« […] il n’y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d’un état à un autre, voilà tout. Celui-là seul qui a éprouvé l’extrême infortune est apte à ressentir l’extrême félicité. Il faut avoir voulu mourir, […], pour savoir comme il est bon de vivre.
Vivez donc et soyez heureux, […], et n’oubliez jamais que, jusqu’au jour où Dieu daignera dévoiler l’avenir à l’homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots : attendre et espérer ! »
A l’épreuve du doute
Arrivés à Marseille, Albert embarque à destination du continent africain afin de s’engager dans de rugueuses campagnes militaires dans le but de laver le déshonneur de son père dans le fracas des armes tandis que Mercédès aspire au calme et à la solitude dans son ancienne maison de jeunesse. Edmond l’y retrouve mais le temps et les malheurs les ont malheureusement éloignés, la belle et gracieuse Mercédès a perdu de sa candeur, de sa joie de vivre, elle semble résignée et tournée vers le passé alors que Monte Cristo est encore animé d’une flamme intérieure qui le pousse à continuer son chemin de vie.
Cependant, Monte Cristo est assailli de doutes depuis la mort du jeune Édouard et ceux-ci sont amplifiés par sa visite à Mercédès, triste et mélancolique ; est-il allé trop loin dans sa vengeance, était-ce un acte de légitime justice ? Ses interrogations prouvent qu’il lui reste une part d’humanité malgré les tords qu’il a subi et les changements profonds qui se sont opérés en lui.
C’est alors que se produit un nouvel évènement poignant du récit et jamais mis en scène dans les représentations cinématographiques que j’ai visionnées alors que c’est un des éléments clés de cette œuvre. Le comte de Monte Cristo, alias Edmond Dantès, décide de retourner dans la prison du château d’If, désormais vide depuis la révolution de Juillet, afin d’avoir le cœur net sur la justification de sa vengeance.
Ainsi, après avoir brillé pendant dix ans dans l’opulence avec la pleine capacité d’assouvir tous ses désirs, Monte Cristo retourne dans le sombre cachot où Edmond Dantès a croupi pendant quatorze interminables années de sa vie alors qu’il était en pleine force de l’âge.
Ses souvenirs douloureux refont progressivement surface alors qu’il approche des lieux de sa détention et qu’il se remémore ses douloureuses sensations. Le comte est extrêmement ému, Edmond retrouve l’obscurité et la froideur de sa cellule, le silence implacable qui glace le sang ; l’ancien détenu déchiffre sur un mur ses inscriptions désespérés puis il reconnait les traces de la galerie de l’espoir creusée par son maître et sauveur, l’abbé Faria.
Edmond fait alors une prière à son père spirituel afin de l’aider à voir clair dans son esprit et répondre à ses doutes. Dantès trouve sa réponse en relisant un passage du livre écrit par l’érudit pendant sa détention : non, il ne s’est pas égaré et oui, sa vengeance était justifiée après tout ce qu’il a subi, les coupables de sa trahison et de ses souffrances devaient être punis. Edmond est enfin apaisé, ses doutes se dissipent et il pense à son père, à Mercédès puis à Haydé, cette jeune princesse grecque qui fut vendue en esclave par le comte de Morcerf après avoir trahi son père et que Monte Cristo avait retrouvé la trace puis racheté sa liberté afin qu’elle témoigne contre Morcerf. Le comte l’a recueilli chez lui et il s’en est occupé comme de sa propre fille, des liens forts se sont alors tissés entre eux, la tendresse penchant doucement vers l’amour.
Pardonner pour retrouver l’humanité
Après cet épisode marseillais, nous retrouvons Danglars qui a fui ses créanciers pour se réfugier à Rome afin de se faire rembourser le crédit de cinq millions qu’il avait octroyé au comte de Monte Cristo sur la garantie d’une banque romaine qui s’avère fictive.
Alors que le baron sort de l’établissement avec son bon d’échange en poche, Monte Cristo le fait enlever par des bandits à sa solde qui place l’ancien banquier à l’isolement dans une sombre galerie sous-terraine à l’abri des regards. Les truands soumettent alors le baron à une stricte diète : s’il veut boire ou manger il doit payer une somme exorbitante. L’ancien banquier s’offusque de ces procédés honteux et se cramponne à ses richesses mais la faim et la soif le tiraillent, ses besoins vitaux le poussent à se délester du superflu et il finit par céder. Son bon d’échange fond alors à toute vitesse, c’est un retour brutal à la réalité pour l’ancien richissime financier et député qui se targuait de se soucier du peuple du haut de son palais doré.
Monte Cristo arrive au moment où la bourse du baron est quasiment vide, Edmond Dantès le confronte alors à leur passé commun en lui rappelant sa trahison puis il finit par pardonner à Danglars après qu’il se soit repenti. D’une certaine manière, c’est un moyen pour le comte de se racheter lui-même de sa vengeance qui a débordé les limites de l’acceptable en frappant un innocent.
Monte Cristo retrouve ensuite Maximilien sur son île alors que ce dernier aspirait au passage dans l’autre monde depuis que son amour Eugénie était morte empoisonnée mais, heureusement, la fille de Villefort a été secrètement sauvée par le comte qui l’a cachée pour la protéger de sa maléfique belle-mère ; les deux amoureux se retrouvent ainsi avec émotions sur l’île de Monte Cristo sous le regard attendri du comte.
Monte Cristo semble rechercher la confirmation de ses protégés qu’il a bien agi envers eux en leur apportant du bonheur afin d’avoir la confirmation de la justesse de ses actions. De même pour Haydé, le comte veut être sûr de ses réels sentiments amoureux envers lui en la confrontant à des situations extrêmes, comme sa possible disparition, car il veut être certain de la sincérité de son amour et qu’il ne soit pas entravé ou conditionné à une sorte de reconnaissance docile envers son bienfaiteur.
Haydé prouve la sincérité de son amour inconditionnel à Edmond qui se sent enfin soulagé, apaisé, le bonheur apparait à nouveau dans son champ d’horizon après quasiment vingt-cinq années de turbulences, il n’a plus qu’à tenir la barre vers ce cap avec sa nouvelle équipière. Ainsi, ce roman essentiellement tragique malgré quelques passages plus légers se termine sur une note d’espoir avec la déclaration de Monte Cristo qui est en introduction de cet article ; il tire l’enseignement de ces expériences que nous avons toujours une chance d’être heureux, ou du moins apaisé, malgré les adversités ou les méfaits subis ou commis, il faut pour cela se montrer patient et garder espoir.
Conclusion et retour sur l’œuvre
Il est temps désormais de conclure après avoir parcouru l’ensemble de cette œuvre grandiose, riche en rebondissements et en émotions fortes.
L’originalité de cette histoire romanesque tragique suscite un intérêt à chaque fois renouvelé dans les générations qui se succède, grâce notamment aux représentations télévisuelles de qualité, et probablement aussi en raison des ascensions fulgurantes des personnages suivies de chutes vertigineuses ou inversement comme nous l’écrivions en introduction. Ces montagnes russes des destinées où la Roue de la Fortunes’applique à tous, pauvres ou riches, faibles ou puissants, coupables ou innocents captive notre attention, attise notre curiosité et stimule notre imaginaire car tout semble possible, les réussites comme les échecs.
Ce récit questionne également sur la légitimité de la vengeance et sa proportionnalité par rapport aux préjudices subis. Monte Cristo a parfois des envolées quasi mystiques sur ce sujet en estimant qu’il agit pour la justice de Dieu, qu’il est la main invisible de la divine Providence car il interprète sa rencontre miraculeuse avec l’abbé Faria en prison puis la découverte du trésor comme un signe divin pour lui donner les moyens de sa vengeance.
Certains personnages principaux sont confrontés à des dilemmes avec la question qui sous-tend : les enfants sont-ils redevables des crimes de leur parents ?Ainsi, Monte Cristo doit-il sauver Eugénie, la fille de son ennemi Villefort, par compassion pour Maximilien Morel dont le père l’a tant soutenu ou peut-il la laisser mourir par haine contre son père qui l’a tant fait souffrir ? La même question se pose pour Albert de Morcerf, fils de Fernand qui a trahi son ancien ami Edmond Dantès mais aussi fils de Mercédès, son amour de jeunesse qu’il ne veut pas faire souffrir.
Il en va de même pour Villefort, un personnage complexe et nuancé qui renforce l’intérêt de cette œuvre, ainsi le juge intransigeant se voit confronté à l’opposition de son père contre ses propres intérêts concernant le mariage de sa fille avec Franz d’Epinay mais Villefort accepte la décision de son aîné par le respect dû aux anciens conformément aux lois tacites de la famille. Le procureur est ensuite confronté à un nouveau dilemme bien plus terrible quand la mort frappe son entourage et que les soupçons se portent sur sa fille puis son épouse : fera-t-il appliquer la loi sur un membre de sa famille avec la même sévérité qu’il l’a fait pour des inconnus ?
On peut constater que chaque ennemi de Monte Cristo représente un des principaux pouvoirs régaliens qui sont souvent étroitement liés, à savoir le pouvoir militaire et politique en la personne du comte de Morcerf, le pouvoir financier et politique en la personne du baron Danglars et le pouvoir judiciaire en la personne du procureur Villefort. Ainsi, peut-être que certains lecteurs pourraient interprèter cette vengeance personnelle comme une représentation du combat de l’individu contre les injustices et les abus d’une société ou, du moins, de certains de ses représentants dévoyés.
Enfin, il faut se rappeler que le roman de Dumas a été initialement écrit sous forme d’un feuilleton pour être publié par épisodes dans un journal, c’est sans doute la raison pour laquelle certains passages sont de qualité inégale selon moi avec des changements de rythmes et d’angles de vue de la narration qui peuvent être déroutants.
Ainsi, Edmond Dantès est au cœur du récit dans la première partie du roman, nous avons accès à tous ses sentiments et nous pouvons facilement nous identifiés à lui jusqu’au jour où il devient le comte de Monte Cristo après sa découverte du trésor. Alors, le comte devient plus imperméable à l’expression de ses sentiments, nous le voyons à travers le regard de nouveaux personnages du récit sans avoir accès à son esprit, une certaine prise de distance se crée.
Puis, le masque du comte se fissure peu à peu face à ses anciens ennemis et il finit par tomber complètement devant son amour de toujours, Mercédès, après des dialogues émouvants d’une grande force. Nous avons alors à nouveau accès aux nobles sentiments d’Edmond qui nous ont tant ému, à cette innocence bafouée qui réclame une légitime vengeance après avoir fait le deuil de ses êtres les plus chers.
Edmond Dantès revient alors une dernière fois sur le devant de la scène, entouré de nouvelles personnes qui lui sont devenues chères et renforcé par son expérience de Monte Cristo. Espérons qu’il vécut ensuite heureux avec son nouvel amour, Haydé, et qu’ils eurent ensemble de beaux enfants.
« […] il est donc vrai que toutes nos actions laissent leurs traces, les unes sombres, les autres lumineuses, dans notre passé ! il est donc vrai que tous nos pas dans cette vie ressemblent à la marche du reptile sur le sable et font un sillon ! Hélas ! pour beaucoup, ce sillon est celui de leurs larmes ! »
La main invisible du marché de dupes
A présent que Monte Cristo connait parfaitement les mécanismes de préservation du pouvoir et des richesses de ses ennemis ainsi que les liens qui unissent leurs familles, il est temps pour lui de passer à l’attaque.
Il commence par orchestrer la ruine de Danglars en diffusant par le télégraphe une fausse nouvelle que le baron banquier intercepte en premier grâce à son réseau et qui l’incite à vendre précipitamment une grande partie de ses actions quitte à le faire à perte. Lorsque tous ses bons sont vendus, il apprend que l’information est fausse, le cours de l’action remonte, l’illustre financier a ainsi perdu beaucoup d’argent et la face. Puis, un large débiteur italien qui avait toujours honoré ses dettes lui fait soudainement défaut en disparaissant mystérieusement ; la main invisible de Monte Cristo tient les cordons de la bourse de Danglars qui se vide inexorablement.
Au bord de la faillite, le baron boursicoteur se laisse berner par le comte qui lui promet des gains pharamineux en investissant sur de potentielles mines d’or au Mexique ou des réserves de poissons rares en Russie qui s’avèreront plus tard des gouffres financiers.
La maison hantée
Monte Cristo organise ensuite un dîner dans une maison à la campagne qu’il a achetée en sachant que c’est dans cette demeure que Villefort commit l’adultère avec Mme Danglars et enterra en cachette leur fils illégitime qu’il pensait mort à la naissance. Le comte invite à ce dîner les époux Villefort et Danglars afin de déstabiliser les amants fautifs.
Comme à son habitude, Monte Cristo éblouit ses convives avec une profusion de mets rares et exquis dont certains ont été acheminés par des moyens extraordinaires tels des poissons frais péchés en Italie et en Russie qui ont été transportés vivants dans des tonneaux en guise d’aquariums !
Puis, la tension s’installe lorsque des convives évoquent des rumeurs de crimes commis dans cette maison qui sont aussitôt renchéries par Monte Cristo qui constate avec un malin plaisir dissimulé la gêne de Villefort. Le comte fait ainsi durer le suspense, dévoilant une à une les pièces à conviction qui confortent le soupçon qu’un bébé a été accouché dans cette maison puis a été enterré dans le jardin.
Villefort et Mme Danglars sont au supplice et ont du mal à contenir leurs émotions tandis que les autres convives sont captivés par cette histoire sordide. Finalement, Monte Cristo déterre un coffret devant ses invités ébahis mais celui-ci est vide, le mystère reste donc entier.
Pour sa part, Villefort sait que l’enfant est vivant car il avait été grièvement blessé par un bandit lorsqu’il enterrait le coffre dans le jardin et, lorsqu’il était retourné sur les lieux de son agression après être rétabli, il avait découvert le coffre vide puis des preuves que l’enfant avait été recueilli vivant par des inconnus mais sans parvenir à retrouver sa trace. Il s’agit du jeune faux prince Cavalcanti.
Le procureur se doute que Monte Cristo est au courant de cette histoire donc cela signifie qu’il cherche à lui nuire et il va ainsi mener secrètement une enquête sur le comte avec les moyens de la justice mais il se fera facilement berner par les travestissements de Monte Cristo en l’abbé Busoni et Lord Wildmore qui lui donnent de fausses informations sur le comte.
Villefort brise la glace face à ses malheurs
A la suite de ce dîner lugubre dans la maison hantée, Madame Danglars est bouleversée, elle convient avec Villefort de s’entretenir en privé. C’est alors que le procureur ouvre sa froide et rigide carapace devant son ancienne amante pour laisser échapper des émotions douloureuses qu’il tente de maîtriser tant bien que mal. Villefort nous montre alors un visage plus humain en dévoilant les remords qui le rongent d’avoir laissé son fils pour mort et de ne pas être parvenu à le retrouver.
Villefort va ensuite être confronté à un dilemme lorsque son père, Mr Noirtier, va s’opposer à son projet de marier sa fille Valentine avec le baron Franz d’Epinay en menaçant de la déshériter. Villefort décide de respecter la décision paternelle bien qu’elle aille à l’encontre de ses intérêts et encore plus de son épouse vénale car les volontés de son aîné lui sont aussi sacrées que la loi.
Puis, lorsqu’une série de morts suspectes frappe l’entourage de Villefort, les soupçons du médecin de la famille finissent par se porter sur Valentine dont l’héritage est favorisé par ces tristes évènements mais Villefort refuse de croire à cette hypothèse malgré certains faits troublants, il préfère mourir que d’endosser son rôle de procureur sur sa propre fille qu’il aime au-dessus de tout.
Cela rend le récit plus intéressant et plus réaliste d’avoir des personnages de méchants qui sont capables à la fois de froides cruautés à l’encontre de ceux qui ont le malheur de gêner leur ascension sociale tout en éprouvant des sentiments tendres et sincères pour leurs proches.
Danglars, un cynique ironique amusant
Danglars s’avère parfois un personnage plaisant à suivre car il assume au sein de son cercle proche ses instincts de froid calculateur et de profiteur tout en ne se gênant pas non plus pour relever celle des autres avec un ton moqueur. Sa franchise ironique attire ainsi ma sympathie.
Il y a notamment une conversation amusante qui se tient entre lui et sa fille Eugénie où ils devisent sans affects de leurs intérêts mutuels dans l’éventualité où Eugénie se marierait avec le prince Cavalcanti dont la fille du baron se contrefiche éperdument, préférant continuer sa vie de bohème avec son amie pour jouer de la musique ou au théâtre.
Eugénie se dit peu intéressée par les richesses et encore moins par le métier de banquier de son père jugé peu honorable mais celui-ci lui rappelle avec une douce ironie qu’elle ne méprise pas pour autant l’argent qu’il lui donne pour subvenir à ses besoins et qui est issu de son activité dénigrée.
Le père et la fille finissent par conclure un pacte d’intérêts convergents où chacun y trouvera son compte : le banquier bénéficiera des nouveaux capitaux apportés par son gendre et l’artiste pourra garder une certaine liberté. Il n’y a aucune trace d’amour filiale dans leurs échanges, ce sont de simples échanges entre associés.Plus tard dans le récit, lorsque le baron sera ruiné et prêt à prendre la fuite, il écrira une lettre à sa femme dont le ton ironique et mordant est très plaisant à lire. Danglars règle ainsi ses comptes avec sa femme qui l’a toujours méprisé pour son manque de prestance en bonne société, il lui décrit sans scrupules l’étendue de leur ruine subite et totale en se moquant de son épouse avec une effronterie masquée par des formules de politesse.
Le baron joue à fond son rôle de grossier personnage que la baronne lui a toujours reproché et il ne se gêne pas pour mettre le nez de sa digne épouse hautaine dans ses propres bassesses. Celle-ci se voit d’ailleurs lâchement abandonné par son amant, tout autant froid et opportuniste que la famille Danglars.
Le jugement de Dieu
Alors que le comte est en train de déployer sa vengeance survient par surprise un ancien personnage, il s’agit de l’aubergiste Caderousse qui a été témoin de la trahison d’Edmond Dantès par ses anciens amis et qui le lui a révélé sous les traits de l’abbé Busoni. Nous apprenons ainsi qu’après avoir empoché le diamant en récompense de ses confidences, Caderousse a ensuite assassiné par cupidité le marchand qui le lui a acheté puis sa femme afin de garder tout l’argent pour lui.
L’aubergiste fut finalement arrêté puis condamné au bagne où il rencontra le fils illégitime de Villefort, alias le prince Cavalcanti. Ensemble, ils s’évadèrent grâce à l’intervention secrète de Monte Cristo puis ils se séparèrent. Mais Caderousse a retrouvé la trace de son ancien compagnon de bagne, désormais devenu riche, et il souhaite tirer profit de cette situation.
Pour se débarrasser de lui, Cavalcanti le pousse dans un piège en l’incitant à cambrioler la demeure du comte après avoir prévenu celui-ci dans l’espoir que Caderousse soit arrêté. Mais Monte Cristo laisse repartir l’aubergiste après l’avoir surpris en flagrant délit car il a observé la présence de Cavalcanti à l’extérieur dans la pénombre et il décide de faire appel au jugement de Dieu pour décider du sort de l’ancien bagnard qui avait eu de multiples chances de se racheter mais qui a persévéré dans le banditisme.
Finalement, Caderousse est mortellement blessé par son ancien complice qui ne veut pas courir le risque d’être démasqué. Monte Cristo a observé la scène sans intervenir, comme un simple spectateur de la soi-disante justice divine puis il recueille chez lui le bandit agonisant.
