus de toutes les colonies françaises libérées résistèrent héroïquement pendant deux semaines aux assauts répétés des armées italiennes et allemandes largement supérieures en nombre et en équipements qui tentaient alors d’encercler l’armée des Alliés.

L’enjeu de cette bataille était immense pour la France Libre car l’essentiel de ses troupes étaient engagées et celles-ci se voyaient désormais menacées d’encerclement après leur résistance acharnée mais l’ordre d’évacuer fut enfin donnée et une grande partie de ses forces parvint à briser l’étau pour rejoindre l’armée britannique.

Pour les quelques centaines de soldats français libres qui furent faits prisonniers, la radio de Berlin diffusa un communiqué honteux indiquant qu’ils seraient exécutés car n’appartenant pas à une armée régulière. Alors, le général De Gaulle répliqua de manière implacable sur les antennes de la BBC : « Si l’armée allemande se déshonorait au point de tuer des soldats français faits prisonniers en combattant pour leur patrie, le général de Gaulle fait connaître qu’à son profond regret il se verrait obligé d’infliger le même sort aux prisonniers allemands tombés aux mains de ses troupes ». Le message fut entendu car, dans la même journée, la radio de Berlin communiqua le message suivant : « À propos des militaires français qui viennent d’être pris au cours des combats de Bir Hakeim, aucun malentendu n’est possible. Les soldats du général de Gaulle seront traités comme des soldats »

La résistance décisive des forces combattantes de la France Libre lors de la bataille de Bir Hakeim permit de démontrer son utilité auprès des Alliés car cette fixation des troupes italo-allemandes permit au gros des troupes britanniques de se replier en bon ordre afin de se préparer à la défense de l’Egypte où ils remporteraient une victoire décisive lors de la bataille d’El Alamein en octobre 1942.

Ainsi, comme le prédisait justement De Gaulle après la débâcle de 1940, la guerre était devenue désormais mondiale et le rapport de force s’était équilibré, les Alliés avaient résisté vaillamment aux offensives des forces de l’Axe et il était temps pour eux de contre attaquer en utilisant notamment les territoires de l’empire français. Le Général avait bien eu raison de ne pas s’avouer vaincu alors que la partie semblait perdue pour la majorité des responsables politiques et militaires français.

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Mémoires de guerre du Général de Gaulle

Introduction

Quelques mois après le décès de ma tendre et chère grand-mère maternelle, nous étions avec mon oncle et mes tantes en train de vider avec émotion la maison familiale et chacun d’entre nous réfléchissait aux objets qu’il souhaitait et pouvait conserver. Etant logé dans un appartement de banlieue parisienne de taille modeste, je me concentrais sur des objets peu volumineux qui m’évoquaient des souvenirs personnels avec mes grands-parents : des pièces de la vaisselle de ma grand-mère, grande cuisinière et maîtresse indétrônable de la maison, des bandes dessinées d’Astérix et de Lucky Luke qui avaient marqué ma jeunesse, puis je fus attiré par les nombreux livres de la bibliothèque inépuisable de mon grand-père.

 C’est ainsi que se retrouvèrent soudain entre mes mains les différents volumes légèrement écornés des « Mémoires de guerre » du Général de Gaulle, éditées à partir du milieu des années cinquante. De Gaulle, ce monument national dont j’ai si souvent entendu parler, en termes louangeurs, admiratifs, ou nostalgiques, dans des livres d’Histoire, des documentaires, des films ou lors de débats politiques. Cela faisait longtemps que j’avais envie de mieux connaître ce personnage historique mais je n’osais jusqu’ici m’atteler à cette tâche immense qui représentait pour moi l’équivalent de l’ascension d’un haut sommet intimidant qui domine tous les autres.

Cette découverte fut pour moi un signe qu’il était temps de me plonger dans ce récit historique en l’honneur de mes grands-parents. Cela me renvoyait aux conversations avec ma grand-mère lorsqu’elle me racontait ses souvenirs d’enfant pendant la période de l’Occupation. La maison de campagne familiale du Cher était située en zone libre entre Bourges et Moulins, à quelques kilomètres à l’ouest de la ligne de démarcation matérialisée par l’Allier, affluent de la Loire. Un été, son père qui travaillait à Paris en zone occupée, avait voulu rejoindre sa femme et leur fille unique restées à la campagne et, pour éviter de passer les contrôles, il arriva de la capitale avec son attirail de pêcheur puis entra dans l’Allier depuis la rive est en maniant sa canne à pêche pour ressortir de l’autre bord en zone libre sans être inquiété.

Ainsi, je me suis plongé dans ces Mémoires avec intérêt et j’ai été aussitôt captivé par ce récit personnel bien écrit, structuré, méthodique et passionnant de par les évènements historiques qu’il couvre et en étant expliqués du point de vue rare de l’un des acteurs majeurs de cette période. Ces Mémoires sont une opportunité unique de découvrir le cheminement personnel du Général de Gaulle, son raisonnement, sa stratégie basée sur sa hauteur de vue des enjeux globaux et son sens de l’anticipation, enfin son intransigeance pour préserver les intérêts et l’honneur de la France et sa ténacité pour faire face aux défis qu’il a dû relever et les graves décisions qu’il a dû longuement sous peser.

De Gaulle emploie parfois la troisième personne du singulier pour décrire certaines de ses actions, un procédé narratif certes déroutant aux premiers abords mais qui peut se justifier par le fait qu’il était déjà entré dans l’Histoire au moment où il l’a écrit. Le grand Charles se livre peu sur ses émotions et sa vie privée mais on peut deviner par moment tout le poids des enjeux qui pèsent sur ses épaules dans cette période si trouble et agitée où tous les repères vacillent.

Cette lecture permet également de suivre cette période historique du point de vue de la France Libre du Général de Gaulle avec des évènements qui sont parfois peu abordés dans les livres d’Histoire car jugés moins importants au vu des enjeux mondiaux de cette guerre mais ils sont néanmoins essentiels pour mieux comprendre certaines décisions du côté français.

Comme tout récit historique, il faut garder un regard critique et lucide en tenant compte de qui est son auteur et dans quel est contexte il écrit, on peut ainsi penser que le Général avait l’intention, au-delà d’instruire les lecteurs, d’utiliser ces Mémoires pour se replacer au centre de l’actualité politique française et se ménager des chances de revenir au pouvoir, ce qui sera le cas puisqu’il deviendra président de la République en 1959 alors que les trois tomes de ses « Mémoires de Guerre » furent publiés entre 1954 et 1959.

Sans doute de Gaulle omet parfois plus ou moins volontairement certains épisodes qui n’arrangent pas sa vision donc il est nécessaire, comme pour tout récit historique, de compléter ses connaissances avec d’autres sources afin d’avoir une compréhension plus globale mais ces Mémoires représentent pour moi un récit historique passionnant d’un des plus grands personnages de la riche Histoire de France.

Allez, il est temps à présent de répondre à l’Appel du Général !

Tome 1 : l’Appel (1940 – 1942)

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« […] il n’y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d’un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l’extrême infortune est apte à ressentir l’extrême félicité. Il faut avoir voulu mourir, […], pour savoir comme il est bon de vivre.

Vivez donc et soyez heureux, […], et n’oubliez jamais que, jusqu’au jour où Dieu daignera dévoiler l’avenir à l’homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots : attendre et espérer ! »

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