C’est alors que le comte décide de révéler à Caderousse sa véritable identité après avoir tenu un discours mystique sur la Providence ; il interprète ainsi ce retournement de situation comme une preuve de la justice de Dieu car lui, Edmond Dantès, qui a terriblement souffert est désormais immensément riche et puissant tandis que Caderousse est puni pour ses méfaits et ses ennemis qui l’ont dénoncé en paieront bientôt le prix.
Les anciens alliés désunis
De manière insidieuse, Monte Cristo monte Danglars contre Morcerf en lui conseillant de se renseigner sur son passé trouble de militaire à l’étranger afin d’éclaircir les soupçons qui pèse sur le père de son potentiel futur gendre. En parallèle, le comte met en valeur le faux prince Cavalcanti afin que Danglars le considère comme un potentiel parti plus intéressant pour sa fille et donc pour lui.
Après enquête, Danglars obtient des informations compromettantes sur Morcerf qui aurait trahi un ancien allié en échange d’une forte récompense de son ennemi. Danglars décide de laisser fuiter ces faits accablants dans la presse en restant vague sur l’identité du coupable puis il s’appuie sur l’émoi provoqué par ces révélations afin de retarder la décision de marier sa fille avec Albert de Morcerf.
Le Comte de Morcerf est profondément humilié par cet affront du baron qui se dérobe lâchement à son engagement oral mais il est obligé de se contenir pour ne pas attirer davantage l’attention sur lui. En revanche, son fils Albert de Morcerf ne peut supporter l’insulte portée contre son père ; il exige un démenti formel du journaliste qui a publié la nouvelle mais celui-ci refuse en arguant qu’il a pu vérifier la véracité de ces faits.
Albert de Morcerf cherche alors à savoir qui a informé le journaliste et il finit par découvrir que c’est Monte Cristo qui a incité Danglars à le faire. Il est abasourdi par cette découverte car il pensait que le comte était son ami. Furieux, il provoque Monte Cristo en duel devant témoins pour laver l’honneur de son père et Monte Cristo accepte d’un ton froid et implacable sans aucune marque de surprise, cela faisait partie de son plan.
Les masques tombent à la Nuit des anciens amants
S’ensuit un des passages les plus émouvants du roman comme à chaque fois que Edmond et Mercédès se retrouvent car leur histoire commune est une grande tragédie d’un amour volé, trahi et rendu impossible. On retrouve alors la puissance des émotions ressentis par Edmond Dantès comme lorsqu’il était en prison.
Mercédès se rend chez le comte dans la nuit après avoir appris son duel prévu contre son fils le lendemain matin. Aussitôt, elle se jette à ses pieds en l’appelant par son vrai nom pour le supplier d’épargner son fils. Monte Cristo est bouleversé d’entendre son nom de la bouche de l’amour de sa vie, son masque d’impassibilité vol en éclats sans plus retenir ses émotions longtemps refoulées. Mercédès affirme l’avoir reconnu dès sa première rencontre mais sans comprendre son but ni ses intentions et elle lui demande des explications sur sa haine envers sa famille.
Edmond livre alors toute sa rancœur contre Fernand, toute la souffrance qu’il a endurée pendant ses quatorze années de captivité au sortir de laquelle il retrouva son père mort affamé et son ancienne fiancée mariée à celui qui l’a envoyé en prison : quel supplice !
Pour prouver les faits à Mercédès qui ignorait jusqu’alors la raison de l’incarcération de son bien aimé, Edmond lui montre la traitreuse lettre de dénonciation écrite par Danglars et Fernand. La comtesse est alors au comble du désespoir, elle qui apprend à la fois la perfidie de son mari et la souffrance de son amant de toujours mais Mercédès se cramponne à sa volonté de sauver son enfant chéri d’une mort certaine. Edmond fini par céder, par amour pour elle, touché par ses mots sincères de douleurs et de repentir, c’est très émouvant.
Puis, Edmond remet son masque imperturbable du comte de Monte Cristo pour préciser à la comtesse de Morcerf les conséquences de son renoncement à se venger : cela signifie sa mort car il a été provoqué en public et son honneur, sa dignité est en jeu. En effet, le comte a mis trop d’efforts à élaborer ses plans minutieux pour y renoncer paisiblement et il a trop souffert pour pouvoir supporter un nouvel affront si proche de son but.
Mercédès le remercie du fond du cœur et lui demande de garder espoir, elle le quitte heureuse d’avoir retrouvé le Edmond qu’elle a tant aimé tandis que Monte Cristo rumine pendant toute la nuit son échec alors qu’il était si près d’assouvir sa vengeance tant attendue, il devient alors fataliste en acceptant l’idée de mourir.
Duels
Le lendemain matin, il se rend sur le lieu du duel où il retrouve ses témoins et ceux d’Albert de Morcerf mais celui-ci se fait étrangement attendre. Le voici qui arrive au galop d’un air fortement troublé, il dépose pieds à terre puis demande aux témoins de se rapprocher afin qu’ils entendent et répètent autour d’eux sa déclaration au comte de Monte Cristo.
Sa mère lui a raconté tous les malheurs que le comte a subi à cause de son propre père et Albert présente ses excuses à Monte Cristo, il retire son injure et par là annule le duel : tous les deux sont sauvés. Monte Cristo qui s’apprêtait à mourir remercie alors intérieurement Mercédès pour sa bonté et le Ciel pour sa miséricorde.
De retour à la demeure familiale, Albert décide d’abandonner immédiatement tout ce qui le relie à son père : ses richesses, sa demeure et même jusqu’à son nom en prenant celui de sa mère. Celle-ci l’accompagne en quittant également ses richesses et le domicile conjugal pour retourner au lieu de ses origines, à Marseille. Le fils veut refaire sa vie dans des campagnes militaires à l’étranger pour laver le déshonneur paternel qui lui colle à la peau, la mère aspire au recueillement loin de l’agitation du monde dans un couvent.
En ce qui concerne le comte de Morcerf, sa honte se transforme rapidement en furieuse colère contre celui qui est à l’origine de son naufrage, il se rend alors au palais de Monte Cristo pour le provoquer en duel afin de réparer ce que son fils n’a pas voulu faire. Edmond lui révèle alors froidement son identité, Fernand est pétrifié par la vision de ce fantôme venu le hanter pour lui rendre des comptes. Pris de panique, il s’enfuit chez lui juste à temps pour apercevoir sa femme et son fils qui le quittent à jamais, sans même un regard pour lui. Alors, au comble de la honte et du désespoir, Fernand se suicide ; le premier des trois ennemis est tombé.
La loi du talion
Afin de se venger de Danglars à la hauteur de ce qu’il lui a fait subir, Monte Cristo réplique des scènes similaires à ce qu’il a vécu. Ainsi, une lettre retrouvée de manière soi-disant fortuite par Monte Cristo sur le corps sanguinolent de Caderousse dévoile le passé de bagnard du prince Cavalcanti alors que celui-ci s’apprête à se marier avec la fille du baron.
Les gendarmes font alors irruption en pleine cérémonie de mariage pour arrêter le futur époux comme dans le passé pour le pauvre Edmond Dantès ; le coup est cruel mais parfaitement orchestré. L’arrestation du faux prince Cavalcanti discrédite ainsi le baron Danglars et annihile son unique chance de renflouer ses caisses avec les capitaux de son gendre, il ne lui reste donc plus qu’à fuir.
Le deuxième ennemi de Dantès est tombé, désormais, c’est au tour du dernier et du plus impitoyable : Villefort.
Le procureur est déjà blessé dans sa chair et dans son cœur en raison des morts par empoisonnement qui touchent son entourage et dont la dernière victime est sa tendre fille Valentine. Il décide alors de se saisir du procès du faux prince Cavalcanti meurtrier et ancien bagnard pour se plonger corps et âme dans cette affaire afin d’éloigner la douleur qui l’accable et de repousser la terrible décision qu’il doit prendre concernant le coupable des empoisonnements qu’il a fini par démasquer.
Il s’agit de Mme de Villefort, aveuglée par l’appât du gain de l’héritage de sa belle-famille et voulant tout accaparer pour son fils unique. Villefort s’avère implacable dans sa résolution de punir l’assassin de sa fille, même envers sa propre épouse, il l’enferme dans sa chambre en lui laissant le choix entre le poison ou le déshonneur d’un procès qui aboutira à l’échafaud puis il s’en va plaider contre Cavalcanti.
Après avoir condamné sa femme, le procureur instruit à charge, sans le savoir, son fils mais ce dernier a été informé de sa secrète ascendance par le comte de Monte Cristo et il révèle tout devant un public abasourdi. Villefort est glacé d’effroi, les détails fournis par Cavalcanti le convainquent qu’il est bien son fils, il est terrassé. Alors, le procureur reconnait ses torts devant l’audience médusée par ce retournement de situation puis il quitte le tribunal, vaincu. Aussitôt, il pense à sa pauvre femme qu’il a dédaigneusement condamné alors que lui-même est coupable de crimes, il se dépêche alors de la retrouver afin de la délivrer puis de fuir ensemble. Monte Cristo a appliqué la loi du talion à ses ennemis, dénonciation pour dénonciation et procès pour procès.
Le châtiment dépasse son auteur
Villefort arrive trop tard à son domicile, l’irréparable a été commis : son épouse a bu son propre poison et, comble de malheur, elle a emporté son fils dans son voyage dans l’au-delà. Le procureur tombe à genoux et devient ivre de douleur, cette succession de terribles malheurs le rendent fou et désespéré. Le récit a pris une tournure macabre, glauque, c’en est trop de cette vengeance sordide qui a dépassé les limites acceptables de la légitime vengeance en frappant un innocent.
Villefort croise en sortant de la chambre l’abbé Busoni qui le scrute d’un regard attentif et sévère, le procureur prend alors conscience que ce personnage est apparu dans son entourage en même temps que le début des malheurs qui frappent sa famille. Il le questionne sur la raison de sa présence, Monte Cristo en déduit à la mine défaite de son ennemi que la révélation de son fils à son procès a eu lieu et qu’il est désormais vengé donc il dévoile sa réelle identité et son projet de vengeance en appliquant la loi du talion.
Villefort a été tellement choqué par cette succession de tragédies qu’il est à peine surpris par cette nouvelle révélation, il saisit alors la main de son juge et bourreau pour l’emmener dans la chambre afin de lui montrer les corps gisants de sa femme et de son fils puis il lui demande d’un ton glacial s’il est désormais bien vengé. Monte Cristo est pétrifié à la vue du corps inerte du jeune enfant, il perd pied en constatant avec horreur que son piège savamment orchestré lui a largement échappé.
Le comte tente désespérément de ranimer le pauvre enfant mais il est trop tard, sa vengeance lui a échappé, il est temps qu’elle cesse et qu’il s’en aille. Monte Cristo a désormais un goût amer dans la bouche, il a terrassé ses trois ennemis mais l’écœurement l’envahit, il a besoin de quitter Paris, de retrouver le soleil de sa jeunesse à Marseille.
Le chapitre de la vengeance est clos, il est temps désormais de conclure.
« Et maintenant, […] adieu bonté, humanité, reconnaissance… Adieu à tous les sentiments qui épanouissent le cœur !… Je me suis substitué à la Providence pour récompenser les bons… que le Dieu vengeur me cède sa place pour punir les méchants ! »
Les amants retrouvés
Après l’épisode romain, le récit reprend quelques mois plus tard lors de l’arrivée du Comte de Monte Cristo à Paris sur l’invitation d’Albert de Morcerf. Le jeune fils de son ennemi s’est entouré pour l’occasion de ses amis proches et le comte leur fait rapidement forte impression en raison de ses récits de voyages exotiques et de ses idées franches et subversives qu’il assène sans détours.
Albert emmène ensuite le comte dans les appartements de sa mère pour le présenter. En patientant dans un vestibule, Monte Cristo découvre le portrait resplendissant de Mercédès : il est saisi par sa beauté et ému par les tendres souvenirs resurgissant de sa mémoire mais il tâche de dissimuler ses émotions au retour de ses hôtes. C’est enfin les retrouvailles des amants après plus de vingt ans de séparation ! La comtesse ne connait pas la véritable identité de son invité de marque bien que son intuition éveille ses sens ; elle est troublée par la voix et le visage du Comte de Monte Cristo qui lui semblent familiers sans pouvoir les rattacher à des souvenirs précis. Mercédès perçoit également l’émotion contenue qu’elle suscite auprès de son invité mais la raison de sa présence l’intrigue, elle ressent une menace planer sur sa famille.
Après avoir pris congé du comte, Mercédès demande aussitôt à son fils des informations sur le passé de cet étrange personnage et elle lui enjoint de rester sur ses gardes, à la grande surprise de celui-ci qui ne se doute de rien.
La course contre le temps à tout prix
Après cette entrevue émouvante, Monte Cristo prend ses quartiers dans un somptueux logement sur les Champs Elysées qu’il n’a même pas pris la peine de visiter avant de l’acheter ; il procède ainsi pour tous ses achats luxueux. Le comte étale sa richesse devant le tout Paris, rien ne doit lui résister, il est prêt à acheter les objets les plus recherchés à prix d’or et sur le champ, sans même les essayer : l’argent compte pour lui bien moins que le temps car il dispose du premier quasiment à l’infini tandis que le second ne s’achète pas.
Néanmoins, le comte peut raccourcir les temps d’exécution de ses tâches grâce à son habile personnel soigneusement sélectionné pour exécuter avec célérité ses ordres et en utilisant les moyens de transports les plus rapides pour raccourcir les durées de trajets.
Après avoir s’être fait connaître de la haute société parisienne comme un homme immensément riche et extravagant, il est temps pour Monte Cristo d’attirer à lui ses trois terribles ennemis : Morcerf, Danglars et Villefort ; le temps de la confrontation est enfin venu.
Morcerf, représentant du pouvoir militaire, et politique
Le premier ennemi confronté par Monte Cristo est le Comte de Morcerf, alias Fernand, son ancien ami qui l’a dénoncé traitreusement puis a épousé sa fiancée. Fernand ne reconnait pas Edmond Dantès sous son accoutrement et avec le poids des années alors qu’il le croit mort en prison. De toute façon, Morcerf semble obnubilé par sa propre personne et, malgré son ascension sociale fulgurante, il demeure préoccupé par les intrigues politiques incessantes donc il accorde peu d’intérêt à Monte Cristo et leur entrevue est de courte durée.
Monte Cristo aura par la suite peu d’occasions de revoir Morcerf, il mènera donc discrètement son enquête sur le passé trouble de ce triste personnage pour récolter des preuves et des témoignages de ses méfaits afin de le faire tomber en disgrâce le moment venu.
Danglars, représentant du pouvoir financier, et politique
Lors de sa première rencontre avec le Baron Danglars, le Comte de Monte Cristo commence par lui rendre hommage en citant tous ses titres de noblesse et ses mandats électoraux prestigieux ainsi qu’en louant ses dons de financier puis, sans sommations, il décoche ses premières flèches pour percer le costume d’orgueil de ce nouveau riche opportuniste en dévoilant ses bassesses de manière faussement naïve.
Monte Cristo dit les choses comme elles sont d’un ton implacable, sans filtres ni circonvolutions, son interlocuteur est interloqué et ne peut déterminer si ce mystérieux étranger est volontairement impertinent ou bien peu au fait des convenances de la bonne société parisienne.
L’entretien tourne alors à une satire de cette nouvelle catégorie d’aristocrates dits « populaires », représentés par Danglars, qui veulent à la fois se draper des honneurs de la noblesse dans la haute société tout en souhaitant recueillir l’assentiment du peuple en revendiquant d’en être issu et d’agir pour son bien.
Le comte tisse alors le premier fil de son piège en présentant au baron des recommandations de banquiers illustres pour que la banque Danglars lui ouvre un crédit illimité. Cette annonce provoque l’incrédulité puis la panique du financier car elle attaque ses points faibles : son avarice et son aversion pour le risque non maîtrisé.
Danglars tente alors de faire diversion en suggérant un prêt d’un million, ce qui lui semble déjà une somme immense mais Monte Cristo rejette sa proposition ironiquement en lui montrant devant ses yeux ébahis qu’il possède déjà cette somme sur lui et qu’il a donc besoin de bien plus d’argent.
Le comte fait ainsi comprendre au baron qu’ils ne jouent pas dans la même catégorie et ce dernier finit par accepter un crédit sans limites, de peur de rater une opportunité d’attirer un si gros client et dans l’espoir d’en tirer en retour des intérêts à la hauteur du prestige du comte. Danglars est ainsi pris dans la toile du piège de Monte Cristo.
Villefort, représentant du pouvoir judiciaire
Le procureur du roi Villefort étant accaparé par sa mission et peu friand des mondanités, Monte Cristo met en scène le sauvetage de sa femme et de son fils lors d’un accident de carrosse afin de forcer celui-ci à lui rendre visite pour le remercier.
Villefort s’avère l’adversaire le plus coriace de Monte Cristo car son métier d’enquêteur l’a rendu méfiant vis-à-vis des hommes, il a également un mode de vie relativement austère donc il est moins sensible à la flatterie et aux démonstrations de richesse.
Par conséquent, Monte Cristo utilise une approche différente de ses précédents adversaires afin de déstabiliser Villefort ; il lui tient un discours quasi mystique sur la justice des hommes et la Providence en s’estimant un être d’exception investit d’une mission quasi divine sans préciser son but.
Villefort tente alors de reprendre le contrôle de la conversation en repoussant dédaigneusement ces élucubrations philosophiques car l’exercice de la justice est selon lui une mission sérieuse qui nécessite de longues années d’études et de la rigueur afin de pouvoir comprendre et maitriser l’ensemble de ses mécanismes.
Monte Cristo relève le défi de confronter le procureur sur son sujet de prédilection en lui étalant son érudition dans ce domaine qu’il a étudié sous toutes ses formes, non seulement en France, mais aussi dans les nombreux pays orientaux qu’il a visités. Sa vision est donc bien plus complète que Villefort ; le comte en vient à la conclusion de la futilité de toutes ces règles, ces codes, ces enquêtes, discours et délibérations, il lui préfère la loi primitive et simpliste du talion.
Monte Cristo tourne ensuite en ridicule son interlocuteur prétentieux qui cherche à le prendre de haut en se disant très occupé par sa charge qu’il juge plus digne que celle du comte qui peut se permettre de philosopher tout en jouissant de ses richesses. Monte Cristo contre-attaque en soulignant les contradictions et les incohérences du procureur entre son discours et ses actes ; le comte met ainsi en doute le mérite de Villefort toujours sous couvert d’une fausse naïveté excusable pour un étranger peu aux faits de la bonne conduite à tenir en société.
Un peu de légèreté dans la gravité
Après ces rudes confrontations, il s’ensuit un passage plus léger qui arrive à point dans le récit afin de donner de la respiration : il s’agit de l’entrée en scène du père et du fils Cavalcanti. Cela ressemble à une comédie de boulevard où chacun des personnages pense duper l’autre à son profit ; Monte Cristo a fait venir à Paris ces deux italiens qui ne se connaissent pas après les avoir rencontrés séparément sous les traits de l’abbé Busoni et de lord Wildmore.
Le comte fait passer l’un pour le fils et l’autre pour le père dans l’unité du saint argent que tous les deux espèrent toucher à la fin de leur étrange mission. Il est amusant de contempler ces deux nouveaux personnages qui croient berner le comte sans savoir que c’est lui qui est à l’origine de cette farce ; les Cavalcanti jouent leur rôle à merveille sans poser trop de questions de peur d’éveiller les soupçons et de rater leur promesse de récompense qui leur semble trop belle pour être vrai.
Le comte s’amuse peu de cette situation, il est tout à son plan de vengeance car le fils Cavalcanti est en réalité le fils illégitime de Villefort et de l’épouse de Danglars que le soi-disant digne procureur a laissé pour mort à sa naissance et dont Monte Cristo a appris l’existence en enquêtant sur la vie du procureur ; la toile du piège s’étend à d’autres proies.
Liaisons entre familles
A mesure que le comte s’insère dans l’entourage de ses ennemis, il découvre les nombreuses intrigues qui lient leurs différentes familles et Monte Cristo va s’en servir pour élaborer son plan d’attaque.
Il y a des liaisons officielles qui reposent généralement sur de simples convergences d’intérêts dénuées de sentiments ; elles sont par conséquent plus fragiles et menacées de ruptures soudaines tandis que d’autres sont nouées à l’abri des regards en se nourrissant de sentiments sincères et nobles, rendant ainsi leurs liens invisibles bien plus solides.
Les enfants sont à cette époque une monnaie d’échange, de simples figurants pour leurs mariages qui représentent des alliances entre familles où les sentiments comptent peu ; ce sont des contrats sans affects, une série de chiffres, une addition de rentes, de propriétés et de titres mais il n’y a point de cœur dans tout cela.
Le Baron Danglars est ainsi officiellement un opposant politique du Comte de Morcerf mais, officieusement, ces deux opportunistes alliés depuis leur premier méfait à Marseille projettent ensemble de marier leurs enfants Albert et Eugénie afin d’accroitre leurs richesses et leur prestige. Les deux jeunes fiancés ne partagent aucun sentiment amoureux l’un envers l’autre mais ils semblent se résoudre aux vœux de leurs parents tant que chacun puisse garder une certaine liberté d’action.
Monte Cristo fait alors entrer en scène les Cavalcanti en les faisant passer pour de riches princes italiens auprès du baron Danglars et en laissant suggérer que le fils représenterait un bon parti pour sa fille, l’appât du gain commence à semer le doute dans l’esprit du banquier, un nouveau fil est tissé.
La fille aînée de Villefort, Valentine, issue du premier mariage du procureur avec une noble, Madame de Saint Méran, est pour sa part destinée au baron Franz d’Epinay dont le père était un illustre général qui paya de sa vie son soutien affiché à la monarchie alors que Napoléon était sur le point de revenir en France. Le but de ce mariage est pour Villefort de faire taire les rumeurs qui pèsent sur son propre père, ancien bonapartiste de haut rang, le soupçonnant d’avoir participé à la disparition du général ennemi.
Mais Eugénie aime en secret le fils de Monsieur Morel, Maximilien, militaire en congé à Paris après une campagne à l’étranger et sur lequel veille affectueusement Monte Cristo comme son propre fils en souvenir ému du soutien indéfectible de son ancien armateur.
Des parents exempts d’exemplarité
Danglars s’est marié avec une noble qui lui a permis d’acquérir le titre de baron mais il n’en a pas les codes de bonne conduite et il se fait régulièrement humilier par son épouse. Celle-ci a un jeune amant qui l’accompagne officiellement en tant qu’ami afin de sauver les apparences en société mais personne n’est dupe, y compris le baron qui s’accommode de cette situation tant qu’elle lui est profitable.
En effet, l’amant de la baronne Danglars détient un poste haut placé dans un ministère permettant d’obtenir des informations de premier ordre qu’il transmet en exclusivité à sa maîtresse afin que son mari investisse en premier dans les bonnes affaires et rétrocède une partie de ses intérêts à sa femme. La paix de ce ménage à trois est ainsi assurée tant que chacun y trouve son compte.
En découvrant cette liaison, Monte Cristo comprend ainsi que l’une des raisons principales de la richesse de Danglars est son accès privilégié à l’information, cela va lui permettre de tisser de nouveaux fils pour piéger le banquier.
Après le décès de sa première épouse, Villefort s’est remarié et a eu un fils, Edouard. Lors de sa rencontre avec Monte Cristo, la nouvelle épouse de Villefort se montre très curieuse au sujet des expérimentations du comte pour élaborer des élixirs aux effets tranquillisants qu’il affectionne depuis son voyage en Orient et qui peuvent s’avérer mortels à hautes doses.
Monte Cristo se doute que cette curiosité cache de mauvaises intentions qui pourraient nuire à son ennemi donc il partage sans états d’âme à Mme de Villefort ses recettes. Quelques semaines plus tard, les parents de l’ancienne épouse de Villefort sont mystérieusement retrouvés morts dans leur sommeil puis c’est au tour du serviteur du père de Villefort de mourir d’étouffement sous les yeux effarés de son maître après avoir bu un verre d’eau qui lui était destiné. Le doute et les soupçons s’installent dans la famille de Villefort.
Monte Cristo a désormais acquis la confiance du cercle proche de ses ennemis et les informations qu’il obtient au gré de confidences ou de ses enquêtes lui permettent de mettre à jour tous ces liens qui unissent leurs familles et les rouages de leur organisation qui tournent à leur profit. Il va pouvoir désormais ajouter ses grains de sable afin de détraquer la machine et la détourner pour accomplir sa vengeance.
Le rythme du roman redevient captivant, la toile se tisse et les pièces du puzzle s’assemblent progressivement sans que l’on puisse encore voir le dessin final mais on sent que Monte Cristo est désormais prêt à passer à l’attaque.
– A tout, […], à votre voix, à votre regard, à votre pâleur, et à la vie même que vous menez.
– Ah si vous aviez goûté de ma vie, vous n’en voudriez plus d’autre, et vous ne rentreriez jamais dans le monde, à moins que vous n’eussiez quelque grand projet à y accomplir.
– Une vengeance ! par exemple
– Et pourquoi une vengeance ? […]
– Parce que, […], vous m’avez tout l’air d’un homme qui, persécuté par la société, a un compte terrible à régler avec elle.»
A la recherche du trésor
Après son évasion spectaculaire de la prison du château d’If, Dantès parvient à rejoindre à la nage un petit îlot puis, lorsqu’une frêle embarcation passe à proximité, il fait un signe de détresse en se faisant passer pour un naufragé.
L’équipage se trouve méfiant à son égard car ce sont des contrebandiers mais Edmond gagne rapidement leur confiance en mettant à leur service ses talents de navigateur qu’il n’a pas perdus même après quatorze années de captivité. Ainsi, Dantès devient un membre de cet équipage hors-la-loi ; il se montre discret sur son histoire et patient quant à ses ambitions car l’expérience de son incarcération l’a rendu méfiant vis-à-vis des hommes et méticuleux pour surmonter les plus grands obstacles.
Les contrebandiers opèrent entre les côtes françaises et italiennes ; il leur arrive régulièrement de passer à proximité de l’île de Monte Cristo que Dantès observe alors attentivement. Mais il ne se précipite pas, il attend pendant plusieurs mois d’avoir la bonne occasion de s’y rendre sans éveiller les soupçons.
Celle-ci se présente alors que les contrebandiers font étape sur cette petite île inhabitée afin de procéder à un échange de marchandises à l’abri des regards. Alors, Monte Cristo mime un accident en chutant d’un rocher afin qu’on le laisse seul pendant plusieurs jours sur l’île tandis que l’équipage repart en mer pour une opération importante ; ils conviennent de le récupérer à leur retour en lui laissant des vivres.
C’est le moment de vérité pour Edmond : ce mystérieux trésor occupe ses pensées depuis qu’il a appris son existence du fond de son cachot ; il ne peut s’en détourner en retrouvant une vie modeste alors qu’on lui a volé les plus belles années de sa vie loin de ses êtres chers. Cette richesse lui procurerait ainsi des moyens immenses pour accomplir sa vengeance sur ses ennemis et soutenir ses proches ; ce serait en quelque sorte pour lui une occasion unique de rattraper le temps perdu en bénéficiant de ressources illimitées.
Il se lance alors avec anxiété à la recherche de l’entrée de la cache sur la base des indications de l’abbé Faria. Edmond est empli de doutes sur la véracité du récit de son compagnon de prison, cela lui semble un cadeau du ciel trop beau pour être vrai. Ainsi, même s’il décèle de nombreux indices laissant penser que de larges pierres ont été déplacées à la main puis que des branchages ont été déposés pour masquer les traces de ces travaux, il n’ose pas y croire de peur d’être déçu.
Chaque pas qui rapproche Edmond de son but augmente son angoisse et ses craintes. Il parvient à déloger un rocher avec de la poudre puis il s’engage dans une galerie qui aboutit à une impasse mais, grâce à son habitude de l’obscurité, Edmond décèle un passage secret soigneusement dissimulé qui permet d’accéder à une minuscule salle voutée sans issue.
L’ancien prisonnier observe alors méticuleusement les parois puis le sol de cette pièce sombre. En creusant la terre, il découvre une malle en bois avec des armatures de fer. A ce moment, Dantès est submergé d’émotions et il n’ose ouvrir le coffre de peur qu’il soit vide, c’est l’instant de vérité.
Edmond ouvre alors la malle d’un coup sec avec sa pioche, il est aussitôt ébloui par une multitude de pièces en or, de pierres précieuses et de diamants. Alors, il peut enfin exploser de joie après tous ses patients efforts : le trésor existe et il est à lui !
A la recherche du passé
Dantès récupère aussitôt quelques pierres puis cache à nouveau le trésor. Les contrebandiers reviennent ensuite le chercher et le ramènent sur la côte où il échange ses pierres pour de l’argent.
En prenant congé de l’équipage sur un faux prétexte, Edmond sollicite l’un des membres en qui il a toute confiance, Jacopo, pour se rendre à Marseille afin de prendre des nouvelles de son père et de Mercédès tandis qu’il retourne à l’île de Monte Cristo pour récupérer et sécuriser le reste de son trésor.
On constate ainsi que le premier soin de Dantès après avoir découvert son trésor est de se soucier des êtres qui lui sont le plus cher. Certains esprits tatillons objecteraient qu’il aurait pu le faire dès son évasion mais Edmond était recherché par les autorités et il n’avait pas le moindre sou ni papier, les risques étaient trop importants pour qu’il soit à nouveau fait prisonnier. A son retour de la cité phocéenne, Jacopo lui apprend que son père est mort et qu’il n’a pas pu obtenir d’informations sur Mercédès, elle est introuvable. Dantès s’attendait à ce que son père soit décédé après toutes ces années écoulées mais il est étonné de ne pas trouver de traces de sa fiancée.
Il doit donc se rendre en personne à Marseille pour obtenir plus de détails mais sous une fausse identité afin de ne pas être appréhendé. Dantès se déguise ainsi en deux personnages : un riche anglais, lord Wildmore, et un prêtre italien, l’abbé Busoni. Il se servira par la suite souvent de ce stratagème pour agir en toute discrétion.
Avec le poids des années et son accoutrement, il constate avec satisfaction en arrivant au port que d’anciens matelots qui étaient sous ses ordres ne le reconnaissent pas donc il peut se déplacer sans risques. Cependant, Edmond ne parvient pas à retrouver des traces de Mercédès ni de Danglars et Fernand, tous semblent être partis depuis longtemps. On lui indique néanmoins où se trouve l’aubergiste Caderousse qui les connaissait bien tous les trois.
Terribles révélations
Edmond se présente à Caderousse sous l’identité de l’abbé Busoni en expliquant qu’il a confessé le prisonnier Edmond Dantès avant de mourir et que celui-ci lui a confié un petit bijou afin que le produit de sa vente soit redistribué à ses anciens amis qu’il a nommé Caderousse, Danglars et Fernand. C’est une astuce efficace pour pousser l’aubergiste à dénoncer ses anciens complices afin de garder tout l’argent pour lui et celui-ci tombe dans le piège : il apprend alors à Dantès de terribles nouvelles.
Son père est effectivement décédé mais les circonstances sont bien plus graves que ce qu’Edmond aurait pu imaginer. D’après Caderousse, le père d’Edmond Dantès s’est laissé mourir de faim au désespoir de n’avoir plus de nouvelles de son fils. Cela parait inconcevable à Edmond qui met ainsi en doute la version de Caderousse mais ce dernier lui explique que son père était parvenu à dissimuler sa grève de la faim, y compris à Mercédès et à l’armateur Monsieur Morel qui venaient régulièrement lui rendre visite pour le soutenir.
Dantès devient ivre de colère au fond de lui-même mais il est obligé de se contenir pour apprendre la suite des évènements passés, ce qui ne fera qu’amplifier sa rage. Ainsi, il obtient la confirmation que les personnes qui se disaient être de ses amis l’ont effectivement trahi de manière sournoise comme l’avait deviné l’abbé Faria. Mais ce n’est pas tout, à sa grande indignation, ces viles personnes sont désormais devenues riches et puissantes !
En effet, Danglars s’est enrichi en tant que banquier profiteur de guerres et il est même devenu baron à la faveur d’un mariage avec une noble, ils vivent dans un somptueux palais à Paris.
Pour sa part, Fernand fut enrôlé dans l’armée de Napoléon à son retour de l’île d’Elbe mais il déserta avec un général qui le promu au rétablissement de la monarchie puis il continua de monter en grade lors des guerres d’Espagne puis de Grèce contre les ottomans. Il fut alors anobli pour ses faits d’armes et ses services rendus à la Monarchie sous le titre de Comte de Morcerf.
La douleur d’Edmond atteint son paroxysme lorsqu’il apprend avec stupeur que Fernand s’est marié avec Mercédès. Son ancienne fiancée avait repoussé plusieurs fois les avances de Fernand mais elle avait fini par céder au bout de deux années sans nouvelles d’Edmond et alors que tout le monde le donnait pour mort en ces temps troubles.
Caderousse raconte également que son ancien armateur Monsieur Morel s’est battu pour innocenter Edmond mais il a été brimé à la restauration de la monarchie en raison de son soutien au bonapartisme. Son commerce maritime a ensuite subi de nombreux revers et il est désormais au bord de la ruine.
Dantès encaisse les coups successifs de ces terribles révélations alors qu’il s’est assis dans un coin sombre de l’auberge pour masquer ses émotions évoluant de la tristesse à une immense colère. Il est abasourdi par l’injustice de la vie où les bons sont punis, écrasés, broyés et plongés dans la misère tandis que les méchants sont récompensés, promus, riches et puissants.
A la fin du récit de l’aubergiste, l’abbé Busoni décide de laisser le bijou à Caderousse car il s’avère être le seul des anciens amis d’Edmond Dantès à ne pas l’avoir trahi ou, du moins, à ne pas avoir profiter de sa trahison.
La récompense des justes avant le châtiment des coupables
Après avoir confirmé ses soupçons sur ses ennemis et avoir eu des preuves de la bonté de son ancien patron, Monsieur Morel, Dantès décide en premier de lui venir en aide alors qu’il est menacé de banqueroute. Grâce son intervention sous l’identité d’un banquier anglais, Dantès remet à flot l’entreprise Morel.
Il parvient également à obtenir le registre des prisons où il découvrira la sentence implacable et mensongère de Villefort à son égard qui rendit tout recours impossible d’aboutir ainsi que la lettre de dénonciation anonyme rédigée par Danglars et Fernand.
A présent que son ancien bienfaiteur a été récompensé, Edmond peut désormais se consacrer à sa vengeance sur ses ennemis mais il décide de prendre le temps de s’y préparer en faisant un long voyage de plusieurs années à travers l’Orient
Nous avons très peu de détails sur cette partie de sa vie si ce n’est qu’Edmond prolonge les enseignement de l’abbé Faria en développant son usage de plusieurs langues et en étendant ses connaissances dans de nombreux domaines.
Rome, porte d’entrée de Paris
Il s’écoule ainsi une parenthèse de huit années dans le récit après laquelle on retrouve Edmond Dantès en l’année 1838 à Rome, il se fait désormais appeler le Comte de Monte Cristo.
Le comte fait alors la connaissance de deux nouveaux personnages français voyageant en Italie : Albert de Morcerf, fils unique de Fernand et Mercédès ainsi que Franz d’Epinay, son ami.
Bien que ces deux jeunes gens soient issus d’un milieu très favorisé, le Comte de Monte Cristo leur fait une forte impression en apparaissant comme un être immensément riche, extrêmement cultivé, distingué et original tant dans ses accoutrements orientaux que dans ses idées. Le Comte de Monte Cristo est un être mystérieux au visage extrêmement pâle, il mange peu malgré les festins qu’il offre à ses invités et rien ne lui semble hors de portée grâce à sa richesse qu’il dépense sans se soucier du prix ; il veut le meilleur et tout de suite.
Néanmoins, Franz perçoit à la vision cynique que porte le comte sur la société et les êtres qui la composent que celui-ci en a souffert et qu’il est ivre de vengeance malgré ses larges démonstrations de générosité et d’amabilité. Monte Cristo soutient notamment à ses jeunes interlocuteurs que la peine de mort lui semble une sanction trop faible au regard de la souffrance immense et durable que peuvent infliger certains criminels à d’innocentes victimes, il souhaite ainsi un châtiment à la hauteur des douleurs infligées en s’inspirant des divers supplices qu’il a pu observés lors de son voyage en Orient.
Le passage du récit à Rome s’avère moins intéressant à suivre car le rythme est plus lent, il y a moins de péripéties mais surtout, l’angle de la narration change et c’est déconcertant. Auparavant, le jeune Edmond Dantès était au centre du récit, tous ses sentiments et ses actions nous étaient décrits avec de nombreux détails, il nous était familier et on pouvait s’attacher à lui. Désormais, Monte Cristo apparait comme un personnage secondaire supplanté par Albert et Franz ; Edmond Dantès semble être devenu une forteresse imperméable, y compris pour le narrateur.
Lorsqu’Albert de Morcerf invite Monte Cristo à lui rendre visite à Paris afin de le remercier de son hospitalité, on comprend que cette rencontre était préméditée par le comte dans le but de s’introduire dans le cercle des familiers de ceux qui l’ont trahi. Monte Cristo a pris son temps mais, désormais, il est prêt à retrouver ses ennemis pour accomplir sa vengeance.
Pourquoi tant d’attrait populaire pour ce roman d’Alexandre Dumas datant de quasiment deux siècles et qui demeure, malgré la succession d’époques aux modes et aux mentalités différentes, un succès dans les librairies et devant l’écran en étant interprété par les plus célèbres acteurs de leur génération ?
Qu’est-ce qui nous parle dans cette histoire de manière intemporelle et captive notre attention ? Est-ce la tragédie de ce bonheur volé qui appelle à un légitime sentiment de justice sociale et sentimental par tous les moyens ? Est-ce la fascination pour l’itinéraire chaotique de ce jeune héros rayonnant qui est plongé brutalement dans les abîmes d’un enfer carcéral d’où il parviendra à s’échapper pour devenir un homme riche et puissant assouvissant froidement et méthodiquement sa vengeance ?
Le public est souvent friand de ces histoires faisant la une de la presse people avec des célébrités déchues qui touchent le fond après avoir gravi les sommets mais il se passionne également pour les récits de rescapés d’une guerre ou d’un voyage périlleux qui ont fait preuves de grandes capacités de résilience en luttant inlassablement face à un environnement extrêmement hostile. Ce sont en quelques sortes des preuves vivantes que la roue de la Fortune s’applique à tous, petits et grands, qu’elle soit juste ou injuste, précoce ou tardive.
Pour ma part, j’avais souvent entendu parler de ce célèbre roman et de ses adaptations télévisuelles mais sans l’avoir lu. C’est au cours d’une séance d’escalade sur les parois des calanques avec une vue sur Marseille et la mer Méditerranée que notre moniteur pointa du doigt le château d’If en précisant que c’était le lieu d’emprisonnement du personnage principal du récit d’Alexandre Dumas, Edmond Dantès, futur comte de Monte Cristo.
A cette évocation, mon binôme de cordée me confia que la lecture de ce roman inscrit au programme de son bac l’avait passionné alors qu’il lisait peu. La vision de cette prison sur une île rocailleuse baignée de lumière au milieu d’une mer bleue paisible et scintillante sous un soleil radieux ainsi que les éloges unanimes de ce roman me poussèrent aussitôt à acheter le premier tome du Comte de Monte Cristo au retour de mon séjour.
Dès les premières pages, je fus saisi par cette histoire tragique et je lus quasiment d’une traite les trois cents premières pages du récit racontant l’injustice implacable qui s’abat sur Edmond Dantès puis la description effroyable et très réaliste de sa longue détention dans un cachot du château d’If où il passera par tous les états et se transformera en un autre homme. C’est la partie du roman qui m’a le plus captivé par son réalisme et l’empathie que l’on ressent pour ce triste héros alors qu’elle est peu développée dans les adaptations télévisuelles qui sont néanmoins toutes très réussies, c’est pourquoi j’ai décidé d’en faire un article que voici.
« Quel quantième du mois tenons-nous ? demanda Dantès à Jacopo, […], en perdant de vue le château d’If.
Le 28 février, répondit celui-ci
De quelle année ? demanda encore Dantès.
Comment, de quelle année ! Vous demandez de quelle année ?
[…]
De l’année 1829 » dit Jacopo
Il y avait quatorze ans, jour pour jour, que Dantès avait été arrêté. Il était entré à dix-neuf ans au château d’If, il en sortait à trente-trois ans.
Un douloureux sourire passa sur ses lèvres ; il se demanda ce qu’était devenue Mercédès pendant ce temps où elle avait dû le croire mort.
Puis un éclair de haine s’alluma dans ses yeux en songeant à ces trois hommes auxquels il devait une si longue et cruelle captivité. Et il renouvela contre Danglars, Fernand et Villefort ce serment d’implacable vengeance qu’il avait déjà prononcé dans sa prison.
Le bonheur volé
L’histoire du Comte de Monte Cristo commence par le retour triomphal dans sa ville natale de Marseille du jeune et fringant officier de marine marchande Edmond Dantès après un long voyage en mer. Alors qu’il s’apprête à se marier avec son amour de jeunesse, la belle Mercédès, sous les yeux de son père attendri et de son patron armateur qui vient de le promouvoir capitaine pour ses bons et loyaux services, il se voit soudainement accusé de complot contre la sûreté de l’Etat et emmené par des hommes en armes. L’accusation repose sur une simple lettre anonyme rédigée par des adversaires qui lui sont proches mais secrètement jaloux de ses succès, Danglars et Fernand.
Cette grotesque forfaiture aurait pu s’arrêter là mais le climat politique en France est sous tension alors que le nouveau roi Louis XVIII commence tout juste son règne après deux décennies de Révolution puis d’Empire et tandis que Napoléon n’est éloigné que de quelques jours de bateaux depuis l’île d’Elbe. C’est sur cette île qu’a fait discrètement escale Edmond à son retour de voyage sur les ordres de son ancien capitaine mourant afin qu’on lui confie un courrier secret à transmettre.
Lors de son jugement, Edmond a la malchance d’être confronté à un jeune procureur de justice ambitieux, Villefort, qui découvre en lisant ce courrier qu’il risque d’être discrédité si celui-ci est rendu publique car il met en cause son père bonapartiste. Ainsi, Villefort décide d’accuser Emond de haute trahison pour le réduire au silence dans un sombre cachot en évitant un procès tout en feignant à Dantès d’œuvrer pour son bien. Villefort manigancera tant et si bien qu’il parviendra à maintenir dans le plus grand secret la captivité d’Edmond malgré les recherches désespérées de ses proches et il sera même promu par le régime pour ses services rendus à la couronne.
A partir de son arrestation, Edmond Dantès va passer par tous les sentiments traduisant la dégradation progressive de son état moral et physique. Tout d’abord, son incompréhension est totale mais il garde espoir que cette histoire invraisemblable soit finalement résolue avec le soutien de ses proches et du procureur Villefort dont il ne doute absolument pas, à ce moment, de son impartialité.
Cependant, lorsqu’Edmond est emprisonné à sa grande surprise dans le château d’If alors qu’il aurait eu auparavant les moyens de s’enfuir s’il avait su sa destination, il est aussitôt plongé dans un univers cloitré effroyable où règnent le silence et l’obscurité et où le temps s’écoule inlassablement dans l’indifférence totale de ses geôliers pour ses souffrances. Edmond est alors complètement coupé du monde et il ne lui reste plus qu’à compter les jours puis les semaines qui s’additionnent progressivement en mois en tournant en rond dans sa sombre et minuscule cellule.
Après quasiment un an de détention, il reçoit enfin la visite d’un contrôleur des prisons qui lui promet de se renseigner sur les motifs de son emprisonnement. Edmond attend ainsi son retour avec espoir en comptant à nouveau les jours, puis les semaines qui deviennent encore des mois et même des années, il ne sait plus, tous ses repères se brouillent et sa raison vacille.
Dantès ne comprend pas pourquoi il est maintenu en détention dans d’effroyables conditions et sans aucune explication. Il commence même à douter de la réalité des évènements, cela le rend fou. Il demande à changer de cellule, qu’on lui apporte des livres ou qu’il soit en compagnie d’autres prisonniers mais tout cela lui est refusé froidement. Il se met alors à hurler de colère contre Dieu et les hommes qui l’ont abandonné, il crie toute sa rage sans avoir un objet ou une personne pour l’exercer dessus si ce n’est par la pensée puis, épuisé, le désespoir le submerge.
Au comble du désespoir, Edmond décide de mettre un terme à ces souffrances en se laissant mourir de faim, ce qui l’amène à un nouveau supplice où il devient son propre bourreau pour résister à l’envie de plus en plus tenace de dévorer son repas qui lui paraissait auparavant infecte.
La rencontre de l’espoir
Puis, soudain, alors que ses forces le quittent peu à peu, Edmond entend un bruit de grattement dans un mur de sa cellule après quasiment six ans d’extrême solitude. Ce son inhabituel dans son terrible isolement attise sa curiosité et développe son imagination : d’où ce bruit peut-il bien venir ? Serait-ce dû à des travaux de rénovation ou bien, peut-être, se pourrait-il que ce soit un autre détenu qui tente de percer le mur ?
Cet élément perturbateur lui redonne de l’espoir et la force de vivre, d’agir, même si les progrès de ses actions sont minuscules, Edmond a désormais un but. Il se met alors à gratter minutieusement le mur en direction du bruit tout en restant le plus discret possible. Dantès imagine des moyens de creuser avec le peu d’objets rudimentaires à sa disposition, il devient ingénieux pour tromper son gardien et nous suivons ses maigres avancées avec envie tout en craignant qu’il ne soit découvert, on serait prêt à l’aider à creuser si on pouvait après toutes les épreuves qu’il a vécues.
Edmond écoute avec attention les bruits pour vérifier qu’il s’agit bien d’une autre personne et que ce n’est pas le fruit de sa folie. Cette fois-ci, il ne divague pas et ces sons se produisent discrètement à des heures reculées où le gardien est absent, ce qui confirme l’hypothèse qu’un détenu en soit à l’origine.
Enfin, une pierre du mur se détache et Edmond aperçoit la figure de l’abbé Faria, vieux prisonnier érudit et habile de ses mains qui a creusé pendant des années un tunnel en pensant accéder à l’extérieur de l’enceinte mais une erreur d’orientation l’a fait arriver dans la cellule de Dantès, premier heureux coup du sort pour celui-ci.
A cet instant, Dantès est au comble de la joie d’avoir enfin une personne à qui parler et se confier, il n’est désormais plus seul et sa détention lui semble à présent moins lourde à supporter. Les interactions sociales sont en effet un besoin vital pour l’être humain au même titre que l’eau et la nourriture.
Dantès prend également conscience qu’il n’avait même pas songé à la possibilité de l’évasion tellement les obstacles lui semblaient insurmontables, l’exemple de Faria lui permet d’imaginer de plus grands desseins et de reprendre espoir dans l’avenir.
La découverte de la cruelle réalité
L’abbé Faria va également permettre à Edmond de percer le mystère de sa brutale incarcération qui lui était jusqu’alors demeurée incompréhensible dans toute la naïveté et l’innocence de sa jeunesse. Faria écoute attentivement le récit d’Edmond puis lui pose des questions précises et sans détours tel un enquêteur avisé des rouages de la société humaine.
En peu de temps, l’abbé met en lumière de manière raisonnée et implacable la cruelle réalité devant les yeux ébahis du pauvre Dantès qui découvre avec stupeur la vérité que son esprit honnête et idéaliste n’aurait jamais pu imaginer. Cette partie du récit est particulièrement poignante car c’est la prise de conscience du héros trahi avec qui on compatit forcément après avoir suivi ses terribles souffrances et infortunes. Il découvre un à un les lâches coupables de son injustice, c’est tel un coup de tonnerre dans son esprit naïf et idéaliste qui lui fait apercevoir la cruauté dont peuvent faire preuve certains êtres humains cachés derrière des masques d’hypocrites bienveillants.
Après cette fulgurante révélation, Dantès change radicalement, son esprit s’assombri mais s’affermi, son désespoir qui le maintenait dans un immobilisme stérile fait désormais place à une rage tenace de s’en sortir coûte que coûte pour se venger de ses injustes persécuteurs, son idéalisme rayonnant déçu se transforme en un froid réalisme penchant vers le cynisme.
Edmond voue alors une quasi dévotion à Faria qui lui a ouvert les yeux et lui a redonné l’espoir de s’évader, il souhaite tout apprendre de son nouveau maître qui sait parler de nombreuses langues et possède de grandes connaissances en sciences et en philosophie. Dantès accepte même de mettre en suspens ses projets d’évasion car ils semblent désormais trop périlleux aux yeux de Faria qui se refuse d’attenter à la vie d’un homme, même d’un geôlier. Edmond s’évadera donc pour le moment par l’esprit en repoussant toujours plus loin les limites de ses connaissances avec l’aide de Faria.
La délivrance
Toutefois, après encore plusieurs années de captivité, Faria finit par céder de nouveau à la tentation de s’enfuir et le duo de prisonniers creuse alors une nouvelle galerie pendant un an… Oui, encore une année entière qui s’écoule après déjà plus de douze ans de captivité pour Dantès !
Cependant, alors qu’ils approchent enfin de l’extérieur des fortifications, Faria subit une crise qui lui paralyse certains membres. Dantès refuse de l’abandonner et lui jure de rester à ses côtés jusqu’à sa mort, toujours plein de ses hauts principes de l’honneur et de la fidélité. Il a désormais acquis toute la confiance et la reconnaissance de son maitre Faria qui décide ainsi de lui confier son plus grand secret : l’existence d’un immense trésor sur l’île de Monte Cristo.
La mort du maitre donne alors une unique opportunité à son disciple de recouvrer la liberté et Dantès tente le tout pour le tout, il n’a plus rien à perdre. On suit ses péripéties avec angoisse et excitation, tremblant que tous ses efforts soient à nouveau réduits à néant mais jubilant à chaque obstacle qu’il parvient à franchir. On souhaiterait l’aider de toutes nos forces lorsqu’il est jeté du haut d’une falaise puis qu’il se débat dans des flots glacés au fond d’un sac avec les pieds lestés d’un boulet, rien ne lui aura été épargné mais Edmond se bat vaillamment et il parvient à sortir la tête hors de l’eau.
La liberté, enfin !
C’est comme une seconde naissance, Dantès revient au monde et il a désormais une revanche à prendre sur la vie, une terrible vengeance à accomplir sur ses vils dénonciateurs à la hauteur des souffrances qu’il a endurées pendant quatorze années de captivité !
Dantès est ivre de rage mais il doit d’abord réussir à se sauver définitivement pour échapper à ses geôliers qui découvriront rapidement son évasion puis il doit trouver un moyen de se rendre sur l’île de Monte Cristo pour vérifier si le trésor de Faria existe réellement car ces immenses ressources lui permettraient de rattraper le temps et d’avoir les moyens d’accomplir sa terrible vengeance.
Cette série de livres m’a été conseillé par mon libraire alors que je cherchais de la lecture sur Henri IV et il m’a été de bons conseils, comme la plupart des libraires que j’ai connus, en me vantant les talents d’écrivain de son auteur, Robert Merle, ainsi que l’originalité de cette œuvre écrite en utilisant le français de l’époque et, enfin, que cela permettait d’apprendre l’Histoire de France depuis Henri II jusqu’à Henri IV et même au-delà. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre d’acheter le premier tome et je ne fus pas déçu, avalant quasiment un tome par mois en étant seulement interrompu pendant mon voyage en Eurasie.
J’ai toujours été passionné d’Histoire et de livres traitant de ces sujets (romans, biographies) donc je me suis dit que ce pourrait être intéressant d’en faire un article sur mon blog pour partager cette passion en espérant qu’elle vous captive autant que moi !
Pour celles et ceux qui se demandent quel est l’intérêt de s’intéresser à ce type de long récit remplis d’histoires vielles de plusieurs siècles, je réponds que l’on peut en tirer des enseignements utiles pour notre situation présente et future car il peut y avoir des similitudes avec des éléments du passé.
De plus, même si vous n’en tirez pas de leçons, cela vous permet de développer votre savoir et, surtout, quand l’Histoire est racontée de manière aussi immersive que dans ce roman, c’est souvent très distrayant et cela vaut bien des romans, des films ou des séries de fiction en termes d’actions, de rebondissements, de complots et d’émotions. Alors, laissez de côté « Games of Thrones » et plongez avec moi dans ce monde nouveau !
Une saga historique dans la France du milieu de la Renaissance pendant les guerres de religions
L’auteur
Robert Merle est né en 1908, il a fait des études de philosophie puis il a été professeur agrégé d’anglais. Engagé dans l’armée française en 1939, il est fait prisonnier à Dunkerque en 1940 lors de l’encerclement par les allemands alors qu’il cherchait à rejoindre l’Angleterre, expérience qui lui inspirera le roman « Week-end à Zuydcoote », prix Goncourt en 1949 et adapté au cinéma avec Belmondo dans les années 60. Robert Merle est libéré en 1943 et reprend son activité de professeur d’anglais et d’écrivain, il fut membre pendant quelques années du parti communiste à la fin des années 70 avant de le quitter suite à l’invasion de l’Afghanistan. Arrivé à l’âge de la retraite, il se lance dans l’écriture de cette longue saga historique dont les six premiers tomes sont publiés de 1977 à 1985 puis, le succès populaire étant au rendez-vous, Robert Merle rédigea sept tomes supplémentaires de 1991 à 2003, le récit se terminant à l’avènement de Louis XIV. L’auteur décèdera un an à peine après la parution du dernier tome, en 2004.
L’œuvre
Le récit historique de Fortune de France alterne entre les petites histoires et la grande Histoire de France qui sont étroitement liées et où la fortune (dans le sens de destin) de la France dépend à la fois du hasard, de coups du sort, d’aléas météorologiques (sécheresses, tempêtes), d’épidémies de pestes mais aussi des décisions et des actes de multiples personnages de plus ou moins grandes importances qui évoluent à différents niveaux, dans l’ombre ou dans la lumière (parfois les deux), dans le luxe ou la misère, dans le fracas des armes ou dans la douceur des salons.
On y côtoie de grands personnages historiques et d’autres moins importants qui sont pour la plupart fictifs mais qui permettent de donner vie au récit. C’est une saga historique volumineuse relatant les nombreux conflits qui opposèrent les français entre catholiques et protestants à partir de la fin du règne de François Ier au milieu du XVIème siècle et se prolongèrent sur des décennies.
Le personnage principal, Pierre de Siorac, est fictif, il est issu d’une famille dont le père est protestant, anobli et enrichi pour faits d’armes dans les armées du roi de France, et d’une mère catholique issue d’une ancienne lignée de nobles. Pierre de Siorac nait en 1551 au château de son père dans le Périgord et il va y vivre toute son enfance alors que les premières guerres de religion entre catholiques et protestants se déclenchent en France. Puis, il fait des études de médecines à Montpellier avant de monter à la capitale où il est le témoin du massacre de la Saint Barthélémy.
Après s’être réfugié quelques temps dans son Périgord natal, Pierre de Siorac revient à Paris où il deviendra un des médecins du roi Henri III puis une sorte d’agent secret royal dont les missions vont l’impliquer au cœur des grands évènements qui déchirent le royaume de France entre catholiques et protestants avec la participation de puissances étrangères. Pierre de Siorac va voyager dans toute la France ainsi que dans les grandes capitales européennes, il prolonge ses services sous le roi Henri IV en devenant un personnage de plus en plus important puis, lorsque la France est réunifiée et pacifiée avec la promulgation de l’Edit de Nantes par Henri IV en 1598, il prend ses quartiers dans ses terres afin de rédiger ses mémoires qui constitueront les six premiers tomes de cette saga.
Cette œuvre permet de découvrir certains épisodes et personnages de l’Histoire de France que je connaissais mal ou peu bien qu’ils aient eu une influence importante sur le cours de l’Histoire de France, notamment les rois de France Henri III et Henri IV ainsi que leurs ennemis les plus farouches à savoir la Ligue catholique et le roi d’Espagne Philippe II . Certains personnages historiques tels Henri III et IV nous deviennent même attachants du fait de partager leur intimité.
J’avais l’image de la royauté française qui régnait de manière immuable et sans contestations sur un pays uni et docile telle qu’à l’époque de Louis XIV, François Ier ou Saint Louis…mais on en est bien loin. On retrouve la période de chaos et de guerres internes et externes telles que pendant la Guerre de Cent Ans, très bien décrite dans la saga historique passionnante des Rois Maudits.
Une immersion complète et réaliste dans les petites histoires et la grande Histoire de France
Ce récit est raconté à travers le personnage de Pierre de Siorac qui évolue dans des milieux sociaux et des lieux très différents. Il est le témoin de grands évènements historiques mais aussi de simples anecdotes de la vie de tous les jours de la population qu’il nous décrit avec les éléments qui sont à sa disposition, donc à la fois précis mais parfois incomplet. Ce type de narration permet de s’immerger complètement dans cette époque, de mieux comprendre ce qui anime la population à tous les niveaux de l’échelle sociale, les passions et les tracas de la vie du quotidien, le contexte dans lequel se déroule les événements historiques qui, bien souvent, se résument à quelques dates de batailles, de traités, de mariages et de couronnements dans nos manuels d’Histoire.
Ce récit donne souvent la parole aux gens du peuple et pas seulement aux grands nobles, notamment dans les premiers tomes. Il m’est arrivé parfois de regretter de ne pas avoir plus de détails sur des grands personnages ou évènements historiques comme c’était le cas dans l’autre grande saga historique des Rois Maudits mais c’est aussi l’occasion de découvrir la vie des gens plus ordinaires qui est à la fois difficile mais aussi source de satisfactions, de joies, de fêtes, d’humour, cela ne se résume pas qu’aux travaux des champs et aux prières. Néanmoins, ils subissent principalement l’Histoire et bien souvent ne peuvent que suivre ce qui la font.
Dans cette œuvre, nous sommes loin des récits épiques de grandes batailles ou d’actes héroïques surhumains que l’on peut avoir dans des romans de caps et d’épées où une poignée de combattants peut quasiment mettre en déroute une armée entière à grands renforts d’explosions et de bottes secrètes. Toutefois, ces intrigues discrètes, ces victoires indécises sur des lignes de fronts confuses où les alliances se font et se défont dans des territoires aux frontières morcelées, c’est également passionnant à suivre car c’est l’Histoire de France avec ses petits et hauts faits et puis, je vous rassure, il y a quand même quelques combats d’épées qui sont divertissants tout en restant réalistes.
Un riche vocabulaire dans l’ancien français et des dialogues savoureux
L’originalité de ce récit est que l’auteur utilise le vocabulaire de l’époque qui est globalement assez proche du français actuel ou du moins compréhensible avec le contexte même s’il est parfois nécessaire de se référer au glossaire du livre pour la définition de certains mots. Le personnage principal étant originaire du Périgord, il y a également quelques mots de la langue d’oc qui sont utilisés.
Je vous livre ci-dessous quelques exemples truculents d’anciens mots français et d’oc qui sont utilisés fréquemment dans le récit et qui nous deviennent rapidement familiers sans avoir besoin de se référer au lexique. Bien au rebours de rendre la lecture du récit plus difficile, l’usage de ces mots permet de mieux s’immerger dans cette époque en retranscrivant plus fidèlement les mentalités et les caractères des différents personnages dans les mots qu’ils emploient.
S’accoiser : se taire Alberguiere: aubergiste Apazimer (oc) : s’apaiser Atendrézi (oc) : attendri Chiche-face : avare Coqueliquer : faire l’amour Dépêcher : tuer Garce : fille (non péjoratif) / Gautier ou Guillaume : homme Incontinent : immédiatement Pâtiment : souffrance Navrure: blessure Pimplocher: se farder (se maquiller) Peux-je : puis-je
C’est aussi l’époque des premiers écrivains français tels Rabelais, Montaigne ou La Boétie qui s’expriment et développent leurs pensées dans cette jeune langue tout juste officialisée par François 1er en 1539 par l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Ces auteurs donnent à la langue française ses premières lettres de noblesse en popularisant son riche vocabulaire, en construisant de belles et intelligibles tournures de phrase.
Les dialogues dans ce récit sont également très bien écrits, c’est du beau français agréable à lire avec des phrases bien construites, un vocabulaire varié et précis, une formulation élégante en maniant à la perfection l’ironie et les doubles sens qui peuvent signifier des grossièretés sans employer de mots grossiers, c’est un peu comme écouter du Georges Brassens.
On se croirait aussi parfois dans une pièce de théâtre de Molière avec de belles et longues tirades car, à la cour du roi de France, il convient de maîtriser à la perfection l’art de manier la langue autant que l’épée, un bon mot pouvant vous apporter autant de gloire ou de malheur qu’un coup de sabre.
Avec quelques longueurs
Parfois, des longues descriptions ou des dialogues de peu d’importance sur la vie de tous les jours peuvent devenir lassants ainsi que les histoires d’amours à répétition du personnage principal Pierre de Siorac qui rencontre toujours une charmante dame célibataire où qu’il se trouve et quelque soit son statut social telles une chambrière, une drapière ou une noble dame mais ce n’est peut-être que de la jalousie mal placée 😊
Toujours est-il qu’il m’est arrivé de sauter parfois quelques pages du récit, ce que généralement je me refuse à faire pour toute lecture, mais il s’agit quand même d’une saga de six tomes de plus de six cents pages chacun….
On prend conscience également de la lenteur extrême des déplacements et de la circulation de l’information à cette époque qui se faisaient principalement à cheval ou même à pied. Les gens étaient informés de ce qui se tramait dans le royaume et au-delà mais avec une grande latence, la rapidité et la qualité de l’information était aussi un enjeu important pour les puissants afin de prendre les bonnes décisions le plus rapidement possible avant leurs opposants.
Réflexions personnelles sur l’enseignement de l’Histoire
Les catholiques ont souvent dans ce récit le mauvais rôle, étant les dominants et les protestants sont plutôt vus sous un meilleur jour, étant souvent minoritaires et dominés même s’il y a des exemples de bonnes et mauvaises actions de chaque côté. Pour avoir fait quelques recherches sur certains faits et personnages en dehors de ce récit, Robert Merle semble néanmoins se baser principalement sur des faits historiques indiscutables autour desquels il invente certaines histoires mais qui sont en second plan et qui n’ont pas d’incidences majeures sur l’Histoire en premier plan.
Il faut de toute manière croiser les sources pour avoir une vision la plus complète en confrontant les avis tout en se concentrant le plus possible sur les faits sachant qu’il y a toujours un biais dans la manière de raconter l’Histoire en passant sous silence certains actes, en s’attardant sur d’autres, en interprétant certaines actions ou paroles.
Nous restons des humains et l’Histoire est si riche en évènements et en détails de tous genres, c’est le travail des historiens professionnels ou amateurs passionnés d’être capable avec une extrême rigueur et honnêteté intellectuelle en dépit de leurs convictions politiques ou idéologiques d’en extraire la substantifique moelle afin de déceler un fil conducteur pour expliquer l’enchainement des évènements en identifiant les éléments déclencheurs mais il y aura toujours diverses interprétations et théories possibles.
Personnellement, j’apprécie beaucoup les romans historiques ou les biographies (notamment celles de Stephan Zweig qui est pour moi une référence) comme moyens d’apprentissage de l’Histoire car c’est plus compréhensif et distrayant que de retenir par cœur dans des manuels une succession de dates sans forcément faire le lien entre eux sauf si le professeur permet de combler les trous ou en complétant avec ses propres recherches.
La description du contexte de l’époque, des personnalités et du vécu des divers personnages majeurs permet de mieux comprendre les enjeux et certaines prises de décisions dont les mécanismes sont assez souvent similaires quelques soient les époques pour peu que l’on fasse abstraction de certains éléments anecdotiques et en faisant quelques analogies. Toutefois, cela nécessite que l’auteur soit rigoureux et le plus honnête possible pour ne pas inventer des faits ou surinterpréter afin de plaire davantage à son lectorat, c’est un risque et puis il faut aussi être prêt à y consacrer du temps.
L’enseignement de l’Histoire n’est pas une science exacte, seuls les faits sont indiscutables, pour l’identification des causes et les conséquences il y a matière à interprétation. J’exprime ici un avis personnel basé sur mes réflexions en tant que simple passionné d’Histoire, je ne prétends pas avoir la vérité donc si vous souhaitez partager votre avis sur la question, n’hésitez pas à le faire en commentaire de cet article ou bien en m’envoyant un message privé. Le débat et la confrontation des idées permettent de clarifier son avis et d’augmenter le savoir de chacun.
Enfin, je reste impressionné par la capacité de l’auteur Robert Merle d’avoir écrit ces treize tomes volumineux, extrêmement bien écrits et documentés en l’espace de vingt-cinq ans soit une cadence d’environ un tome tous les deux ans ! Robert Merle a accumulé un savoir encyclopédique sur de multiples faits historiques, des grands personnages, différents corps de métier, la mode vestimentaire, les objets du quotidien, l’architecture, le vocabulaire et il a su le retranscrire ensuite de manière lisible et cohérente sans trop l’étaler. Il a su tisser l’histoire de ses personnages fictifs autour d’évènements historiques soigneusement sélectionnés et bien expliqués, c’est un coup de maître que j’admire !
Descriptif de chaque tome
Si vous souhaitez lire cette saga, je préfère vous prévenir que la suite de cet article va vous donner des éléments de chaque tome en s’attachant surtout aux faits historiques sans vous révéler néanmoins les principales intrigues des personnages fictifs. Toutefois, si vous voulez garder la surprise totale, mieux vaut attendre de lire chacun des tomes avant de lire la suite.
Si vous ne pensez pas avoir le temps ni l’envie de les lire, alors les descriptions ci-dessous peuvent vous donner un résumé tout en apprenant certains faits parfois peu connus de l’Histoire de France. Je m’attacherai ici à relever les sujets historiques qui m’ont particulièrement intéressé tout en essayant de vous partager une vue d’ensemble.
Pour vous aider à vous y retrouver, j’ai fait la frise chronologique ci-dessous avec l’aide du site internet http://www.frisechronos.fr/
Tome 1 : « Fortune de France », l’émergence du protestantisme
La vie des sujets et des suzerains au château dans le Périgord
Le premier tome commence lorsque Jean de Siorac, le père du personnage principal Pierre de Siorac, se retire de ses charges militaires après avoir été anobli pour ses hauts faits et en ayant amassé une petite fortune grâce aux prises de guerre. Il est accompagné de son fidèle frère d’armes, dénommé Sauveterre, avec lequel il est lié par un pacte d’amitié peu commun stipulant qu’ils partageraient et administreraient ensemble tous leurs biens, on surnomme ainsi leur duo atypique « la Frérèche ».
Ils achètent le château de Mespech situé dans le Périgord à proximité de la ville de Sarlat dont ils renforcent les fortifications et ils achètent des terres autour pour cultiver de quoi subvenir aux besoins de leur famille et de leur personnel ainsi que pour générer des revenus en revendant les surplus. Jean de Siorac fait la rencontre d’une jeune femme d’une ancienne lignée de noblesse catholique dont il tombe amoureux et, malgré leurs différents religieux, ils se marient ensemble.
Ce tome décrit avec beaucoup de détails la vie des gens dans le château (chambrières, paysans, artisans, gardes) et les activités qu’ils effectuent (travaux des champs, construction, cuisine, réceptions, protection) sous le commandement de leurs suzerains. En bons huguenots (équivalent de protestants), la frérèche est économe sur ses dépenses et fait des investissements judicieux pour accroitre ses revenus et faire fructifier ses richesses en achetant d’autres fermes ou en produisant des objets à valeur ajoutée (paniers en osier, tonneaux en bois…).
Pierre, le personnage principal naît au château en 1551, il est le cadet de la famille, il reçoit une éducation protestante de par son père et son oncle Sauveterre mais sa mère insiste pour qu’il porte un médaillon de la Vierge Marie au grand damne de la frérèche qui juge que c’est un objet idolâtre. Ce médaillon lui permettra néanmoins de se sortir de certaines situations périlleuses dans ses missions futures.
Conversion de masse du personnel du château avec revue des avantages et inconvénients du protestantisme
Alors qu’ils sont bien installés dans leur domaine avec leur personnel et leur famille qui s’est agrandit au fil du temps et tandis que des échos de tensions et de persécutions religieuses parviennent régulièrement à leurs oreilles, la frérèche estime qu’il est désormais temps de se positionner en se déclarant publiquement de la religion protestante. Avant cela, il leur apparait nécessaire que leurs sujets se convertissent également à leur religion pour leur sécurité ou bien ils devront s’en aller mais, à cette époque, ce n’était pas vraiment un choix libre pour le peuple étant donné les conséquences désastreuses s’ils perdaient leur moyen de subsistance. Ainsi, la grande majorité optait pour la religion de ses maitres avec les risques associés.
La frérèche organise plusieurs assemblées avec un ministre du culte protestant pour instruire à leurs sujets les fondements du protestantisme, ainsi c’est l’occasion de comprendre pourquoi il y a pu avoir de fortes oppositions et réticences de la part du peuple face au protestantisme pour des raisons parfois d’ordre sociale, affectif, ou symbolique davantage que religieux comme par exemple le fait que les huguenots ne reconnaissant pas le culte des saints catholiques alors que cela impliquait qu’une cinquantaine de jours chômés en l’honneur des plus illustres d’entre eux étaient annulés.
De plus, ces saints représentaient également pour le peuple une forme plus humaine et accessible que Dieu, ils pouvaient leur faire une prière et une offrande dans un but bien précis de manière similaire aux anciens dieux grecques et romains : il y avait le saint pour les objets perdus, un autre pour garantir un voyage en sécurité, les saints patrons de différents corps de métiers…
Le personnage de Marie était également très populaire dans la population car les femmes pouvaient plus facilement s’identifier à cette figure féminine et les hommes pouvait aussi y retrouver la représentation de leur mère, symbole de protection et de bienveillance.
Mais d’autres aspects du protestantisme pouvaient toutefois emporter l’adhésion ou du moins la compréhension du peuple : moins de rites à rémunérer au clergé, la fin du célibat imposé aux prêtres et aux moines qui n’était dans les faits pas toujours respecté, certains dogmes du catholicisme complexes à comprendre qu’il était donc plus facile de délaisser.
La grande Histoire de France de plus en plus inquiétante et menaçante
Assez logiquement, il y eut une forte opposition du clergé catholique à la Réforme protestante pour des motifs religieux mais aussi pour la perte d’influence et de revenus qu’elle engendrait, par exemple le commerce des indulgences étant remis en cause ainsi que les dons pour les saints ou lors des différents rites catholiques.
Des nouvelles du royaume de France parviennent par bribes au château de Mespech : à la mort du roi François Ier en 1547, son fils héritier Henri II lance des persécutions contre les protestants français qu’il suspend temporairement pour demander le soutien des nobles huguenots dans la guerre contre le roi d’Espagne Philippe II et ceux-ci acceptent en se joignant aux combats. Jean de Siorac répond à l’appel et il sera fait baron pour sa participation à la prise de Calais aux anglais en 1558 (à cette époque, la reine d’Angleterre Marie Tudor est mariée au roi d’Espagne Philippe II donc les deux pays sont alliés) sous les ordres du Duc François de Guise, un grand chef de guerre français mais adversaire farouche des protestants.
Au final, l’issue de cette guerre contre l’Espagne est défavorable à la France notamment après la défaite à la bataille de Saint-Quentin en 1557 malgré la résistance héroïque des maigres troupes du protestant français Coligny et elle doit abandonner à l’Espagne ses prétentions sur l’Italie.
Puis, le roi Henri II meurt accidentellement en juillet 1559 lors d’une joute, son œil est transpercé par un éclat de lance. Son jeune fils François II lui succède à l’âge de seulement quinze ans mais il est souffrant et il décède un an plus tard de maladie, son jeune frère Charles IX lui succède en 1560. Le royaume de France est désormais sous l’influence de la famille des Guise, ardents partisans de la lutte contre les protestants, et de la reine mère Catherine de Médicis qui oscille entre une attitude conciliante avec les protestants ou leur répression féroce.
La première guerre de religion éclate en France entre catholiques et protestants en 1562 du fait d’un massacre de protestants perpétrés sous les ordres du Duc François de Guise. Ce dernier sera ensuite assassiné par un protestant un an plus tard par vengeance.
La petite Histoire de France nous aide à relativiser la nôtre
Pendant cette période trouble de grandes tensions religieuses, surgit dans le sud de la France un épisode de grande sécheresse combiné à une résurgence de la peste. Sachant le peu de moyens connus à la Renaissance pour faire des provisions et pour lutter contre une épidémie extrêmement mortelle, notre ancienne situation de pandémie du Covid-19 couplée aux premières conséquences du réchauffement climatique sous fond de tensions internes et géopolitiques apparaît, pour le moment, bien faible, en comparaison de celle de la population de l’époque alors qu’ils n’avaient ni vaccins ni masques chirurgicaux et encore moins de frigos ou de climatiseurs !
Tome 2 : « En nos vertes années », découverte de la ville de Montpellier et des études de médecine à cette époque
L’état des connaissances en médecine avec des polémiquesd’un autre temps
Dans ce second tome, Pierre de Siorac, âgé désormais de quinze ans, est envoyé par son père à l’université de médecine de Montpellier qui est considérée comme une « des plus anciennes et brillantes écoles de médecine du monde médiéval » (source Wikipédia). C’est donc l’occasion de découvrir à la fois la ville de Montpellier qui est dynamique et prospère ainsi que l’organisation et l’état des connaissances des études de médecine à cette époque qui sont bien loin de ce que nous connaissons aujourd’hui, fort heureusement pour nous.
Dans ce récit, on y apprend les polémiques faisant rage entre les partisans de l’étude exclusive des écrits des Anciens de l’Antiquité de manière quasi religieuse, notamment les œuvres issues des célèbres médecins grecs Galien et Hippocrate, et les professeurs qui souhaitent enseigner les récentes découvertes en anatomie humaine et en chirurgie basées sur l’expérience du terrain et notamment des champs de bataille.
Les médecins de la Renaissance doivent innover face à de nouveaux types de blessures engendrées par les armes à feux tel Ambroise Paré, chirurgien du roi, qui inventa notamment la technique de la ligature des artères pour stopper les hémorragies plutôt qu’une très douloureuse cautérisation au fer chaud. Il y a également André Vésale, illustre anatomiste de la Renaissance, originaire du duché de Brabant situé dans l’actuelle Belgique et qui fit ses études en anatomie à Paris puis en Italie. Vésale a grandement contribué à l’amélioration des connaissances de l’anatomie humaine grâce à des dissections sur des cadavres de condamnés qui ont contredit en partie ou ont complété les écrits anatomiques de Galien qui se basait essentiellement sur des dissections de singe, lui étant interdit à l’époque antique de la pratiquer sur des corps humains.
A cette époque, les chirurgiens sont dénigrés tels de vulgaires bouchers les mains pleines de sang et ne sont pas considérés par les professeurs comme de nobles médecins. L’hygiène, comme le lavage basique des mains et du corps, n’est pas non plus prise au sérieux. Pour améliorer ses connaissances en anatomie humaine, il fallait se résoudre à déterrer des corps du cimetière en pleine nuit pour faire des autopsies afin d’en apprendre davantage sur le corps humain ou de consulter en cachette des livres interdits documentés grâce à ce type d’expériences et qui pouvaient être diffusés à large échelle grâce à l’invention récente de l’imprimerie.
Pierre de Siorac fait la connaissance de ses camarades étudiants en médecine dont certains sont de joyeux lurons qui festoient et paillardent comme leurs futures descendants carabins mais la discipline est également stricte et les châtiments corporels fréquents.
On découvre aussi les fêtes populaires de la ville de Montpellier notamment les carnavals, la vie de la population en ville après la description de celle à la campagne dans le premier tome, les spécificités régionales en termes de gastronomie, d’architecture et de vocabulaire par rapport au Périgord natal du personnage principal.
L’imbrication des deux religions dans la société avec des exactions commises dans chaque camp
La religion protestante est bien implantée dans le sud de la France même si elle demeure largement minoritaire, les protestants sont présents dans les différentes strates de la société et certains ont accès à des responsabilités importantes tel le chef des gardes de la ville mais les tensions sont palpables entre huguenots et papistes (équivalents de catholiques).
Chaque camp est armé et défend vigoureusement sa religion, bien souvent aussi avec des intérêts plutôt matériels que spirituels comme cela est souvent le cas dans les guerres : les motifs réels des belligérants sont souvent d’accroître leurs terres ou d’obtenir une promotion, d’étendre leur prestige.
Des exactions et des massacres d’innocents sont commis par les deux camps dans différentes villes de France dont celui de Nîmes en 1567 auquel Pierre de Siorac assiste en tant que témoin passif. C’est le massacre dit de la Michelade car il eut lieu lors d’une fête locale organisée le jour de la Sant Michel, il est perpétré par des protestants qui tuent 80 à 90 catholiques et pillent des églises, cela n’est malheureusement qu’un prélude au massacre généralisé de la Saint Barthélémy qui aura lieu cinq ans plus tard et qui sera la trame de fond du troisième tome.
Tome 3 : « Paris, ma bonne ville », plongée dans l’immense cité de Paris dominée par le fanatisme religieux à l’aube de la Saint Barthélemy
Découverte de Paris et de ses habitants
Presque cinq années se sont écoulées depuis la fin du second tome et Pierre de Siorac a désormais terminé ses études à Montpellier d’où il en sort diplômé de médecine. De retour en son Périgord natal, Pierre de Siorac doit se battre en duel contre un ennemi de longue date de son père suite à un guet-apens de ce dernier et il le « dépèche » en combat régulier mais il est ensuite accusé de meurtre donc il décide de monter à la capitale pour demander la justice et le pardon du jeune roi Charles IX.
Ce troisième tome est donc l’occasion pour notre héros périgordin de découvrir l’immense ville de Paris qui est bien plus grande que les modestes cités du sud de la France qu’il a pu voir jusqu’à présent. Il nous la décrit comme insalubre, bruyante et encombrée le jour, sombre et dangereuse la nuit. Les parisiens sont dépeints comme un peuple peu docile dont même le roi a du mal à se faire obéir pour régler par exemple l’aménagement urbain qui est très anarchique et génère d’innombrables embouteillages de chevaux et de chariots. Les rues sont recouvertes d’immondices où grouille une multitude de commerçants, de colporteurs offrant leurs services en tous genres (eau, lait, nourriture, matériel de nettoyage et d’entretien) et s’interpellant les uns les autres en se lançant des invectives, les auberges sont hors de prix, finalement Paris et les parisiens n’ont pas tellement changé 😊
Enfin, Paris c’est aussi le grand fleuve de la Seine qui la traverse, les innombrables ponts majestueux qui l’enjambe, la magnifique cathédrale de Notre-Dame sur l’île de la Cité, ses innombrables églises et abbayes, la prestigieuse université de la Sorbonne, l’imposant château du Louvres, l’art du divertissement et de la décoration inimitable des parisiens, ses grandes fêtes et bals fastueux où sa mode vestimentaire est mise à l’honneur et rayonne dans tout le royaume et au-delà.
Apprentissage de l’étiquette à la cour du roi de France
Notre modeste héros périgordin découvre également les fastes de la Cour du roi de France au château du Louvres avec son étiquette qui règle les usages et où l’image que l’on renvoie aux autres est cruciale. Chacun des gestes et mots de la famille royale y sont épiés, commentés puis repris en chœurs par les courtisans et diffusés ensuite dans toute la capitale et au-delà. Il y a notamment des expressions popularisées par le roi qui sont très souvent utilisées par ses sujets aisés : « A la mode qui trotte », « En ma conscience, il en faudrait mourir » qui exprime un sentiment de perfection ou de nullité absolue.
Coligny, noble protestant français entré précédemment en guerre contre les armées royales catholiques suites aux premiers massacres de protestants, est désormais devenu ministre de la guerre et conseiller privilégié du roi Charles IX à la faveur de la période actuelle de réconciliation entre catholiques et protestants français. Coligny tente de persuader Charles IX de lancer une expédition militaire pour soutenir la révolte des Pays-Bas protestants contre l’occupation du royaume d’Espagne catholique, cela afin d’affaiblir ce puissant adversaire historique de la France qui le prend en tenailles à ses frontières sud et est.
Le roi de France Charles IX est jeune, il apparait à la fois influençable et instable, colérique, tiraillé par différentes influences contradictoires qui cherchent à le convaincre ou à le manipuler tels Coligny son ministre protestant, Catherine de Médicis sa mère ou le Duc Henri de Guise, ardent partisan catholique de la ligne dure contre les protestants et fils de François de Guise qui déclencha la première guerre de religion et fut assassiné ensuite par un protestant (cf tome 1).
Un mariage princier polémique dans un contexte de fortes tensions
Pierre de Siorac découvre avec stupeur et effroi le fanatisme catholique de la population parisienne qui est fortement influencée par les prêches virulents de leurs curés à la messe, ces derniers attisent la haine vis à vis des protestants considérés comme hérétiques et suppôts de Satan. Ce climat de tension est exacerbé par l’arrivée d’une imposante troupe de nobles huguenots venus assister au mariage de la princesse catholique Marguerite de France, sœur du roi Charles IX, et du prince protestant Henri de Navarre, qui deviendra le roi Henri IV après de nombreuses péripéties qui seront décrites plus tard. Cette cérémonie a été voulue et organisée par la reine mère Catherine de Médicis dans le but d’apaiser les tensions entre les deux camps et en dépit de la condamnation de cette future union par le pape et du désaccord des ultras catholiques menés par le Duc de Guise.
Les nobles protestants sont vêtus de noir, ils sont réputés austères et économes, soucieux de faire croitre leurs richesses au contraire de leurs homologues catholiques qui ont l’image de dilapider les leurs avec exubérance et ostentation en toilettes, en costumes colorés, en bijoux précieux et en fêtes somptueuses. Il y a là des différences assez visibles et tranchées entre huguenots et papistes sans parler des nettes divergences de conception et de pratique de la foi chrétienne comme présentées dans le premier tome. Chaque camp se méprise en dénigrant l’avarice et la pudibonderie des huguenots ou l’inconséquence, l’arrogance et la bigoterie des papistes. Ces différences de caractères et d’apparences sont assez bien représentées dans le film « La Reine Margot ».
En l’honneur du mariage princier entre Marguerite de France et Henri de Navarre, les parisiens, fidèles à leur réputation d’artistes, ont dressé des arcs en bois dans chaque quartier de la capitale qu’ils ont décorés de fleurs et de guirlandes et de magnifiques tapisseries sont suspendues aux balcons des maisons de bourgeois ou de nobles. Le mariage est célébré sur une estrade installée devant le parvis de Notre Dame, à la vue du peuple, Henri de Navarre et ses nobles protestants ayant refusé d’assister à la messe catholique à l’intérieur. Ensuite, quatre jours de festivités sont organisés à la fois pour la cour et pour le peuple avant que le drame ne survienne.
C’est tout l’avantage de ce type de récit immersif où l’on a l’impression d’être en plein cœur du Paris de cette époque et de vivre avec le peuple à travers le regard et les sentiments du narrateur. On ressent ses émotions sans être toujours aux premières loges des évènements historiques mais en ayant tout de même une bonne vision d’ensemble. Cela permet aussi de mieux se rendre compte de la situation au sein de la population, de prendre conscience du climat de haine et d’extrémisme religieux à Paris qui est exacerbé par les prêches du clergé catholique ainsi que par des calomnies mensongères, il ne suffisait plus que d’une étincelle pour mettre le feu à la poudrière.
L’étincelle qui embrase Paris
C’est l’attentat manqué sur Coligny, le 25 août 1572 dans une rue de Paris, qui est l’élément déclencheur des massacres de masse, on ne sait qui en est le réel instigateur mais la colère et la peur saisie à ce moment les deux camps qui se côtoient dans la capitale et qui sont chacun armés. Les protestants exigent naturellement que justice soit rendue dans les plus brefs délais tandis que les catholiques redoutent une vengeance de leur part alors qu’ils sont venus en nombre et en armes dans Paris.
Le roi Charles IX se rend au chevet de Coligny en lui promettant de trouver les coupables mais, finalement, il décide de l’exécuter ainsi qu’un grand nombre de gentilhommes huguenots présents à Paris, peut-être par peur des représailles de ces derniers. La foule parisienne, ultra catholique et chauffée à blanc par des prêches haineux, voyant ces exécutions, suit cet exemple morbide et se lance à son tour dans des massacres massifs de tous les protestants en ville y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées avec l’appui de l’armée royale.
C’est la nuit de la Saint Barthélémy, un déferlement sanglant où des milliers d’innocents sont assassinés sauvagement sans distinction d’âges ni de sexes, certains opportunistes sans scrupules saisissent cette occasion pour régler des comptes avec des rivaux afin de prendre leur place ou de s’enrichir, on est parfois bien loin de considérations religieuses.
Là aussi, le récit immersif du roman est haletant, poignant, Pierre de Siorac se retrouve au chevet de Coligny pour le soigner puis cherche à fuir Paris avec sa petite troupe qui l’accompagne en assistant à des meurtres sauvages. Ils essayent dans la mesure du possible d’en éviter certains mais bien souvent ils doivent fuir pour s’échapper de cette immense souricière effroyable où le sang coule à flot et vient gonfler la Seine d’innombrables cadavres rougeoyants.
On se croirait presque dans un jeu vidéo en caméra embarquée où le héros doit échapper à de multiples embûches sur son chemin mais, malheureusement, ce n’est pas une fiction et on se demande à la fin de ce récit effroyable comment l’unité de la France pourra résister à cette tragédie. La suite au prochain tome.
Tome 4 : « Le Prince que voilà », le roi Henri III est contesté et tiraillé de toutes parts dans un royaume qui se déchire
Calme relatif après la tempête
Pierre de Siorac, après être parvenu à échapper aux massacres de la Saint Barthélémy à Paris rentre avec sa maigre troupe dans son Périgord natal pour se mettre à l’abri au château de son père où il demeure pendant une bonne année. Des massacres de protestants ont eu lieu dans d’autres villes de France mais il reste de nombreuses troupes huguenotes qui se protègent dans leurs places fortes et résistent vaillamment aux assauts des troupes royales catholiques, notamment pendant le siège de La Rochelle. Puis, la paix revient faute de victoire décisive, ou plutôt une trêve pour reconstituer les forces de chaque côté.
Dans le même temps, Pierre de Siorac se marie en 1574 avec une jeune femme de la noblesse catholique et décide de « caler la voile », dans le langage maritime cela signifie de diminuer la voilure quand le ciel devient orageux, dans ce cas de figure il s’agit pour un protestant de prendre les apparences d’un catholique en pratiquant les rites les plus symboliques telles la messe et la confession afin de ne pas susciter de suspicions ni de risquer de subir des violences arbitraires mais, en son for intérieur, il demeure un protestant convaincu.
Les trois prochains tomes de cette saga sont mes préférés car Pierre de Siorac obtient des postes de plus en plus importants à la cour du roi de France en tant que diplomate ou espion secret et ses différentes missions nous permettent d’assister au cœur des principales intrigues et évènements du royaume qui eurent une influence considérable sur la Fortune de France lors des trois prochaines décennies. Ce récit permet également de mieux découvrir la personnalité du nouveau roi Henri III qui est peu connu.
En effet, le roi Charles IX décède de maladie en 1575, trois ans seulement après la Saint Barthélemy et c’est son frère qui lui succède, le roi Henri III. Pierre de Siorac avait fait la connaissance de ce dernier dans le troisième tome alors qu’il était encore Duc d’Anjou, c’était à la cour au château du Louvres avant les massacres de la Saint Barthélémy tandis que Pierre de Siorac cherchait la grâce du roi pour une accusation de meurtre lors d’un duel.
De retour à Paris avec sa femme, Pierre de Siorac reprend contact avec le nouveau roi Henri III et il devient l’un de ses médecins officiels. Pendant près de dix ans, Pierre de Siorac va exercer paisiblement son métier de médecin et élever ses enfants avec sa femme sans avoir d’autres rôles et peu de détails nous sont donnés sur les évènements historiques de cette période.
Les troubles reprennent en raison du nouvel ordre de succession au trône de France
Cependant, la trêve relative entre catholiques et protestants français va être à nouveau remise en cause à la mort en 1584 de François de France, le dernier frère du roi Henri III, alors que ce dernier ne parvient pas à avoir de fils avec sa femme après dix ans de mariage. D’après la loi salique, une règle de succession au trône de France issue de la dynastie des mérovingiens qui excluent les femmes de l’ordre de succession et privilégie l’aîné mâle, cela signifie que l’héritier du trône de France serait Henri de Navarre, prince protestant dont le lien de parenté direct avec Henri III dans la dynastie des Capétiens remonte au roi Saint Louis qui régna au XIIIème siècle.
Pour un rapide rappel historique, à la fin de la dynastie des Mérovingiens issue du roi franc Clovis, Hugues Capet devint roi de France en 987 et fonda une nouvelle dynastie des rois de France qui lui succédèrent : les Capétiens. Mais, à la mort du roi de France Philippe IV le Bel, ses trois fils moururent successivement sans laisser d’héritiers mâles, cette situation était un cas de figure inédit et signifiait la fin de la branche directe des capétiens.
Alors, le roi d’Angleterre, époux de la fille de Philippe IV le Bel, revendiqua la couronne de France mais les juristes du royaume français exhumèrent la fameuse loi salique des Mérovingiens afin de justifier que seuls les mâles pouvaient hériter par ordre d’ancienneté et cela afin d’éviter d’avoir un roi anglais régnant en France.
Ainsi, en suivant cette règle, le trône revenait à Philippe de Valois issue de la branche capétienne des Valois et neveu du défunt roi Philippe le Bel. Ce désaccord entraînera la guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre, tous ces évènements sont très bien décrits par la saga historique Les Rois Maudits. Je vous avais dit qu’il n’était pas nécessaire de regarder Game of Thrones pour se divertir, il suffit de lire l’Histoire de France ou d’Angleterre !
Pour en revenir à la trame de notre histoire, en suivant la loi salique, à la mort du roi Henri III ce serait donc la fin de la branche des Valois et le début de celle des Bourbons avec Henri de Navarre. Afin de vous aider à mieux vous y retrouver dans la dynastie capétienne des rois de France, voici un arbre généalogique simplifié (source : extrait d’un manuel disponible sur le site internet de l’académie de Toulouse, lien internet)
Mission délicate pour Pierre de Siorac, dilemme difficile pour Henri III
Dans ce nouveau contexte, le roi Henri III confie à Pierre de Siorac une mission secrète sous le couvert de sa fonction de médecin à la cour pour accompagner une délégation royale officielle qui va à la rencontre de Henri de Navarre afin de lui demander de se convertir à la foi catholique en échange d’être reconnu officiellement par Henri III comme son héritier légitime. Pierre de Siorac a l’avantage d’avoir des contacts dans le camp protestant de par son père et d’être moins connu que l’émissaire officiel de Henri III, il peut donc plus facilement avoir des entrevues secrètes avec des échanges plus fournis à rapporter au roi sans éveiller les soupçons car il y a des espions partout et les discussions officielles ne sont bien souvent qu’une façade.
Le dilemme est difficile pour Henri III : respecter la règle de succession historique du trône de France quitte à avoir un roi protestant dans un royaume majoritairement catholique ou bien renier pour la première fois l’ordre de succession afin de garantir un souverain catholique à la France mais avec le risque de créer une forte instabilité du régime car, si cette règle n’est plus respectée, alors de multiples prétendants pourraient voir le jour en s’appuyant sur différents prétextes et ils se lanceraient probablement dans d’interminables et redoutables guerres de succession. C’est pourquoi la conversion de Henri de Navarre faciliterait cette succession mais ce dernier y a été contraint plusieurs fois sous la menace, dont la dernière pendant les massacres de la Saint Barthélémy alors qu’il était retenu otage à la cour du roi et il abjura aussitôt qu’il put fuir la capitale et retrouver ses troupes donc il est peu enclin à le faire.
Apparition de la Ligue catholique
Avant d’être roi de France, Henri III, alors Duc d’Anjou, était partisan de la répression des protestants et, après la Saint Barthélémy, il avait prit la tête de l’armée royale pour faire le siège de La Rochelle qui était alors une grande place forte protestante. Les assiégés résistèrent vaillamment pendant de longs mois face aux nombreuses attaques du camp royal en partie grâce au ravitaillement des anglais par la mer et le siège fut finalement levé.
A présent qu’il est roi de France, Henri III a pu constater l’inefficacité et les ravages de la lutte armée contre les protestants et il est désormais bien plus modéré, voulant éviter le plus possible les effusions de sang et en étant prêt à des concessions.
Henri III aspire à la paix du royaume mais il est dans le même temps pressé par le nouveau parti de la Ligue catholique sous l’égide du Duc de Guise qui a été créé par les forces catholiques souhaitant la répression des protestants. Ce mouvement a le soutien d’une grande partie de la noblesse et du clergé français ainsi que de la propre mère du roi, Catherine de Médicis. Une nouvelle guerre de religion se déclenche à partir de 1585 entre protestants et catholiques, c’est la huitième depuis 1562 et la dernière de cette ampleur, elle durera treize ans et se transformera en guerre entre royalistes que l’on pourrait « loyalistes » (catholiques et protestants) contre les ligueux catholiques.
La Ligue est devenue quasiment un Etat dans l’Etat en occupant des villes françaises stratégiques et en s’alliant avec le puissant royaume catholique d’Espagne de Philippe II qui poursuit une lutte acharnée contre les huguenots en révolte aux Pays Bas occupés par l’Espagne tout en projetant d’envahir le royaume d’Angleterre qui a rebasculé dans le protestantisme avec l’accession au trône de Élisabeth 1ère en 1558 après la mort de la reine Marie Tudor, l’ancienne épouse de Philippe II.
Petite parenthèse sur l’Histoire d’Angleterre
La complexité de l’Histoire du royaume d’Angleterre n’a rien à envier avec celle de la France à cette époque : Marie Tudor est la fille aînée du roi Henri VIII (surnommé Barbe Bleue) et de sa première femme, Catherine d’Aragon, catholique et espagnole, dont le roi d’Angleterre se sépare en déclenchant un conflit ouvert avec le pape qui refuse d’annuler le mariage et qui mènera à la sécession de l’Eglise d’Angleterre avec l’Eglise catholique en créant l’Eglise anglicane qui est une forme de protestantisme (je vous conseille la série « Les Tudors » qui retrace très bien l’histoire tumultueuse de ce fameux roi).
Marie est catholique et tente de rétablir par la force le catholicisme en Angleterre lorsqu’elle devient reine, ces persécutions lui vaudront le surnom de « Bloody Mary ». A sa mort en 1558, sa demi-sœur Elisabeth lui succède et rétablit le protestantisme comme religion d’Etat, Elisabeth est la fille de Henri VIII et de sa deuxième femme qui sera exécutée sur ordre de ce dernier.
Intimité du roi Henri III et usages à la cour
Dans ce tome, nous sommes témoins à travers le personnage de Pierre de Siorac de nombreux moments d’intimité du roi Henri III où il apparait hésitant et meurtrit par les fréquentes attaques de toutes parts dont il fait l’objet.
Pour l’égayer, Henri III est très souvent accompagné de son bouffon dénommé Chicot qui n’a quasiment aucune limite dans ses saillies sur n’importe quels personnages du royaume aussi important soit-il. Chicot se tient informé des intrigues de la cour et divertit le roi qui connait bien des désagréments et des déconvenues, c’est intéressant de découvrir ce type de personnage original avec un rôle si atypique.
L’art de discourir à la cour est plaisant, les dialogues sont fluides, les mots bien choisis, les phrases bien formulées et les idées clairement énoncées, on aimerait pouvoir s’exprimer comme cela à l’oral sans hésitations, sans chercher ses mots ou corriger ses propos. Tout s’entend intelligiblement, c’est tellement riche en vocabulaire et en expressions qu’il faut parfois relire deux fois pour bien comprendre le sens d’une tournure de phrase ou le choix de certains mots. Là encore, c’est tout à l’honneur de son auteur Robert Merle d’être capable de retranscrire cet art avec autant de talent.
C’est l’époque où le français devient langue officielle du royaume et remplace peu à peu le latin grâce notamment à de grands écrivains français tels Rabelais ou Montaigne qui contribuèrent à enrichir, structurer et populariser la langue française dont les rois de France mettent un point d’honneur à maitriser toutes les subtilités et finesses et sont suivis par leurs courtisans à la cour.
On constate également l’influence de la culture italienne avec ses jeux de mots (« giochi di parole ») dont raffole la Cour pour égayer les conversations. Les cultures européennes se mêlent et s’enrichissent mutuellement, notamment dans les élites, c’est déjà le début du rêve d’unité européenne du philosophe humaniste Erasme, décédé en 1536.
On pratique également l’art de faire la cour aux dames et, pour celles-ci, de faire languir leurs prétendants pour tester leur réel attachement, d’exiger des preuves d’amour, les révérences sont de mise ainsi que la galanterie.
C’est une époque à la fois rude où les armes sont portées quasiment constamment et où les combats sanglants sont fréquents mais il y a également du raffinement et de la finesse dans les conversations, dans les parures, dans les gestes. La délicatesse est tout autant mise à l’honneur que le courage et il peut arriver parfois que des hommes d’importance laissent couler des larmes d’affection publiquement pour montrer leur attachement à des êtres chers, ce n’est pas qu’une sombre période d’obscurité et de violence.
Découverte de la capitale anglaise et de ses habitants dans un contexte géopolitique européen tendu
Henri III confie une nouvelle mission secrète à Pierre de Siorac pour se rendre à Londres, encore une fois en accompagnant une délégation officielle française qui a pour objet de demander à la reine Elisabeth la grâce de Marie Stuart, jugée coupable de tentative d’assassinat sur la reine d’Angleterre et condamnée à la peine de mort.
Marie Stuart est la cousine du Duc de Guise et elle est de confession catholique donc elle a le soutien de la Ligue en France. Elle fut brièvement la jeune épouse du défunt roi de France François II qui mourra précocement de maladie puis elle devint reine d’Ecosse. Marie Stuart peut prétendre à la succession de la reine Elisabeth qui n’a ni mari ni enfant car elle est la petite fille de la sœur du précédent roi anglais Henri VIII mais elle sera finalement exécutée en 1587 pour complot contre sa souveraine. Toutefois, son fils Jacques succèdera à la reine Elisabeth, concluant ainsi la fin de la dynastie des Tudors et le début de la dynastie des Stuart.
La mission secrète de notre James Bond français confiée par le roi de France est de porter un message secret à la reine d’Angleterre pour lui demander de lancer des attaques sur la Lorraine, le fief des Guise en France, en utilisant des mercenaires allemands protestants afin d’obliger la Ligue catholique menée par le Duc de Guise de se détourner des troupes de Henri de Navarre au sud. C’est du pur machiavélisme (auteur italien dont les œuvres sont récentes) de la part du roi de France qui n’hésite pas à employer la menace de combattants étrangers sur son propre royaume afin de régler des problèmes internes.
La ville de Londres est décrite comme plus austère que Paris mais sa population semble plus soudée et disciplinée autour de son monarque avec un grand respect de la loi et de ses représentants alors que de grandes menaces planent sur son royaume, à savoir le projet d’invasion de l’Angleterre par la flotte espagnole de Philippe II ainsi que des tentatives d’assassinats sur la reine Elisabeth par le clan catholique (plusieurs sont déjoués par l’implacable ministre anglais Walsingham).
Pierre de Siorac fait l’expérience également à la cour de la reine d’Angleterre du célèbre flegme britannique parmi les courtisans et représentants de la souveraine qui demeurent calmes et déterminés malgré les menaces. Toutefois, derrière leur froideur apparente se cache souvent des êtres facétieux qui ont le goût également des jeux de mots et des plaisanteries ironiques poussant à l’extrême des situations absurdes et burlesques.
La pression s’accentue sur le roi de France qui doit quitter sa capitale
La reine d’Angleterre accepte la demande de Henri III et finance donc une armée de mercenaires allemands pour semer le chaos sur les terres Lorraine mais le Duc de Guise parvient à les repousser et il en gagne davantage de prestige auprès de la population et dans le camp de la Ligue tandis que Henri III combat mollement Henri de Navarre pour donner le change.
La population et les élites de Paris, entièrement acquises à la cause de la Ligue deviennent de plus en plus suspicieux et critiques envers le roi de France tandis que le pouvoir du Duc de Guise grandit de jour en jour. Ce dernier pousse pour que l’oncle de Henri de Navarre, cardinal catholique, soit désigné comme le successeur de Henri III en contradiction avec la loi salique.
Ce délitement de l’autorité royale se traduit par la « Journée des barricades » en mai 1588 qui se déroule, sans surprise, à Paris et de plus au mois de mai 🙂 C’est une des premières fois dans l’Histoire que des barricades sont installées en milieu urbain pour empêcher la progression d’une force armée : cocorico ! Cet acte de résistance populaire a été préparé et organisé en sous-main par la Ligue catholique et intervient en réaction à l’arrivée de la Garde Suisse qui entre dans Paris sur ordre du roi afin de réaffirmer son pouvoir.
Des échauffourées ont lieu avec la population parisienne au passage des troupes suisses dans les rues étroites et encombrées de la capitale, des coups de feu sont tirés de part et d’autres et de nombreuses barricades sont soudainement élevées pour bloquer le passage aux gardes suisses qui se retrouvent rapidement isolés et doivent se replier à l’abri.
Henri III refuse de mener une controffensive féroce contre sa population et il décide quitter la capitale de son propre royaume par surprise avec le reste de ses troupes loyales, laissant Paris aux mains de la Ligue et de son meneur le duc de Guise. Le roi s’installe à Blois en recréant un semblant de cour et il continue de lutter courageusement pour la paix et l’unité du pays en refusant de céder aux injonctions de la Ligue tout en ménageant son héritier Henri de Navarre.
Après diverses tentatives de conciliation,Henri III se résout à une terrible décision
Toutefois, la pression s’accentue sur lui car les puissantes forces de la Ligue menées par le Duc de Guise chassent ses fidèles sujets de villes stratégiques et elles ont le soutien financier et matériel du roi d’Espagne Philippe II qui lance dans le même temps son Invincible Armada contre le royaume d’Angleterre. Ainsi, les destins de la France et de l’Angleterre sont à ce moment de l’Histoire étroitement liés avec le risque de basculer dans le giron espagnol.
Mais la flotte anglaise lance des raids astucieux en août 1588 avec des petits bateaux très maniables et des brûlots qui sèment une grande confusion dans la flotte espagnole amarrée à proximité de ses côtes et obligent les espagnols à quitter leur mouillage de manière désordonnée. Puis, une grande tempête endommage fortement les bateaux espagnols les obligeant à retourner en Espagne, c’en est fini de l’Invicible Armada de Philippe II et de ses rêves d’invasion de l’Angleterre.
Ainsi, l’étau se desserre également sur Henri III, il est temps d’agir. Le monarque tente de reprendre la main en lançant des Etats Généraux à Blois à partir d’octobre 1588 mais l’influence de la Ligue est trop forte et elle lui impose ses choix. Le Duc de Guise demande, exige même à mots couverts, d’être nommé aux plus hautes fonctions de l’Etat pour accroitre davantage son pouvoir et s’assurer une certaine légitimité.
Alors, le roi de France se résout finalement à ordonner l’assassinat par ses gardes du Duc de Guise le 23 décembre 1588 à Blois lors de la fin des Etats Généraux et d’autres meneurs de la Ligue sont emprisonnés. A trop vouloir faire de concessions en refusant la manière forte pour éviter de faire couler du sang, Henri III en vient à ces dernières extrémités.
Tome 5 : « La Violente Amour », l’assassinat du roi Henri III et la conquête du pouvoir par Henri IV
Nouveaux troubles au royaume de France, les cartes sont redistribuées
Après l’assassinat du Duc de Guise et l’emprisonnement de certains rivaux, Henri III a repris la main et possède de plus larges marges de manœuvre dans son royaume mais les troupes et les villes acquises à la cause de la Ligue demeurent encore nombreuses et puissantes tout en étant désormais très exaltées par le meurtre de leur héros martyr.
Henri III fait alors la jonction de ses armées avec celle de Henri de Navarre pour combattre la Ligue, c’est une nouvelle guerre civile entre français qui commence mais, cette fois-ci, avec une armée coalisée de catholiques fidèles au roi et de protestants face à la Ligue catholique soutenue par l’Espagne.
La coalition des Henri parvient à reprendre progressivement des places fortes stratégiques qui permettent d’encercler Paris pour y mettre le siège. C’est à ce moment qu’un moine fanatisé par la Ligue et les religieux de la capitale, Jacques Clément, est envoyé dans le but d’assassiné Henri III qui est vu comme un traître à sa religion et à son pays. Jacques Clément parvient à déjouer les soupçons en raison de sa fonction de moine modeste et les comploteurs de la Ligue à Paris ont fait en sorte qu’il puisse s’entretenir avec des prisonniers importants favorables à Henri III afin qu’il puisse demander une conversation privée avec le roi pour lui transmettre des messages secrets. Le roi accepte sa requête et Jacques Clément s’approche à son oreille sous les yeux des gardes restés à proximité quand, soudain, le moine sort un couteau de sa manche et poignarde Henri III à l’estomac avant de se faire massacrer par les gardes royaux furieux.
Henri III mourra quelques heures plus tard, le 2 août 1589, à Saint Cloud, il est le dernier roi de la branche des Valois et le premier roi de la dynastie des capétiens assassiné mais il ne sera malheureusement pas le dernier. Le roi de France agonisant a tout juste le temps de réunir autour de lui la noblesse qui lui est restée fidèle pour leur demander solennellement de prêter allégeance à leur futur roi Henri IV qui est également présent. Les nobles catholiques font un serment de fidélité à leur prochain souverain bien qu’il soit protestant mais certains renieront leur engagement quelques temps plus tard. Ce sera à Henri IV de conquérir son royaume et son peuple par la force, la ruse et la diplomatie.
L’expression « violente amour » serait de lui, elle traduit son sentiment ambigu de souverain épris de son peuple qui doit néanmoins en combattre une partie de celui-ci pour reprendre son royaume et assoir sa légitimité. Henri IV n’est pas reconnu comme roi par la Ligue catholique car il est protestant, il a néanmoins une partie de la noblesse et donc de l’armée catholique avec lui par fidélité envers la légalité et la tradition de l’ordre de succession du roi de France.
Le dilemme et la lutte de Henri IV pour reconquérir son royaume et son peuple
Henri IV, premier roi de la branche des Bourbons, a un tempérament différent de Henri III, il n’a pas été élevé à la cour du roi de France bien qu’il y ait vécu un temps après son mariage avec Marguerite mais dans des circonstances très difficiles. Henri IV mène ses troupes et participe aux batailles depuis tout jeune, il est habillé modestement et souvent en armures, adepte du franc parler en allant à l’essentiel sans fioritures ni grandes tirades, proche du peuple et familier avec ses courtisans sans cérémonial.
Alors qu’il succède à Henri III, il hésite à se convertir au catholicisme comme lui enjoignent les nobles catholiques qui le soutiennent mais cette décision risque très certainement de lui mettre à dos les puissants nobles protestants qui lui sont fidèles depuis toujours et puis, ce serait encore une énième fois qu’il changerait de religion. Henri IV décide donc de remettre à plus tard sa décision mais il se montre tolérant envers les catholiques et magnanime envers ses anciens adversaires lorsqu’ils sont défaits afin de s’assurer de leur soutien.
En mars 1590 a lieu la bataille d’Ivry en Normandie entre Henri IV et la Ligue, l’issue des combats est incertaine et c’est là que nait la légende où le roi Henri IV aurait harangué ses troupes en leur disant de se rallier à son « panache blanc ». Le blanc est la couleur de l’écharpe et des grandes plumes posées sur le chapeau que porte Henri IV pour le distinguer ainsi que ses partisans, il les enjoint donc à le suivre jusqu’au bout pour emporter la victoire.
Ivry fut une bataille violente et indécise où la Ligue chercha à briser le siège de Paris, ses forces étaient plus nombreuses mais la bravoure du roi de France et de ses armées prirent finalement le dessus. Pierre de Siorac participe à cette bataille mais il en voit seulement une partie qui est très confuse, une immense charge de cavalerie où tout s’entrechoque, il en sort indemne mais complètement hagard. Au milieu de ce charnier, il ne sait plus où il est, où sont ses compagnons d’armes mais il est en vie et il apprend finalement avec soulagement la victoire de son camp.
La conversion du roi et la conquête de Paris
Désormais, l’objectif principal de Henri IV est de conquérir la capitale pour assoir sa légitimité dans le royaume de France. Paris, la rebelle de toujours, est cette fois-ci dans le camp des ultras catholiques, ironie de l’Histoire alors que quelques siècles plus tard la capitale se soulèvera pour les idéaux de la Révolution et en opposition à cette même Eglise catholique mais toujours contre son souverain, cela reste une constante.
Pierre de Siorac est utilisé à nouveau comme espion pour le compte du roi et il parvient à s’installer dans Paris en tant que marchand. Il nous décrit le siège de plusieurs mois de l’immense cité et ses conséquences effroyables pour la population en raison d’une terrible famine qui sévit et emporte de nombreux habitants après d’affreuses privations, tous les animaux sont mangés et il y a même des actes de nécrophagies.
Il est estimé que près de trente mille habitants moururent de faim pendant ce siège sur un total de trois cents mille mais la Ligue s’obstine néanmoins à résister contre les troupes royales et traque les « politiques », catholiques modérés qui sont enclins à un accord avec Henri IV pour retrouver la paix et la prospérité. La foule parisienne est quant à elle continuellement haranguée par les curés pendant les sermons de la messe.
Finalement, après quatre années de lutte armée depuis son accession au trône, le roi Henri IV décide de se convertir une nouvelle fois au catholicisme en juillet 1593 dans la basilique Saint-Denis car il prend conscience qu’il ne peut gouverner le royaume de France sans embrasser la foi de la majorité de ses sujets et une grande partie de sa noblesse protestante s’y résout également.
Ce fait majeur ouvre une brèche dans le camp opposé et une part significative des nobles et du clergé de la Ligue commence progressivement à le reconnaitre comme leur roi légitime malgré les précédents propos véhéments qu’ils ont tenu à son encontre. Le parti du roi devient de plus en plus fort et les opportunistes basculent de son côté, entrainant avec eux les plus engagés et isolant les plus enragés.
Après une levée temporaire du siège de Paris par les armées royales afin de combattre une armée de la Ligue venu secourir les assiégés, le blocus reprend mais des négociations secrètes ont lieu avec certains membres influents de la garde parisienne qui sentent le vent tourner en leur défaveur et qui acceptent finalement, en échange de récompenses, d’ouvrir les portes de la ville en pleine nuit.
Ainsi, les troupes royales investissent Paris en mars 1594 dans le calme et sans effusions de sang alors que la population parisienne est à bout de force. Henri IV est désormais maître de Paris et il s’installe au palais du Louvres qui n’avait plus hébergé de roi de France depuis quasiment six années après l’épisode de la « Journée des barricades » (cf tome 4).
La clémence pour pacifier et reconstruire le pays
Henri IV pardonne aux séditieux de la Ligue à Paris malgré leur longue et farouche opposition armée mais il préfère opter pour la clémence afin de reconstruire et réunifier le pays dans la paix après une longue succession de guerres fratricides. Il n’y a donc pas de grands procès organisés pour juger tous les coupables, seuls les plus zélés seront sanctionnés en étant bannis du royaume.
On peut faire le parallèle avec la situation de la France à la Libération en 1944 et du sort des nombreux français qui avaient collaboré avec l’envahisseur de manière plus ou moins engagée, il fallait aussi reconstruire et réunifier le pays qui aurait pu sombrer dans une guerre civile ou passer sous le giron d’une puissance étrangère, c’est un dilemme difficile entre la justice et la paix.
Tome 6 : « La Pique du jour », reconquête et consolidation du royaume de France par Henri IV
L’étau se desserre autour de Paris
Ce tome commence par une nouvelle mission secrète confiée par le roi de France fraîchement installé à Paris pour son fidèle serviteur Pierre de Siorac dont l’objectif est de s’introduire dans la ville de Reims qui est aux mains des ligueux afin d’obtenir leur ralliement comme c’est le cas de plus en plus de bon villes aux mains de la Ligue en France suite aux nombreux succès de Henri IV et à sa conversion au catholicisme.
Notre héros périgordin parvient à libérer la ville de ses éléments les plus radicaux et à faire évacuer une garnison espagnole tout en nouant des contacts avec les principaux représentants de la ville ce qui permet de commencer les négociations pour le ralliement de Reims qui nécessiteront du temps.
Sur le chemin du retour, Pierre de Siorac rejoint le roi supervisant avec son armée le siège de la ville fortifiée de Laon qui constitue un verrou donnant accès à la région de Champagne. Si la ville est prise, les pourparlers avec Reims et les autres cités autour seront plus aisés. C’est également une place stratégique pour couper la retraite des armées espagnoles qui occupent la Picardie et qui se ravitaillent depuis leurs terres des Flandres.
Les troupes espagnoles tentent d’attaquer l’armée royale pour briser le siège mais elles échouent avec de lourdes pertes et se retirent, Laon se rendra donc à Henri IV et bientôt la Champagne se ralliera à lui moyennant pécunes et promotions. On est bien loin des considérations religieuses ou politiques de la part des principaux responsables, l’argent et le pouvoir sont souvent les objectifs premiers. Désormais, il reste à Henri IV de libérer les régions picarde et bretonne qui demeurent aux mains des ligueux et des espagnols afin de réunir entièrement le royaume de France.
L’influence des religieux en France
De retour à Paris, se tient le procès de l’ordre des jésuites qui est accusé par les universitaires et les curés de Paris de leur faire une concurrence déloyale en proposant un enseignement gratuit avec des méthodes réputées moins coercitives et en captant les confessions lucratives des nobles en raison de leur indulgence et de leur compréhension.
L’ordre des jésuites est tout récent, il a été fondé au milieu de ce siècle alors que l’Eglise catholique cherche à contrer l’expansion de la Réforme protestante. C’est une congrégation d’origine espagnole donc elle suscite la méfiance en France qui est son grand rival. Ses membres sont très disciplinés et très instruits, ils sont autonomes vis à vis des évêques locaux et ils gagnent en influence dans la population au travers des enseignements qu’ils proposent.
Certains les accusent d’inciter ou voir même de participer à des tentatives d’assassinats contre des chefs protestants ou catholiques modérés comme par exemples le chef de la révolte protestante aux Pays-Bas, le Prince Guillaume d’Orange, qui fut assassiné en 1584 par un catholique, plusieurs tentatives déjouées contre la reine anglaise Élisabeth ou bien Henri III qui mourra sous les coups d’un moine capucin en 1589.
Alors que le procès des jésuites était sur le point d’être ajourné, une tentative d’assassinat contre le roi Henri IV échoue le 27 décembre 1594. Le monarque n’est que légèrement blessé par un jeune homme dont on découvre, après enquête, qu’il a été instruit au collège jésuite de Clermont à Paris (actuel lycée Louis le Grand), on soupçonne donc l’assaillant d’avoir été influencé par les jésuites pour commettre cet acte.
Ainsi, le collège des jésuites est perquisitionné et on y trouve des documents avec des propos compromettants vouant aux enfers l’ancien roi Henri III ainsi que l’actuel roi Henri IV, ce qui est un crime de lèse-majesté. Par conséquent, le jésuite à qui appartenait ces documents est pendu et l’ordre des jésuites est expulsé de France.
Ce conflit ouvert entre un puissant ordre religieux et le roi de France lorsque l’influence du spirituel menace le pouvoir royal n’est pas le premier. En effet, comme raconté dans la saga des Rois Maudits, Philippe le Bel interdit l’ordre des Templiers en France qui a accumulé une grande richesse et une influence considérable avec les croisades, son chef est exécuté et les trésors sont confisqués, c’est aussi un moyen pour le monarque français de renflouer ses caisses.
Mission à Rome
Ensuite, Pierre de Siorac est envoyé en mission à Rome pour aider à convaincre le pape de lever l’excommunication du roi Henri IV qui est pour le moment maintenue bien que le monarque se soit convertit au catholicisme et que la majorité du clergé français se soit rallié à lui.
Cependant, le pape est contraint par la puissance du roi d’Espagne Philippe II qui est en conflit ouvert avec Henri IV et refuse catégoriquement son absolution en faisant pression sur le Vatican.
L’Italie n’existe pas à cette époque, elle est divisée en multiples duchés et royaumes et Rome est le théâtre d’une lutte d’influence entre les puissances étrangères catholiques telles la France et l’Espagne ainsi que le Vatican, Florence et Venice. Ces deux dernières vont aider la délégation française dans sa démarche afin de contrer la domination espagnole et, finalement, le Vatican accordera l’absolution du roi Henri IV le 17 septembre 1595 après de multiples tractations car il y a un risque de schisme de l’église gallicane française comme cela a été le cas dans le passé avec l’église anglicane d’Angleterre.
A noter qu’il y a des passages un peu longs dans ce récit à Rome avec moins de péripéties et d’évènements intéressants par rapport aux deux tomes précédents, le rythme est plus lent, c’est moins palpitant.
Henri IV promulgue l’édit de Nantes après avoir réunifié son royaume
De retour en France, Paris est menacée en raison de la prise d’Amiens par les espagnols avec la complicité de certains irréductibles ligueux. Henri IV doit donc lever une nouvelle armée avec toute sa noblesse pour en faire le siège. Cette fois-ci, Mayenne, l’ancien chef militaire de la Ligue, est dans le camp royal après le pardon de son roi qui l’intègre à son commandement militaire en raison de ses grandes qualités de stratège. Ainsi, après s’être livrés des batailles meurtrières avec rage pendant une dizaine d’années les anciens ennemis combattent désormais côte à côte.
Une armée espagnole envoyée pour secourir les assiégés est mise en déroute par les troupes royales françaises et la ville d’Amiens se rend en 1597. Désormais, Henri IV peut diriger ses troupes vers la Bretagne qui demeure la dernière région française encore aux mains de la Ligue et de l’Espagne. La Bretagne acceptera finalement de se rendre à son roi en échange de grandes quantités d’espèces sonnantes et trébuchantes afin d’éviter de nouvelles batailles meurtrières.
A présent que son royaume est réunifié et que la paix civile est rétablie après huit guerres de religions étalées sur seulement quatre décennies, Henri IV décide de promulguer l’Edit de Nantes le 13 avril 1598 afin d’instaurer la liberté de culte en France (sauf dans certaines villes à grande majorité catholique ou protestante) et d’offrir plusieurs places fortes pour les protestants.
Cependant, de nouvelles contestations intérieures montent dans les rangs catholiques suite à cette décision et les parlements des grandes villes rechignent à signer cet édit, il faut que le roi intervienne personnellement pour les forcer à le faire et cela prendra plusieurs années.
Dernière mission en Espagne, rencontre avec le monarque le plus puissant d’Europe
Après la promulgation de l’Edit de Nantes, Pierre de Siorac est envoyé en Espagne pour une nouvelle mission qui est sa dernière et, cette fois-ci, il s’agit d’une ambassade officielle et non plus de tractations secrètes. Henri IV lui commande de traiter en son nom avec le roi d’Espagne Philippe II à propos de différents frontaliers alors que les deux royaumes rivaux ont désormais fait la paix.
Le roi d’Espagne est très affaibli après quarante années de règne et il mourra quelques mois plus tard, le 13 septembre 1598, au palais de l’Escurial situé à une quarantaine de kilomètres de Madrid. C’est un immense monument édifié par Philippe II lui-même pour en faire une nécropole des rois d’Espagne avec de nombreuses reliques de Saints catholiques.
Philippe II fut roi d’Espagne de 1555 à 1598, monarque le plus puissant d’Europe à cette époque grâce aux richesses de ses colonies d’Amérique et à la puissance de ses armées. Sous son règne, il obtint une grande victoire navale à Lépante en 1571 avec le soutien de la marine italienne contre les ottomans, il lutta également contre l’expansion du protestantisme en Europe mais avec moins de succès. Contre la révolte des « gueux » protestants aux Pays-Bas qui était alors une possession espagnole et qui furent finalement divisés en 1581 avec au nord les Provinces Unies protestantes (la future Hollande) et au sud les provinces catholiques (la future Belgique), il échoua également dans sa tentative d’invasion de l’Angleterre en 1588 et son large soutien militaire et financier de la Ligue catholique en France fut insuffisant pour renverser le pouvoir royal.
Suite à cette dernière mission, notre fidèle héros périgordin Pierre de Siorac retourne à Paris et commence l’écriture de ses Mémoires, la paix dans son royaume étant retrouvée. Il en termine la rédaction le 4 mai 1610, dix jours avant l’assassinat du roi Henri IV en pleine rue de Paris. C’est le début de nouveaux troubles qui seront racontés dans une deuxième partie de la saga Fortune de France par le fils de Pierre de Siorac mais ceci est une autre histoire !
Ce que je retiens de ce récit Historique
Il est désormais temps de conclure en vous partageant les principaux enseignements que je tire de ce récit historique en complétant avec des recherches annexes pour l’écriture de cet article.
La Monarchie française ne fut pas aussi stable et absolue que je le pensais
Contrairement à l’image que j’en avais, la Monarchie française n’a pas été un long fleuve tranquille, le régime royal ne signifiait pas souvent le pouvoir absolu telle l’image que l’on a règne de Louis XIV. Les rois de France étaient souvent en proie à de multiples tensions et luttes de pouvoir avec des vassaux turbulents et ambitieux, y compris même au sein de leur propre famille sans compter les menaces extérieures et la puissance du clergé. Le peuple avait bien moins de droits et de libertés qu’avant mais il y avait quand même une certaine inertie et une résistance passive à l’application de certaines lois, la bourgeoisie commençait également à prendre de l’importance avec l’émergence de riches villes quasi autonomes.
Les rois ne sont pas non plus systématiquement des tyrans sanguinaires, ils peuvent avoir aussi des sentiments humains et avoir la volonté de préserver la paix et la vie de leurs sujets, ils sont parfois tiraillés entre des courants contraires qui cherchent à les manipuler, à forcer des décisions, ce n’est pas une place aisée surtout pour un monarque qui souhaite gouverner pour le bien commun de l’ensemble du pays et pas d’un seul clan ou d’un parti.
L’homogénéité religieuse favorise la stabilité de chaque Etat non laïc
Au vu de ces nombreux conflits religieux qui ont ensanglanté la France et de l’absence d’un consensus stable malgré différentes tentatives de conciliation, il apparait difficile, voire même impossible d’avoir deux religions importantes dans un seul Etat à cette époque où les croyants étaient fervents et très pratiquants à moins que l’Etat soit neutre, c’est-à-dire laïc. C’est désormais le cas en France depuis plus d’un siècle et sur fond de baisse importante de la pratique religieuse donc la question ne se pose plus mais elle pourrait s’appliquer à d’autres domaines telles la culture et le mode de vie.
Ainsi, Henri IV a dû se résoudre à se convertir au catholicisme qui était la religion majoritaire de ses sujets afin d’être accepté comme leur roi légitime et de pacifier le pays. Il a ensuite promulgué l’Edit de Nantes instaurant la liberté de culte et donnant davantage de droits aux protestants mais cela n’empêchera pas de nouveaux conflits internes après lui et cette loi sera finalement révoquée par Louis XIV.
La France n’est pas une exception à cette prédominance d’une religion majoritaire dans un seul pays à cette époque : l’Angleterre est protestante tout comme la Suisse, l’Espagne est catholique tout comme l’Italie et le Portugal, les Pays-Bas seront divisés en deux états, la Hollande protestante et la future Belgique catholique. Il y a une différence en Allemagne avec le Saint Empire mais parce qu’il était constitué d’Etats très autonomes qui pouvaient choisir leur religion.
Cette situation s’est également posée lors de la fin de l’empire des Indes britanniques qui a été scindé en deux sur la base de la religion : le Pakistan pour les musulmans et l’Inde pour les hindous (avec la présence d’une minorité musulmane).
La force n’est pas la seule solution, même à cette époque réputée brutale
Parfois, les négociations de salons peuvent obtenir des résultats aussi importants que les batailles en limitant les coûts humains et financiers, il faut donc y rester ouvert sans se faire marcher dessus ou abusé comme cela a été visiblement le cas du roi Henri III avec la Ligue. L’argent et les promotions peuvent aider également à convaincre les belliqueux.
De même, la ruse ou parfois malheureusement la traitrise, comme les assassinats, peuvent aussi être utilisées mais avec des résultats souvent instables et parfois même inverses du but recherché en raison des réactions qu’ils entrainent. Ainsi, l’assassinat de Henri de Guise par le roi de France ne fit que renforcer l’exaltation de la Ligue catholique qui tenait là un martyr idéal pour haranguer les foules et résister pendant plusieurs années au pouvoir royal à Paris tout comme de nombreuses autres villes françaises. De même avec l’assassinat de Henri III par la Ligue qui entraina l’accession au trône de leur plus farouche ennemi, Henri IV, chef du parti protestant et qui su les vaincre par la force et la diplomatie.
Pardonner pour pacifier et reconstruire le pays parfois au détriment de la justice
Alors que la victoire est obtenue après avoir combattu fermement ses adversaires, il est parfois nécessaire de conclure la paix en partie au détriment de la justice afin d’éviter de nouveaux conflits, notamment après une guerre civile. Ainsi, les acteurs les plus impliqués et les plus coupables doivent être jugés et condamnés sévèrement mais cela peut être avisé de faire preuve d’une certaine clémence pour les subalternes afin d’aller de l’avant et reconstruire le pays.
La période d’après guerres des religions sous Henri IV après sa victoire contre la Ligue peut se comparer en ce sens à la situation de la France après la Révolution ou à la Libération où il a bien fallu réconcilier les anciens ennemis (républicains et royalistes, résistants, collabos et passifs) ou du moins les faire cohabiter pacifiquement.
Garder espoir en l’avenir et tenir bon malgré l’adversité
Enfin, pour terminer sur une note positive, je tire également de ce récit et notamment du parcours du roi Henri IV qu’il ne faut pas désespérer de situations qui semblent sans issues favorables ou trop difficiles à surmonter.
Henri de Navarre a été le témoin du massacre de ses camarades et coreligionnaires à la Saint Barthélémy où il a été forcé de se convertir au catholicisme et où il fut gardé captif à la cour du roi puis il parvint à s’enfuir, à récupérer ses terres pour reprendre le combat avec ses troupes contre un ennemi bien plus puissant.
Lorsqu’il accéda au trône de France en tant que Henri IV après de multiples circonstances, il fut contesté par la Ligue qui tenait les principales villes du pays avec le soutien du puissant royaume d’Espagne. De nombreuses fois il dut s’impliquer personnellement dans des batailles sanglantes à l’issue incertaine et il luta sans relâche pour se faire accepter de gré ou de force d’une grande partie de ses sujets (noblesse, clergé et tiers-état) qui le conspuait en le traitant d’hérétique. Henri IV parvint progressivement à reconquérir son royaume et son peuple grâce à ses victoires militaires tout en faisant certaines concessions (conversion au catholicisme, pardon et réhabilitation de ses anciens ennemis).
Donc, avec de la persévérance, de la combativité, de l’intelligence et de la patience, on peut améliorer la situation et se rapprocher de ses objectifs puis, en atteignant un certain seuil, cela peut même enclencher un cercle vertueux où les pragmatiques, clairvoyants ou opportunistes vous rejoignent progressivement en faisant pencher la balance de votre côté. Ce mécanisme fonctionne également dans l’autre sens, si vous échouez et que vous perdez du pouvoir on vous respecte moins et vous risquez de perdre du soutien, à méditer.
Si vous êtes parvenus à lire cet article en entier je vous félicite et vous en remercie grandement! N’hésitez pas à laisser un avis en commentaire 😊
Roman de Giuliano Da Empoli aux éditions Gallimard
Je suis tombé par hasard sur ce livre, bien mis en évidence en tête de gondole dans un magasin Relais d’un hall de gare avec un bandeau indiquant qu’il avait gagné le prix du roman de l’Académie Française. Son titre m’a intrigué car les sujets qui traitent de la Russie m’intéressent particulièrement donc j’ai lu le résumé, il s’agit une fiction moderne de politique russe inspirée de certains personnages et faits réels dont l’histoire commence à la chute de l’Union soviétique et qui raconte l’ascension de Vladimir Poutine sous les yeux de l’un de ses plus proches conseillers, Vadim Baranov, (personnage fictif mais ayant plusieurs points communs avec un ancien conseiller du dirigeant russe), que l’on surnomme le mage du Kremlin.
Ce livre permet de mieux se rendre compte, en l’observant de l’intérieur, du chaos qu’a généré pour la société russe dans son ensemble l’effondrement brutal de l’Union Soviétique sans réelle préparation ni alternative solide, laissant ainsi les richesses du pays en proie aux opportunistes de tous bords qui acquirent des fortunes en très peu de temps et le dépensèrent de manière frénétique et sans limites tandis qu’une grande partie de la population était désemparée. Le carcan soviétique qui bridait de nombreuses libertés et initiatives individuelles pendant des années se relâcha d’un coup et tout le monde voulu en profiter. Certains pour exprimer leurs idées, leurs talents et leur créativité mais d’autres voulaient leur part du gâteau économique qui s’offrait à eux, croquer la vie à pleine dents et il n’y avait plus de références morales, l’objectif étant de briller aux yeux de tous, du moins pour une frange infime de la population qui en avait l’opportunité.
Ce récit est également intéressant du fait qu’il ne donne pas non plus selon moi une image caricaturale sur le plan de la géopolitique internationale avec des méchants russes d’un côté et des gentils occidentaux de l’autre, cela raconte le traumatisme et l’humiliation de cette chute brutale de l’édifice soviétique qui a sans doute incité à une reprise en main énergique au début puis progressivement autoritaire du pouvoir russe par Vladimir Poutine. C’est aussi l’occasion de redécouvrir des évènements historiques et politiques de la Russie depuis ces trente dernières années en étant au cœur du pouvoir sous l’angle de vue de l’un de ses plus proches conseillers dont les idées sont généralement très éloignées de la plupart des avis présentés dans les médias occidentaux. Cela ne signifie pas que c’est forcément vrai mais ce récit a le mérite d’offrir un nouveau regard sur ces enjeux afin d’en avoir une meilleure perspective. Il y a probablement de nombreuses scènes inventées ou largement modifiées mais les personnages, les réflexions, les actes racontés me semblent crédibles.
Les dialogues sont également savoureux avec des réparties incisives à l’humour acerbe, les saillies verbales fusent dans tous les sens entre les personnages qui continuent néanmoins de se côtoyer comme s’il s’agissait d’un jeu. En effet, on se rapproche parfois du jeu d’échec où chacun avance ses pions mais dissimule soigneusement à l’adversaire sa stratégie globale planifiée longtemps à l’avance. C’est aussi un jeu d’acteurs qui dissimulent parfois leurs sentiments profonds ou leurs intentions derrière des phrases à double sens ou des anecdotes. D’ailleurs, la citation en ouverture de ce livre est « La vie est une comédie. Il faut la jouer sérieusement. » de Alexandre Kojève. Il n’y a pas non plus beaucoup de formules de politesse dans les discussions, une fois que les ironies, sous-entendus et autres allusions à peine voilées ne sont plus nécessaires, alors on va à l’essentiel, sans détours ni circonvolutions.
Il y a également des personnages hauts en couleur qui sont très intéressants, comme j’ai déjà pu en découvrir dans d’autres récits sur la Russie : excentriques, sarcastiques, cyniques, extravagants ou parfois même incohérents suivant nos standards occidentaux, prêts à tous les excès dans un sens ou dans l’autre, capable du plus grand altruisme et d’une générosité immense tout comme de cruautés et de calculs froids sans pitié. Ce sont des personnages avec toutes leurs complexités et leurs contradictions.
Ce sont aussi des destins de vie complètement bousculés par la désintégration de l’Union Soviétique, des ascensions fulgurantes et des chutes vertigineuses, des montagnes russes de la vie en quelque sorte. L’auteur manie avec adresse les comparaisons de situations complètement opposées dans lesquelles se retrouvent certains personnages partant du plus bas niveau de l’échelle sociale et parvenant jusqu’au plus haut en un rien de temps afin de mieux nous faire prendre conscience de la folie de cette période avec ses inégalités criantes. Cela me fait penser en analogie à la description par Stefan Zweig dans ses mémoires « Le Monde d’hier » des conséquences ahurissantes de l’hyper inflation en Autriche puis en l’Allemagne dans l’Entre-deux-guerres sur la population où l’argent ne valait plus rien, les échelles de valeur étaient complètement bouleversées, inversées, à en perdre la raison.
Vadim, le personnage principal, initialement un jeune romantique pétri d’idéalismes et passionné de théâtre va progressivement devenir cynique à son tour après de cruelles désillusions sociales et sentimentales. Il continue de s’occuper de la mise en scène mais plus dans une salle modeste pour un public restreint mais d’abord à l’ancienne télévision d’état russe devant des millions de téléspectateurs puis, dans l’arène politique, le grand théâtre du réel. De ces expériences, Vadim prend progressivement de la maturité et de l’assurance en se frottant à l’exercice du pouvoir et des responsabilités dans l’ombre de Poutine. Puis, il finit par s’en lasser, presque désabusé et il se met en retrait pour revenir à ses passions d’avant tout en ayant envie de partager son histoire et ses idées à un jeune diplomate français de passage à Moscou.
Dans ce récit, il y a également une belle histoire d’amour assez originale qui s’inscrit dans la durée avec son lot de rebondissements. D’un côté, il y a Ksenia, une femme magnifique, peu expressive mais aux gestes et paroles maitrisés, le regard perçant et aux remarques tranchantes qui nécessitent d’avoir une bonne carapace pour survivre à son examen, repérant et exploitant avec sarcasme la moindre faiblesse, un compliment pouvant signifier une critique et inversement si l’on n’arrive pas à décoder l’expression de son visage et la flamme dans ses yeux. De l’autre côté, il y a Vadim, admiratif à son égard mais restant sur ses gardes, attentif aux moindres gestes et paroles de Ksenia tout en essayant de ne pas laisser transparaitre son trouble et ses sentiments profonds envers elle, du moins tant que le jeu de la séduction est en cours. Car, au fond de ces hommes et de ces femmes qui paraissent froids de façade, on sent vivre en leur intérieur des émotions fortes, des passions brulantes qui les animent même s’ils dévoilent peu souvent leurs cartes, généralement en petit comité, dans les coulisses.
Ce récit parle également de l’intérêt des russes, du moins des élites et des intellectuels, pour la culture et le patrimoine occidental, notamment la France, et cela depuis des siècles où l’on peut parfois ressentir une relation de secret amoureux éconduit, incompris ou voir même méprisé qui finit par jouer le mauvais rôle qu’on lui assigne et se tourne vers d’autres horizons.
C’est donc pour moi un très bon roman qui m’a captivé de la première à la dernière page. Je le recommande vivement et, si vous avez déjà lu et apprécié ce livre, je vous conseille également « Limonov » de Emanuel Carrère qui raconte également cette période post soviétique en Russie avec un personnage assez loufoque qui a eu une vie très mouvementée.